cantonement_de_soldats_a_kalhausen
Cantonnement de soldats à Kalhausen
(Photo internet)
Avant guerre, à partir de 1936, des
troupes d’infanterie prennent momentanément leurs quartiers dans
certains villages à l’arrière de la ligne Maginot. Le but de ces
déplacements de régiments est sans aucun doute de familiariser les
militaires avec le terrain dans le cas d’une mobilisation.
Pour les militaires, ces sorties
sur le terrain sont en quelque sorte des manœuvres et ils apprécient
beaucoup ces activités qui les changent de la routine et de la
monotonie de la vie en caserne.
Et puis, il y a aussi le contact
avec les civils. L’uniforme a énormément de succès auprès des enfants
et des jeunes filles et beaucoup regretteront le départ des militaires.
A Kalhausen, c’est le 26° Régiment d’Infanterie de Nancy (1)
qui investit littéralement le village, du 9 mars au 27 juillet 1936,
bouleversant la monotonie de la vie rurale, mettant de l’animation dans
les maisons et surtout dans les rues. Cela représente quand-même
quelques 141 jours de présence au village.
Le cantonnement s’effectue dans le village, chez l’habitant.
Chaque grange, chaque hangar est occupé par un groupe de jeunes recrues qui dorment à la dure, à même le sol, sur de la paille.
Les officiers et sous-officiers
logent bien sûr aussi chez l’habitant, mais pas dans les mêmes
conditions que les simples soldats. Ils ont droit à une
"chambre d’hôte". L’armée en principe dédommage la famille d’accueil.
A la fin du séjour, des états
de cantonnements sont établis : ces derniers comptabilisent les nuitées
chez l’habitant dans le but d’indemniser les hôtes qui ont mis des
locaux à disposition des militaires.
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1.
Le 26° RI fait partie de la 11° Division d’Infanterie et il prendra
part à l’opération Sarre qui débute le 7 septembre 1939. Son rôle sera
de réduire
le saillant d’Auersmacher, en territoire allemand et de s’emparer du village fortifié de Sitterswald. Le régiment comptera 3 soldats et un officier tués probablement par des mines, le 9 septembre. (
fr.wikipedia.org)
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2. Le capitaine sera blessé pendant l’opération Sarre à Walsheim.
L’état de cantonnement ci-dessous
concerne la 10° compagnie du régiment, commandée par le capitaine
Loevenbruck (2) et logée dans une vingtaine de maisons de la rue de la
montagne (de Guggelsbèrsch) et de la rue des mésanges (de Schbàtzenéck).
Quelques remarques :
L’on voit que la 10° compagnie est
logée presque exclusivement dans la rue de la montagne et la rue des
mésanges. Une compagnie compte environ 140 hommes.
Les personnels qui ont séjourné au
village pendant toute la période allant du 9 au 31 mai ont passé 23
nuitées chez l’habitant. C’est le cas du commandant de compagnie, le
capitaine Loewenbrock, de l’adjudant Fourmann et des sergents-chefs
Fardoux, Meurar et Sartelet.
Selon leurs possibilités, certains
habitants logent 2 personnels d’encadrement, officiers et
sous-officiers (Hiegel, Juving, Fluhr, Borsenberger).
Certains logent, en plus des
officiers et sous-officiers, des hommes de troupe. C’est le cas de 3
habitants, possédant de grandes fermes (Hiegel, Juving, Lang). Un cheval (certainement celui du capitaine) a passé les 23 nuitées dans l’étable d’Anne Grosz.
Localisation des maisons.
Chez nous, au numéro 147 du
Lòngenéck , les soldats qui dorment dans la grange de la maison
paternelle doivent chaque matin se pousser pour laisser sortir les
vaches car l’étable est située au fond de la grange. Ce n’est pas bien
commode pour eux et dès que le fenil est vide, ils déménagent leur
couchage pour s’installer à l’étage et laisser la grange libre.
Des liens d’amitié se tissent ainsi
entre les civils et les militaires, malgré la barrière de la langue, et
au moment du départ, certains soldats remettent à leur famille
d’accueil une photo souvenir.
Photo souvenir d’un soldat du 26° RI.
Le colonel commandant le régiment
n’apprécie certainement pas beaucoup la ruralité et, pour lui, la vue
des nombreux tas de fumier qui s’élèvent devant les maisons, sur
l’usoir, nuit à l’esthétique du village. Aussi décide-t-il, avec
l’assentiment de la municipalité, de faire disparaître les tas de
fumier en les soustrayant à la vue des passants, c’est-à-dire en les
camouflant.
Les militaires se rendent donc dans
la forêt du Grosswàld, le Grand Bois, en passant par la Gàllemihl, dans
le but d’y couper des rameaux de noisetiers. Une roulante y est même
installée pour le repas de midi.
Nous, les enfants (à l’époque, j’ai
9 ans), nous suivons parfois, le jeudi, les soldats jusque dans la
forêt et nous les observons avec curiosité.
Bientôt tous les tas de fumiers, et
ils devaient être nombreux, sont entourés de clayonnages, de plessis,
pour les cacher à la vue des passants. Il faut noter à ce sujet que la
commune de Zetting a également entrepris après la guerre de "cacher"
les tas de fumier par des murs en maçonnerie sur trois côtés, le côté
dirigé vers la maison étant dépourvu de mur pour permettre l’évacuation
de la litière des bovins. A Kalhausen, Marcel Thinnes
érige également, après guerre, un mur assez haut sur deux côtés pour
cacher la vue du tas de fumier aux nombreuses personnes qui passent par
la place du village.
2018. Le tas de fumier n’existe plus, il a été remplacé par des plantations d’arbustes.
La commune a fait peindre le mur en blanc et elle l’utilise comme support pour la décoration du village.
Le résultat est sans aucun doute
des plus réussis et le village gagne en beauté. Le colonel et les
soldats sont fiers de leur travail, mais qu’en pensent nos braves
paysans ? Et cette fragile construction, combien de temps
résistera-t-elle ? Nos soldats n’avaient-ils rien de mieux à faire ?
De toute façon, ces clayonnages ne
sont pas très solides et ils ne résisteront pas longtemps aux
intempéries et aux chocs inévitables. Ils ne seront pas renouvelés par
les agriculteurs qui ont d’autres préoccupations.
On aperçoit très bien le clayonnage autour du tas de fumier de
Jean-Baptiste Neu dans le Lòngenéck. Il doit bien mesurer 1m20 de haut.
Entre les personnages, l’on distingue le clayonnage entourant le tas de fumier
devant la maison Amélie Lenhard, au début de la rue des jardins.
Pour nourrir chaque jour tout ce
monde, des cuisines roulantes sont établies dans le village et l’une
d’elles fonctionne devant la maison du voisin du haut, Nicolas Dier (la
maison Clément Vogel actuellement).
Il y a donc beaucoup d’animation 3
fois par jour dans le Lòngenéck , et ailleurs dans le village
aussi. Des madriers, Wòònsdiele, ont été installés sur des tréteaux,
sur l’usoir, et servent à la distribution des rations journalières.
L’une de ces cuisines militaires.
Au son du clairon, les gars de
service de repas viennent chercher la nourriture : ils arrivent par
deux, portant une petite bassine à anses destinée aux aliments.
D’autres viennent s’approvisionner en vin : ils portent de petits seaux
en toile kaki qui ont depuis longtemps changé de couleur à cause du
pinard.
Tous repartent servir les repas à
leurs camarades qui les attendent, assis sur des madriers, devant les
maisons ou sur les charrettes elles-mêmes et parfois sur les tas de
bois enstéré. Tout un chacun mange dans sa petite assiette à
compartiments et boit dans son quart en alu. Quand le temps est
mauvais, le repas se prend dans la grange.
Nous, les enfants, nous attendons
avec impatience et avidité la fin de la distribution du "rab" car il y a
toujours de beaux restes que nous nous empressons d’apporter à nos
parents et qui seront au menu du soir ou du lendemain. Et puis il y a
toujours quelques biscuits pour nous ou un fruit.
Cette roulante est une aubaine pour nous et aussi pour les deux porcs que mon père engraisse ainsi à bon compte grâce à l’armée.
La « table » est installée devant la maison de Jean-Pierre Freyermuth,
dans la rue des fleurs, et les soldats s’occupent même des petits, d’André, 5 ans et de Joséphine, 4 ans.
Les chevaux utilisés par les
militaires sont tous parqués dans le haut de la rue, à l’emplacement de
l’actuel accès au terrain de football. Là, ils peuvent s’ébattre un
peu, mais il y a parfois des accidents entre chevaux, causés par des
coups de sabot. Les bêtes blessées doivent alors être abattues et de la
viande de cheval est au menu du lendemain. Nous aurions pu en profiter,
mais mes parents se méfient de ce qu’ils ne connaissent pas et n’osent
en manger. La consommation de viande équine ne fait en effet pas partie
des habitudes villageoises.
Les militaires mangent aussi des
rations de guerre : de la viande, du fromage, du pâté, des sardines
contenus dans des boîtes de conserve. Pour évacuer leurs déchets, dans
un souci de propreté, ils creusent un trou près de l’enclos des chevaux
et ils y jettent toutes leurs boîtes vides pour éviter qu’elles ne
traînent partout.
A l’époque, les blockhaus de
défense de la zone inondable de la Ligne Maginot viennent juste d’être
érigés et l’un d’eux, situé à Weidesheim, le long de la départementale
33 menant à Herbitzheim, reçoit un équipage du régiment. L’armement de
l’ouvrage se compose d’une mitrailleuse et d’un
fusil-mitrailleur.
Des inscriptions dans le blockhaus attestent la
présence de soldats du 26° RI.
Inscription en couleurs au-dessus du créneau FM et à droite gravure dans le béton.
Le soir, après le dîner, les
soldats ont quartier libre et ils en profitent pour se mêler un peu
plus à la population villageoise. Ce qui les intéresse, ce sont surtout
les jeunes filles du village et elles ne sont pas insensibles à
l’uniforme.
Dans la maison en face de la nôtre,
vit une famille avec 4 filles : Odile, Marie, Madeleine et une autre
dont je ne me souviens plus (3). Le soir, les soldats prennent place
sur l’abreuvoir, devant la maison, ils discutent, rient, blaguent avec
les filles, comme le font tous les jeunes. Cela ne va souvent pas très
loin, car les officiers veillent. Je crois que l’une des filles a
épousé après le conflit un de ces jeunes appelés, originaire de
Merlebach, qu’elle avait appris à connaître à cette époque (4).
Devant la maison Lerbscher du Wélschebèrsch (rue des roses)
Herbert Moerschel
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3. Il s’agit des enfants du couple
Florian Simonin-Catherine Freyermuth. En fait, la famille compte en
tout 5 enfants dont l’un, André, est décédé en 1915, âgé de près de 3
ans. A l’époque, le 11 mai 1936, l’aînée, Madeleine, née en 1911,
épouse André List le 11 mai. Les deux sœurs cadettes, Marie, née en
1914 et Odile née en 1915 sont encore célibataires. Leur frère,
Jacques, né en 1919, l'est également.
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4. Effectivement, Marie Simonin,
née le 17 février 1914, épouse Herbert Ehrhard Moerschel, originaire du
bassin houiller. Le mariage est célébré encore avant la guerre, le 25
avril 1938. Marie Simonin est la tante maternelle d’Agnès List, veuve
de Joseph Muller.
Souvenirs d’ Adolphe Lenhard.
Complément d'informations
Le 26° Régiment d’Infanterie
faisait partie de la 11° Division d’Infanterie, appelée Division de
Fer. C’est l’un des plus anciens régiments français, puisque créé en
1585 et il s’était déjà illustré notamment pendant le premier conflit
mondial.
Pendant l’offensive en Sarre, 3
soldats et un officier sont tués, vraisemblablement par des mines, à
Sitterswald, le 9 septembre 1939. Une stèle a été érigée en leur
honneur, à côté de la piscine municipale de Sarreguemines.
Après le retrait des troupes de la
Sarre, le régiment vit la Drôle de Guerre, dans l’attente de
l’offensive allemande. Lors de l’offensive allemande de mai 1940, le
26° combat dans le secteur de Forbach, puis à Compiègne, Croutoy et
Rozières. Mais les ordres de repli se multiplient et le régiment
stationne dans la région de Limoges, lors de l’Armistice du 22 juin.
Certains officiers, sous-officiers
et soldats, ayant entendu l’appel du général De Gaulle, rejoignent la
Résistance non sans avoir préalablement soustrait à l’occupant le
drapeau du 26° RI et une grande quantité d’armes.
Avec des éléments de
l’ancien 35° Régiment d’Artillerie, ils s’engagent dans la
clandestinité aux confins du Périgord. Les anciens du 26 libèrent
Périgueux le 21 août 1944 puis s’en vont prêter main forte à la
résorption des poches de Royan et de La Rochelle. Ces actes de
Résistance valent au 26° RI qui rentre à Nancy en octobre 1945
d’inscrire "Résistance Dordogne 1944" sur son drapeau.
Réduit à l’effectif d’un bataillon
en 1947, le régiment est réorganisé en 1949, rebaptisé en 1955, 26°
Régiment d’Infanterie Motorisé (26° RIM). En juin de la même année, il
rejoint l’Algérie et notamment Azazga où se trouve son PC. Il déplore,
en septembre 1955, ses premiers morts. Comme d’autres régiments, son
action consiste à maintenir l’ordre et lutter contre le FLN.
Affecté à
la force d’apaisement après les accords d’Evian en 1962, il retrouve
définitivement Nancy en novembre 1963. Le 1er février 1964, le 26° RI
est réorganisé en régiment commando. Les soldats, appelés et engagés, y
suivent un entraînement intensif, effectuant des stages parfois
éprouvants à Givet. Toutefois, les différentes réformes des armées ont
raison des effectifs. Le 26° RI est dissout, en tant qu’unité
combattante, en 1975.
Le régiment de réserve du 26 est
quant à lui dissout le 1er janvier 1998. Avec lui disparaît l’un des
plus vieux régiments de France.
Sources : anorinfanterie.free.fr
Texte de Gérard Kuffler
Mai 2020