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Le Suisse d’église

"de Kìrscheschwitzer
"

 

 

Nos contemporains ne peuvent pas se souvenir de la présence d’un Suisse à l’église de Kalhausen, pour la bonne raison que le dernier Suisse a disparu entre les deux guerres. Pourtant la paroisse catholique de Herbitzheim en compte toujours un aux messes du dimanche et des jours fériés.

Cette tradition remonte au 16° siècle, lorsque le pape Jules II créa au Vatican une petite armée destinée à le protéger. Cette Garde Pontificale Suisse n’était composée que de soldats originaires de Suisse, dont les mercenaires étaient les plus réputés d’Europe.

Les rois français, au 17° siècle, recrutèrent également des Suisses pour assurer leur protection.

Suite aux ordonnances royales de 1771 qui instituèrent une pension de retraite pour les vieux soldats, les Suisses invalides furent oubliés… On ne pouvait pas les renvoyer en Suisse où ils auraient dû vivre de la mendicité. On les envoya alors dans certaines paroisses du Royaume de France pour en assurer le gardiennage, la police et le service d’honneur, à la charge des paroissiens, bien sûr.

Ces vieux soldats, disciplinés et tempérants, avec leur uniforme coloré, sont devenus alors une figure marquante des paroisses catholiques.
Lorsqu’en 1830, après la Restauration, les derniers régiments français de Gardes-suisses furent licenciés, la tradition des Suisses d’église fut maintenue, avec le même uniforme et les mêmes armes. Ce qui changea dans leur tenue fut un peu plus de plumes et de galons et le chapeau de gendarme à la place du tricorne.

Actuellement, pour nos Suisses d’église, il existe deux uniformes : l’un, bleu pour les cérémonies ordinaires du dimanche, l’autre, rouge, pour les jours de fête. Il se compose d’une chemise blanche avec cravate rouge, d’un pantalon bleu marine avec une raie blanche sur le côté, de souliers noirs, de gants blancs, d’un chapeau de gendarme (un magnifique bicorne orné d’un plumeau blanc), d’une longue veste ornée d’épaulettes, de parements  et de boutons dorés, et d’un baudrier rouge.

Ses armes sont une haute canne à gros pommeau doré, ornée de cordelettes de couleur or terminées par un pompon et qui s’entrecroisent, qu’il tient dans la main droite. Dans la main gauche, il a une grande hallebarde qu’il porte sur l’épaule quand il se déplace. Une fine épée est portée sur la côté gauche, dans un baudrier.
           


Lucien Hoffmann - Herbitzheim.


Paul Greiner - Saint-Louis-lès-Bitche.


Le rôle du Suisse est de veiller au bon déroulement des cérémonies religieuses et de faire régner la discipline dans l’église, surtout en surveillant les enfants.

Le Suisse de Herbitzheim arbore un insigne sur son baudrier, une plaque avec l’inscription "Police du Culte" et l’œil de la Trinité. C’est vrai que le Suisse est un peu le policier du culte, "le shériff de la nef", puisqu’il fait régner l’ordre dans l’église.

Mais il est aussi un maître de cérémonie, auquel obéissent tous les officiants de la messe, prêtre et enfants de chœur.
Quand il arrive dans l’église, il porte déjà son pantalon de cérémonie. Il entre alors dans la sacristie des enfants de chœur pour revêtir le reste de l’uniforme et prendre ses armes. Il va ensuite se placer dans le chœur, devant la porte de l’autre sacristie et attend le début de l’office. A l’heure dite, il ouvre la marche et va se placer au début de la nef, dans l’allée centrale, tourné vers l’autel.

Il plante sa hallebarde dans une fixation prévue à cet effet à l’extrémité d’un banc de gauche et va se placer dans l’allée centrale. Au moment de l’élévation, il saisit sa hallebarde, se replace dans l’allée et la dirige vers le bas, en signe de respect, tout en frappant le sol du bout de sa canne. Plus tard, il accompagne encore les servants de messe, lorsqu’ils vont faire la quête. Durant le reste de l’office, il est à sa place, dans l’allée centrale et ne la quitte plus.

Pendant les processions, il précédait le clergé et ouvrait la marche.  A la demande de certaines familles, il pouvait être présent lors des mariages.

Autrefois, il avait à surveiller les nombreux enfants, surtout les garçons. A Herbitzheim, les filles étaient placées sous la garde des sœurs enseignantes congréganistes et ne bougeaient pas. Les garçons n’avaient pas de surveillance et ne se gênaient pas pour bavarder parfois.

Lorsque j’avais 8 ou 9 ans, j’ai subi un dimanche, pendant la grand-messe, les foudres du Suisse, qui était à l’époque Lucien Rondio. Un garçon, je crois qu’il se nommait Jean Michel Gradoux, placé dans le banc derrière moi, n’arrêtait pas de m’embêter.
Je me suis retourné plusieurs fois et le Suisse l’avait vu. Il se servit de la canne pour me donner un petit coup dans les reins et me fit sortir du banc. J’ai dû rester jusqu’à la fin de la messe, agenouillé devant l’autel de Saint Joseph, à la vue de tous. C’était un comble d’humiliation, la honte suprême, mais je ne fus pas puni, de retour à la maison. D’ailleurs, ce n’était pas moi qu’il fallait punir, mais l’autre, ou bien tous les deux. Une injustice dont je me souviens toujours et que je n’oublierai jamais.

Dans le passé, la venue d’un Suisse à Kalhausen, en 1958, lors d’une cérémonie de confirmation, en présence de l’Evêque de Metz, est attestée par des photos. Est-ce le Suisse de Herbitzheim invité par le curé pour rehausser la cérémonie ? Nul ne le sait.


 

Présence d’un Suisse à Kalhausen lors d’une confirmation.

La tradition du Suisse d’église se maintient péniblement dans nos paroisses. Lucien Hoffmann, Suisse de Herbitzheim, est le dernier d’Alsace Bossue, mais il est né en 1929 et a désormais 90 ans passés. Combien de temps restera-t-il encore à son poste ? Aura-t-il un remplaçant ?

De nos jours, occasionnellement, un Suisse officie pour le folklore, tous les deux ans à Saint-Louis-lès-Bitche, tous les ans à Burnhaupt-le-Haut, lors de la Fête-Dieu, et c’est tout.

 

Burnhaupt-le-Haut. Mais  le Suisse ne porte pas la tenue de cérémonie.

Cela fait belle lurette que le dernier Suisse de Kalhausen a rangé son uniforme et ses armes…

 

Florian Koch (1867-1938) Le dernier Suisse de Kalhausen.

 


Florian Koch, son épouse et ses 4 enfants.
Il est le grand-père de Cécile Demmerlé, née Koch.




 
Guessling-Hemering  patrimoine-histoire.fr


 

Le Suisse de Bining dans les années 60.





Conclusion

Le Suisse d’église a déjà disparu de la plupart de nos offices religieux et de nos paroisses. Cette tradition ne revit que ponctuellement, en de rares occasions, pour satisfaire certains nostalgiques du faste passé.

N’empêche que les cérémonies religieuses avaient beaucoup plus de prestance et d’allure, avec le Suisse en tête des cortèges. Il était un maître de cérémonie très digne et prestigieux.

Gérard Kuffler
Janvier 2021