Le_retour_de_Charente_et_la_reconstruction
Le retour de Charente et la reconstruction
Adolphe Lenhard.
En août-septembre 40, la majorité des évacués retrouvèrent leur maison dans un triste état, à leur retour de Charente.
Le haut de notre rue, le
"Làngenéck" (rue de Schmittviller), n’était qu’un amas de ruines. L’armée française avait fait
sauter la rue au niveau des maisons KOCH-ZINS et tous les immeubles
riverains avaient subi d’énormes dégâts dus au souffle de l’explosion :
certaines façades étaient éventrées, de nombreux murs écroulés et
surtout tous les toits avaient été soufflés. Même l’église, située
pourtant à une centaine de mètres avait subi des dégâts : le vitrail
central du chœur n’existait plus.
Toutes ces petites maisons du haut de la rue furent détruites.
La rue de Schmittviller au niveau de la maison Zins…
et de la maison Jean KOCH.
Notre maison, la numéro 147,
était heureusement toujours debout. Il manquait juste une
fenêtre à l’étage et mon père dut fermer provisoirement l’ouverture
avec des planches. La porte d’entrée, celle de la grange, les volets de
la chambre de devant, la "Schdùb", les tuiles du toit, tout était resté
dans l’état, comme lors du départ précipité de septembre 39. Notre
maison était pratiquement intacte de l’extérieur, mais c’était une
coquille vide.
Notre maison et la fenêtre de l’étage fermée au moyen de planches.
Il n’y avait plus rien à
l’intérieur, plus aucun meuble dans les pièces, plus aucun outil
agricole dans la grange et l’étable, plus de foin au fenil, plus aucune
provision dans la cave ni au grenier. Tout avait disparu, comme
par enchantement, même les crucifix des murs manquaient ainsi que les
quelques tableaux religieux que nous possédions. Il ne restait que les
murs nus, notre demeure était devenue une coquille vide et sinistre.
La cuisinière émaillée, les poêles
à bois des chambres, les armoires-penderies, les tables, les chaises,
le vieux fauteuil du grand-père, les lits, les étagères avaient
disparu. Avec leur contenu bien sûr : nous n’avions plus de vaisselle,
plus d’habits, plus d’ustensiles de cuisine, plus d’outils.
Le puits du fond du jardin avait
été comblé par de la vaisselle et toutes sortes d’ustensiles de
cuisine. L’eau arrivait, comme toujours, à 50 cm du bord, mais elle
recouvrait maintenant le contenu du puits et était certainement
contaminée. Le puits ne pouvait désormais plus servir et il fallait
s’approvisionner chez les voisins.
Personne n’avait la possibilité de
le vider de son eau, faute de pompe et de le déblayer ensuite. Il resta
donc en l’état et nul ne sait aujourd’hui ce qu’il renferme comme
"trésors" et surprises. Les archéologues pourront peut-être un jour y
faire des fouilles et en tirer des conclusions sur la vie au village
avant guerre.
Les machines agricoles telles que
la faucheuse Fahr achetée en 31, la charrue, la herse s’étaient
volatilisées, tout comme les fourches, les râteaux, la faux, les
faucilles…
En première urgence, comme tous les
rapatriés, nous fîmes le tour des abris délaissés par les vaincus de
mai-juin 40 pour récupérer quelques marmites ou casseroles, quelques
meubles afin de pouvoir redémarrer une vie tant soit peu normale.
La maison avait aussi besoin de
réparations car un trou d’un m2 environ avait été pratiqué dans chaque
dalle, dans celle du 1er étage et dans celle du grenier. De la "Schdùb" l’on pouvait apercevoir les tuiles du toit. Ces trous percés dans les
plafonds avaient servi à faire passer les planches de sapin formant les
planchers du grenier et de l’étage. Tous les planchers avaient en effet
été démontés et l’argile des dalles était visible. Mon père reboucha
provisoirement les trous avec des planches, en attendant de remplacer
plus tard les dalles par du béton.
La grande échelle de la grange,
utilisée pour accéder au fenil, "de Grìschtlèèder", avait aussi
disparu. La plate-forme de la grange, "‘s Grìscht", avait également été
en partie démontée : il manquait des poutres et des planches. Là encore
il fut facile pour nous de réparer la plate-forme, car des poutres et
des planches traînaient un peu partout sur le ban de la commune.
Pour ainsi dire, tout le bois
disponible dans la maison, même la réserve de bois de chauffage
entreposée dans la remise au fond du jardin, avait dû servir de
combustible pendant l’hiver exceptionnellement rigoureux de la "Drôle de
Guerre". On peut dire que la maison avait été pillée de fond en comble.
Un immense tas de fumier avait été
entreposé dans la rue des jardins, en face de l’actuelle maison André
SCHLEGEL, et provenait de toutes les fermes du village. Pour
quelle raison les militaires avaient-ils entassé tout ce fumier en un
endroit ? Fallait-il les occuper ? Il y avait certainement mieux à
faire.
Au retour de la Charente, nous
avons même pu récolter quelques pommes de terre qui avaient
spontanément poussé sur le fumier décomposé de cet immense tas.
Dans le même secteur, "ìm Brùch",
existait un entassement monstrueux de ferraille. Les soldats avaient
rassemblé là toutes les machines agricoles du village constituées de
fer et qui étaient habituellement entreposées sur l’usoir, devant les
maisons. Nous y avons reconnu notre faucheuse et avons pu la
récupérer. Il manquait juste le timon de bois qui avait été scié et a
aussi dû servir de bois de chauffage. Nous y avons également trouvé
notre charrue et les herses. Pourquoi cet entassement de ferraille ?
Est-ce que les militaires voulaient se faire de l’argent de poche en la
revendant à un ferrailleur ?
La charrette qui nous avait
transportés à Réchicourt-le-Château, lors de l’évacuation, a aussi pu
être récupérée. C’est mon oncle Jacques, qui avait
"hérité" de 2
chevaux lors de son séjour à Pagny-la-Blanche Côte, qui se chargea
d’aller la récupérer. Il manquait juste les planches qui servaient
normalement de ridelles, "de Wòònsdiele".
Le retour au village avait été un
triste spectacle et une mauvaise surprise pour tous les évacués. Nous
n’avions pas seulement perdu la guerre, nous avions tout perdu. Il
fallait repartir quasiment de zéro et réapprendre à vivre, pratiquement
à partir de rien, dans un village annexé, dans une Moselle muselée par
le régime nazi.
Presque tous les villageois des
zones évacuées étaient dans le même cas que nous. Quelques uns ont eu
plus de chance. Nos voisins du bas, les STEPHANUS, appelés "Schàndersch" ont retrouvé leur maison dans un état impeccable pour la
bonne raison qu’elle avait servi de cantonnement à un capitaine. Les
officiers ont-ils donc laissé faire tant que cela ne les touchait pas ?
Pourquoi la soldatesque a-t-elle systématiquement pillé le territoire
qu’elle était sensée protéger ? Ne faisions-nous pas partie de la
France ?
Dès le retour de la Charente, les
autorités allemandes s’efforcèrent de s’attirer les bonnes grâces de la
population d’Alsace-Lorraine en distribuant des semences, des
ustensiles de cuisine, des outils, des têtes de bétail qu’ils avaient
bien sûr raflés quelque part comme butin de guerre. Nous eûmes ainsi
droit à 2 vaches, l’une qu’il fallait aller chercher à la gare de
Kalhausen et l’autre à Diemeringen, à pied, bien sûr.
Avec le matériel agricole récupéré
un peu partout, nous pûmes reprendre nos activités de culture en ce
début d’automne 40 : l’herbe n’avait pas été fauchée en été et restait
sur pied. Le temps clément nous permit de faire une fenaison hors
saison qui était la bienvenue. Le blé d’hiver fut semé un peu
tardivement certes, mais il leva avant les gelées et promettait une
belle moisson. Les betteraves et les pommes de terre manquaient certes
dans la cave, la paille était absente au fenil, mais il fallait pour
une fois savoir s’en passer. Pour la litière des vaches, des feuilles
mortes ramassées en forêt furent les bienvenues.
Dès la fin de la guerre, des bons
d’achat furent mis à disposition des particuliers pour qu’ils puissent
acquérir les biens de première nécessité qui faisaient défaut.
Mon père demanda ainsi en 1946
l’attribution d’un tel bon d’achat pour une bicyclette, car il en avait
besoin pour aller à son travail de bûcheron.
Le ministère de la reconstruction et de l’urbanisme avait pour rôle d’indemniser les sinistrés.
Dans ce but, toutes les personnes
concernées durent remplir un inventaire des biens disparus ou détruits
par fait de guerre. Pour l’administration, nous étions sinistrés à 70%,
en ce qui concernait le mobilier. La cause du sinistre était ainsi
dénommée : "pillage par l’ennemi". Il fallait bien faire porter le
chapeau à quelqu’un et les occupants de 40 avaient bon dos.
Chaque famille sinistrée, soit
pratiquement tout le village, dut remplir un inventaire des biens
mobiliers détruits. Cet inventaire concernait les meubles, mais aussi
les objets ménagers et les effets personnels. Il fut rédigé par mes
parents en 1949, certainement avec l’aide d’une tierce personne,
maîtrisant le français. Un autre inventaire listait les biens
agricoles, comme les bêtes, les récoltes perdues et le matériel détruit.
Les dossiers mirent plusieurs
années à aboutir. Entre temps, il fallait meubler la maison pour
pouvoir y mener une vie décente. C’est pourquoi des achats furent
effectués sans attendre.
En 1947, le magasin d’ameublement MOUZARD de Sarralbe livra un buffet de cuisine et une boîte à couverts pour 16 508 F.
En 1950, le menuisier Nicolas MULLER d’Achen, communément appelé "de Achener Schrinner", livra un
matelas, une table à rallonges, six chaises à ressorts, six chaises de
cuisine et une chaise longue. A cette facture d’un montant de 50 200 F
s’ajouta une autre facture du même jour concernant un buffet de salle à
manger pour la somme de 40 000 F.
La même entreprise installa encore une porte d’intérieur avec chambranle et contre-chambranle pour 8 000 F.
En 1956, les meubles SANDMAYER de
Sarreguemines livrèrent une chambre à coucher (armoire-penderie, lit et
chevets), un sommier et un matelas, le tout pour 97 900 F. Une chaise
fut livrée gratuitement.
Par ailleurs, des travaux de
maçonnerie furent exécutés en 1951 par l’entreprise Félix DEHLINGER de
Schmittviller et la somme de 597 F payée à l’architecte J. de Rivière de
Sarreguemines comme honoraires.
Les crédits alloués à mes parents et correspondant aux dommages de guerre ne furent crédités qu’à partir de 1950.
L’indemnité de reconstitution des
biens mobiliers s’élevait à 138 600 F et fut créditée en 1950. Cette
somme correspond environ à 3 736 euros actuels, ce qui paraît dérisoire.
L’indemnité de reconstitution des
biens agricoles s’éleva à 193 029 F, soit environ 4 000 euros, répartis
comme suit : 135 402 F pour le cheptel, 36 852 F pour les récoltes et
l’approvisionnement, 5 485 F pour les vergers et 15 290 F pour le
matériel. Elle fut versée en 1952 par la Caisse régionale du Crédit
Agricole de Metz. Là encore, cette somme était loin de couvrir les
achats nécessaires au remplacement des biens disparus.
Les travaux de réparation et les
achats de remplacement des biens perdus ne purent pas tous être
effectués dans la décennie qui suivit la fin de la guerre et
s’étalèrent presque sur 20 ans. La somme allouée pour le dédommagement
ne suffisait pas pour reconstituer ce qui existait avant 1939. Mon père
était resté honnête et n’avait pas artificiellement gonflé les
inventaires, contrairement à certaines personnes peu scrupuleuses qui
avaient profité de la situation.
Des lames de parquet furent encore acquises pour 316,80 NF en 1962, dans le but de refaire un plancher de chambre.
En 1965, mon père acheta pour 633 F
un poêle à mazout, appareil de chauffage moderne, en remplacement du
poêle à bois disparu de la chambre de devant.
Toute l’installation électrique dut
être réparée par l’entreprise FERNER également en 1965, car des
interrupteurs et des prises avaient été arrachés dans la maison, et des
fils électriques retirés de leurs gaines. Des lampes furent encore
installées. La facture se montait à 227 F.
Les dalles de l’étage, faites de
poutres et de hourdis en bois, furent également remplacées : on posa
des poutrelles IPN en fer dont les intervalles étaient remplis de béton
à base de scories ("Kohlèschbédoo"). On en profita pour ouvrir une
fenêtre au-dessus de la porte d’entrée dans le but d’éclairer le
couloir du haut, ainsi qu’une gerbière dans la travée agricole.
Le bel encadrement en plein cintre
de la porte charretière, qui avait souffert en janvier 1945, lorsque la
grange servait de garage à un char Sherman de la 2° DB, menaçait de
s’écrouler et il fut remplacé par une solution plus économique, mais
moins gracieuse : un linteau droit.
Photo prise juste après la guerre. La fenêtre n’est pas encore réparée.
En 1954.
Mes parents devant notre maison dans les années 80.
Pour ma part, dès l’année 1941, je
trouvai, à l’âge de 14 ans, du travail, dans le village, auprès de
l’entreprise Pierre FREYERMUTH,"Grélle Wissersch Pièèr". Les
occupants allemands avaient entrepris de déblayer les abords de
la rue de Schmittviller et les ruines des maisons avoisinantes qui
avaient été dynamitées par les soldats français en mai-juin 40.
Nous
étions chargés de démonter les murs en moellons des maisons en ruines
et d’entasser les pierres le long de la rue pour pouvoir facilement
dénombrer leur volume en m3. Il fallait ensuite charger les
pierres sur des charrettes. Les agriculteurs qui possédaient un
attelage de chevaux,
les "Pèrdsbuure" étaient chargés de
transporter les pierres jusqu’à un dépôt situé dans la rue de la gare.
De là, les moellons étaient véhiculés par camions je ne sais où, car
les matériaux devaient servir à la reconstruction, le "Wiederaufbau".
Les agriculteurs étaient payés au voyage et ils ne voulaient pas que
l’on charge trop les charrettes pour pouvoir effectuer des transports
plus nombreux.
Pour moi, cette activité
représentait un apprentissage de ma future carrière de maçon et
rapportait un peu d’argent à la famille, en ces temps difficiles. Mais
c’était un travail fatigant et l’hiver était rude.
Je suis à gauche, aux côtés de René DEMMERLE.
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Le chargement des pierres.
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La rue de Schmittviller, appelée désormais rue de la Libération.
En général, les constructions
du village n’eurent pas trop à souffrir de la guerre,
contrairement à certaines communes du pays de Bitche détruites à
presque 100% lors de la libération. En plus des maisons du haut de la
rue de Schmittviller, trois autres maisons eurent à subir des dégâts :
la maison LERBSCHER du "Wélschebèrsch"
(rue des Roses) fut détruite par un obus pendant
l’attaque allemande de 40, la maison Henri JUVING, située au
croisement des routes départementales 83 et 84, fut partiellement
détruite le 22 septembre 42 par une bombe larguée par un avion en
détresse (1) alors que la maison PEFFERKORN, située à côté de Florian
THINNES, sur la place du village, fut anéantie le 1er décembre 44 par
les Américains qui visaient probablement le clocher de l’église.(2)
Gérard KUFFLER.
D’après les souvenirs d' Adolphe LENHARD.
Janvier 2012.
La maison Henri PEFFERKORN (Krìschdoffels) était une belle ferme lorraine à trois travées.
(1) Kalhausen : les années sombres 1939-1945 Claude FREYERMUTH.
(2) Ce jour-là
trois obus atteignirent le village : le premier tomba dans la
cour de la maison "Parissersch", tuant Aloyse PEFFERKORN ("Blääse Àlliss"),
sorti chercher du bois, le second détruisit la maison Henri PEFFERKORN
et un troisième tomba sans exploser devant la maison Henri BOUR
("Scharls Haari"). Cette construction se trouvait au début de la rue de
Schmittviller, à côté de la maison actuelle de Gérard HOLTZRITTER et a
été détruite lors de l’élargissement de la rue.
Communication de Erwin DEMMERLE.