mecanisation_et_motorisation_agricoles
Mécanisation et motorisation agricoles
Sommaire
Introduction
1. Les progrès agricoles en général
2. Conséquences de la mécanisation et de la motorisation agricoles
3. Les progrès dans des domaines particuliers
3.1. La préparation des sols
- le labour
- l’ameublissement du sol
3.2. Les semailles
3.3. La fenaison
3.4. La moisson
3.5. Autres travaux
- L’entretien des cultures - Les récoltes d’automne
- Les transports
- Le nourrissage des bêtes
- La traite des vaches
- Le sciage du bois
- Le jardinage
4. Les moteurs inanimés
4.1. Les motoculteurs
4.2. Les tracteurs après 1940
4.3. Les premiers tracteurs de Kalhausen
- La décennie 1950-1960
- La décennie 1960-1970
4.4. Le tracteur au village :-anecdotes
5. L’avenir des machines anciennes
Conclusion
Dans l’Antiquité, le travail de
la terre était avant tout manuel : les travaux préculturaux, puis les
semailles, la moisson, la fenaison et les récoltes se faisaient à la
force des bras et nécessitaient une main d’œuvre importante. Les outils
employés étaient rudimentaires.
Souvent toute la famille, enfants,
adultes et vieillards, devait se mobiliser dans la mesure du possible,
pour effectuer les différentes tâches. Les grands travaux (1), tels les
labours, les semis, la fenaison et la moisson, y compris le battage,
étaient longs et pénibles.
Le paysan était la seule "machine"
utilisée, ses muscles les "organes moteurs" et ses mains des "porte-outils".
L’utilisation de l’animal de
trait comme "moteur animé" a permis l’emploi de quelques machines
agricoles et a contribué à diminuer la fatigue musculaire de l’homme.
Pendant longtemps, les progrès mécaniques ont été insignifiants et ce
n’est qu’au 19° siècle, avec l’avènement de la machine à vapeur,
puis
des moteurs à explosion et à combustion interne et de l’électricité que
des avancées seront possibles.
La mécanisation fera de grands
pas après 1918, dans les grandes plaines françaises, mais les petites
exploitations de nos régions ne seront vraiment concernées qu’après 45.
Le tracteur agricole s’imposera aussi après guerre, à partir des années
50, au détriment de la traction animale. Les machines agricoles ne
cesseront plus de se perfectionner et le tracteur de l’an 2000 n’a plus
beaucoup à voir avec son ancêtre de 1920.
Aujourd’hui, suite à la
révolution mécanique de l’agriculture, on demande à l’agriculteur de
moins en moins d’efforts musculaires, mais de plus en plus d’efforts
intellectuels. De nouvelles machines sont de plus en plus utilisées :
les ordinateurs, les robots, les satellites, les drones…
C’est l’histoire de la
mécanisation, de la motorisation et de la modernisation des
exploitations agricoles de nos villages, prises dans leur globalité,
mais aussi au niveau de Kalhausen, que cette étudie se propose de
décrire.
_________________________
(1).
L’agriculture est une suite de travaux en pointe, c’est-à-dire de
travaux de longue haleine, souvent pénibles, devant être réalisés au
moment opportun et dans un laps de temps réduit pour ne pas gâcher le
résultat. Toutes les opérations doivent être exécutées dans les
meilleures conditions
et dans des périodes relativement courtes.
1. Les progrès agricoles en général
Dans l’Antiquité et au Moyen-Age,
les travaux agricoles se font exclusivement grâce à la force humaine ou
animale qui fournit l’énergie nécessaire. (2) L’équipement est
rudimentaire et se limite aux outils manuels et à quelques rares
machines agricoles comme le charriot, la herse, l’araire. Les travaux
agricoles sont avant tout manuels.
Labour et semailles au temps féodal.
L’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert, publiée entre 1751 et 1772, répertorie les machines
agricoles suivantes : la charrue à versoir et avant-train, la herse, le
rouleau brise-mottes et deux sortes de semoirs, l’un à traction animale
et l’autre à pousser.
Planche extraite de l’Encyclopédie et montrant la charrue ordinaire,
le semoir de l’abbé Soumille, la herse et le rouleau ou brise-mottes.
________________________
(2). Un homme de
poids moyen peut fournir à la traction directe un effort moyen soutenu
de 15 kg et son effort maximum momentané peut presque atteindre son
poids.
L’Encyclopédie énumère également
les outils à main utilisés : la bêche, la cognée, la faucille, la faux,
le fléau, la fourche, la houe, le pic, la pioche, le plantoir, le
râteau, le van, le crible à pieds.
Depuis l’invention de la
faucille, premier outil agricole, les progrès mécaniques ont été rares,
la productivité n’a pas beaucoup augmenté et la pénibilité du travail
n’a guère diminué. Une très longue période de stagnation a empêché
l’agriculture de faire sa révolution.
Ainsi la mécanisation est encore
peu développée au 18° siècle, bien que l’invention du semoir date de
1701 (Jethro Tull, agronome anglais) et que le principe du battage
mécanique ait vu le jour en 1784 (Andrew Meikle, ingénieur écossais).
Le tarare est aussi attesté dès le 18° siècle.
Semoir mécanique à trois rangs de Jethro Tull.
(lessignets.com)
![](images/mma_05.jpg)
La batteuse de Meikle, dont on voit le principe,
était mise en mouvement par la force hydraulique
(en bas) ou par un manège (en haut).
(www.britannica.com)
Les raisons de ces difficultés
sont multiples : en premier lieu, le bois a pendant longtemps la
prépondérance sur le fer et ne permet pas de mettre en pratique
certaines idées, ensuite l’absence de moteur limite l’utilisation de
certaines machines, enfin le monde agricole ne dispose pas de grosses
propriétés, donc de moyens financiers suffisants pour investir.
Un recensement effectué en 1930
par le Ministère de l’Agriculture nous donne un aperçu de la surface
cultivée et de l’importance des exploitations agricoles de Kalhausen.
Pour un total de 180
exploitations dans la commune, 91 sont comprises entre 0 et 2 ha, 76
autres comptent entre 2 et 10 ha, 10 autres sont comprises entre 10 et
20 ha et une seule compte entre 20 et 30 ha. Les 2 fermes de Weidesheim
comptabilisent chacune entre 100 et 200 ha de terres cultivées.
La révolution industrielle du 19°
siècle et l’avènement de la machine à vapeur permettent à l’agriculture
de commencer sa propre révolution. Les moteurs thermiques à explosion
et à combustion interne et les moteurs électriques prennent ensuite le
relais de la vapeur. Mais la mécanisation et la motorisation
(3) se
développent tardivement en France, toujours à cause de la surface
restreinte des exploitations et du manque de fonds pour
l’investissement. L’animal demeure donc la source principale d’énergie
jusque vers le milieu du 20° siècle.
_____________________
(3). La
mécanisation est le fait d’utiliser la machine pour effectuer des
travaux, alors que la motorisation est l’emploi d’un moteur pour faire
avancer ou actionner une machine. L’homme peut être considéré comme le
premier moteur animé, capable de porter des charges, de tracter une
machine, de la pousser ou de la faire fonctionner grâce à une
manivelle. L’animal le remplacera ensuite dans la traction directe,
dans le transport de charges au moyen de bâts et dans la mise en
mouvement de machines grâce au manège. Les moteurs inanimés sont les
moteurs hydrauliques, éoliens, électriques et thermiques (à vapeur, à
explosion, à combustion interne) capables de faire fonctionner des
machines.
Longtemps, l’agriculture reste
ainsi tributaire de la traction animale, avec comme conséquences une
limitation forcée des efforts demandés aux bêtes et une vitesse
d’avancement réduite. La traction animale demeure donc un handicap
majeur pour l’augmentation de la productivité. Elle n’est pourtant pas
un frein à la mécanisation, puisque pratiquement toutes les machines
agricoles sont actionnées à l’origine par un attelage de chevaux ou de
bovins. La mécanisation agricole est un long cheminement, fait
d’inventions révolutionnaires et de mises au point.
Elle fait des progrès
considérables au cours du 19° siècle, surtout aux Etat-Unis, mais aussi
en Europe et de nombreuses machines d’intérieur de ferme sont créées
pour faciliter le travail agricole. Parmi ces machines, citons
pêle-mêle le hache-paille, le coupe-racines, l’égraineuse, le
concasseur de grains, l’écrémeuse, le manège à chevaux.
Toutes ces machines sont
actionnées grâce à l’énergie humaine ou animale et représentent déjà un
gain important dans le domaine de la rentabilité.
(Pour agrandir le tableau cliquez sur l'image)
Publicité Lanz pour diverses machines d’intérieur de ferme
actionnées par la force humaine (au moyen d’une manivelle) ou animale (au moyen d’un manège).
Tracteurs Lanz Bulldog de Pierre Bouillé et Bernard Salvat Edition EBS
De nombreux artisans et
industriels se lancent au cours du 19° siècle dans la fabrication de
telles machines : Lanz, en Allemagne, Deering, Mac Cormick, Case aux
Etats-Unis, Braud et Célestin Gérard en France. Plus près de nous,
Joseph Kuhn fonde en 1828 la société de machines agricoles Kuhn basée à
Saverne et construit des bascules. En 1864, il se lance dans la
fabrication de batteuses. (4)
___________________
(4). Les
Etablissements Kuhn fabriqueront aussi des presses à paille, des
faucheuses, des râteaux-faneurs, des faneuses à fourches, des
motofaucheuses et des machines d’intérieur de ferme comme des
coupe-racines, des coupe-paille, des broyeurs à pommes, des fouloirs à
raisin et des pressoirs à vin.
1939. Almanach Agricole d‘Alsace et de Lorraine
D’autres machines ou outils sont
perfectionnés, comme la charrue, améliorée par l’agronome lorrain
Christian Mathieu de Dombasle en 1820, puis par le forgeron Jean
Baptiste Hamant de Rodalbe en 1865.
Ce dernier invente un système de
fixité permettant de ne plus tenir les mancherons de la charrue pendant
le labour. Cette charrue était très répandue dans la région.
Charrue brabant simple Hamant.
Parc animalier Sainte Croix de Rhodes.
Le 19° siècle voit aussi
l’apparition de la moissonneuse Mac Cormick brevetée en 1834, de la
moissonneuse-batteuse brevetée également en 1834, de la javeleuse, en
1858, puis de la moissonneuse-lieuse en 1877. Ce sont exclusivement des
machines destinées à la traction animale, des machines traînées,
animées par une roue motrice roulant sur le sol.
La batteuse est inventée en 1842
et Célestin Gérard construit la première batteuse mobile de France en
1866 à Vierzon, devenant le premier entrepreneur de travaux agricoles.
Moissonneuse Mac Cormick. Vue plutôt comme une curiosité,
elle eut du mal à s’imposer. Elle présente pourtant déjà les principes
des moissonneuses-lieuses futures : lame à mouvement alternatif,
table de récupération des épis, roue motrice unique, moulinet-rabatteur
Moissonneuse-batteuse Harvester et Haeder et
son attelage de 35 chevaux en action sur un grand domaine américain.
Les égraineuses sont actionnées
grâce à la force humaine ou animale et les batteuses uniquement grâce à
l’énergie animale. Un manège ou un tapis roulant appelé trépigneuse
permet leur mise en fonction. Des installations de manèges sont
attestées avant 1939 à Kalhausen, notamment dans la ferme Holtzritter
de la rue des jardins (Brùchbrùnnersch), dans la ferme Neu et la ferme
Koch de la rue de Schmittviller et chez le charron Kihl pour le sciage
du bois. (renseignement fourni par Adolphe Lenhard)
(fr.wikipedia.org)
Annonce de la vente aux enchères du 6 juin 1859
et concernant la seconde ferme de Weidesheim.
La coupure de journal ci-dessus
nous donne un aperçu des machines agricoles en usage au milieu du 19°
siècle dans une des 2 fermes de Weidesheim, écart de Kalhausen.
La
mécanisation se limite à peu de choses : des charrettes, des charrues,
des herses et une machine à battre. Quelques "instruments aratoires"
sont aussi mentionnés, certainement des houes, des pioches, des faux,
des râteaux …ainsi que des vans avec "d’autres objets de battage", sans
doute des fléaux. Les vans ne sont sûrement pas des paniers à vanner,
mais des tarares.
C’est dire que pratiquement tout
le travail reste encore manuel : la fenaison, la moisson, le nettoyage
des céréales après le battage. La seule mécanisation concerne les
transports et le travail de préparation du sol (charrue), les semailles
(herse) et le battage des céréales. Quelle est alors
"cette machine à
battre" utilisée ? L’égraineuse actionnée à la force des bras ou grâce
à un manège, ou déjà une batteuse ? En tout cas, la mécanisation reste
rudimentaire, même pour une grande ferme. Il est vrai que de nombreuses
personnes travaillaient à l’année dans les fermes et que des
journaliers issus des villages environnants étaient embauchés
ponctuellement pour les travaux en pointe.
Pour les grands exploitants du
village, les laboureurs, appelés "Pèèrdsbuure", la mécanisation devait
être presque la même en ce milieu du 19° siècle (charrette, charrue,
herse, mais sans la batteuse). Les plus petits exploitants, les
journaliers, appelés "Kìhbuure", ne possédaient sans aucun doute
pas ces
machines et devaient se contenter de leurs outils manuels et de l’aide
des laboureurs, au service desquels ils se mettaient.
Dans nos régions, ce sont
principalement les chevaux des laboureurs et les vaches des journaliers
qui permettent la mise en œuvre des rares machines agricoles : la
charrue, la herse, la charrette et plus tard le manège qui permettra
d’actionner la batteuse.
Les bœufs, utilisés dans d’autres régions de
France, sont rares dans nos contrées. Je connais un seul cas, à
Herbitzheim, celui de Léon Rondio, qui a utilisé un attelage de bœufs,
jusque dans les années 70. Des associations hétéroclites sont aussi
parfois le cas, mais elles restent elles aussi rares : à Herbitzheim, Paul
Becher utilisait un cheval et un âne baptisé "Loulou".
Un grand pas est ensuite fait
dans le machinisme agricole avec la motorisation de ces machines,
c’est-à-dire avec le remplacement de la force humaine
ou animale par la
force mécanique. L’utilisation du moteur thermique, puis électrique
apportera puissance et vitesse.
C’est tout d’abord l’utilisation
de la vapeur comme source d’énergie qui se développe. Dans les grandes
fermes, après 1870, la locomobile ou chaudière à vapeur déplaçable sert
à actionner les batteuses, mais les animaux sont toujours là pour
tracter l’ensemble batteuse-locomobile de ferme en ferme.
Chantier de battage avec locomobile.
Batteuse Merlin et table de liage.
(Photo Delcampe.net)
Les longues courroies plates sont le plus souvent croisées pour obtenir
le bon sens de rotation, mais aussi pour qu’elles bougent moins et
aient une meilleure adhérence sur les poulies. L’utilisation
occasionnelle de poix (Bèsch) améliore également l’adhérence.
Les locomotives routières, qui
sont des machines à vapeurs automotrices, prennent le relais et
permettent non seulement d’actionner les batteuses, mais aussi de les
déplacer et même de labourer grâce à un système de treuil à câble
(système Fowler).
Dans cette configuration, 2 locomotives à treuil,
placées à chaque bout du champ, font avancer une charrue-balance.
(Photos afrplumaugat.over-blog.com)
L’utilisation du système appelé
"Fowler" (du nom de la firme anglaise de locomotives) est mis en œuvre
dans les grandes plaines sur des chantiers de labourage. Il comprend 2
locomotives-treuils à vapeur de 180 CV et une charrue-balance à 4 socs.
Le personnel du chantier se compose de 7 ouvriers
(un chef de chantier,
2 chauffeurs, un cuisinier, 2 hommes de manœuvres dont l’un est sur la
charrue et l’autre derrière, et 1 homme à tout faire). Le personnel est
généralement logé dans des roulottes.
La surface labourée en une journée de 10 heures de travail peut atteindre 6 ha.
Ces types de machines, lourdes à
mettre en œuvre, nécessitant beaucoup de personnel et d’un poids
important (parfois plus de 20 t) sont rares en France à cause surtout
de la taille des exploitations. Tout au plus la locomobile est-elle
utilisée comme moteur fixe pour actionner les batteuses jusqu’après la
Première Guerre Mondiale.
![](images/mma_18.jpg)
Tracteur-locomotive Case 20 de 1898.
|
![](images/mma_19.jpg)
Locomotive routière Burrell and Sons de fabrication anglaise.
|
(
Attelagesbovinsdaujourdhui.unblog.com)
Machine à bêcher derrière une locomotive Fowler. 1900
(Mototracteurs.forumactif.com)
Un recensement fait par le
Ministère Belge de l’Agriculture et des Travaux Publics en 1910 classe
dans l’ordre décroissant les machines les plus utilisées entre 1895 et
1910 dans les exploitations agricoles :
la herse, le tarare, la
charrue, la baratte, le rouleau, l’écrémeuse et enfin la batteuse.
Ce
classement peut facilement se transposer en France, où les
exploitations sont de taille identique. Il n’est pas encore question de
faucheuse, ni de moissonneuse et encore moins de tracteur.
La mécanisation de l’agriculture
française est donc à cette époque déjà assez avancée dans la plupart
des grandes fermes, mais la motorisation n’est
pas encore beaucoup
développée.
![](images/mma_21.jpg)
Planche extraite de l’encyclopédie « Meyers Handlexikon » de 1912.
Beaucoup de ces machines ne seront utilisées dans nos campagnes qu’entre les deux guerres mondiales.
Du haut vers le bas et de gauche à droite :
- faneuse à fourches (7) et déterreuse de betteraves (6)
- moissonneuse-lieuse (1) et arracheuse de pommes de terre (2)
- moissonneuse-javeleuse (4), faucheuse (5) et râteau andaineur (3)
- râteau à cheval (8) et arracheuse de betteraves (9)
|
Vers la fin du 19° siècle, une
mutation importante a lieu avec l’avènement du moteur à explosion qui
va concurrencer le moteur à vapeur et le supplanter peu à peu grâce à
une consommation moindre et donc un rendement plus élevé.
En 1900, à puissance égale, un
moteur à vapeur consomme 10 fois plus de combustible et 40 fois plus
d’eau. De plus, là où 2 ou 3 hommes s’occupent d’une machine à vapeur,
un seul suffit pour conduire cette nouvelle machine à moteur à
explosion, appelée désormais tracteur.
Les premiers tracteurs à essence
apparaissent vers 1892, mis au pont par la société Case, aux
Etats-Unis. Ils sont importés en France en 1894, lors d’un concours
agricole et produits en petite série dès 1906.
Ce sont encore des machines
imposantes, utilisant la structure des locomotives routières et qui,
pour les mêmes raisons évoquées plus haut, ne s’imposent pas en France.
Le tracteur Sawyer-Massey 20-40 fut construit au Canada de 1910 à 1925.
Le moteur à pétrole, refroidi par eau avec l’aide d’un radiateur
et d’un ventilateur, démarrait à l’essence.
La direction se faisait par chaîne. La mise en route restait fastidieuse.
Un tel engin pesait un peu plus de 5 t.
Après 1918, la remise en état de
vastes régions françaises, dont les cultures avaient été abandonnées
pendant la durée de la guerre, surtout dans le Nord, exige une
motorisation d’urgence. Quelques 1 200 tracteurs sont importés des
Etats-Unis pour cette opération sous les marques Mogul, Case, Emerson,
Titan (Mac Cormick), Avery, Cleveland… Des constructeurs français
fournissent aussi des tracteurs : Tourand-Latil, Renault, Filtz, Agro,
Somua, Laffly, Delahaye, Lefebvre, Doizy, Scemia…(5)
___________________
(5). 30 constructeurs de tracteurs sont recensés en 1919 en France.
Ces tracteurs ne sont plus tous
de grosses machines, mais des engins de la taille d’une automobile ou
d’un camion, plus adaptés aux exploitations européennes.
![](images/mma_23.jpg)
Tracteur Titan Mac Cormick 10-20 construit de 1915 à 1922.
Notez la roue guide dans le sillon.
vieilles-soupapes.grafbb.com
|
Tracteur Mogul 8-16 construit entre 1914 et 1917
par la International Harvester Company et animé
par un monocylindre à pétrole lampant.
vieilles-soupapes.grafbb.com
|
![](images/mma_25.jpg)
Le tracteur Lefèbvre, présenté en 1913, est un engin original
dérivé du camion et doté de 2 roues avant directrices
et 2 roues arrière motrices. Une paire de chaînes qu’on peut
abaisser ou soulever à volonté permet une meilleure adhérence.
mototracteurs.forumactif.com
|
![](images/mma_26.jpg)
Publicité pour le tracteur Tourand-Latil de 1918,
déjà équipé d’une charrue relevable par câble.
moulin.chauffour.free.fr
|
Désormais, un véritable
engouement pour ce type d’engin a lieu en France. Les premiers salons
de la machine agricole font leur apparition à Paris,
des "semaines de
motoculture" et des démonstrations de "culture mécanique" sont
organisées dans la région parisienne et dans le Nord.
La publicité apparaît dans les
revues spécialisées et les almanachs et vante les mérites de la
mécanisation et de la motorisation.
Publicité extraite de la revue Vie à la campagne (mars 1922).
Photo d’un rare Orenstein und Koppel SA 751 ou MBA produit à partir de
1938 en Allemagne.
Le moteur est un bicylindre de 30 CV refroidi par
eau.
Ce tracteur appartenait à l’oncle d’André Neu, demeurant à Rahling.
(Photo André Neu).
Le tracteur International 8 -16 est introduit en France en 1920.
Doté de
3 vitesses AV et d’1 vitesse AR, il a un moteur 4 cylindres à essence
ou à pétrole.
Il est refroidi par eau, par thermosiphon. Doté en série
d’une poulie de battage,
il affiche 8 CV à la barre et 16 à la poulie.
La prise de force est en option.
(Photo André Neu).
Le tracteur est désormais
unanimement doté d’un moteur pour carburant dérivé du pétrole et
ressemble par son aspect et sa taille à une voiture automobile ou à un
camion. Son usage reste cantonné pourtant dans les grandes
exploitations de plaine et son rôle est de remplacer un peu le cheval
et d’actionner la batteuse.
L’apparition de l’électricité
après la 1ère guerre mondiale permet également de motoriser, à
l’intérieur de la ferme, certaines machines fixes comme le concasseur
de céréales, la batteuse ou la déchargeuse à griffe. Cette fonction de
source d’énergie fixe, remplie par le moteur électrique, est très
souvent aussi dévolue au tracteur ou à des moteurs stationnaires
spécifiques sur roues, pour actionner les batteuses et scies à ruban.
Publicité parue dans l’Almanach Agricole d’Alsace et de Lorraine
de 1939 pour les établissements Brenckmann et Jittel de Colmar
qui se font fort d’une expérience de plus de 30 ans et de plus de
14 000 installations de déchargeuses.
Ils proposent aussi des faucheuses, des lieuses, des râteaux andaineurs,
des faneuses, des coupe-paille, des coupe-racines, des charrues,
des batteuses, des machines à traire, des centrifugeuses, des barattes, etc…
Mais le monde paysan reste très
conservateur. La motorisation de l’agriculture a du mal à s’imposer en
France, contrairement à d’autres pays, comme les Etats-Unis. Et c’est
précisément pendant cette période de l’entre-deux guerres que des
progrès essentiels sont réalisés, notamment l’apparition et le
développement du pneu (1932), l’emploi croissant des prises de forces
installées sur les tracteurs et l’utilisation du "mazout" comme
carburant.
Publicité Lanz
Tracteurs Lanz Bulldog de Pierre Bouillé et Bernard Salvat Edition EBS
Le parc de tracteurs agricoles ne
compte qu’environ 30 000 unités à la veille de la Seconde Guerre
Mondiale. Les progrès du tracteur agricole sont évidents, mais le seul
moteur valable dans les champs reste la traction animale et plus
particulièrement le cheval. Le cheval est nettement préféré
au tracteur
pour la plupart des travaux culturaux. (6)
Un recensement effectué en
décembre 1924 par l’Office de la Statistique d’Alsace et de Lorraine de
Strasbourg recense non moins de 35 chevaux dans le village, répartis
entre 15 exploitations, principalement celles des laboureurs. Parmi ces
agriculteurs, 6 élèvent 3 chevaux, 7 en ont chacun 2 et 2 n’en
possèdent qu’un (il s’agit du boulanger Nicolas Fabing qui utilise un
fourgon hippomobile pour sa tournée de pain et du forgeron Jacques Lett
qui a un petit train de culture complémentaire à son activité de
forgeron).
Il faut ajouter au nombre de chevaux les 47 comptabilisés à
Weidesheim et appartenant aux métayers Greff (15) et Muller (26), ainsi
qu’à 3 autres résidants (6). Le nombre total de chevaux se monte par
conséquent à 82 pour la commune de Kalhausen.
Les autres exploitations
agricoles, celles des journaliers, sont au nombre de 82. Ces petits
exploitants élèvent des bovins, mais n’ont pas forcément des vaches de
trait, car ils peuvent s’associer à un voisin ou à un membre de la
famille pour les transports et les travaux réservés à un attelage.
Seules, 20 familles n’élèvent pas d’animaux de trait (ni chevaux, ni
bovins, mais seulement des caprins et des porcins).
__________________
(6). En 1938, 19
fabricants de tracteurs sont recensés en France, dont Renault, le
plus important, Latil et la Société Française de Vierzon qui fabrique
des semi-diesels. On compte environ 35 000 tracteurs en utilisation
contre 26 800 en 1929.
Recensement de l’agriculture du 1er avril 1930
Les résultats de ce recensement
englobent les exploitations du village et les fermes de Weidesheim.
Ainsi certaines machines recensées ne peuvent exister dans les
exploitations du village, à cause de leur faible superficie. C’est le
cas notamment de la charrue polysocs (à 2 socs sans doute et adaptée
aux terres sablonneuses du "Bännche"), des rouleaux crosskill, des
semoirs mécaniques, des distributeurs d’engrais, des arracheuses de
pommes de terre, des râteaux à cheval, des moissonneuses-lieuses.
Beaucoup d’exploitations pourtant
sont pourvues d’une pompe et d’une tonne à purin, d’une faucheuse
mécanique, d’une batteuse et d’une écrémeuse. Mais le déchargement du
foin ainsi que le sciage du bois de chauffage restent manuels, à
l’exception d’une exploitation. L’énergie électrique commence à être
utilisée avec les concasseurs de grains et les batteuses et il n’y a
plus que 2 manèges. Les batteuses sont toutes de petits modèles, d’un
faible rendement. Le nombre important d’alambics (7) prouve bien que la
distillation était une activité importante…et la consommation d’alcool
conséquente.
Outils et machines agricoles.
Planche extraite du Nouveau Larousse Illustré 1931
L’emploi de l’électricité dans
les fermes, après 1918, ainsi que les moteurs thermiques permettent la
motorisation des travaux d’intérieur. Une réelle transformation se fait
ainsi dans l’exploitation et facilite le travail tout en apportant un
gain de temps. Le moteur électrique à point fixe, sur charriot ou sur
brouette, trouve son usage dans la grange avec la déchargeuse à griffe,
la batteuse, le coupe-racines, le coupe-paille et le concasseur de
céréales, qu’il actionne au moyen d’une courroie plate.
Les moteurs, électriques ou
thermiques, sur charriot ou sur brouette, permettent de remplacer
avantageusement la locomobile, le manège à chevaux ou à bœufs et la
trépigneuse. Il ne semble pas que de tels moteurs thermiques aient
fonctionné dans le village. L’agriculture y est passée directement de
la machine à vapeur (pour les entreprises de battage) et du manège
(pour le particulier) au moteur électrique.
Les moteurs, électriques ou thermiques, sur charriot ou sur brouette,
permettent de remplacer avantageusement la locomobile, le manège à
chevaux ou à bœufs et la trépigneuse. Il ne semble pas que de tels
moteurs thermiques aient fonctionné dans le village. L’agriculture y
est passée directement de la machine à vapeur (pour les entreprises de
battage) et du manège (pour le particulier) au moteur électrique. Nos
villages ont été dotés dès 1918 de l’énergie électrique, alors que les
fermes isolées ou les hameaux éloignés du centre village ont souvent dû
attendre la seconde moitié du 20° siècle pour pouvoir profiter de
l’électricité. C’est plus dans les régions d’habitat dispersé que l’on
rencontre les moteurs thermiques (Vosges, Jura, Charente…). Le courant
électrique n’a fait son apparition que vers 1953 à Hutting, écart de
Kalhausen. Eugène Dehlinger, appelé "Sébbels Uschénn",
disposait déjà avant 1939 d’un petit moteur thermique de marque Japy.
Vers la fin de la guerre, le village ne disposait plus du courant
électrique et le boulanger Ferdinand Neu emprunta ce petit moteur pour
actionner le pétrin mécanique, mais il ne lui donna pas satisfaction et
il dut s’en procurer un autre de marque Bernard. (renseignement André
Neu)
Petite anecdote : après
l’installation électrique dans le village, le ferblantier Alex Grosz
s’improvisa électricien et se lança dans la vente de moteurs
électriques. Ainsi il en installa un chez Paul Kihl qui exerçait le
métier de charron. Malheureusement la machine actionnée par le moteur
ne tournait pas dans le bon sens. Le moteur fut alors refusé par le
charron et installé dans la ferme Neu. Par le plus grand des hasards,
le sens de rotation était le bon et le moteur resta en place.
Un électricien averti aurait tout simplement réalisé un autre câblage et interverti 2 fils.
![](images/mma_36.jpg)
Chantier de battage.
La batteuse est mue par un moteur thermique sur charriot.
Noter que la paille est nouée manuellement.
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![](images/mma_37.jpg)
Petit moteur électrique sur brouette.
Fête des saveurs et traditions Eschviller 2014
|
Mais la méfiance envers la
mécanisation totale règne toujours dans le monde agricole. Quelles sont
les raisons de ce manque de confiance dans la motoculture et plus
spécialement le tracteur ?
C’est le tracteur en premier qui
fait les frais de cette méfiance. Autant on accepte facilement
d’utiliser le moteur électrique ou le moteur à essence sur brouette
pour les travaux d’intérieur, autant on estime que le tracteur ne doit
jouer qu’un rôle d’appoint à la traction animale. Il n’est pas vraiment
encore au point et n’a donc pas la totale confiance du monde agricole.
(7)
Tout d’abord, le carburant
nécessaire, souvent de l’essence, reste très cher, alors que les
animaux de trait ne coûtent pratiquement pas plus s’ils travaillent ou
sont au repos. Ce carburant doit en outre être acheté en dehors de
l’exploitation, alors que le fourrage destiné aux bêtes est produit
dans l’exploitation.
Ensuite toutes les machines
agricoles (faucheuse, moissonneuse, semoir, charrue…) sont créées pour
la traction animale et ne sont pas adaptées à la traction mécanique.
_____________________
(7). Certains
techniciens agricoles, s’ils veulent bien faire entrer le tracteur à la
ferme et lui attribuer quelques travaux spécifiques nécessitant une
grande dépense d’énergie, n’envisagent pas la disparition totale de la
traction animale et prévoient la coexistence du moteur animé et du
moteur inanimé. « Le temps n’est pas venu et ne viendra probablement
jamais où les charretiers et bouviers sortiront tous de la ferme pour
n’y plus reparaître. » Tony Ballu in La Traction Mécanique en
Agriculture Edition La maison Rustique 1943.
Les revenus des exploitations
agricoles ne permettent souvent pas de faire des investissements
onéreux et les seules machines que l’on daigne acquérir prioritairement
sont la faucheuse mécanique, la déchargeuse à griffe et la batteuse qui
rendent la fenaison et la moisson plus faciles. Pour entreposer toutes
les machines nouvelles acquises, il faut repenser l’aménagement des
bâtiments de la ferme et construire un hangar pouvant les abriter et
les protéger des intempéries.
L’acquisition d’une nouvelle
machine signifie aussi un bouleversement des habitudes culturales
existantes, une mise en cause des pratiques ancestrales : le travail
mécanique devient désormais technique et il faut se l’approprier au
prix d’efforts forcés. La conduite de la faucheuse mécanique n’est pas
évidente au départ, sans apprentissage : il faut manœuvrer à de
nombreuses reprises dans un pré, reculer en relevant la barre de coupe,
réaligner les chevaux ou les vaches, éviter les obstacles comme les
bornes et les arbres fruitiers. Et que dire de l’aiguisage des couteaux
de la lame ou de leur remplacement ? Là aussi il faut apprendre.
Enfin le paysan est avant tout un
charretier et avec les machines, plus précisément le tracteur, il doit
acquérir des notions mécaniques inconnues jusqu’à présent et ce n’est
pas donné à tout le monde. L’entretien et les réparations peuvent aussi
devenir chers.
Jean Pierre Metzger et son attelage dans la rue des jardins.
Seules, les grandes exploitations
de plaine et dans nos régions, quelques agriculteurs avant-gardistes se
dotent d’un tracteur avant 1939.
L’agriculteur est fier de ses chevaux.
Emile Hiegel et Joseph Greff
André Neu.
Chrétien Stéphanus en route pour l’abreuvoir.
Dans nos villages donc, dans la
première moitié du 20° siècle, la mécanisation agricole se limite à
l’acquisition de quelques machines fondamentales rendant les travaux en
pointe plus faciles (faucheuse, râteau à cheval, faneuse, batteuse) et
à des machines d’intérieur de ferme.
Avec l’introduction de la
mécanisation, le travail du forgeron, qui consistait essentiellement
dans le ferrage des bêtes de trait et la fabrication d’outils, va subir
une mutation et s’appliquer aux nouvelles machines : faucheuses,
batteuses, râteaux et faneuses. Le forgeron devient désormais aussi
mécanicien et supplée souvent l’agriculteur dans les réparations
délicates.
Il dispose de catalogues de
pièces détachées et peut commander auprès des fournisseurs toute pièce
défectueuse lui permettant de réparer les machines de toutes les
marques existant sur le marché.
Catalogues ayant
appartenu au forgeron Léon Lett de Kalhausen (1903-1984).
L’usure de certains organes des
machines est importante, surtout les chaînes de transmission des
moissonneuses-lieuses et les éléments des barres de coupe des
faucheuses (doigts, sections, plaques, lames). Le forgeron-mécanicien
se doit d’avoir un stock important de ces pièces, mais aussi des
boulons, des rondelles, des rivets, des goupilles et des lames montées.
A lui de pouvoir réparer sur l’heure toute panne, surtout si elle
survient pendant un travail en pointe et que l’exploitant est incapable
de le faire.
L’avènement des pneus après 1932
lui donne aussi l’occasion d’équiper, avec de nouveaux essieux, les
antiques charrettes à roues en bois. La réparation des crevaisons et
les remplacements de pneus sont aussi de sa compétence. Avec
l’apparition du tracteur, il modifie les systèmes d’attelage des
différentes machines traînées. Il s’équipe encore d’un compresseur et
la forge fait office de station de gonflage des pneus.
La plupart des exploitants ne
sont pas outillés et n’ont que des marteaux, des pinces et quelques
clés fournies avec les machines. Aucun ne dispose de ste à souder, de
touret à meuler, de compresseur, d’outils électro-portatifs comme les
perceuses et les meuleuses à disque. C’est le forgeron-mécanicien, bien
outillé, qui intervient pour l’exploitant agricole.
Léon Schemel, de
Herbitzheim, dispose dans sa forge d’un tour à métaux, d’un
marteau-pilon, d’une scie à métaux motorisée, d’une perceuse à colonne
et d’un compresseur. Ainsi il peut entreprendre toutes sortes de
travaux mécaniques. Les agriculteurs restent ses plus fidèles clients
et la forge devient souvent le lieu de rencontre des agriculteurs, un
endroit où l’on se raconte tous les potins du village, une sorte de"Maischdubb".
Il est le plus couramment
sollicité pour des travaux de soudure, de perçage, d’aiguisage des socs
de charrue, des réparations de chambres à air ou des gonflages de
pneus, mais aussi pour le ferrage des chevaux ou des vaches de trait et
les soins apportés à leurs sabots. Il dispose à cet effet, à
l’extérieur de sa forge, d’un travail à ferrer (de Nootschdàll), une
installation qui lui permet d’immobiliser les animaux récalcitrants.
Il
vend également de la quincaillerie (vis, clous, boulons, rondelles,
rivets…), des outils à mains qu’il a forgés et bien sûr des machines
agricoles et des pièces détachées. C’est aussi le cas du forgeron de
Kalhausen, Léon Lett, appelé de Schmèdde Léo, qui a succédé à son père
Jacques. Le forgeron Lett
ne dispose pourtant pas de travail à ferrer,
car la place lui manque dans la petite cour comprise entre la forge et
le bâtiment agricole qui lui fait face.
![](images/mma_47.jpg)
Avant l’apparition du tracteur.
Léon Lett et ses employés.
Cerclage de roues à gauche et soins aux animaux
de trait à droite.
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![](images/mma_48.jpg)
|
Cette facture du forgeron, comme celle du vétérinaire Zenglein de Sarre-Union est annuelle.
Elle répertorie toutes les interventions de l’année écoulée et s’élève à 11 760 F, soit 238 euros.
Le sellier-bourrelier "de Sàddler"
n’est pas en reste et doit aussi faire sa mutation, en réparant les
toiles élévatrices des moissonneuses-lieuses (liteaux à remplacer,
toile à recoudre) et les courroies plates servant à actionner les
batteuses et autres machines.
A Kalhausen, le sellier Auguste Simon et
son fils Adrien ne chôment pas et ont ainsi même des clients venant de
villages voisins (Achen, Etting).
Même le menuisier devient
réparateur de machines agricoles en refaisant la partie en bois des
bielles servant à actionner les lames cisailleuses des faucheuses "de
Kùrwelschdòng" ou les rabatteurs des moissonneuses-lieuses "de
Hàschbell ".
Les états de dommages de guerre
remplis en 1940, après le retour de l’évacuation, permettent de
connaître les outils et machines présents dans les fermes à cette
époque :
- il y a d’un
côté les traditionnels outils manuels toujours en fonction comme :
le
croc à pommes de terre "de Kààrscht"
la houe "de Hàck"
la fourche à
foin (à 3 dents, "de Haugàwwel ") et celle à fumier (à 4 dents, "de
Mìschtgàwwel ")
la bêche "de Schbààt"
le râteau en bois "de Haurèsche"
la faux à manche "de Sèns ou de Mäh"
la faucille "de Sìschel"
le
fléau "de Dréschfléégel"
- il
existe d’un autre côté quelques machines :
la déchargeuse à foin "de Hauàblààder"
la batteuse avec tarare "de Dréschmaschinn"
le tarare "de
Wònnmihl"
la faucheuse mécanique avec le dispositif pour la moisson "de Mähmaschinn"
la faneuse mécanique "de Hauwènner"
le râteau à
cheval "de Pèèrdsrèsche"
la centrifugeuse "de Sènndréfuur"
la meule à
aiguiser "de Schliffschdéén"
le hache-paille "de Schtrohhäcksler"
le
coupe-racines "de Dickrìeweràtz"
la scie circulaire "de Kreissäh"
la
charrue en bois avec un avant-train en fer "de Pluck"
la houe à cheval
en bois "de Hàcker"
les herses en fer ou en bois avec des dents de
fer "de Ééje"
la charrette agricole "de Wòòn", à 4 roues avec 6 ridelles en bois "de Wòònsdiele", en faits des planches de sapin épaisses de 4 cm et 2
échelles à foin
"de Haulèèdere", à fixer sur le côté, à la place des
ridelles.
La motorisation agricole se
limite au moteur électrique de 3 CV, employé comme source d’énergie à
l’intérieur de la ferme. Toute la traction reste animale.
(Etats consultés : Jean-Pierre
Hiegel, Pierre Stéphanus et Charles Demmerlé.) Il est clair que les
machines répertoriées ne sont pas forcément présentes dans
toutes les exploitations du village.)
Planche extraite du Nouveau Petit Larousse Illustré de 1951.
Les progrès sont visibles, mais les machines sont encore
presque toutes conçues pour la traction animale
et ne sont pas toutes dotées de pneus.
Certaines sont encore inconnues au village à cette époque.
Pendant longtemps, le tracteur
est censé remplacer le cheval ainsi que le bœuf et il est donc uniquement
conçu pour la traction : en témoignent le crochet d’attelage et la
barre d’attelage arrière "de Àckerschien" servant à accrocher les
chaînes de traction "de Kédde" ou le timon des machines "de Tissell".
Le tracteur n’est qu’un "cheval mécanique" et la marque Fendt
construit des modèles dénommés "Dieselross", c’est-à-dire "cheval
diesel ".
Publicité pour la marque Fendt.
" Le meilleur cheval de ton écurie ! "
Mais peu à peu, le tracteur
devient, selon la philosophie de Harry Ferguson, une "centrale mobile
d’énergie", autrement dit un porte-outils automoteur, mettant sa
puissance au service des appareils attelés, au moyen de la prise de
force indépendante ou de la poulie, appelée "poulie de battage"
courante dès 1950 : la presse, a moissonneuse-lieuse ou la batteuse, le rotovator
sont mis en mouvement par le moteur du tracteur, ce qui n’aurait
jamais été possible avec la traction animale.
Cette extension du rôle
du tracteur engendre la disparition des moteurs auxiliaires sur
certaines machines et la disparition de la traction animale. Le système
d’attelage trois-points des outils portés, également inventé par
Ferguson, permet bientôt au tracteur de se substituer entièrement au
cheval et de devenir véritablement "la machine à tout faire" de la
ferme.
1939. Almanach Agricole d’Alsace et de Lorraine.
La publicité propose encore peu d’offres en ce qui concerne la motoculture :
quelques motofaucheuses et de timides tracteurs de petite puissance (12 à 18 cv).
Si le tracteur était avant 39/45
le privilège d’une minorité d’agriculteurs éclairés et évolués, il
devient au lendemain de la Libération un instrument de progrès dans la
France à reconstruire. La motorisation de l’agriculture connaît alors
un essor important, grâce au plan Marshall (8).
Les agriculteurs de nos villages
vont peu à peu adopter la traction mécanique dans les années 1950-1960.
Les premiers tracteurs apparaissent timidement après 1950 et presque
tous les exploitants s’équipent en tracteur dans les 2 décennies
suivantes.
La puissance du tracteur
l’emporte désormais sur celle des animaux et il s’impose également dans
les régions de petites exploitations. Le tracteur
tous usages ouvre
ainsi la voie à l’emploi de toute une série importante de machines
performantes. Mais la traction animale ne disparaît cependant
entièrement en France que dans les années 1960-1970.
_______________________
(8). Ce plan
initié aux Etats-Unis par le général Marshall et adopté par le
président Truman devait permettre pendant une période de 4 ans
(1948-1952) de reconstruire l’Europe après la Seconde Guerre Mondiale.
Il consistait pour les Etats-Unis à fournir un crédit à un état
européen, crédit servant à payer des importations en provenance des
U.S.A.
![](images/mma_54.jpg)
1963. Jean Pierre Freyermuth a toujours ses chevaux,
mais il les remplacera bientôt par un tracteur.
|
En 1950, il y a encore près de 2
millions de chevaux de trait en exercice en France, pour un peu plus de
bovins (2,6 millions). En 1970, les chevaux
ne seront plus que 300 000
et les bovins 35 000.
Souvent, par prudence, l’on
préfère encore conserver les animaux de trait malgré l’achat d’un
tracteur. Les chevaux et les bovins peuvent toujours remplacer la
machine en cas de panne et constituent un attelage de secours. De plus
ils sont utiles pour certaines petites parcelles difficiles d’accès et
pour les travaux dans les cultures de betteraves et de pommes de terre
(binage et buttage).
Cohabitation chevaux-tracteurs.
Les Pèèrdsbuure de Kalhausen
Une vingtaine d’exploitations
agricoles avaient été recensées en 1924. Au sortir de la Seconde Guerre
Mondiale, avant l’apparition du tracteur au village, leur nombre est
sensiblement le même.
En voici la liste :
- Place du
village : Florian Thinnes (Bàddisse), Florian Gross (Krìschängels),
Paul Muller (Grééds), Henri Bour (Scharls)
- Rue de la montagne (de Guggelsbèrsch) : Chrétien Stéphanus (Jokkébels), Jean Pierre Hiegel, Théophile Juving
- Rue des lilas (de Schùùlgàss) : Henri Hoffmann (Hènnrische)
- Rue de la
libération (de Lòngenéck) : Auguste et Florian Métzger (Jààkobs),
Jean Baptiste Neu, Florian et Adam Stéphanus (Schòòndersch),
Pierre et
Nicolas List (Muurhànse), Jean Koch
- Rue des
fleurs et rue des roses (de Wélschebèrsch) : Auguste Muller père
(Thìewels), Edgard Spielewoy, Jean Pierre Freyermuth
(de Schwärzel), Nicolas Assant
- Rue des
jardins : Charles Lauer, Joseph Greff, Jean Pierre Bruch, Charles
Demmerlé (de Éddìnger Kàrl), Jean Pierre Freyermuth (Schmìtthònse),
Jean Pierre Lenhard (Kàrmàns)
- Moulin : Joseph Herrmann
- Weidesheim : Louis Greff, Rodolphe Muller
17 de ces exploitants (en grisé
ci-dessus) vont se lancer dans la motoculture et investir dans un
tracteur. Ceux qui ne le font pas se sentent trop vieux ou n’ont pas de
repreneur pour leur exploitation (Théophile Juving 1900-1983, Auguste
Métzger 1891-1973). Parfois c’est le fils ou le beau-fils qui reprend
l’exploitation et qui acquiert un tracteur (Marcel Thinnes, Nicolas
Stéphanus, Joseph Muller, Joseph Stéphanus, Emile Hiegel) ou qui pilote
le tracteur (Alphonse Schreiner).
Auguste Muller, fils, né en 1921,
n’a jamais voulu se lancer dans l’acquisition d’un tracteur et préféra
garder son attelage de chevaux jusque dans les années 1970, quitte à
faire réaliser certains travaux par son beau-frère Nicolas Assant qui
avait acheté un tracteur dès 1961. Son fils Grégoire achètera le
premier tracteur 4 roues motrices du village.
Auguste Muller
(1921-2001)
Voici la liste des Kìhbure :
- Place du village : Nicolas Demmerlé, père
- Rue de la
montagne : Marie Jeanne Demmerlé, Henri Rimlinger, Jean Pierre
Pefferkorn (Fawriggersch), Jean Pierre Lang (Schdoffels),
Philippe Freyermuth, Pierre Wendel (
Lééne)
- Rue des lilas : Jean Victor Pefferkorn (Blääse)
- Rue de la libération : Jacques Zins, Nicolas Lenhard (Schààcks), Jean List
- Rue des
fleurs et rue des roses : Florian Stéphanus (de Schdèffe), Auguste
Simon (Bohnevàddersch), Nicolas Freyermuth (de Bodde Nìggel),
Oscar
Muller, Rodolphe Wendel (Rudolfs), Charles Rimlinger, Joseph Philipp
(de Chef Sépp), Emile Seiler
- Rue des
jardins : Pierre Freyermuth (Digges), Pierre Kremer, Pierre Stéphanus
(Jokkébels), Nicolas Freyermuth, les sœurs Freyermuth (Ängels),
les
sœurs Pefferkorn (klèèn Schùmmàchersch), André Holtzritter
(Brùchbrùnnersch)
- Hutting : Nicolas Kirch
7 de ces petits exploitants
achèteront un tracteur(en grisé ci-dessus), ainsi que 5 fils et 1
beau-fils repreneurs de l’exploitation (Nicolas Demmerlé fils, Joseph
Stock, Joseph Pefferkorn, Camille Zins, Jacques Stéphanus, Henri
Holtzritter, Adrien Simon).
Nicolas Lenhard, Schààcks Nìggel, rentre ses vaches du parc,
un dimanche soir. Derrière lui, Jean Pierre Freyermuth.
L’achat d’un tracteur représente
un investissement important, difficilement supportable sans emprunt. Le
coût moyen d’un tracteur en 1951 n’est pas loin du million de francs,
sauf pour le Pony (ce qui représente à peu près 22 000 euros actuels).
Les tracteurs Diesel sont d’un tiers plus chers à l’achat que ceux qui
sont dotés d’un moteur à essence. Les banques comme le Crédit Agricole
ou le Crédit Mutuel proposent des aides pour un tel investissement,
sous la forme de prêts, mais le monde paysan, plus particulièrement les
anciennes générations, n’est pas totalement ouvert au crédit et préfère
souvent payer comptant, au risque de devoir attendre quelques années
supplémentaires avant de pouvoir investir. Cela explique le retard pris
par certains agriculteurs dans l’achat d’un tracteur.
Lorsque Charles Demmerlé achète
son second tracteur en 1967, un Renault Super 2 D, il débourse 14
705,25 F pour le tracteur (dont 350 F pour la livraison par voie
ferrée et 22,25 F de frais de carte grise). La barre de coupe lui
est facturée 1 879,74 F et la cabine Fritzmaier 1 166,20 F. Ce qui lui
fait un total de 17 751,19 F.
De cette facture vient en
déduction la reprise du tracteur Vendeuvre AS 500 pour 2 250 F. Il
bénéficie aussi d’un escompte de 316,28 F pour paiement comptant.
Charles doit donc débourser la somme de 15 501,19 F, qu’il règle par
chèque le 22 novembre 1967. (documents fournis par sa petite-fille
Martine Thaller)
Prenons aussi le cas de mon père.
En 1950, il est âgé de 28 ans et son avenir tout tracé est la reprise
du train de culture de son père Joseph. Ce dernier, arrivé à l’âge de
64 ans, continue d’employer ses chevaux. Mon père, au contraire, croit
à la motorisation. Il a passé son permis de conduire dès 1939 et
achète, parmi les premiers au village, un tracteur. L’investissement se
monte à 1 076 460 F pour le tracteur, la barre de coupe et la charrue,
soit 24 450 euros, ce qui n’est pas une petite somme pour un jeune qui
débute dans la vie active, qui a fondé une famille, qui vient d’avoir
son deuxième enfant et qui n’a pas encore pu mettre beaucoup d’argent
de côté.
L’acompte versé le 4 mai 1951, à
la commande, se monte à 50 000 F (1 135 euros). La banque fédérative du
Crédit Mutuel lui avance la somme de 902 805 F (20 502 euros), ce qui
représente presque 88 % du coût total. Le jour de la livraison, il
verse encore 20 000 F (454 euros), puis encore 25 000 F (567 euros) en
août et le reste, 78 855 F (1 790 euros) en septembre. Voilà, le
tracteur est payé au prix de gros sacrifices et d’un emprunt qui court
sur de nombreuses années. Impossible de faire d’autres investissements
pour le moment. Il faut garder les outils adaptés à la traction animale
(râteau à cheval, faneuse, charrette).
En avril 1952, une
moissonneuse-lieuse est acquise pour la somme de 288 637 F (5 856
euros). Là aussi une somme de 200 000 F (4 058 euros) est versée à la
livraison (provenant sans aucun doute d’un second emprunt), et de
petites sommes sont versées ensuite (19 630 F le 16 juin, 15 000 F le
22 juin, encore 15 000 F le 16 juillet, puis 10 000 F le 22 octobre et
enfin le solde, 2 907 F pour la fin de l’année.
Rien qu’en l’espace d’un an,
depuis mai 51 jusqu’à avril 52, l’endettement a grimpé jusqu’à 1 102
805 F (22 375 euros). Inutile de dire que peu d’investissements
pourront se faire les années suivantes et l’on continuera à travailler
avec les anciennes machines que l’on adaptera à la traction mécanique.
L’antique batteuse à point fixe de la grange, qui ne dispose pas de
dispositif de nettoyage des grains, ne sera pas remplacée ni modernisée
de sitôt. Aucune machine nouvelle ne sera plus acquise pendant
longtemps. Plus tard, il n’y aura que des acquisitions de matériel
d’occasion, déjà obsolète ou peu fiable (tracteur Lanz Bulldog de 1939, John
Deere 500, ramasseuse-presse, faneuse, batteuse, moissonneuse-batteuse
JF…)
Joseph Pefferkorn.
Traction animale en1963 et traction mécanisée en 1969.
Par contre, les ouvriers-paysans,
surtout les mineurs et les cheminots, qui ont une paie mensuelle
garantie, acquièrent du matériel neuf.
Pour éviter un investissement
trop lourd, l’un ou l’autre agriculteur acquiert parfois un tracteur
fabriqué artisanalement au moyens d’éléments de récupération issus
généralement du surplus militaire. Ce n’est certainement pas la
panacée, car ces machines bricolées ne sont pas toujours performantes
ou alors consomment
trop.
La solidarité et l’entraide entre
paysans a de tout temps facilité le travail, aussi quelques
agriculteurs du village achètent-ils en commun certaines machines.
C’est le cas de Jean-Pierre Freyermuth (de Schwärzel), Henri Hoffmann
(Hènnrische Haary) et des frères Albert et Florian Gross
(Krìschängels). Ils acquièrent ensemble une batteuse mobile Kuhn, un
rabot de prairie, un trieur de grains et un pulvérisateur sur roues
qu’ils utilisent sans problèmes, à tour de rôle. (renseignement fourni
par Adolphe Lenhard)
Dans certains villages, comme à
Herbitzheim, par exemple, une CUMA (Coopérative d’Utilisation de
Matériel Agricole) est créée dans les années 60, regroupant certains
adhérents de la Coopérative Agricole locale. Le matériel mis à
disposition des membres se compose au départ d’un cultivateur
(e
Grubber), d’un pulvériseur à disques (e Scheiweééj) et plus tard d’un
pulvérisateur (e Schbrìtz).
Ces machines sont des engins
traînés, montés sur pneus pour le transport sur route et rendent de
grands services aux agriculteurs, les dispensant d’acheter
individuellement de tels équipements. Plus tard, dans les années 70, le
parc des machines s’enrichit d’une rotofraise portée. La
moissonneuse-batteuse Fahr acquise par la Cuma dans la même période
n’est pas mise directement à disposition des membres, mais conduite par
un employé de la coopérative pendant la moisson.
Publicité Kuhn pour une rotofraise.
De mini-entreprises de
moissonnage se créent aussi au village avec l’apparition des premières
moissonneuses-batteuses. Ainsi Joseph Muller, (de root Sépp), André Neu,
qui s’est établi à Siltzheim et son frère Fernand, qui a repris à
Kalhausen le train de culture de ses parents, interviennent chaque
année, pendant la moisson, pour moissonner à la demande, les parcelles
des particuliers.
Avant l’avènement des
moissonneuses-batteuses, le battage des céréales se faisait déjà, pour
les exploitants ne possédant pas de batteuse à domicile, avec la grande
batteuse Lanz mise à disposition par Marcel Thinnes et installée dans
un premier temps devant sa maison, puis plus tard dans un hangar bâti
sur la gauche de sa ferme.
Les premiers tracteurs de nos
villages sont tous des machines de puissance modeste, comprise entre 10
CV et 30 CV, aptes à travailler sur de petites exploitations et
facilement accessibles pour les petits revenus.
Les petits exploitants, et
particulièrement les ouvriers-paysans, se contentent de leur première
acquisition tandis que les exploitants plus importants se lancent assez
rapidement dans l’achat d’un tracteur plus puissant et désormais doté
du relevage hydraulique. Chez ces derniers, les engins de la première
génération sont tout simplement revendus ou repris par les
concessionnaires. Certains sont gardés pour exécuter les travaux
faciles comme les petits transports, le fanage et le râtelage, pendant
la fenaison.
La course à la puissance ne fait
que commencer. Dans les années 70, un tracteur de 40 CV était considéré
comme puissant, actuellement des engins de 120 CV et plus sont
nécessaires pour les travaux culturaux.
L’accroissement de la puissance
va de pair avec le développement de machines toujours plus imposantes.
Entre 1970 et 1990, le nombre de tracteurs de plus de 54 CV est
multiplié par 10, alors que celui des tracteurs de moins de 35 CV est
divisé par 4.
Source : senat.fr
2. Conséquences de la mécanisation et de la motorisation agricoles
L’utilisation de machines
spécifiques permet dans un premier temps à l’agriculteur de réduire sa
fatigue physique et de gagner un temps précieux dans la réalisation des
travaux en pointe. Ces machines sont la charrue, le semoir, la
faucheuse mécanique, la faneuse, le râteau à cheval, la moissonneuse et
la batteuse.
Mais l’achat le plus important et
le plus significatif est bien celui du tracteur. Les conséquences
de cette acquisition sont d’abord d’ordre technique : le travail est
réalisé plus rapidement et surtout plus facilement qu’avec un attelage.
Le tracteur réduit ainsi considérablement les périodes des travaux de
pointe. De plus, il ne coûte rien au repos, peut travailler en continu,
sans se lasser, contrairement à un attelage de bêtes, et même finir
tard ou pendant la nuit un travail commencé le matin. Les travaux sont
réalisés au moment le plus favorable, avec qualité et économie.
De plus, le tracteur est un
merveilleux engin de transport pour les personnes. La caractéristique
presque générale des tracteurs commercialisés après 1950 est la
présence d’un siège passager fixé sur le garde-boue gauche. On roule
rarement seul et l’agriculteur emmène souvent dans les champs un ou
deux passagers : ses propres enfants ou son épouse. De plus, le
tracteur remplace souvent la voiture pour se rendre à la gare et
prendre le train, ou en ville.
L’ancienne calèche, de Kutsch, dont il
existe au moins un exemplaire dans chaque village et qui servait au
transport de passagers vers la gare et la ville, ainsi qu’aux baptêmes,
est de fait mise au rancart, remplacée par la voiture automobile et
pour un degré moindre par le tracteur.
Après un baptême.
Marcel Thinnes reconduit un nourrisson
tenu par la sage-femme Anne Simonin.
(Photo Roland Thinnes)
A ce propos, je me rappelle très
bien d’un voyage à tracteur. Je devais avoir 6 ou 7 ans. Ma tante avait
été nommée institutrice à Soucht et mon père avait organisé un
transport en commun à destination de ce village, en vue d’y aller
cueillir des myrtilles. Toute la famille, grands et petits, embarqua sur la charrette à plateau, en compagnie de voisins. Ce fut
une joyeuse virée à partir de Herbitzheim, en direction des proches
Vosges du nord, avec un pique-nique à la clé. Mon père avait même
acheté un peigne à myrtilles, mais la récolte ne fut pas à la hauteur
des efforts déployés et l’expérience s’arrêta là.
Avec le tracteur, le paysan passe
directement à l’âge de la motoculture, c’est-à-dire qu’il doit
s’adapter désormais à un monde nouveau dans lequel il
est contraint de
réfléchir à des pratiques culturales différentes de celles qu’il
connaît : il peut désormais labourer plus profond, il peut choisir le
meilleur moment pour intervenir dans les champs et n’aura plus de
retard dans son travail, il n’est plus obligé de faucher sous la pluie
pour anticiper… Avec le tracteur, l’agriculteur met un doigt dans
l’engrenage de la motorisation et il ne pourra plus s’arrêter. La
machine appelle la machine et d’autres achats suivent :
moissonneuse-lieuse, moissonneuse-batteuse, ramasseuse-presse, etc…
Grâce au tracteur, le paysan peut
produire davantage. La totalité de la récolte ne sera plus réservée
uniquement à l’exploitation, mais pourra être vendue en partie.
L’agriculture cesse d’être autarcique et s’ouvre sur le monde du
marché.
Il s’en suit un accroissement
possible de la surface à cultiver et une augmentation du cheptel bovin
(vaches laitières et races à viande). D’où une augmentation non
négligeable des revenus agricoles. L’argent pourra être utilement
investi dans l’acquisition de machines nouvelles.
Grâce au tracteur, le travail est
plus net, plus propre, plus régulier. La qualité des produits agricoles
est optimale, car les interventions, limitées et rapides, peuvent se
faire au moment opportun et les récoltes peuvent être rentrées pour les
soustraire aux éventuelles dégradations dues aux conditions
atmosphériques. La puissance du tracteur permet des travaux dans des
conditions météorologiques qui seraient dissuasives pour des chevaux.
Grâce à la puissance de la
machine, des zones difficiles peuvent être mises en culture, alors
qu’elles seraient laissées en friches autrement.
Actuellement le bénéfice de la
motorisation est encore plus visible : l’exploitant est plus disponible
pour des tâches intellectuelles de chef d’entreprise (comptabilité,
gestion, actions commerciales) et pour des loisirs.
Les raisons d’acheter un tracteur
sont aussi d’ordre psychologique : l’agriculteur veut être moderne,
imiter le voisin qui a investi dans un tel engin. Le tracteur devient
ainsi le symbole visible du progrès et personne ne veut rester à la
traîne et rater le train en marche. C’est pour cette raison que presque
tous les exploitants d’un village vont s’équiper en tracteur, du plus
petit ouvrier-paysan au plus grand agriculteur, sans trop réfléchir à
la rentabilité d’un tel investissement.
Le tracteur fait du paysan
autrefois archaïque un agriculteur moderne, fier de son tracteur et des
machines qu’il peut y atteler. Il est sûr qu’on parle de lui dans le
village, qu’on l’observe quand il est au volant de son engin et qu’on
l’envie. Le paysan motorisé devient la curiosité de la jeunesse
masculine et exerce sans le savoir une influence sur elle : les jeunes
garçons sont enthousiastes devant les machines nouvelles et le métier
d’agriculteur leur paraît moins pénible, moins contraignant.
Il est curieux de noter que la
tranche d’âge comprise entre 40 et 50 ans est celle qui se lance la
première dans l’acquisition d’un tracteur : les quadragénaires ne sont
pas encore trop âgés pour emboîter le pas au progrès et ils sont
souvent influencés par leurs enfants. En deçà de 40 ans, l’argent
manque souvent pour envisager l’achat d’un tracteur et d’autres crédits
sont encore en cours. Et au-delà de 50 ans, les agriculteurs n’osent
plus tellement se lancer dans la traction mécanique et préfèrent garder
leur attelage de chevaux.
Si les jeunes ne peuvent pas
acquérir de tracteur, faute de moyens financiers, ce sont pourtant eux
qui s’en servent les premiers, qui se passionnent pour la mécanique et
qui poussent souvent leurs parents à se lancer dans la motoculture. La
génération antérieure a plus de difficultés à assimiler les contraintes
mécaniques liées au tracteur (conduite sur route ou dans les champs,
terrain sec ou détrempé, entretien : vidange, contrôle des niveaux,
lubrification, antigel…, emploi des outils). Par contre, et c’est
évident, la jeune génération apprend vite et c’est elle qui prend
possession en premier du tracteur acheté par le père.
Les griefs que le monde paysan
avait tendance à faire à la traction mécanique sont vite oubliés :
tassement du sol, investissement important, raréfaction de l’engrais
animal, petits travaux mieux faits par l’animal et non rentables, s’ils
sont effectués avec un tracteur…
Pour les travaux en pointe, comme
la récolte du fourrage et la moisson, on est passé, en quelque
décénnies, c’est-à-dire depuis les années 60, du travail manuel
collectif, rassemblant la famille entière ou les voisins, à des chaînes
totalement mécanisées, où une seule personne, au volant de son
tracteur, et à l’aide de machines spécifiques, effectue sans difficulté
toutes les opérations culturales.
Le tracteur est devenu un maillon
essentiel de la motorisation agricole et les progrès sont désormais
constants dans le domaine de la mécanisation et de la motorisation avec
l’apparition de machines nouvelles toujours plus performantes, avec la
généralisation du système d’attelage trois-points et l’avènement de
l’électronique.
Le tracteur moderne, truffé
d’électronique et pourvu de plus grand confort, n’a plus rien à voir
avec les antiques engins à roues à bêches ou à cornières, qu’il faut
démarrer à la manivelle ou à la lampe à souder. L’ordinateur s’occupe
déjà de la traite des vaches à la ferme et bientôt le pilotage par
satellite permettra à l’agriculteur, pardon au technicien spécialisé
assis derrière son écran, de labourer ou de faucher à distance, par
robot interposé, sans presque remuer son petit doigt.
Mais la mécanisation et surtout
la motorisation agricole ont aussi des conséquences négatives sur les
hommes, la nature et l’économie.
La vie de groupe (famille,
voisinage, village) est fortement bouleversée par le recours à la
motorisation. Autrefois les travaux agricoles se faisaient avec
l’ensemble de la famille ou du voisinage, les rendant collectifs avec
tout ce que cela entraîne comme liens tissés. Les enfants participaient
volontiers à la vie de la ferme et étaient souvent mis à contribution,
le soir après la classe ou pendant les jours où l’école vaquait. En
aidant leurs parents, ils apprenaient l’effort et la valeur du travail.
La mécanisation rend les travaux
de la ferme individuels : une seule personne, appelée désormais
"conducteur de machine", s’occupe de toutes les opérations. Tout au
plus a-t-il besoin parfois d’un aide, "conducteur de machine", comme
lui. La campagne s’est actuellement désertifiée et on n’y voit plus çà
et là que quelques engins bruyants, alors qu’elle grouillait autrefois
de vie, animée par les attelages et les travailleurs manuels.
Que de bons moments passés ensemble, après l’effort !
La mécanisation instaure la
monoculture à outrance dans toutes les régions, détruisant le paysage
(arrachage de haies, d’arbres), la faune (oiseaux, gibier),
appauvrissant le sol (abandon de la jachère) et forçant l’exploitant à
recourir à des amendements de synthèse.
Les lourds engins et leur usage
par tous les temps, sans respect des sols, compactent la terre et la
rendent imperméable à l’air. Les vers de terre, tués par les produits
chimiques, ne creusent plus les galeries qui permettent à l’eau de
s’infiltrer. L’eau de pluie ruisselle davantage en surface et provoque
rapidement des inondations. La pratique du drainage aggrave encore le
problème.
La mécanisation provoque
l’écroulement des prix : pour essayer de rentrer dans leurs frais, les
agriculteurs produisent toujours plus et ne peuvent plus sortir du
cercle vicieux du productivisme.
Elle entraîne aussi une baisse du
nombre des exploitations agricoles et des exploitants, un regroupement
des fermes, isolant de plus en plus les paysans ou provoquant des
déserts ruraux. L’exode rural, commencé en 1850, n’a plus cessé depuis
cette date.
Si au début du 20° siècle,
pratiquement tout un village comme Kalhausen est rural et vit de
l’agriculture, aujourd’hui seulement 5 exploitations agricoles
subsistent et le nombre de personnes occupées par l’agriculture ne
dépasse pas la douzaine. Quant au nombre de tracteurs strictement
réservés à la culture et d’engins spécialisés, il a aussi fortement
diminué. L’exploitation agricole comptait autrefois un seul tracteur,
rarement deux. Actuellement l’exploitation agricole moderne compte de 3
à 5 tracteurs, souvent de puissance inégale, adaptés chacun pour un
usage spécifique, dont un exemplaire est doté d’un chargeur frontal.
Les engins à 2 roues motrices sont le plus souvent relégués aux travaux
d’intérieur de la ferme.
Quelques personnes ont pourtant
acquis un tracteur souvent d’occasion ou conservé le tracteur des
parents, uniquement parce qu’elles l’utilisent pour débarder,
transporter et scier leur bois de chauffage ou encore pour effectuer de
petits transports et entretenir un verger. Ainsi, dans le village, il
n’y a pas moins d’une trentaine de ces tracteurs en service pour des
besoins non-agricoles. Il va sans dire que ces engins ne sont utilisés
qu’occasionnellement et sont de puissance moyenne.
3. Les progrès dans les domaines particuliers
3.1. La préparation des sols.
Le principal but de la culture du
sol est bien sûr d’exploiter les réserves alimentaires qu’il contient
pour faire pousser diverses cultures. Pour pouvoir utiliser
efficacement ces réserves, il faut au préalable ameublir la terre, en
utilisant la charrue et d’autres instruments.
Le labour (9)
L’antique araire ne fait que gratter le sol en surface et ne permet pas de le retourner pour l’aérer.
Dès le Moyen-Age, de nombreux
perfectionnements permettent un meilleur travail et voient l’avènement
de la charrue (de Plùck) munie d’un avant-train à roues permettant à la
charrue de garder sa stabilité, du coutre découpant la bande de terre à
retourner, du versoir et de mancherons.
_____________________
(9). Le rôle du
labour est tout d’abord de retourner la terre pour l’aérer, ensuite d’y
incorporer le fumier et les résidus végétaux, enfin de déterrer les
mauvaises herbes pour les ramener
en surface où elles se dessécheront
au soleil.
Encyclopédie de Diderot (1751-1772)
A gauche, charrue ordinaire. A droite, charrue avec versoir.
Le bâti (l’âge) et le versoir
fabriqués en bois sont peu à peu remplacés au 19° siècle par le fer et
l’acier. Un dispositif de réglage en profondeur et en largeur (charrue
Dombasle 1820), puis un système de blocage des mancherons (charrue
Hamant 1865) apportent des améliorations appréciables.
La charrue Dombasle ne comporte pas d’avant-train.
De nombreux exemplaires de charrues brabants simples, à un soc, sont utilisés dans le village, avant l’avènement du tracteur.
La terre argilo-calcaire du
village est difficile à travailler, sauf dans les vallées de l’Eichel,
à Hutting et de la Sarre, à Weidesheim, où elle est sablonneuse.
Un
attelage de 2 chevaux est nécessaire pour le labour, mais il faut de 3
à 4 vaches pour le même travail.
La charrue brabant double n’est
pas en usage dans nos régions, ni du temps de la traction animale, ni
du temps du début de la motorisation. En effet, dans nos petites
parcelles, le labour en planches est d’usage et le brabant simple,
moins onéreux à l’achat, suffit largement. (10)
___________________
(10). Pour les
petites parcelles, le labour se fait en planches avec des charrues dont
les versoirs retournent la terre d’un seul côté, généralement à droite.
Le labour s’exécute en partant de la ligne médiane de la planche et en
tournant autour de celle-ci (labour de printemps, en adossant,
ussenònner fahre) ou en commençant par les rives pour terminer au
milieu (labour d’automne, en refendant, zòmme fahre). L’inconvénient
majeur est la perte de temps pour les manœuvres en fourrière
(schdrécke) et la présence dans le champ des ados et des dérayures
(Fùhre) qui peuvent gêner l’emploi d’autres machines.
Le labour à plat, par contre,
laisse un terrain plat, sans ados ni dérayures, mais nécessite une
charrue brabant double, appelée aussi charrue réversible (e Wèndeplùck), avec un âge comportant des socs superposés
versant alternativement à droite et à gauche. Au bout du champ, les
corps versants sont alternés mécaniquement ou hydrauliquement et ainsi
toutes les raies sont couchées du même côté. Les charrues modernes
employées actuellement sont de ce type et le labour des grandes
parcelles obtenues après remembrement se fait toujours à plat.
Attelage de 3 ou 2 chevaux selon le terrain argileux ou sablonneux.
Les 2 charrues ont un avant-train en métal.
A gauche Emile Hiegel et Lucie Schlegel posent pour la photo.
De petites charrues à roulette
sont parfois utilisées pour les jardins accessibles aux chevaux et non
clôturés situés à l’extérieur du village (Gààrdeschdìgger).
(Photo Gilbert Schmitt. Kalhausen)
La charrue-balance ou
charrue-bascule est composée de deux charrues reposant sur un essieu
commun et se faisant face. Elle est équipée de corps versants fixés en
sens opposé qui travaillent alternativement, dans un système de navette
mis en action par un treuil. Le tambour du treuil est mis en mouvement
par un moteur inanimé (locomotive-treuil, moteur électrique ou
thermique). Ce système n’a pas été utilisé dans nos régions, à cause de
la petite taille des exploitations.
(a.maurepas.free.fr)
Avec l’avènement du tracteur, la
charrue reste traînée. Elle est monosoc pour les petits tracteurs dont
la puissance est inférieure à 20 CV et comporte 2 socs dans les autres
cas. Des systèmes de relevage manuel, puis le relevage hydraulique qui
équipe certains tracteurs dès 1960 permettent d’employer des charrues
portées et cela facilite les manœuvres et les évolutions en fourrière.
Les charrues trisocs n’équipent que les tracteurs dont la puissance
dépasse 40 CV. Actuellement la plus grosse charrue présente dans le
village est une charrue brabant double semi-portée équipée de 7 socs,
attelée à un tracteur d’une puissance de 190 CV (Gaec Saint Valentin).
Le tracteur Pony est équipé en option de 2 charrues
monosocs alternatives qui permettent le labour à plat.
Charrue bisoc traînée de type brabant simple.
L’ameublissement des sols
Pour ameublir le sol, on laisse
en priorité faire la nature en ayant recours à l’action mécanique des
agents atmosphériques : la pluie, le gel et la sècheresse.
Mais il existe cependant quelques
outils qui permettent de suppléer ou de parfaire le travail de la
nature. Ce sont les scarificateurs, les extirpateurs,
les cultivateurs,
les pulvériseurs, les herses, les rouleaux et les houes.
Le scarificateur, l’extirpateur
et le cultivateur (de Grubber) qui ne se différencient entre eux que
par la forme des dents, comprennent de petits socs montés sur des dents
souples ou semi-rigides fixées sur un châssis de herse et permettent de
soulever le sol pour l’aérer et extirper les mauvaises herbes. Ils
peuvent avantageusement remplacer le travail de la charrue pour
désherber un champ ou déchaumer après la moisson. 6 ou 7 de ces
engins
à traction animale sont utilisés au village après 1945
(renseignement André Neu).
Le pulvériseur à disques simples
(de Scheiweééj), utilisé pour ameublir le sol avant le semis ou pour
déchaumer après la moisson, est à l’origine aussi
à traction animale.
Il ne semble pas qu’un tel instrument à traction animale ait existé au
village.
Déchaumeuse à disques tirée par un petit Pony Massey Harris modèle 812
(forum.grostracteurspassion.com)
Herses rigides en bois à dents métalliques. Photo de droite SHAG Grosbliederstroff.
La herse (de Ééj) est
utilisée dans la préparation du sol pour compléter le travail de
l’extirpateur, c’est-à-dire pour arracher et rassembler les mauvaises
herbes, et aussi pour émietter le sol avant le semis. Elle sert encore,
après le passage du semeur, à enterrer les grains jetés à la volée.
Traînée par la force humaine ou
la force animale, la herse n’a pas beaucoup évolué au cours des
siècles. Si une vache ou un cheval peut tirer une seule herse rigide,
le tracteur moyen d’une vingtaine de CV tire une herse articulée,
composée de plusieurs compartiments. La généralisation du relevage
hydraulique sur les tracteurs dans les années 60 permet d’utiliser la
herse en outil porté pour un meilleur rendement et un emploi plus aisé.
Le rouleau (de Wàlz) est à
l’origine un cylindre en bois cerclé de fer, il est remplacé plus tard
par un rouleau lisse en fonte, puis par un rouleau brise-mottes, appelé
croskill. Son rôle est également de briser les mottes, mais aussi de
tasser légèrement la terre pour améliorer le contact de la
graine avec
elle. Il est aussi utilisé au printemps pour rouler les jeunes céréales
d’hiver et favoriser ainsi le tallage.
Farmall FCD avec rouleau croskill.
(forum.grostracteurspassion.co)
La houe à cheval (de Hàcker)
n’est employée que pour sarcler les cultures betteravières et de pommes
de terre. Elle se transforme en buttoir (de Hiffler) pour butter les
pommes de terre.
![](images/mma_97.jpg) |
Photo machineagricole47.centerblog.net
|
3.2. Les semailles
Le semoir à cheval n’est utilisé
que pour les grandes exploitations. Jusque dans les années 70, les
semailles se font à la main, au moyen de l’antique sac de jute noué et
porté en bandoulière (de Sääsàck). Une sorte de bassine en acier
galvanisé (de Sääbitt) et portée grâce à des bretelles peut aussi
servir pour les semailles et pour l’épandage des engrais en
granulés comme l’ammonitrate (Kùnschdìnges).
Le geste auguste du semeur…
Semoir mécanique en lignes.
(Photo www.patrimoine-agricole.fr)
A Kalhausen, dans les années 70, Joseph Greff et Emile Hiegel utilisent un de ces semoirs en lignes derrière leur tracteur.
De petits épandeurs à engrais
(ammonitrate, Kùnschdìnges et scories potassiques, Thomassmèhl) sont
aussi utilisés, par l’un ou l’autre agriculteur comme Joseph
Muller. Un tel équipement rarissime est alors parfois prêté par son
propriétaire à d’autres exploitants.
Anecdote : l’épandeur en question
est acquis plus tard pour la somme de 800 F par la commune de Kalhausen
qui l’utilise un moment pour épandre du sel de déneigement
(délibération du 25.02.1987).
Epandeur à engrais.
(Traitcharentais.wifeo.com)
3.3. La fenaison
La fenaison, tout comme la moisson, est une opération d’envergure qui monopolise beaucoup de monde.
Au printemps, avant la croissance
de l’herbe, il faut passer dans les prés avec le rabot à prairies (de
Wiesehowwel) pour niveler les taupinières qui rendent le fauchage
difficile et provoquent des bourrages de faucheuses.
A défaut de rabot, on peut
utiliser les herses placées dents en l’air ou pour les petites
parcelles la houe à manche (de Hàck). De nos jours, la herse de prairie
est utilisée dans le but d’aérer le sol, d’araser les taupinières et de
régénérer les prairies (émoussage).
(hippotese.free.fr)
Pour le fauchage de l’herbe, la
faux à manche, que nous connaissons bien (de Mää), remplace peu à peu
la faucille (de Sìschel) à partir du 14° siècle. La faux permet de
travailler debout, contrairement à la faucille manipulée en position
courbée. Le rendement à la faucille est de 20 à 30 a pour 8 à 10 heures
de travail, alors que la faux permet d’effectuer le même travail 3 fois
plus vite et avec moins de fatigue.
Faucheurs en ligne en train d’aiguiser leur faux.
La véritable révolution du fauchage est l’apparition aux Etats-Unis, de la faucheuse mécanique vers le milieu du 19° siècle.
L’apparition de la faucheuse
mécanique (de Määmaschinn) a lieu aux Etats-Unis en 1847 : elle a une
barre de coupe et fonctionne sur le principe d’une barre cisailleuse
munie de couteaux triangulaires et animée d’un mouvement alternatif.
Cette machine apparaît dans nos villages déjà avant la Première Guerre
Mondiale. C’est une des machines acquises en priorité par tous les
agriculteurs, car elle les décharge d’un travail long et pénible. Le
rendement d’une telle faucheuse est de 20 fois supérieur à celui de la
faux à manche.
Tous pourtant ne peuvent pas se
l’offrir immédiatement et doivent continuer de faucher manuellement ou
ont recours aux services d’un voisin ou d’un parent. (11)
_________________________
(11). La première
faucheuse du village, une Deering, aurait été mise en service en 1902 par André Neu
(1867-1919) qui l’a acquise auprès des établissements Joder de
Rohrbach. (renseignement fourni par son petit-fils également prénommé
André).
J’ai répertorié une cinquantaine
de marques de faucheuses dont les plus connues sont Deering, Fahr,
International Harwester, Mac Cormick, Massey-Harris, Moline et Osborne.
La largeur de coupe est de 1m05 pour un cheval et 1m35 pour 2 chevaux.
Elles peuvent être munies de roues à pneumatiques et d’un moteur
auxiliaire.
Camille Zins, un ouvrier paysan,
et son attelage de vaches pendant la fenaison.
Juin 1931. Le journalier Nicolas Lenhard achète une faucheuse
mécanique et une meule à aiguiser pour la somme totale
de 1860 F, soit environ 1054 euros.
Il paie un acompte de 500 F le 23 juin et le solde le 22 octobre.
La faux pourtant sert encore
longtemps, jusque dans les années 70, pour faucher de petites surfaces
et les prés en pente ou compléter le fauchage mécanique, surtout dans
un verger (ussbùtze). Finalement la faux sera complètement mise de
côté, remplacée pour ces travaux de nettoyage, par la motofaucheuse et
la débroussailleuse.
Dans la première moitié du 20°
siècle apparaissent sur le marché des motofaucheuses, uniquement
destinées à la coupe de l’herbe et non à la traction d’outils. Quelques
marques se lancent dans cette production : Kramer, Fendt et Hagedorn en
Allemagne, Daloz en France. Mais ces machines ne s’imposent pas,
remplacées bientôt par le tracteur plus polyvalent.
Motofaucheuse Fendt de 1929
(Photo www.fendt.de)
Motofaucheuse Kiva des Etablissements Daloz (Jura)
(vieilles-soupapes.grafbb.com)
Les tracteurs sont alors dotés
d’une barre de coupe latérale qui remplace avantageusement celle de la
faucheuse à traction animale et donne un meilleur rendement (de
Määbàlge). Cette faucheuse portée fonctionne toujours selon le
principe de la lame cisailleuse. L’antique faucheuse continue pourtant
encore à servir pour la moisson.
Le fauchage s’effectue le plus
souvent le matin, lorsque la rosée n’est pas encore totalement
évaporée, ainsi les fourmilières et autres taupinières risquent moins
de provoquer le bourrage de la lame. L’idéal est d’être à deux : un
pilote de faucheuse ou de tracteur et un aide pour manier le râteau et
dégager l’herbe coupée afin de permettre le passage de la barre de
coupe, surtout lorsque le pré n’est pas strictement rectangulaire ou
carré
(ewèck rèsche).
1957. Notre tracteur Allgaier et la famille pendant la pause casse-croûte.
Notez la barre de coupe portée, la poulie de battage et le volant d’inertie propre à cet engin.
Avec la faucheuse apparaît également la meule à aiguiser, à manivelle ou à moteur électrique (de Schliffschdèèn).
![](images/mma_111.jpg)
Meule à aiguiser en grès, à bain d’eau.
|
![](images/mma_112.jpg)
Meule synthétique plus moderne, à déplacement vertical
|
Si la meule est mise en mouvement au moyen de la manivelle, il faut un aide pour la manœuvrer.
La fenaison effectuée manuellement exige peu d’outils : la faux, la fourche et le râteau. Cela suffit pour les petites surfaces.
Lucie Zins, 1984.
Juin 2014. Joseph et Emilienne Rimlinger fanent le foin
de leur verger comme il y a 50 ans. L’herbe destinée aux lapins
a été fauchée avec le motoculteur et sera mise en botte
par Gilbert Muller au moyen d’une ramasseuse-presse
La mécanisation introduit dans un
premier temps non seulement la faucheuse, mais aussi la faneuse à
fourches (de Gàwwellwènner) et la râteleuse ou râteau à cheval (de
Pèèrdsrèsche) (12). Le système d’attelage de ces machines est
transformé après l’achat d’un tracteur pour qu’elles puissent être
remorquées désormais par le tracteur.
![](images/mma_115.png)
(vieilles-soupapes.grafbb.fr)
|
![](images/mma_116.jpg)
(mrugala.net)
|
____________________
(12). Le but du
fanage est de soulever, de secouer et de retourner le fourrage laissé
en andain par la faucheuse pour que les parties interne et inférieure
soient à leur tour exposées à l’air et au soleil et sèchent. La faneuse
à fourches comprend 5 ou 6 fourches articulées, décalées les unes par
rapport aux autres et fixées sur un vilebrequin entraîné par les roues.
Elle n’est pourtant pas très efficace, car elle soulève seulement
l’herbe, sans la retourner.
Le râteau à cheval est à décharge
intermittente, il rassemble le fourrage sec en petits tas. Il se
compose d’une série d’arceaux ou dents dont l’extrémité inférieure
râtisse le sol et dont l’extrémité supérieure est articulée sur un
arbre commun. Quand les arceaux sont remplis de fourrage, le conducteur
appuie sur une pédale et provoque leur relevage, grâce à l’arbre
entraîné alors par les roues.
Le râteau faneur-andaineur (de
Schwààderèsche) se généralise après guerre, car plus efficace et
polyvalent, puisqu’il permet de retourner le foin pour l’aérer ou de le
disposer en andains pour le chargement (13). Le râteau andaineur à
disques (de Sùnnerèsche) a peu d’amateurs dans le village à cause de
son manque de polyvalence. Joseph Pefferkorn en utilise un.
(ferguson-en-perigord.com)
(13). Le
râteau-faneur est à décharge latérale continue, il a un tambour long et
disposé obliquement par rapport à l’essieu. Ce tambour, entraîné par
les roues, est muni de grands peignes à dents flexibles qui râtissent
le sol. Un dispositif permet de faire tourner le tambour dans le même
sens que les roues, pour éparpiller l’herbe vers le côté dans le cas du
fanage, ou dans le sens contraire, pour le râtelage.
1966. Fanage. André Neu pendant la fenaison
sur le Fendt Dieselross F28 avec le râteau-faneur-andaineur.
Plus tard avec le tracteur Allgaier.
Le chargement du foin en vrac perdure jusque dans les années 70.
Il faut au minimum 3 personnes
pour charger une charrette de foin et souvent tout l’après-midi y
passe, déplacement et déchargement compris : le père de famille charge
le foin au moyen de la fourche à 3 dents (gàwwle), la mère, debout sur
la charrette, dispose le foin, (lààde), et un enfant râtelle le foin,
(nòh rèsche).
Charger tout seul une charrette
demande beaucoup plus de temps et d’efforts. Jacques Lett, (de àlde
Schmìtt (1877-1957), était souvent obligé, à un
âge avancé déjà, de
rentrer tout seul son foin, car il ne pouvait compter sur l’aide de son
fils Léon, occupé à la forge. Il partait dans les champs en emmenant…
une échelle, qui lui servait à monter sur le chargement de foin, afin
de le disposer correctement. (anecdote racontée par André Neu)
Quand le chargement du foin est
terminé, il faut "peigner"le foin, c’est-à-dire égaliser le chargement
au moyen d’un râteau pour éviter de perdre quelques brins pendant le
déplacement (de Wòòn àbrèsche). Ensuite, il faut comprimer le
chargement au moyen d’une longue perche de sapin à encoche,
(de Wìesbòòm)
: cette perche est bloquée par l’encoche, à sa plus grosse extrémité,
dans l’espèce d’échelle de l’avant de la charrette, (de Gàlsche) et
ensuite mise sous tension au moyen de cordes et d’un treuil fixé à
l’arrière de la charrette (de Wìnn).
![](images/mma_121.jpg)
Egalisation du chargement de foin.
|
Mise en place de la perche de sapin.
(Photo host2.ambach.de)
|
Le treuil démonté (de Wìnn) et les bois
servant à la manœuvre (de Wìnnhélzre)
![](images/mma_124.jpg)
Chargement de foin en vrac sur une charrette à échelles (e Lèèderwòòn). On reconnaît à l’avant
l’échelle (de Gàlsche) dont les barreaux servaient à
bloquer la perche (de Wìesbòòm) destinée à comprimer
le chargement pendant le transport
|
![](images/mma_125.jpg)
De gauche à droite, Jacques Stéphanus,
son beau-frère Jacques Steffanus et sa sœur
Adèle devant une charrette à plateau munie de pneus.
|
Pas moins de 4 personnes (plus le photographe) travaillent
au chargement de la charrette de foin. Les chevaux sont parfois énervés
par les taons et peuvent s’emballer. On les enduit d’un répulsif, Brùmseéél.
Parfois tous les moyens sont bons
pour rentrer la récolte de foin. André Freyermuth, entrepreneur en
maçonnerie, ne possède pas encore de tracteur, mais il a un camion GMC
pour effectuer ses transports de matériaux. Il utilise tout
naturellement ce véhicule pour rentrer ses récoltes, avant d’acquérir
un tracteur, plus adapté à l’agriculture. (communication d’André Neu)
André Freyermuth
(1903-1994)
Le chargement mécanisé du foin
est réalisé dans les grandes exploitations au moyen du
ramasseur-élévateur-chargeur (14). Cette machine permet un chargement
mécanisé du foin. Elle est remplacée plus tard par la ramasseuse-presse.
Le ramasseur-élévateur de foin pouvait aussi
se placer entre le tracteur et la remorque.
Les premières presses à être
utilisées dans le village sont des presses à basse densité appelées
botteleuses (e Haupréss) (15). Mises en mouvement par la prise de force
du tracteur (de Zàppwèll), elles ne compriment pas vraiment le foin et
se contentent de faire des bottes, de plus elles ne peuvent pas être
utilisées pour la récolte du regain, trop court et ne tenant pas dans
une botte.
Le garde-forestier privé de
Weidesheim, Charles Dehlinger, qui exploite aussi un petit train de
culture, possède un petit tracteur Pony et utilise une botteleuse avec
moteur auxiliaire Bernard. (renseignement André Neu)
________________
(14). Le
chargeur-élévateur se compose d’un châssis sur 4 roues sur lequel est
monté un organe-ramasseur appelé pick-up qui prend le fourrage disposé
en andain et le passe à un élévateur composé d’un tapis roulant sans
fin qui le déverse directement sur la remorque où un ouvrier le dispose
correctement.
![](images/mma_130.jpg)
Jean Baptiste Neu avec ses fils, André et Fernand à Hutting.
Chargement direct sur la remorque de bottes basse
densité liées par une botteleuse Heywang
|
![](images/mma_131.jpg)
Gérard Lenhard sur un tracteur Vendeuvre Super BM 57
attelé d’une botteleuse John Deere Coccinelle.
|
Certains cultivateurs préfèrent
acquérir une remorque autochargeuse (e Lààdewòòn) qui leur permet
de charger le foin en vrac, sans aucune aide. C’est le cas de Joseph
Stephanus, Joseph Stock, Jean Demmerlé, Camille Zins, Marcel Thinnes et
Alphonse Schreiner entre autres (16). Une telle remorque est toujours
utilisée par Antoine Demmerlé pour rentrer une partie de son foin, le
reste étant pressé.
_________________
(15). La
botteleuse ou pick-up botteleur est équipée d’un organe ramasseur
envoyant le fourrage dans la botteleuse qui en fait des bottes à 2
liens (Bììrde). Les bottes, soit tombent à terre et sont chargées
ultérieurement, soit sont poussées directement sur la remorque par un
canal.
![](images/mma_132.jpg)
Autochargeuse toujours utilisée par
Antoine Demmerlé et entreposée à l’extérieur, faute de place.
|
![](images/mma_133.jpg)
Deux autochargeuses au centre-village
(Marcel Thinnes et Jacques Stephanus).
Celle du premier plan est chargée de petites bottes.
Elle ne s’est pas chargée toute seule, contrairement à sa fonction.
|
Les presses à haute densité
apparaissent ensuite et permettent de réduire le volume du fourrage à
engranger car le foin est cette fois bien pressé, mais le poids des
bottes s’en ressent.
Notre John Deere 500 attelé d’une ramasseuse-presse Fahr à haute densité
Des équipements complémentaires
sont mis en place par l’un ou l’autre agriculteur du village : le
lanceur de bottes hydraulique fixé derrière la ramasseuse-presse, qui
permet le chargement direct des bottes de foin haute densité sur la
remorque et les remorques-cages permettant une meilleure stabilité du
chargement dans les dévers (Fernand Neu), ainsi que le groupeur de
bottes (Grégoire Muller).
___________________
(16). L’autochargeuse est une remorque-cage, à 2 roues, équipée d’un pick-up
qui ramasse le fourrage et d’un tapis roulant qui le transporte vers le
fond de la remorque. Pour décharger le fourrage, on ouvre la porte
arrière de la remorque et on fait marcher le tapis roulant dans le sens
inverse du chargement. Le mécanisme est mis en mouvement par la prise
de force du tracteur.
Groupeur de bottes destiné à être attelé derrière la presse.
Le déchargement et l’engrangement
de la récolte de foin et de regain se font désormais aussi
mécaniquement, au moyen de la déchargeuse à griffe, appelée encore
engrangeur (de Hauàblààder ou Greifer) (17).
Déchargeuse et son charriot. A droite le treuil.
________________
(17). L’engrangeur à griffe a un rail fixé le long du faîtage du fenil. Un
petit charriot (de Lààfkàtz), portant une griffe suspendue à un câble,
circule le long de ce rail. Grâce à des cordes agissant sur un treuil
mû par un moteur électrique, on commande la griffe qui descend ouverte,
dans la grange ou, selon le cas, le long du pignon, sur la remorque
fourragère. En remontant, elle se ferme et se charge, monte et
s’enclenche sur le charriot qui la transporte alors le long du rail.
Une butée, disposée à l’endroit voulu, provoque l’ouverture de la
griffe et le déchargement de son contenu. Un contrepoids, parfois
visible en façade, permet le retour du chariot et la descente de la
griffe.
La première déchargeuse à griffe
est installée au village par l’entreprise Siebert de Hundling avant
1939 chez Charles Demmerlé, dans la rue des jardins (de Éddìnger Kàrl,
ìm Hohléck). Communication faite par André Neu
Il existe aussi de petites
griffes manipulées par la force des bras, au moyen d’une corde et
installées dans les fermes des Kìhbuure.
Déchargeuse à bras. Rhodes. A noter que le nœud
de la corde empêche la montée totale de l’engrangeur
Le déchargement se fait en
général à partir de la grange, mais aussi à partir du pignon (Florian
Stéphanus, de Schdèffe, rue des fleurs) et même à partir de l’usoir
situé devant la ferme (Emile Hiegel, rue de la montagne).
L’installation d’une déchargeuse à griffe suppose dans tous les cas une
transformation de la charpente au niveau de la travée grange-étable :
modification des fermes de la charpente ou construction d’un auvent du
côté du pignon ou en façade.
Le déchargement se fait au moins
à deux : une personne sur la charrette qui manie la griffe de la
déchargeuse et commande le treuil, et une autre au fenil qui
égalise le foin. En cas de forte chaleur, l’air est irrespirable au
fenil et ceux qui y travaillent sont exposés aux poussières et suent
beaucoup.
![](images/mma_139.jpg)
Dans la rue de la montagne, la ferme Hiegel
possède un auvent en façade. Photo des années 60.
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![](images/mma_140.jpg)
La ferme Meyer de la rue des jardins a
un auvent du côté du pignon, ce qui est plus courant.
|
Peu de souffleurs à foin ou aéro-engrangeurs (e Haublääser)
sont mis en service, sinon là où l’installation d’une déchargeuse n’est
pas possible par manque de place. C’est justement le cas pour
l’exploitation de Jean Pierre Freyermuth : sa ferme, suite à des
transformations, est dépourvue de grange et toutes les récoltes de foin
et de regain doivent être mises à l’abri au fenil, par l’intermédiaire
d’une gerbière. Le déchargement se fait donc à partir de la rue, soit
manuellement, soit au moyen d’un souffleur à foin ou aéroengrangeur,
installé devant la maison et actionné par un moteur électrique ou le
tracteur. (18) D’autres souffleurs à foin fonctionnent chez Joseph Phillip et Joseph Stock.
(18). Le
paysan décharge la remorque au moyen d’une fourche et jette le
fourrage dans la trémie de la machine où un puissant ventilateur mis en
mouvement électriquement "souffle" le fourrage dans une grosse
tuyauterie (60 à 80 cm de diamètre) qui monte dans le fenil. Cet engin
provoque beaucoup de poussière et n’est pas très apprécié des personnes
chargées d’égaliser le foin au fenil.
La terre aux souliers. Paul de Busson et Michel Laurillard. Edition Serpenoise.
Un élévateur à bottes est même
installé au village dans les années 80 par un exploitant dans le but de
remplacer la déchargeuse à griffe inadaptée pour engranger les bottes
de foin ou de regain parfois un peu lourdes.
La grange Lauer de la rue des jardins.
Notez l’auvent permettant à la griffe de la déchargeuse
de monter et descendre, ainsi que l’élévateur à bottes,
installé plus tard et rendant l’utilisation de la déchargeuse désormais impossible.
L'élévateur et l'auvent viennent d'être démontés recemment.
En ce qui concerne le fauchage,
dans la seconde moitié du 20° siècle apparaissent des barres de coupe
plus performantes, à double lame, pourtant encore sujettes au bourrage,
puis des faucheuses rotatives à tambours et à disques, sur le principe
des tondeuses à gazon. Ces nouvelles faucheuses, portées à
l’arrière du tracteur grâce au système de relevage trois-points,
permettent d’éviter le bourrage dû aux taupinières et à l’herbe coupée
traînant sur le sol et par là amènent un gain de temps non négligeable.
Actuellement les faucheuses-conditionneuses permettent de réduire le
temps de séchage du fourrage.
Faucheuse-conditionneuse.
(tracteurs-actuels.fr)
En ce début de 21° siècle, la
fenaison a perdu de son importance au profit de l’ensilage et d’autres
machines ont vu le jour, telle l’ensileuse, les presses à balles rondes
(les rounds ballers) et à grandes bottes, les enrubanneuses, les
chargeurs manuscopiques.
Les râteaux faneurs ou
andaineurs, ainsi que les remorques sont devenus gigantesques. Le
travail s’est mécanisé de telle sorte qu’une seule personne peut
désormais s’occuper, sans fatigue, de toutes les différentes phases de
la fenaison.
Andaineur à 2 rotors, largeur de travail jusqu’à 6,45 m.
(Gaec Saint Valentin)
3.4. La moisson
Même si dans nos villages les
exploitations étaient de taille réduite, la moisson requérait aussi une
main d’œuvre importante et le battage des céréales occupait une bonne
partie de l’automne, sinon de l’hiver. Les premiers outils utilisés dans l’Histoire, pour la moisson, sont la faucille, puis la faux à manche.
Si l’utilisation de la faucille pour couper les céréales disparaît entièrement au cours du 19° siècle, l’usage de la faux
perdure pour les petites parcelles de quelques ares.
La faux devient l’outil-roi de la
moisson au 19° siècle. Cette faux exclusivement utilisée pour la
moisson et appelée faux armée (de Flètsch) est munie d’un dispositif
destiné à rabattre les céréales.
Faux armée pour la moisson (de Flètsch), faucille (de Sìschel) et coffin en corne (de Kùmb),
porté à la ceinture et contenant la pierre à aiguiser (deWètzschdèèn).
Si un faucheur à la faucille
pouvait moissonner entre 15 et 20 a à la journée, un bon faucheur à la
faux faisait entre 40 et 50 a de blé ou de seigle, et même de 60 à 65 a
d’orge ou d’avoine.
La moissonneuse mécanique
brevetée par Mac Cormick en 1834 et présentée à l’Exposition
Universelle de Londres en 1851 remplace avantageusement la faux armée.
Cyrus Mac Cormick se fait fort de faire moissonner 5 ha par jour par 2
personnes.
Le monde agricole accueille avec enthousiasme
la première moissonneuse. On voit les javelles derrière
le passage de la machine.
(Photo Dominique Pascal. Tracteurs de chez nous)
La faucheuse-moissonneuse Osborne
est en fait une faucheuse, à laquelle on a adapté un dispositif pour
moissonner, c’est-à-dire pour former des javelles. Son emploi est
généralisé dans les fermes, avant 1939, et perdure jusque dans les
années 1960, surtout chez les petits exploitants.
En haut la faucheuse mécanique et en dessous la même machine appelée faucheuse-moissonneuse et
transformée pour la moisson par l’adjonction d’un second siège et d’un tablier distributeur à l’arrière de la barre de coupe.
L’aide prend place à côté du conducteur et avec un râteau spécial, rabat les tiges sur la scie et forme les javelles.
Il peut relever et rabaisser le distributeur avec son pied. Le distributeur relevé ramasse les tiges coupées.
Si la quantité de tiges coupées est suffisante pour en faire une
javelle, on rabaisse le distributeur et la javelle glisse sur le sol.
Une troisième personne pose un lien au sol, une quatrième personne ramasse la javelle avec une faucille
et la pose sur le lien. Enfin une cinquième personne noue le lien.
La gerbe est ainsi confectionnée. Il ne reste plus qu’à dresser les gerbiers.
![](images/mma_150.jpg)
Râteau à javelles, de Léggerèsche.
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![](images/mma_151.jpg)
Liens pour nouer les gerbes, Schtränckle. Après la guerre, on utilisa du câble téléphonique US récupéré, Hockékààbel.
|
Familles Jean-Pierre Freyermuth et Nicolas Lenhard pendant la moisson.
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Famille Henri Hoffmann
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Les chevaux en plein effort.
La moissonneuse-javeleuse (de
Sèèlbscht àbléijer) a l’avantage de faire des javelles toutes identiques
et de dégager le passage des chevaux pour le tour suivant, de sorte que
l’on peut moissonner le champ, sans avoir à déplacer les javelles à chaque tour. Il ne
semble pas qu’une telle machine ait fonctionné dans le village.
La javeleuse est équipée d’un tablier et d’une série
de râteaux qui rabattent les tiges sur la scie, forment
les javelles et les évacuent sur l’arrière.
Cette machine apparaît dès 1870
dans les fermes et son rendement est de 2 à 3 ha par jour. Elle ne
s’imposera jamais car sa qualité de travail est contestée : les
javelles sont mal faites et disposées de façon inégale. Une telle
machine ne semble pas avoir fonctionné au village.
La moissonneuse-lieuse (de
Bìnner) est un progrès considérable car les gerbes sont nouées
automatiquement, elles sont bien régulières et le gain de temps est
important. Le rendement est de 4 à 6 ha par jour pour une machine tirée
pour 3 chevaux remplacés toutes les 4 h (19).
Dans cette publicité pour la moissonneuse-lieuse,
la chronologie n’est pas respectée,
car le passage de la faux à la moissonneuse-lieuse
se fait par des étapes intermédiaires (faucheuse-moissonneuse, javeleuse).
Cette machine est aussi à
traction animale et elle apparaît timidement dans nos villages pendant
la Seconde Guerre mondiale. Les petits exploitants, ceux qui
utilisent des vaches de trait et qui les remplaceront plus tard par un
tracteur, continuent de moissonner avec la faucheuse dotée du système
Osborne.
_________________
(19). La
moissonneuse-lieuse comprend un moulinet-rabatteur (de Hàschbell) qui
couche les tiges sur la scie (de Bàlge) derrière laquelle se trouve un
tapis roulant transporteur (en fait une toile renforcée de liteaux)
suivi de deux toiles élévatrices qui amènent les tiges sur la table de
liage où les gerbes sont liées et évacuées sur le côté.
Ce sont les exploitants aisés,
les (Pèèrdsbuure) qui se lancent dans l’achat d’une
moissonneuse-lieuse. Les premières de ces machines sont acquises par
Chrétien Stephanus et Joseph Greff pendant la guerre, ce sont des
machines Cormick Deering (communication d’André Neu). L’utilisation
ultérieure du tracteur oblige à changer le dispositif d’attelage et les
roues de transport sont désormais munies de pneus.
Plus tard de petites
moissonneuses-lieuses JF apparaissent aussi au village (Jean Koch et
Pierre List). Ces dernières n’ont qu’une seule toile derrière la barre
de coupe.
Moissonneuse-lieuse pour tracteur
(machineagricole47.centerblog.net)
La coupe peut se trouver à droite ou à gauche,
elle peut mesurer 1m 50, 1m 80 et même 2m 10,
voire 2m 40 pour la traction mécanique.
La traction animale se fait au moyen de 2 à 4 chevaux.
Un attelage spécial existe pour des bœufs, sans palonnier ni
barre de recul, mais avec un dispositif pour fixer le joug.
Moissonneuse-lieuse JF Heywang au travail.
(lepopulaire.fr)
La faux armée continue pourtant
encore à rendre service jusqu’à l’avènement de la moissonneuse-batteuse
pour "détourer" un champ, c’est-à-dire pour faucher un passage de la
largeur de l’attelage de chevaux ou de la largeur du tracteur dans le
but d’éviter de coucher les céréales et de les perdre
(’s Schdìck
òònhawwe ou frèi määe).
Les gerbes sont bien alignées, le champ est presque moissonné.
Il ne reste plus qu’à rassembler les gerbes en moyettes, de Käschde schdélle.
Les familles Florian Stephanus–Guy Duché.
La moissonneuse-lieuse est mise en position de transport sur route
Facture de notre moissonneuse-lieuse achetée par l’intermédiaire du forgeron Schemel de Herbitzheim en 1952.
Le battage des céréales, qui
s’effectue encore dans la première moitié du 19° siècle au fléau, est
un travail long et pénible. Le fléau reste pourtant en usage avant la
guerre de 39-45 pour battre le seigle dont la paille sert à fabriquer
les liens des gerbes. Le battage au fléau permet de ne pas casser les
fibres.
L’apparition des machines servant
au dépiquage des céréales est un net progrès. L’égraineuse est
actionnée par deux personnes ou au moyen d’un manège et plus tard par
un moteur thermique ou électrique. Le nettoyage des grains au tarare (de Wònnmihl) reste
l’opération complémentaire du dépiquage.
André Neu se souvient du
fonctionnement d’une telle machine vers la fin de la seconde guerre
mondiale, lorsque le village était privé d’électricité (automne
44-hiver 45). Une égraineuse passait de grange en grange pour permettre
le dépiquage des céréales et remplaçait ainsi les batteuses mises au
repos par manque de courant électrique.
Le dépiquage est une opération qui consiste à séparer les grains des épis.
![](images/mma_166.jpg)
Lorsque l'égraineuse est mue par la force humaine, l'on ne présente que les épis, les tiges ne passent pas dans la machine.
(Eschviller 2014. Fête des saveurs et traditions).
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![](images/mma_167.jpg)
Tarare avec un crible entreposé dans la trémie.
La manivelle est absente sur la photo.
Le grain est nettoyé de ses impuretés (balle, poussières)
grâce à un ventilateur et trié au moyen d’un crible.
Le tarare remplace le vannage manuel qui se faisait
un jour de grand vent avec un panier spécial appelé van.
|
Photo www.jeantosti.com
La machine à battre ou batteuse
(de Dréschmaschinn) (20) combine les deux opérations : dépiquage et
nettoyage. Pour l’actionner, on utilise toujours la force animale
fournie grâce à un manège horizontal ou un manège à plan incliné qui
est en fait un tapis roulant appelé trépigneuse.
De nombreuses petites
batteuses plutôt artisanales sont installées vers la fin du 19° siècle
et au début du 20°, à point fixe, sur une plateforme, au fond des
granges, et actionnées par des manèges. Elles sont toutes assez
rudimentaires et n’ont souvent pas de tarare incorporé pour le
nettoyage des grains.
La paille est liée manuellement sur une table de
liage. Des tarares sont parfois rajoutés et fonctionnent avec la
batteuse, ce qui permet alors un gain de temps. Ainsi Adam Stephanus
(Schtrùmpwééwersch Ààdàm) a fabriqué un de ces tarares pour la batteuse
installée au fond de la grange. (communication de Nicolas Stephanus)
Ces machines sont raccordées au
réseau électrique après 1918 et certaines fonctionnent jusque dans les
années 70. Au village, les moteurs sont fournis par le ferblantier Alex
Grosz qui tient une quincaillerie rue de la montagne. (renseignement
André Neu)
__________________
(20). L’organe
principal de la batteuse est le batteur, en fait un cylindre horizontal
muni de « battes » (de Trùmmell) qui en tournant froisse les épis
contre le contrebatteur et en fait sortir les grains. Les organes
secondaires sont les secoueurs (de Schìttlere) qui secouent
énergiquement la paille à la sortie du batteur pour faire tomber les
grains coincés dans la paille, les dispositifs de nettoyage (le tarare
ou Wònnmihl) comprenant une soufflerie (e Blääser) destinée à chasser
la balle, les poussières et les menues pailles et à classer les grains
par densité, ainsi que des cribles (de Riddere) pour trier les grains par
grosseur.
(13 juillet 2014 Eschviller Fête des saveurs et des traditions).
Petite batteuse Nold produite à Salmbach en Alsace.
Cette batteuse en long, à secoueurs disposés en largeur,
(e Brèètschìttler) est destinée à être placée sur une
plate-forme au fond de la grange. Elle est équipée d’un
tarare nettoyeur de grains. La table de liage est visible.
Les trépigneuses demandent moins
de place qu’un manège horizontal et permettent aux entrepreneurs de
travaux agricoles de déplacer les batteuses de ferme en ferme. Il ne
semble pas que ce système ait fonctionné dans la région.
Le mouvement est transmis par courroie entre le plan incliné
et la machine (batteuse ou autre). Dans ce système, la position
du cheval est inconfortable et il ne peut « trépigner » plus de 20 à 30 mn sans pause.
La trépigneuse est remplacée par la machine à vapeur à partir de 1910.
Les machines à vapeur (la
locomobile), puis les locomotives routières, les moteurs électriques et
les premiers tracteurs prennent le relais pour actionner les batteuses
mobiles qui deviennent de plus en plus imposantes et performantes.
(La terre aux souliers. Paul de Busson et Michel Laurillard. Edition Serpenoise).
Battage au moyen du tracteur qui actionne la batteuse et
au moyen d’un moteur électrique-brouette qui actionne
la presse à paille. Normalement un seul moteur peut actionner
les deux machines. A cette époque, on ne pense pas trop au danger présent
à cause des longues courroies et l’on déplore de nombreux accidents.
La paille, à la sortie de la
batteuse, glisse sur un plan incliné fait avec des lattes et s’entasse
sur une table de liage fabriquée également avec des lattes. Elle est
mise en bottes manuellement et nouée de façon artisanale, avant
l’introduction de la presse (de Schtrohpréss) mise en mouvement comme
la batteuse, au moyen d’une courroie plate.
Le battage des céréales, qui se
pratique généralement en morte saison, à la fin de l’automne et au
début de l’hiver, exige une main d’œuvre abondante : 1 personne pour
poser les gerbes sur une sorte de petite table, 1 personne pour enlever
les liens (de Schträängle) ou plus tard, avec l’apparition de la
moissonneuse-lieuse, pour couper le lien de ficelle (de Schnùùr), 1
personne pour alimenter la batteuse en gerbes (ìnnlééje), 1 personne
pour nouer la paille (Schtroh bìnne), l’entasser et s’occuper des sacs
de grains. Le battage se fait le plus souvent au fond de la grange,
dans des conditions dures (bruit, semi-obscurité et poussière).
Les agriculteurs qui ne disposent
pas de lieu de stockage suffisant pour entreposer les gerbes dans
l’attente du battage, battent les céréales pendant la moisson,
directement à partir de la charrette.
Les modestes batteuses à poste
fixe de grange et les batteuses déplaçables munies de petites roues en
fer, dont différents modèles sont fabriqués à Achen par
l’entreprise Pétri (de Maschinne Pétri), fonctionnent jusque dans les
années 70.
.
Deux vues d’une petite batteuse mobile Pétri entreposée sous un hangar à Achen.
C’est une batteuse en long, à secoueurs en long, dotée d’un tarare nettoyeur de grains.
Deux autres vues d’une batteuse à poste fixe Pétri.
Le tarare (photo de droite) est fixé sous la dalle qui supporte la batteuse.
C’est toujours une batteuse en long, avec des secoueurs également en long.
La première grande batteuse
moderne du village, une batteuse en travers, est achetée par Joseph
Greff pendant la période 1940-1945 et c’est un modèle allemand Ködel
Böhm.(Renseignement fourni par André Neu)
(Publicité Kuhn pour batteuse mobile).
Ces batteuses en travers, à secoueurs en long (e Lòngschìttler) sont déplaçables
à l’extérieur de la grange, ou au moins sur le pas de la porte,
car il vaut mieux battre les céréales à l’air libre à cause de la poussière.
Une batteuse est dite « en travers » lorsque les tiges sont introduites parallèlement
à l’axe du batteur. C’est le cas des grandes batteuses. Dans le cas d’une
batteuse « en long », les tiges sont introduites perpendiculairement à l’axe du batteur.
On trouve des batteuses à poste
fixe dans les fermes suivantes : Henri Hoffmann (Hènnrische), Chrétien
Stéphanus (Jokkébels Krìschònn), Jean-Baptiste Neu, Florian Stéphanus
(Schòòndersch), Auguste Muller (Thìewels), Joseph Greff, André
Holtzritter, Florian Thinnes, Jean Koch, Pierre List (Muurhònse),
Joseph Philipp (de Chef Sépp), Henri Bour (Schaarls), Nicolas Kirch à
Hutting…
Batteuse à poste fixe Nold.
Claude Kirch. Hutting
Rodolphe Wendel et Jean Pierre
Pefferkorn achètent des modèles Pétri (voir ci-dessus). Jean-Baptiste
Neu achète en 1936 une batteuse Joder fabriquée à Rohrbach-lès-Bitche.
En général, les batteuses sont installées dans les granges des maisons
à 3 travées et plus,
celles qui appartiennent à des cultivateurs aisés, les laboureurs ou
Pèèrdsbuure. La place manque, pour leur installation, dans les granges
des maisons des journaliers, les Kìhbuure, et d’ailleurs l’achat d’une
batteuse n’est pas possible pour une petite exploitation.
Dans la grange Pefferkorn.
Batteuse à poste fixe Pétri. La peinture n’est pas défraîchie,
signe que cette machine n’a pas beaucoup travaillé.
Le tarare, qui a été démonté, est entreposé sur la batteuse.
Les agriculteurs qui n’ont ni la place ni les moyens d’un tel achat
vont chez leur voisin ou un membre de la famille : ainsi Nicolas
Lenhard (Schààcks Nìggel) bat ses céréales chez son voisin Florian Stéphanus (Schòòndersch) et Charles Rimlinger chez Joseph Philipp.
Les agriculteurs de Hutting, qui ne disposent pas encore du courant
électrique, ne peuvent battre leurs céréales sur place. Ils sont
obligés de les stocker dans leur fenil, puis de les recharger en
automne ou en hiver et de les amener chez un agriculteur de Kalhausen.
C’est en particulier le cas de Nicolas Kirch.
Une autre solution consiste à utiliser la grande batteuse mobile Lanz, achetée en 1942 par Florian Thinnes (Bàddisse Floriàn) et mise à disposition des agriculteurs du village ne possédant pas de semblable machine.
Une autre solution consiste à
utiliser la grande batteuse mobile Lanz, achetée après guerre par
Marcel Thinnes et mise à disposition des agriculteurs du village ne
possédant pas de semblable machine. Pendant la moisson, la batteuse est
installée dans un premier temps devant la maison, au début de la rue de
l’abbé Albert. Elle fonctionnera plus tard, à l’abri des intempéries,
sous le hangar édifié à gauche de la maison.
Les petits exploitants qui
n’ont qu’une ou deux remorques de céréales à battre peuvent utiliser
son installation qui fonctionne pendant 2 à 3 semaines, comme une
entreprise de battage. Une seule fois, la batteuse est installée en
dehors du village, sur le Wélschebèèrsch pour battre les céréales à la
demande. (renseignements fournis par Marcel Thinnes)
Dans les années 50-60, certains
agriculteurs qui ne veulent pas être tributaires de ce système et
acquérir plus d’autonomie, achètent ensemble une grande batteuse
moderne que l’un d’eux entrepose sous un hangar : à tour de rôle, ils
viennent chercher la machine pour s’en servir. C’était le cas notamment
de Jean-Pierre Freyermuth, Henri Hoffmann et les frères Gross qui
travaillent ainsi en coopération. Le premier bat ses céréales dans un
hangar élevé dans la rue des roses (à l’emplacement de la maison
Lerbscher détruite pendant la guerre), les seconds dans le hangar
qu’ils se sont fait respectivement construire dans la rue de la gare.
1970. Battage à domicile à Herbitzheim. La paille pressée
s’entasse sur l’usoir en attente de l’engrangement.
La batteuse et la presse à paille ont été installées dans
l’étable de gauche désaffectée. Les gerbes sont déchargées
de la remorque et directement battues.
L’avènement de la
moissonneuse-batteuse (de Mähdréscher) sonne le glas des
moissonneuses-lieuses et des batteuses qui sont pratiquement toutes
vouées à la destruction à cause de leur encombrement. (21)
La moissonneuse-batteuse apparaît
vers 1935 dans les grandes plaines françaises : elle est tractée par 2
forts chevaux ou un tracteur et actionnée par un moteur auxiliaire.
Avec une barre de coupe de 2,70 m, le rendement d’une telle machine est
de 8 ha par jour. Il suffit de 4 personnes pour assurer le service,
alors qu’il en faudrait une bonne douzaine si on utilisait la
moissonneuse-lieuse et la batteuse traditionnelles.
Seuls quelques "grands"
exploitants agricoles de nos régions se lancent dans l’acquisition de
ces engins. Dès après la guerre, une moissonneuse-batteuse tractée est
utilisée par Lang, métayer d’une des fermes de Weidesheim.
___________________
(21). La
moissonneuse-batteuse est une machine automotrice combinée en ce sens
qu’elle permet de réaliser deux opérations en une seule passe, la coupe
et le battage des céréales. Le grain est recueilli dans des sacs et
plus tard, dans une trémie placée sur la machine. La paille est
bottelée tout d’abord sur une table de liage fixée à l’arrière. Peu à
peu on abandonne le bottelage et la paille est rejetée en ligne
derrière la machine pour être pressée plus tard ou roulée.
Moisson sur le ban de Weidesheim.
Utilisation d’une moissonneuse-batteuse tractée.
Le tracteur semble être un Renault 3041, doté d’un
moteur 4 cylindres à essence d’une puissance de 30 cv.
La première moissonneuse-batteuse
automotrice du village est acquise par Joseph Muller en 1965, auprès
des établissements Wolff frères de Sarre-Union. C’est une Claas Europa
d’occasion, mais elle ne lui donne pas entière satisfaction et elle est
remplacée par une Claas Columbus neuve, l’année suivante.(renseignement
fourni par Christian Muller)
Ces machines modernes sont alors
servies par deux personnes : le conducteur et derrière lui, un aide,
debout sur une petite plate-forme, qui s’occupe du remplissage des sacs
et de leur fermeture. On fait glisser à terre, au moyen d’un petit
toboggan, le sac rempli et noué. C’est Raymond Lohmann qui seconde
Joseph Muller pendant la moisson. La paille est directement bottelée à
la sortie de la moissonneuse-batteuse, ce qui n’est plus le cas
actuellement.
Fernand Neu acquiert ensuite une
Claas Mercur et moissonne pour les particuliers avec l’aide de Philippe
Freyermuth. Son frère André, qui s’est installé à Siltzheim, acquiert,
pour sa part, une Claas Matador déjà équipée d’une trémie et travaille
pour les particuliers du village jusque vers 1975-1976.
Pour éviter un trop grand
investissement, quelques exploitants achètent de petites
moissonneuses-batteuses Massey-Ferguson ou Fahr d’occasion (Grégoire
Muller, Joseph Stock, Adolphe Lenhard) ou des JF portées (Emile Hiegel,
Jacques Stéphanus). Mais ces machines sont rapidement abandonnées et
remplacées parce qu’elles ne sont pas assez performantes pour les
premières (barre de coupe de 1,80 m seulement, moteur à essence) ou mal
conçues pour les secondes (radiateur du tracteur toujours encombré par
les débris de paille).
![](images/mma_185.jpg)
Adolphe Lenhard.
Petite moissonneuse-batteuse Massey-Ferguson
830 à moteur Peugeot. Largeur de coupe 1m80.
Année 1990
|
![](images/mma_186.jpg)
Moissonneuse-batteuse portée
JF Modèle MS 70 Coupe 1m50.
|
Le travail reste pénible à cause
du bruit de la machine, de la poussière et de la chaleur dégagée par le
moteur qui tourne à plein régime.
Certains conducteurs de ces
machines supportent difficilement et la chaleur et la poussière et
essayent par des moyens de fortune de s’en protéger, soit en dotant le
poste de conduite d’un parasol, soit en portant carrément parfois un
masque à gaz, comme le fait un jour Joseph Muller. (anecdote rapportée
par Adrien Simon (+ mars 2017).
Et quand le champ est moissonné,
il faut encore soulever les lourds sacs pour les charger sur la
remorque. De retour à la ferme, les sacs doivent être déchargés à dos
d’homme et souvent montés à l’étage de l’appentis, voire au grenier. Le
travail reste pénible.
La remorque à plateau est bien chargée pour le retour à la ferme
Plus tard des élévateurs à grain
remplacent le déchargement manuel et les moissonneuses-batteuses sont
dotées d’une cabine climatisée et insonorisée. Les grains sont
désormais récupérés dans des trémies fixées sur la machine, puis
transbordés dans des remorques-bennes. Comme pour la fenaison, une ou deux personnes s’occupent de nos jours de toutes les phases de la moisson, sans trop de fatigue.
3.5. Autres travaux
L’entretien des cultures
Pour enrayer la croissance des
mauvaises herbes, il faut au cours de l’été sarcler les betteraves et
les pommes de terre. Le sarclage se fait manuellement grâce à la houe
(de Hàck), mais la traction animale permet aussi de réaliser cette
opération grâce à la houe à cheval (de Hàcker). Cet engin se transforme
en buttoir (de Hiffler) pour butter les pommes de terre.
Le dernier cheval du village est
utilisé jusque dans les années 70 par Auguste Muller pour tirer cet
engin. Il est même prêté aux autres exploitants pour cette utilisation.
Plus tard, le motoculteur effectue ces travaux avec moins de
contraintes.
Houe à cheval.
(webmuseo.com)
L’échardonnage des champs de
céréales se fait grâce à une petite lame fixée au bout d’un manche,
l’échardonnoir (e Dìschelschdèscher).
Le traitement chimique apparaît
également dans les années 60-70 pour traiter les mauvaises herbes dans
les céréales : les premiers pulvérisateurs sont destinés à la traction
animale et montés sur roues.
André Neu. Pulvérisateur porté de fabrication artisanale .
Les récoltes d’automne
Le repiquage de printemps et
l’arrachage des betteraves en automne se font toujours à la main, ainsi
que leur chargement et encavement.
La plantation et la récolte des
pommes de terre s’effectuent au moyen de la simple charrue : le soc
enterre ou déterre les tubercules et il faut encore remuer la terre au
moyen de la pioche à deux dents (de Kààrscht) pour mettre à jours ceux
qui sont restés enterrés.
L’arracheuse de pommes de terre
(de Grùmmbèrre Ussmàcher) est la seule machine utilisée en remplacement
de la charrue, mais elle ne fait pas le calibrage, ni le ramassage
comme les machines actuelles (22). Peu d’exemplaires sont utilisés au
village.
Arracheuse de pommes de terre traînée destinée à la traction animale.
Un cerclage de roues permet de rouler sur route.
(fr.topic-topos.com)
___________________
(22). Un soc de
forme triangulaire soulève la butte renfermant les tubercules et les
fourches montées sur un tambour rotatif, mis en mouvement par les
roues, séparent les pommes de terre des fanes et de la terre.
La terre aux souliers. Paul de Busson et Michel Laurillard. Edition Serpenoise.
Les transports
La charrette à 4 roues est le
moyen de transport le plus usuel : elle se compose d’un avant-train
relié par une poutre (de Lòòngert) à l’arrière-train. Fabriquée par le
charron du village, en collaboration avec le forgeron pour les parties
en fer (cerclage des roues, essieux, freins à manivelle et à sabots :
de Mékanick) elle est presque entièrement en bois (e
Holzwòòn).
Charrette à ridelles ajourées
(Photos ala.u-strasbg.fr)
La charrette est une remorque à
ridelles pleines (e Dielewòòn) ou à ridelles ajourées appelées des
échelles (e Lèèderwòòn). L’on passe très facilement du stade ridelles
pleines au stade échelles.
Les transports de fumier, de
bois, de betteraves, de sacs de pommes de terre ou d’autres matériaux
exigent des remorques à ridelles pleines. Cette configuration est
utilisée par conséquent en automne, en hiver et au printemps.
Les bœufs tirent avec un joug.
La terre aux souliers. Paul de Busson et Michel Laurillard. Edition Serpenoise.
Pour la fenaison et la moisson,
on utilise les échelles. La remorque plateau (e Prìttschewòòn) remplace
peu à peu la remorque à ridelles, car elle a une plus grande surface de
base que la remorque à échelles et elle est plus facile à charger.
L’empattement de la charrette
pouvait se régler en faisant coulisser l’arrière-train le long de la
poutre centrale : pour les charges lourdes, l’idéal était un
empattement court, mais pour les charges plus légères, l’on pouvait
augmenter l’empattement. C’est ce que mon père faisait, avant la
fenaison, lorsqu’il passait du stade-ridelles pleines au stade-plateau.
La capacité de transport était ainsi augmentée pour rentrer le foin en
vrac.
L’idéal est bien sûr de disposer
de 2 charrettes pour ne pas avoir à effectuer les transformations du
stade ridelles pleines au stade ridelles ajourées et de pouvoir
disposer à tout moment de l’année de la charrette adéquate. Mais cela
est très rarement le cas.
Remorque plateau. On distingue l’espèce d’échelle (de Gàlsche)
et posée sur la charrette, la perche de sapin (de Wìesbòòm)
servant à arrimer le chargement en vue du transport.
Les ridelles pleines sont de
simples madriers de sapin (Wòònsdiele) d’une épaisseur de 4 cm pour une
largeur de 20 cm. Ils se placent sur les côtés et sont soutenus de
chaque côté par deux poteaux en bois ou en fer disposés obliquement (e
Kébbert). Ils se superposent et leur étagement peut varier
de 1 jusqu’à
3, selon le chargement. Le volume de chargement est fermé à l’avant et
à l’arrière par des planches clouées en forme de trapèze isocèle
(e
Koppbrètt).
Les ridelles pleines ont tendance à se déformer
lors d’un chargement de matériaux (terre, sable, pierres) lorsqu’il n’y
a pas de poteau de soutien central. Pour ne pas risquer leur rupture,
il faut alors les maintenir, les "bander" au moyen de chaînes passées
sous le chargement et tendues par un levier de bois.
Jean Pierre Hiegel, prêt à partir pour les champs, avec sa remorque à ridelles pleines.
Joseph Herrmann et un attelage de 4 chevaux pour transports difficiles.
Dans ce cas, on empruntait souvent un attelage à un voisin.
Attelage bovin à Herbitzheim.
La charrette à plateau est équipée à l’arrière de 2 perches (Héwwle)
servant à maintenir le chargement. Il peut aussi y avoir des perches à l’avant.
Les vaches tirent avec un collier (de Kùmmert).
Déblaiement de neige pendant la guerre 39-45.
On aperçoit bien les sabots du frein.
Jean Baptiste Neu et ses chevaux.
Dans nos régions, les chevaux ne tirent pas avec le collier, mais avec un bandeau de poitrail.
Photo André Neu.
On aperçoit sur la photo, outre la charrue, le fourgon hippomobile
du
boulanger Ferdinand Neu et la pompe à purin.
Le tas de fumier est caché
derrière un clayonnage de noisetier mis
en place en mai 1936 par les
soldats du 26° RI cantonnés au village.
Photo André Neu.
Départ pour les champs avec la charrette à ridelles ajourées
Un cric à manivelle (e Wìnn) ou à
levier (e Schméérbùck) permet de soulever la charrette à roues en bois
pour démonter les roues et graisser les moyeux avec une graisse
spéciale (de Kàrschschméér). Le graissage journalier n’est plus
nécessaire avec les roues munies de pneus, puisque les moyeux sont
dotés de roulements à billes ou à rouleaux parfaitement étanches et
graissés à vie.
![](images/mma_202.jpg)
Cric en bois à manivelle.
|
![](images/mma_203.jpg)
Cric en bois à levier.
(Forum-outils-anciens.com)
|
Les tombereaux ne sont pas
d’usage dans nos régions et on n’apprend à les connaître qu’en
Charente, pendant l’évacuation de 1939.
Déjà avant l’apparition du
tracteur, la charrette à roues en bois est peu à peu détrônée par la
charrette à pneus, (de Gùmmiwòòn), mettant ainsi pratiquement le charron
du village au chômage.
Réparation d’un avant-train de charrette par les employés du forgeron Léon Lett.
Il n’est donc pas rare de voir
des chevaux ou des vaches tirer une charrette avec des roues à pneus et
l’inverse est vrai également, un tracteur remorquant une antique
charrette avec des roues en bois. Dans ce dernier cas, la vitesse est
obligatoirement limitée pour éviter la casse, les secousses et le bruit.
C’est le forgeron du village qui
fait les ajustements nécessaires : adaptation d’un nouveau système
d’attelage pour le tracteur, remplacement des anciens essieux par
d’autres munis de freins à tambours et de pneus, installation du levier
de frein sur le timon pour que le frein puisse être actionné depuis le
tracteur (auparavant, le charretier marchait à côté de la charrette ou
derrière elle dans les descentes et actionnait le frein à sabots, de
Mékanick, en tournant une manivelle).
Le frein à sabots n’agissait que
sur les roues en bois arrière, plus tard les freins à tambours agiront
sur les roues avant et arrière grâce à 2 manivelles qu’il fallait
actionner l’une après l’autre. En général, les freins étaient actionnés
au début de la pente et agissaient pendant toute la descente. On ne les
ouvrait qu’à la fin de la descente.
La première charrette munie de
pneus est acquise auprès du forgeron Schemel de Herbitzheim, pendant la
guerre, par Rodolphe Wendel. L’essieu à pneus du fourgon hippomobile
qui servait pour la tournée de pain du boulanger Ferdinand Neu est
monté dans les années 60 sur la charrette d’André List. (communications
d’André Neu).
La charrette à châssis en bois
est remplacée ensuite par la charrette en fer, plus moderne et plus
solide. L’entreprise Bieber de Drulingen fabrique de telles remorques.
Trois de ces remorques Bieber ont été recensées au village.
Châssis en fer embouti de remorque Bieber.
Le levier du frein se trouve sur le timon (de Tissell)
et on peut tirer le frein depuis le tracteur grâce à une corde.
Beaucoup de petits transports
sont aussi effectués avec la charrette à bras (e Zìhwäänel),
principalement pour rentrer les récoltes des jardins (de
Gààrdeschdìgger) et surtout par les personnes ne possédant pas
d’attelage. Une plate-forme est même prévue, munie de ridelles, pour
charger le foin.
Jacques Lenhard au croisement de la rue des jardins et de la rue de la gare.
Jean Pierre Bruch et son épouse Monique rentrent de leur potager.
La charrette à 2 roues est une carriole à lait, servant à livrer
les bidons de lait à la coopérative laitière (e Mìllìschwäänel).
Dans les années 70-80
apparaissent des remorques spécifiques à 2 roues : les autochargeuses
(e Lààdewòòn), les remorques à bois (e Holzwòòn), les bennes (e
Kibber), les épandeurs à fumier (e Mìschtschprèèder), les tonnes à
lisier. Les remorques à bois et les petites remorques à plateau sont le
plus souvent des fabrications artisanales réalisées à partir d’un
essieu de voiture ou de camion.
Hubert Stock.
Remorque à bois fabrication maison d’une contenance de 6 stères.
L’évacuation de la litière des
vaches hors de l’étable est également mécanisée grâce à un
évacuateur-élévateur à chaîne qui évacue le fumier de l’étable et
l’entasse directement sur un tas. Joseph Muller disposait d’une telle
installation dans la rue de la Libération, et c’était la seule au
village.
Les autres agriculteurs utilisaient une brouette pour évacuer le fumier et l’entasser devant leur maison.
Brouette ayant appartenu à Henri Hoffmann (Hènnrische).
Longtemps le chargement du fumier
sur la remorque se fait manuellement au moyen de la fourche à 4 dents
(de Mìschtgàwwel) et le déchargement au moyen du croc à fumier (de
Gròòbe). Ce travail pénible est mécanisé plus tard par l’usage de la
grue à fumier (de Mìschtlààder) et de l’épandeur.
La terre aux souliers. Paul de Busson et Michel Laurillard. Edition Serpenoise.
Le chargement du fumier sur la
charrette était aussi tout un art : après avoir entassé le fumier à
hauteur des ridelles (1 ridelle par côté pour les transports légers, 2
ridelles pour les transports lourds), il fallait charger ensuite le
fumier en "bâtière", en prisme. Pour éviter de perdre quelques
fourchées de fumier en route, certains "battaient" la partie supérieure
du chargement, celle qui dépassait des ridelles, au moyen d’une batte
en bois,
(e Mìtschplätsch).
Actuellement presque tous les tas
de fumier ont disparu des usoirs et les opérations de chargement du
fumier se font rapidement et facilement au
moyen des tracteurs avec
chargeur frontal ou des engins manuscopiques.
André Neu et son Fendt F 20.
La remorque est bien chargée, départ pour les champs.
Gaec Saint Valentin. Epandeur à fumier moderne, à vis verticale.
La gamme Dangreville va de 14,5 T de charge utile à 32 t.
Le purin, qui est stocké dans une
fosse creusée sous le tas de fumier, doit être répandu de temps en
temps : une pompe à bras, fixe ou mobile, et plus tard une pompe
électrique (de Mìschsèèschbùmp), permettent le remplissage de la tonne
à purin (’s Mìschsèèschfàss) montée sur la charrette.
La pompe à purin est visible dans un coin de l’emplacement à fumier.
(Photo prise à Herbitzheim).
La paille qui doit servir de
litière est souvent trop longue, surtout celle de seigle, et on coupe
la botte en deux, dans le sens de la largeur, avec un coupe-paille (e
Schtrohschnieder).
Photo Shag Grosbliederstroff
Le nourrissage des bêtes
Les machines utilisées sont le
coupe-racines (de Dickrìeweràtz) qui sert à couper les betteraves
fourragères et le hache-paille (de Schtrohhächsler) qui réduit la
paille en petits morceaux pour une meilleure digestion.
Ces machines sont actionnées à la main par une manivelle et plus tard par un moteur électrique.
Il y a encore le concasseur à
grains (de Schrootmaschinn) qui écrase les céréales en farine plus ou
moins grossière et qui est mis en mouvement électriquement et le
cuiseur à feu de bois pour les pommes de terre destinées à l’élevage de
porcs. (de Grùmmbèrrekocher)
Grange Dellinger. Rue des roses. Concasseur à grains.
La traite des vaches
La mécanisation de cette
opération intervient vers le milieu de la seconde moitié du 20° siècle
et ne permet de traire qu’une seule bête à la fois. Certains
agriculteurs prennent l’initiative de traire dans les parcs à bestiaux
en été, pour ne pas avoir à rentrer et à sortir tous les jours les
vaches de l’étable. Ils utilisent une salle de traite mobile et la
machine à traire (de Mèlkmaschinn) est actionnée par la prise de force
du tracteur (de Zàppwèll). Mais cette configuration présente des
inconvénients (bidons de lait à transporter, travail sous les
intempéries) et elle est abandonnée au profit d’une salle de traite
fixe à la ferme.
(agriculture73.skyrock.com)
Le sciage du bois (renseignements fournis par André Neu)
Bien que ce ne soit pas un travail agricole, le sciage du bois est en étroite relation avec l’agriculture.
Avant guerre, le sciage du bois
de chauffage s’effectuait sur l’usoir de la ferme Neu au moyen d’une
scie à ruban à poste fixe appartenant à Charles Neu et actionnée par un
moteur électrique fixé à la façade de la maison. Les particuliers
ramenaient leur bois et le déchargeaient sur l’usoir. Il était ensuite
scié et rechargé sur la charrette.
Pendant la guerre et jusqu’en
1960, Jean Neu passait dans le village pour scier le bois au moyen
d’une scie à ruban fixée à l’arrière d’un tracteur Kramer
K 12
appartenant à l’entreprise de machines agricoles Petri d’Achen, où il
était employé.
(südkurier.de)
Le Tracteur Kramer K12 est doté d’ un moteur Deutz après 1939.
C’est un monocylindre horizontal refroidi par le système de la bouillotte.
Remarquez le volant d’inertie et la poulie de battage.
Après 1962, le sciage reprend à
la ferme Neu au moyen d’une scie à ruban sur roues entraînée par l’un
des tracteurs Fendt de la famille, au moyen d’une courroie plate.
Deux belles photos de sciage de bois conservées par André Neu et concernant sa famille.
Ci-contre, une moto-scie dont le moteur entraîne la lame et permet également de se déplacer.
(Photos André Neu).
Un véhicule Berliet portant une scie à ruban entraînée par un moteur de 9 CV.
Photo prise en 1935 à Saint-Louis-lès-Bitche.
(Photos André Neu).
Le jardinage
Jusque dans les années 70, les
travaux de jardinage se font entièrement à la main, au moyen des outils
traditionnels à manche : la bêche (de Schbààt), la houe (de Hàck), la
pioche (de Kààrscht), la binette (’s Grääbel).
Ce n’est que dans la décennie
suivante que la motoculture s’installe dans les jardins, avec
l’apparition du motoculteur d’abord, puis des machines plus
spécialisées comme les motobineuses et les motofraises. Ces machines ne
sont utilisées que pour la préparation du sol.
Petit motoculteur pour le jardin.
En 1958, mon père rachète un motoculteur de ce modèle
au curé Fuchs de Herbitzheim, muté à Benfeld.
Il l’utilisera uniquement pour sarcler et butter les cultures.
Il n’a jamais pensé à l’utiliser dans le jardin.
(www.framaa.fr)
Le Kubota T 720 (252 cm3) déterre les pommes de terre
4. Les moteurs inanimés
4.1 Les motoculteurs
Dès avant la Première Guerre
Mondiale, quelques constructeurs, comme Praga en République Tchèque ou
Stock en Allemagne, se lancent dans la fabrication de
charrues-automobiles ou motocharrues. Ce sont des engins immenses où
les socs de labour pouvant aller jusqu’à 6, sont solidaires de la
partie motrice le plus souvent à 2 roues frontales. Ces machines ne
s’imposent pas à cause de leur manque de polyvalence et de leur
inadaptation aux petites exploitations.
(vieilles-soupapes.grafbb.com)
Moline, aux Etats-Unis, conçoit
en 1914, dans le même état d’esprit, un engin porte-outils, appelé
"tracteur universel", composé d’un avant-train motorisé auquel peuvent
s’atteler des outils aussi divers qu’un cultivateur, une charrue, un
pulvériseur, un semoir, une moissonneuse-lieuse. Le conducteur
s’installe à l’arrière, sur la machine tractée et pilote l’ensemble
comme un gros motoculteur.
Tracteur Moline
(vieilles-soupapes.grafbb.com)
(mototracteurs.com)
Le concept du motoculteur est né
et les constructeurs comme Somua, Agro, Simar, Soberfon, plus tard
Bouyer, Staub et Energic vont mettre sur le marché toute une gamme
d’engins à 1 ou 2 roues motrices, proposés à un prix modique et
destinés aux petites exploitations qui veulent commencer à se
motoriser. Mais le motoculteur reste cantonné dans la viticulture et le
maraîchage et n’apparaît pas, à de rares exceptions, dans nos villages,
avant les années 1970.
A gauche, motoculteur Somua 5 cv refroidi par eau.
A droite, motoculteur Agro.
(Photos Tracteurs de chez nous. Dominique Pascal. Editions MDM)
(La Traction mécanique en Agriculture Tony Ballu
Edition La Maison Rustique)
A Herbitzheim, 3 gros
motoculteurs Soberfon sont livrés dans les années 1960 par le forgeron
Léon Schemel à des particuliers. L’investissement pour un tel engin est
certes moindre que pour un tracteur, mais la conduite du motoculteur
n’est pas aisée et ce sont exclusivement des ouvriers-paysans,
propriétaires d’une petite exploitation, qui en font l’acquisition. Ces
engins sont utilisés pour tracter la charrue (le conducteur est alors à
pied), la faucheuse mécanique et la remorque à quatre roues (le
conducteur prend place sur un siège).
Les motoculteurs Soberfon sont fabriqués à Lyon.
Le modèle S125 avoue 12 CV. Il a 5 vitesses AV et 1 AR.
(vieilles-soupapes.grafbb.com)
Le motoculteur moderne, de marque
française (Staub, Bouyer) ou étrangère (Honda, Iseki, Kubota…) sert
surtout dans les travaux de jardinage pour la préparation du sol
(utilisation avec charrue et fraises), mais aussi pour le
sarclage, le buttage et l’arrachage des pommes de terre, ainsi que le
fauchage et le transport.
Motoculteur Honda F 700 acheté en 1979 par Adolphe Lenhard
pour la somme de 10 000 F, accessoires compris. Le réservoir n’est pas d’origine.
4.2 Les tracteurs après 1940
Après la période d’euphorie qui
suit directement la victoire de 1945, on peut croire que l’évolution de
la motoculture va rapidement prendre son essor. Ce n’est pourtant pas
encore le cas, malgré de nombreux tracteurs importés des USA suite au
plan Marshall, comme les Ford Ferguson, les Massey-Harris, les
International, les Allis-Chalmers. En 1955, il n’y a encore que 323 000
tracteurs en France, dont la plupart à essence (207 000). Cela
représente environ 5% des exploitations agricoles et le cheval de trait
est toujours le roi de la traction.
Le véritable coup de pouce est
donné à la motoculture par la création administrative, le 1er juin
1956, du "fuel domestique" détaxé. Cette décision du gouvernement
permet au moteur diesel de s’imposer dans l’agriculture, au détriment
du moteur à essence. Même si le tracteur diesel est plus onéreux à
l’achat (de 25 à 35 %), son utilisation est plus économique : en effet
le litre de fuel domestique ne vaut que 18 à 19 F en 1958 (soit entre
40 et 43 centimes d’euros actuels), alors que l’essence détaxée vendue
aux agriculteurs coûte 53 F le litre (soit 87 centimes d’euros
actuellement). (www.leparticulier.fr)
D’autre part, les progrès
réalisés par les pneumatiques agricoles (apparus dès 1932) et la
généralisation du relevage hydraulique ainsi que l’attelage
trois-points et le blocage du différentiel permettent au tracteur de
s’imposer face à la traction animale. Les tracteurs à chenilles, qui ne
représentent que 7% des ventes en 1959 et dont les premiers exemplaires
sont apparus en France après 1918 sur châssis de char Renault, perdent
de leur importance au profit du tracteur monté sur pneus.
Enfin le développement des prises
de force, dispositif déjà inventé en 1906 par la société française
Gougis, fait complètement disparaître les moteurs auxiliaires montés
sur certaines faucheuses, ramasseuses-presses ou
moissonneuses-batteuses.
La silhouette générale du
tracteur se fige, malgré quelques exceptions et innovations furtives.
Dans sa conception et sa forme, le tracteur standard dérive de
l’automobile : la majorité comporte 4 roues, dont 2 motrices et 2
directionnelles. De nombreuses variantes ont pourtant existé plus ou
moins heureusement sans parvenir à s’imposer : 2 roues directrices AV
et une roue motrice AR en forme de cylindre, 2 roues directrices AV et
des chenilles AR, 2 roues motrices AR et 1 ou 2 roues directrices
jumelées AV.
Des modèles originaux
apparaissent aussi, mais demeurent éphémères. C’est le cas d’un engin
au design étrange, imaginé par deux techniciens agricoles et baptisé
par eux "tracteur moderne". Il s’agit d’un tracteur LTB (pour Louis
et Tony Ballu), d’une puissance de 17 CV, produit seulement à 200
exemplaires après-guerre à partir de surplus américains (moteur de
Jeep Willis et transmission GMC).
Drôle de silhouette pour un tracteur moderne !
(Le machinisme agricole Tony Ballu
Presses Universitaires de France 1951)
(forum.grostracteurspassion.com)
Le tracteur de type tricycle
(LTB, Mac Cormick, Allis Chalmers et Deering) utilise la technique des
roues jumelées, mais ne s’impose pas. Au début des années 60, Jean
Pierre Freyermuth, par l’intermédiaire de Nicolas Lenhard fils, achète
en Meuse un tracteur occasion de ce genre, un Allis-Chalmers. Mais cet
engin ne lui donne pas satisfaction et il acquiert en 1967 un tracteur
"normal", un Vendeuvre Super BM 57 de 1955.
Le modèle WC (C pour cultivating), d’une puissance de 25 cv,
est produit de 1948 à 1953. Il peut fonctionner à l’essence ou au pétrole.
Il ne dispose pas de barre de coupe latérale, mais d’une
faucheuse arrière traînée. Ce tracteur de fabrication américaine
a été importé en France grâce au plan Marshall.
Il a été conçu plutôt comme un engin porte-outils ventral.
Jean Pierre Freyermuth et son épouse Elisabeth
rentrent des champs sur leur Vendeuvre Super BM 57 de 1955.
![](images/mma_239.jpg)
La carte grise du tracteur
Le dispositif Ferguson (relevage hydraulique et attelage trois-points)
se généralise après 1960 sur la plupart des tracteurs commercialisés :
désormais le contrôle de l’outil attelé, surtout en profondeur de
travail, se règle depuis le poste de conduite. De plus, l’outil est
facilement et rapidement relevé pour le transport sur route, ce qui
équivaut à un gain de temps, enfin les manœuvres sont facilités avec un
outil porté et non tracté. Certes des systèmes de relevage existent
déjà auparavant pour les charrues, avec leviers déportés et ressorts de
compression, mais ils sont difficiles à mettre en œuvre.
Au fil des décennies, le poste de
conduite du tracteur est amélioré : siège suspendu pneumatiquement,
réglable en hauteur et confortable, cabine chauffée, insonorisée, puis
climatisée remplaçant la simple tôle et le pare-brise du Lanz
d’avant-guerre.
Dès 1959, des auvents Buisard en
toile imperméable apparaissent, suivis immédiatement par la cabine
légère en plastique Fritzmeier. Désormais la cabine est rigide et
comporte depuis 1976 un arceau de sécurité incorporé obligatoire.
Publicité pour la cabine Buisard.
(forum.grostracteurspassion. com)
André Meyer sur son Massey-Ferguson équipé d’une cabine Fritzmeier.
La particularité de cette cabine est le pare-brise relevable.
Cabine artisanale sur le Fordson Power appartenant à Adolphe Lenhard
Avec le tracteur apparaît aussi
le problème d’achat et de stockage du carburant et de l’huile de
lubrification du moteur. Le dépôt de carburants le plus proche se situe
à Sarralbe, ce sont les établissements Werner situés au port du canal.
Deux ou trois grands fûts métalliques de 200 l sont alors acquis pour
stocker le carburant. Les modalités de livraison ne sont pas aussi
simples qu’aujourd’hui.
Le camion-citerne possède des compartiments
pouvant contenir 1000 ou 2000 l. Comme il n’y a pas de compteur
volumétrique sur le camion de livraison, les citernes sont pré-remplies
du volume commandé (en général 500 l ou 1 000 l). De plus, le tuyau de
livraison n’est pas très long, il n’y a pas de pompe et donc tous les
endroits de stockage ne sont pas accessibles. Aussi faut-il souvent
rouler les fûts vides au bord de la route, les faire remplir et ensuite
de nouveau les remiser dans le hangar ou l’étable, avec tous les
risques que cela suppose. (renseignements fournis par André Neu)
![](images/mma_244.jpg)
|
Il est spécifié que les clients doivent vérifier le niveau du liquide
dans la citerne avant la livraison et contrôler que les citernes
sont complètement vides après le transvasement. (Collection personnelle).
Les premiers tracteurs agricoles
apparaissent sur le ban de la commune en 1941 à Weidesheim et
correspondent à une dotation des autorités allemandes en compensation
des dommages de guerre subis.
Ce sont des Lanz Bulldog à boule chaude, d’une puissance de 30 cv et qui ont des roues à bêches en fer. (23)
____________________
(23). Il s’agit
du nouveau modèle HR7 lancé en 1937 dont la version D 8506 est montée
sur pneus à l’origine. Mais la pénurie de caoutchouc avait nécessité un
montage sur roues fer, ce qui ne facilitait pas les déplacements. Quand
il fallait traverser une route goudronnée, l’on était obligé de poser
des madriers pour faciliter le passage.
Louis Greff, métayer de la
première ferme gardera ce matériel jusqu’à son départ de Weidesheim en
1956. Rodolphe Muller remplacera le Lanz dès 1945 par un Farmall Diesel
FCC. (renseignements fournis par André Neu)
Chacune des deux fermes est ainsi
dotée d’un tracteur et d’autres équipements agricoles tels qu’une
moissonneuse-lieuse, une charrue traînée Eberhardt à 2 socs, une
déchaumeuse à disques, un semoir à cheval et une herse à 3
compartiments (renseignements fournis par André Neu).
Contrairement aux fermiers de
Weidesheim, les agriculteurs du village prennent possession de vaches
et de chevaux de trait en remplacement de leur bétail perdu lors de
l’évacuation de 39. Seules les grandes fermes sont dotées de tracteurs
par les autorités allemandes. Aucun tracteur n’est donc disponible à
Kalhausen pendant la période de la guerre.
Pourtant un tracteur fait
furtivement son apparition au village en automne 1945 : c’est un
tracteur à chenilles, peut-être de la marque Hanomag et missionné par
les autorités françaises pour remettre en état les parcelles en friches
susceptibles de renfermer des munitions non explosées. L’engin blindé
est piloté par un prisonnier de guerre allemand et fait partie de
l’opération de déminage de la Moselle. (renseignements André Neu)
Il en va tout autrement dans le
village voisin alsacien de Herbitzheim. Au retour de l’évacuation en
Haute Vienne, les habitants de cette commune sont soumis pour la durée
d’une année à un système collectif de mise en culture des terres
agricoles de leur ban, laissées en friches depuis l’évacuation de 39.
Tous les travaux de culture sont exécutés en commun par des volontaires
rémunérés et deux tracteurs sont mis à disposition par les autorités
d’occupation : un Lanz Bulldog de 30 CV à roues en fer (modèle HR7
version 8500) et un autre Lanz à chenilles de 55 CV (modèle D 1561).
Chaque machine est confiée à 2 chauffeurs qui se relayent au volant.
Différentes vues de ces tracteurs avec leurs conducteurs.
Le semi-diesel à boule chaude
connaît un immense succès avant et pendant la guerre de 39-45. Le
démarrage du moteur, un monocylindre horizontal, sans soupapes, est
particulière : pour que l’allumage et la combustion du mélange
air-combustible pulvérisé puisse se faire, il faut préalablement
chauffer la partie antérieure de la culasse formant boule chaude. Une
lampe à souder à essence est fournie avec le tracteur et un emplacement
spécifique est prévu pour son rangement.
Ce tracteur peut aussi démarrer à
l’essence, car il possède une bougie d’allumage spéciale alimentée par
un accumulateur. Ce mode de démarrage est instantané, et ne nécessite
pas de préchauffage.
La mise en route du moteur se
fait à la main, sur le côté gauche du tracteur, au moyen de la colonne
de direction qui peut se désolidariser de sa base et en balançant le
moteur dans un sens puis dans l’autre.
Il peut arriver que le moteur
parte à l’envers et il faut alors couper l’injection pendant quelques
secondes au moyen du levier de la pompe manuelle et le faire repartir
dans le bon sens. Si le moteur tourne trop longtemps à l’envers, le
graissage par pompe du vilebrequin ne se fait plus et cela peut
détériorer le moteur.
Malgré sa rusticité, se
fiabilité, ses frais d’entretien réduits et sa capacité à brûler des
carburants aussi variés que l’huile de vidange par exemple, le
semi-diesel a rapidement montré ses limites : raideur des commandes,
consommation élevée en fuel et huile de graissage, vibrations fortes et
bruit engendrant fatigue et inconfort.
Le moteur semi-diesel est peu à peu délaissé après 1945 au profit du moteur à essence, puis du moteur diesel.
De nombreuses marques
commercialisent le semi-diesel, les plus connues étant la firme
allemande Lanz de Mannheim (absorbée par John Deere) et la Société
Française de Vierzon (absorbée par Case). Notons encore Bolinder
(Suède), Landini (Italie), le Robuste (Hongrie) et le Percheron
(fabriqué par la SNCAC de Colombes).
Les semi-diesels qui exploitent tous le système Lanz ont des airs de ressemblance.
A gauche un Robuste et à droite un Percheron.
Tout juste après guerre, le
surplus de l’armée américaine sert dans l’agriculture et la Jeep
militaire devient à usage agricole. Mon père acquiert un de ces engins
provenant des surplus américains et il l’utilise dans l’exploitation
agricole, pour tracter la faucheuse mécanique, la charrue bisocs, la
herse et la charrette. La Jeep est utilisée en complément des chevaux
qui sont employés, par le grand-père, pour d’autres travaux comme la
traction de la faneuse à fourches ou du râteau. (24)
_________________
(24). Les jeunes
générations (mon père n’a pas encore 30 ans à l’époque) sont portées
vers le progrès et la mécanisation et il a déjà goûté à la motorisation
agricole en 1941, puisqu’il était l’un des conducteurs du chenillard
Lanz dont il est question plus haut. Mon grand-père par contre a
dépassé la soixantaine et il reste fidèle à ses chevaux.
Dès aôut 1954 et jusque dans les
années 60, la société Hotchkiss commence en France l’assemblage sous
licence de la " Jeep Willys" destinée principalement à l’armée, mais
aussi de la "Jeep Universal" destinée, comme son nom l’indique, à un
usage plus général (agriculture, travaux forestiers, services
d’incendie, véhicule de transport…) La "Jeep agricole"est dotée
d’une prise de force et d’un relevage arrière et on peut de ce fait
monter une barre de coupe latérale et une charrue portée arrière.
Ce genre de véhicule comble
momentanément un manque de production de tracteurs dans les années qui
suivent immédiatement la fin de la guerre, mais il ne s’impose pas,
malgré sa polyvalence, à cause de son manque de puissance (13 CV)
et de sa trop grande consommation en essence.
Le premier tracteur agricole
apparaît déjà avant 1939 à Herbitzheim et son propriétaire, Jules
Schmitt, appelé "Òndoons Schull" ou encore "de Maschinne Schull", l’utilise
pour son entreprise de travaux agricoles. Dès après 1918, il acquiert
un ensemble de battage (locomobile et batteuse) et se met au service
des agriculteurs du village qui ne disposent pas de batteuse à
domicile. Après la moisson, il installe ses machines en un lieu public
et les agriculteurs viennent avec leur chargement de gerbes utiliser
son installation.
Avec l’apparition du tracteur, il
remplace la machine à vapeur par un tracteur Lanz. Il peut alors
étoffer ses prestations et proposer dans le village le concassage des
grains (schroode) ainsi que le sciage du bois de chauffage (Holz
sääe). Il se déplace également dans l’une ou l’autre ferme isolée,
comme le "Schtrohhoft", pour le battage. Je suppose que son tracteur est
équipé de bandages ou de pneus, sinon les déplacements dans le village
et à l’extérieur ne seraient pas aisés. La batteuse est mise en
mouvement au moyen d’une grosse courroie plate, comme sur tous les
chantiers de battage, ainsi que toutes les autres machines.
Un des premiers tracteurs de Herbitzheim est aussi celui acquis pendant
la guerre par Auguste Weingaertner, menuisier, mais qui exploite aussi
un train de culture. L’engin est un Zettelmeyer Z1 de 22 CV, avec
moteur Deutz F2M414 refroidi par eau, et il lui sert entre autres à
transporter des grumes jusqu’à la scierie de Keskastel. Dans ce but, il
est muni d’un treuil arrière pour lui permettre de charger les grumes
sur la remorque.
Zettelmeyer Z1
L’utilisation de la Jeep
militaire n’est qu’une solution de dépannage pour mon père et il
décide d’acheter un tracteur. La Jeep lui permet de se rendre à la
Foire Internationale de Strasbourg à l’automne 1950 et c’est là qu’il
visite le stand tenu par les ateliers Philippe Goetzmann de
Lingolsheim, dans la banlieue de Strasbourg. Les établissements
Goetzmann importent pour la France les tracteurs Allgaier fabriqués en
Allemagne. Le choix de mon père se porte sur le modèle A 22 qui
est mis à disposition à partir du 23 mai 1951, pour la somme totale de
1 076 640 F (25), barre de coupe et charrue comprises.
Pour l’anecdote, mon père se rend
à Lingolsheim en train, le 11 juillet et revient par la route, au
volant du tracteur. Le tracteur est muni d’une barre de coupe latérale
de 1m50, de marque "Rasspe", et d’une charrue brabant double bisoc portée
de marque "Eberhardt". Cette charrue double n’est pas d’usage dans nos
régions et ne s’impose pas, vu la faible surface des parcelles,
contrairement à la plaine d’Alsace. Là aurait pu être réalisée une
économie substantielle.
____________________
(25). Soit la
somme de 24 450 euros, ce qui représente le prix d’achat d’un véhicule
automobile de gamme moyenne actuellement. Taux de conversion retenu
0,02271 d’après leparticulier.fr
Facture avec l’échéancier de paiement.
(Collection personnelle).
De plus, la charrue portée est
d’un poids non négligeable et peut provoquer le cabrage du tracteur.
L’accouplement au tracteur est peu pratique car il faut démonter chaque
fois la barre d’attelage (de Àckerschien) et le relevage trois points
n’existe pas encore. Mon père n’utilise par conséquent pas beaucoup
cette charrue, il revend plus tard la partie inférieure et achète une
charrue traînée. La partie supérieure échoue dans un coin du hangar
jusqu’à tout récemment où un ferrailleur l’a récupérée.
L’intention première de mon père était d’acquérir un tracteur Société Française "Vierzon", un 302, mais les
délais d’attente étaient trop longs et son choix se porta donc sur le
rustique Allgaier qui lui donnera quand-même satisfaction.
Le petit Allgaier à bouillotte,
avec son rayon de braquage court, avec ses 4 vitesses AV et 1 AR est
parfait pour les petits travaux de la fenaison, de la moisson et les
transports. Il possède même un petit gonfleur à pneus qu’on peut faire
marcher quand le moteur tourne. Mais son manque de puissance se fait
vite ressentir lors des labours et des semailles, pour tirer la charrue
et la herse, ainsi qu’en forêt, pour débarder le bois de chauffage. De
plus, les vitesses ne sont pas assez nombreuses et bien étagées, ni
synchronisées.
Sur la route, rétrograder est un exercice périlleux, car
la vitesse inférieure se rentre sans embrayer et il ne faut pas rater
le moment propice, sinon c’est l’arrêt et un démarrage en côte
difficile avec une remorque chargée.
![](images/mma_255.jpg)
(Semi-diesel 302 Vierzon Sfv.chez.com)
|
![](images/mma_256.jpg)
|
Dès janvier 1955, mon père achète
des chaînes Adérosol (26) auprès d’une société basée dans l’Oise, pour
la somme de 45 150 F. Ce dispositif composé de 2 demi-chaînes par roue
arrière se monte sur place, dans les champs ou en forêt, et permet une
meilleure adhérence des roues. Il est lourd à mettre en œuvre et n’est
utilisé principalement que lors d’un automne humide pour rentrer les
betteraves et semer le blé d’hiver ou en forêt.
Personne d’autre au
village ne consent une telle acquisition. Un seul tracteur, un Cormick
FCC, possède des roues à palettes rabattables pour pouvoir rouler sur
la route. Ce système n’a pas besoin d’être démonté, mais cause du bruit
quand on roule, à cause du jeu des pièces.
_____________________
(26). De
nombreuses solutions sont inventées après-guerre pour pallier
l’insuffisance d’adhérence des pneus agricoles. Ces systèmes plus ou
moins efficaces et lourds à mettre en œuvre ont maintenant disparu,
remplacés par des masses alourdissantes, des jumelages de roues et le
gonflage à l’eau.
Notre Allgaier équipé de chaînes et paré à débarder du bois en forêt
Peu de temps après, mon père fait
l’acquisition, auprès d’un atelier de Brebach, en Sarre, d’un tracteur
d’occasion, un Lanz Bulldog modèle D 7506, d’une puissance de 25 CV.
Cet engin doit palier le manque de puissance de l’Allgaier et il n’est
utilisé que pour les travaux difficiles, où il remplit parfaitement
son rôle. Il dispose, suprême luxe pour l’époque, d’un auvent avec
pare-brise et nous en sommes fiers, car c’est le seul tracteur du
village à en posséder un.
Notre Lanz au labour, avec la charrue traînée.
Il faut dire que les tracteurs de
l’époque ne sont pas aussi perfectionnés que ceux d’aujourd’hui :
l’Allgaier démarre à la manivelle. Quand le moteur est froid, on
utilise une mèche d’allumage et le lancement du moteur au moyen de la
manivelle demande pas mal d’efforts.
Boîte de "cigarettes" d’allumage.
Le système de refroidissement du
moteur n’est pas assuré par un radiateur et un ventilateur, mais par le
principe de la bouillotte : un grand volume d’eau (53 l) entoure la
culasse et cette eau se met à bouillir lors du fonctionnement du
moteur. Il faut donc être attentif au niveau de l’eau de
refroidissement et compléter chaque jour, voire pendant la journée.
L’inattention de mon père cause ainsi l’éclatement de la culasse dès
1952 et une facture de 32 052 F (650 euros). De plus, l’utilisation
d’antigel n’est pas possible, puisque l’eau de refroidissement se
vaporise et pendant l’hiver il faut après chaque utilisation
journalière laisser couler l’eau de refroidissement pour éviter qu’elle
ne gèle.
La conduite du Lanz n’est pas
plus aisée à cause du démarrage à la lampe à souder, après un
préchauffage d’une quinzaine de minutes. Pendant certaines
utilisations, comme le chargement de fumier sur la remorque, il est
plus sage de laisser tourner le moteur au ralenti que de l’éteindre et
ensuite perdre du temps pour le redémarrer au moyen de la lampe à
souder. Le système de démarrage au moyen de la bougie n’est jamais
utilisé, l’accu n’étant pas disponible sur le tracteur. Je me rappelle
qu’un jour, au bout d’une longue descente pendant laquelle le frein
moteur est utilisé pour freiner l’attelage, la boule chaude refroidit
et le moteur s’éteint. Il faut de suite réchauffer un peu la boule pour
continuer le trajet.
Mon père n’ose jamais rentrer
dans la grange avec le Bulldog, car la grande cheminée d’échappement
n’est pas pourvue de grille anti étincelles et le danger d’un début
d’incendie est réellement présent.
Les progrès mécaniques sont
rapides et nos deux tracteurs sont vite dépassés. Tous les autres
agriculteurs du village profitent du progrès et acquièrent des
tracteurs avec un démarreur électrique et le relevage hydraulique.
Heureusement que le Lanz tombe en panne dans les années 68 (coulage de
bielle à cause de la défection de la pompe de graissage) et mon père
doit le remplacer par un engin plus moderne, certes d’occasion, mais
qui possède le relevage hydraulique et l’attelage trois-points, acquis
auprès des établissements Ackermann de Marthille, près de Morhange,
pour la somme de 75 000 F (8 475 euros).
Nous sommes désormais assez
fiers de notre nouveau John Deere 500, de sa puissance de 40 CV et de
sa cabine. A l’époque, peu de tracteurs sont équipés d’une telle
cabine. Le petit Allgaier continue par la suite de rendre de grands
services parallèlement au John Deere.
Le John Deere 500 avec sa charrue bisoc portée.
Entre temps, de nombreux petits
tracteurs apparaissent dans le village : des Lanz Diesel, des Hanomag
R12, R19 et R24 livrés par le forgeron Schemel, des Farmall Cub livrés
par les établissements Wolf de Sarre-Union, des Renault D22, un
Allgaier-Porsche, un Labourier, un Babiole, un Map.
Lanz Diesel D 2416 et Hanomag R12
Cormick Farmall Cub et Renault D22
Allgaier-Porsche A113
Photos tirées des sites suivants :
vieilles-soupapes.free.fr, royalenfieldlesite.com,
farmallcubforever.com, forum.norev.com et wordcarslist.com
Si en 1970, un tracteur de 40 CV
peut être classé dans les engins puissants, ce n’est plus le cas
quelques années plus tard avec l’apparition de tracteurs toujours plus
puissants et dotés désormais de 4 roues motrices.
Le premier outil nouveau monté
sur les tracteurs 2 roues motrices de moyenne puissance est sans
conteste, à partir des années 50, la fourche à fumier
ou chargeur
frontal (Fròntlààder) dans le but de faciliter la pénible manipulation
du fumier. Cet accessoire est tout d’abord doté d’un seul bras et rend
passablement service. L’arrivée du 4 roues motrices doté d’un
chargeur-crocodile facilite les manœuvres.
Mais les contraintes nées des
balles rondes, lourdes et encombrantes, qu’il faut stocker sur une
grande hauteur et souvent sur un terrain inégal font en sorte que le
tracteur équipé d’un chargeur est remplacé vers 2000 par un engin
automoteur à bras télescopique plus sûr.
Chargeur frontal « maison » sur un petit Farmall Cub.
L’on doute fort de l’efficacité d’un tel dispositif sur ce tracteur.
(vieilles-soupapes.grafbb.com)
4.3. Les premiers tracteurs de Kalhausen
La décennie 1950-1960
Le premier tracteur de Kalhausen
est acquis en 1952 par Joseph Greff, et c’est un Pony 812. Après
la création du fuel agricole en 1956, les tracteurs à essence n’ont
plus la cote et le Pony 812 est rapidement remplacé par un tracteur
diesel, de marque Energic, plus puissant, acheté à Herbitzheim, chez
le
forgeron Schemel. Mais cet engin est souvent en panne et dans les
années 80, un Cormick le remplacera.
Joseph Greff (1902-1990)
(Photo lecompa.fr)
Le Massey-Harris Pony 812, construit de 1952 à 1957
à Marquette-lès-Lille, a un moteur Simca Aronde et
affiche 16 CV. Fiable, robuste, fonctionnel et bon marché,
il est qualifié de "plus puissant petit tracteur du monde".
Vue aérienne du tracteur Energic et de son propriétaire.
Le petit Pony sera à l’honneur lors
du premier corso fleuri organisé par le syndicat des arboriculteurs, le
21 septembre 1952, journée de l’inauguration de l’atelier de
distillation. Trois chars sont prévus ce jour-là pour défiler dans le
village : 2 sont encore tirés par 4 chevaux chacun et l’un d’eux est
remorqué par le premier tracteur du village, le Pony. Pourtant
Joseph Greff n’a pas encore abandonné ses chevaux et il en met 2 à
disposition des organisateurs, tout comme Jean Pierre Freyermuth, Henri
Hoffmann et Marcel Thinnes.
Le second tracteur du village est
un Champion Comet, il est acquis en 1955 par Edgard Spielewoy et sera utilisé
par son frère Bruno, après le décès accidentel d’Edgard en 1970. C’est
déjà un tracteur puissant pour l’époque (30 CV) et il impressionne les
esprits par son aspect massif, face au petit Pony.
Edgard Spielewoy (1925-1970)
(Photo vieilles-soupapes.grafbb.com)
Le Champion est produit de 1952 à 1960 à Bar-sur-Aube
par la Société des Moteurs Cérès. Le modèle Comet affiche 24 CV.
Il a un moteur diesel bicylindre, 5 vitesses AV et 1AR.
Le troisième tracteur est acheté
en février 1956 par Pierre Kremer : c’est aussi un Pony 812, mais ce
tracteur, trop gourmand en essence, est remplacé 2 ans plus tard par le
modèle 820 diesel. (renseignement fourni par Bernard Kremer)
Pierre Kremer (1912-2003)
(Photo collection-agricole.fr)
Le Pony 820 diesel a un moteur 2 cylindres Hanomag et affiche 18 CV.
Il a maintenant 5 vitesses au lieu de 3 pour le 812 et le relevage hydraulique est en option.
Ensuite c’est Jean-Baptiste Neu
qui se dote en mars 1956 d’un Fendt F20, suivi en 1960 d’un autre Fendt
plus puissant, un F28, acheté pour la somme
de 700 000 F (renseignement
André Neu).
Jean-Baptiste Neu (1902-1982)
(Photo fahrzeugseiten.de)
Construit de 1951 à 1956, le Fendt F20 a un moteur MWM
monocylindre vertical refroidi par eau. Il n’a pas de relevage.
Le Fendt F28, construit de 1952 à 1959, a un moteur MWM bicylindre
également refroidi par eau. Il a 5 vitesses AV et 1 AR.
(Photo flickriwer.com)
(1963)
Les 2 Fendt Dieselross devant la ferme Neu.
André est au volant du F 28.
Marcel Thinnes acquiert en 1957
un engin artisanal construit par son oncle Alphonse Freyermuth qui
exerce le métier de forgeron à Sarralbe et a installé avant guerre
pratiquement toutes les déchargeuses à griffe du village.
Ce tracteur
artisanal est bâti sur un châssis de voiture, une Citroën C4 dont il
reprend le radiateur et le capot du moteur. La motorisation est un CLM
diesel (27) et la transmission provient d’un véhicule militaire. Le
tracteur ne donne pas entière satisfaction et Marcel le remplace peu
après, en 1961, par un tracteur diesel, un Allgaier A22, acheté
d’occasion en Alsace pour la somme de 530 000 F. (renseignements
fournis par Roland Thinnes et André Neu)
Marcel Thinnes (1927-)
1958. Un aperçu furtif du tracteur artisanal.
Aucun de ces engins ne dispose
alors du relevage hydraulique et tous les outils sont traînés. En tout
une quinzaine de tracteurs apparaissent au village pendant cette
période.
__________________
(27). La CLM
(Compagnie Lilloise de Moteurs) fabrique après 1932 des moteurs sous
licence Peugeot-Junckers, destinés à la motorisation d’autorails, de
camions, de bateaux et servant aussi de moteurs fixes dans les fermes
ou les ouvrages de la Ligne Maginot. Ce sont des moteurs verticaux
diesel, à 2 temps et comprenant 2 pistons travaillant en opposé dans
une même chemise-cylindre. Le tracteur Labourier, fabriqué à Mouchard,
dans le Jura, est aussi doté d’un tel moteur.
![](images/mma_284.jpg)
Ci-dessous exemples de tracteurs artisanaux.
(vieilles-soupapes.grafbb.com et le bon coin)
La décennie 1960-1970
C’est la période faste pour les
concessionnaires de machines agricoles et pas moins d’une trentaine de
tracteurs apparaissent au village.
Pratiquement tous les exploitants
agricoles se dotent d’un tracteur, que ce soit ceux qui vivent
exclusivement du travail de la terre ou les ouvriers-paysans. Personne
ne veut être en reste et même les petits exploitants se mettent au goût
du jour, sans trop se poser la question de la rentabilité. Ces derniers
ne peuvent pas investir de grosses sommes et achètent souvent à tort de
petites machines qui sont d’occasion, parfois inadaptées et
qui ne les satisferont pas.
Ces petits tracteurs se montrent
souvent peu performants ou trop gourmands en essence et se voient alors
rapidement remplacés par des machines diesel plus puissantes et plus
modernes, car dotées désormais d’un relevage hydraulique.
Les tracteurs de cette décennie
les plus représentés au village sont le Fendt F 12, le Mac Cormick
Farmall 135D et le Kramer KB 22.
(Photo motorstown.com)
Le petit Fendt Dieselross F12, produit de 1952 à 1958, a un moteur
monocylindre vertical MWM et affiche 12 CV. Il possède 6 vitesses AV et 2 AR.
Le Mac Cormick International F 135D est produit à Saint-Dizier de 1958 à 1960.
Il a un moteur diesel bicylindre et affiche 17 CV. Il a 6 vitesses AV et 1 AR.
Ici le 137D, produit de 1960 à 1964, piloté par Joseph Rimlinger.
Les caractéristiques sont les mêmes que pour le 135D. Le relevage hydraulique a été rajouté.
Le Kramer KB22 est construit de 1951 à 1957. Il a un moteur Güldner
bi-cylindre refroidi par eau. Il a 5 vitesses AV et 1 AR. Il affiche 22 CV.
Ci-contre le KB 22 de Jean Pierre Lenhard, conservé par son fils Ewald.
Le KL 22 a un moteur Deutz refroidi par air.
Quelques rares exploitants
agricoles pourtant ne se lancent pas dans la motorisation pour diverses
raisons : pas de repreneur du train de culture (Jean-Pierre Metzger),
âge trop avancé (André Holtzritter, Nicolas Lenhard), maladie ou décès
prématuré (Jean-Pierre Pefferkorn).
Certains hésitent aussi à se
lancer dans la motoculture et attendent quelques années pour des
raisons financières (manque de liquidités ou difficultés pour avoir un
prêt) ou des raisons sentimentales (maintien de la traction animale).
Le premier tracteur 4 roues
motrices du village est un Same Atlanta de 45 cv acheté en 1967 par
Grégoire Muller, alors âgé à peine de 17 ans. Son père Auguste continue
parallèlement encore pendant quelques années à utiliser ses chevaux et
ne se convertira jamais à l’utilisation d’un tracteur.
Grégoire Muller (1950-)
(Photo landwirt.com)
Le Same Atlanta possède un moteur à 4 cylindres en V refroidi par air.
1979. Transbordement de bois au Grosswàld.
Deux Vendeuvre BM 57 de 28 cv côte à côte.
Celui de droite n’a pas de relevage hydraulique
1980. Grosswàld.
Un Fordson Power de 54 cv attelé d’une remorque
à bois faite "maison" d’une contenance de 6 stères.
Déjà 4 roues motrices en forêt !
L’arrivée d’un tracteur dans le
village est très certainement un évènement de taille et fait, pendant
un bon moment, la une de tous les potins du village. L’achat d’un tel
équipement n’est alors pas à la portée de toutes les bourses et de
nombreux paysans doivent encore attendre quelques années avant
d’emboîter le pas au premier acquéreur d’un tracteur. On peut aisément
imaginer la curiosité de la population, surtout masculine, devant un
tel "joujou" et ses avantages vantés par l’heureux propriétaire et
constatés de visu par l’ensemble de la population.
Les premiers essais
dans les champs (au labour, au fauchage, à la traction), les passages
dans les rues avec l’attelage d’une remorque ne manquent certainement
pas de spectateurs intéressés et envieux.
Chaque fois que l’information de
l’arrivée au village d’un nouveau tracteur circule, les enfants,
surtout les garçons, n’oublient pas d’aller voir sur place et la marque
et le modèle. Ils jaugent le nouvel engin, le comparent aux modèles
déjà au village et n’hésitent pas à "mettre la main au tracteur",
pour essayer de le soulever partiellement et ainsi mesurer leurs
forces. Le petit Holder B10 de Florian Stéphanus, qui est stationné
devant sa maison, sert ainsi, hors de la vue de son propriétaire,
souvent "de souffre-douleur" à la bande composée de Joseph Rimlinger,
Grégoire Muller, Lionnel Chardon et Yves Duché. (renseignement fourni
par Joseph Rimlinger.)
L’achat d’un tracteur ne se fait
pas à la légère, à cause de l’investissement à consentir. La publicité
pour les tracteurs est encore rudimentaire autour des années 60 et
apparaît timidement dans les almanachs agricoles. La meilleure
publicité reste le bouche à oreille et le choix se porte tout
simplement sur la même marque ou le même modèle que le voisin, ou sur
la marque proposée par le forgeron-garagiste local.
Le matériel allemand a déjà la
préférence des premiers motorisés, parce qu’il jouit d’une bonne
réputation et que les prix sont plus compétitifs que ceux des autres
matériels. (28)
__________________
(28). Le plan
Marshall a livré en France des tracteurs avec une motorisation essence
ou pétrole (en réalité du kérosène), ce qui posait un problème aux
exploitants français, puisque l’essence était trop coûteuse et le
pétrole ne permettait pas un démarrage à froid.
En Allemagne, la diésélisation
avait été précoce et le matériel qui avait déjà fait ses preuves avant
la guerre était meilleur marché. Dès 1947, le gouvernement avait décidé
de ne plus fabriquer que des Diesel. Les principaux constructeurs sont
Lanz, Fendt, Allgaier, Kramer, Güldner, Deutz, Fahr, Bautz, Eicher...
En France, les principaux
constructeurs sont en 1950 Renault, Société Française, Latil, Map,
Lalo-Mignonnac, et plus tard aussi Labourier, Sift, Reymond, Gardette,
Babiole, Cima International, Sabatier, Arnoux, Bison, Arnoux, Mecavia,
Bugaud, Le Percheron…
Avec l’apparition des premiers
véhicules automobiles, voitures et tracteurs, un nouveau métier
apparaît au village, celui de mécanicien, auquel le forgeron-maréchal-ferrant cède sa clientèle. Dans la rue de la libération,
Camille Schaeffer ouvre un petit atelier de réparations et Camille
Behr, le
gendre du forgeron Léon Lett, ouvre un garage dans les anciens locaux
agricoles de la rue de la gare appartenant à son beau-père.
Camille Behr devient agent local
de la marque allemande Fendt, dont le concessionnaire est le garage
Wagner de Metz Borny. Ceci explique la prédominance de cette marque
dans le village.
L’autre marque prédominante est
la marque américaine Mac Cormick représentée dans la proche région par
les Etablissements Wollf frères de Sarre-Union.
Une multitude d’autres marques,
parmi lesquelles des marques peu connues et éphémères, sont aussi
présentes : Motostandart, Renault, Staub, Holder, Champion, Ferguson,
Same, Patissier (Energic), Vendeuvre, Someca, Heywang.
Les achats de tracteurs se font
aussi auprès des forgerons recyclés en garagistes des villages voisins
: Schemel Léon de Herbitzheim (tracteurs Hanomag et Energic), Rohr de
Rahling (Ford), Siebert de Hundling, Wehrung de Durstel (Holder),
Bundus de Neunkirch (Kramer), Pétri d’Achen (Same, Renault). Le dépôt
de Sarreguemines de l’Union Agricole de l’Est commercialise aussi les
tracteurs Renault dans la région.
Les tracteurs Heywang sont fabriqués en Alsace, à Bourgheim,
de 1956 à 1963. Le modèle HD25 a une motorisation Deutz
(bicylindre diesel 4 temps refroidi par air). Il compte 5 vitesses AV et 1 AR.
Le Kramer KL 22 et sa cabine Fritzmeier, appartenant à Joseph Stéphanus
Le tracteur Holder B10 D est construit de 1951 à 1959.
Il a un moteur diesel 2 temps refroidi par eau.
Son poids est de 700 kg. Il a 4 vitesses AV et 1 AR.
Le Holder de Pierre Freyermuth.
Remarquez le siège passager généralisé à l’époque
sur le garde-boue gauche et le panneau D (Danger) replié
Le tracteur Staub AMD 10 a un moteur à essence monocylindre 4 temps.
Il a 5 vitesses AV et 2 AR. Son poids est de 670 kg.
Il fait partie des tracteurs vignerons à voie étroite.
Le tracteur Motostandart Farmax 15D est fabriqué par
la firme allemande Gutbrod basée à Bübingen, en Sarre.
Il a le même moteur MWM que le Fendt F15 (monocylindre vertical diesel 4 temps).
Il a 4 vitesses AV et 1 AR. Sa barre de coupe Rasspe équipe aussi l’ Allgaier R22.
Les tracteurs Energic sont construits par les établissements
Patissier de Villefranche-sur-Saône. Le modèle 525 affiche 27 Cv.
Il a un moteur diesel Cérès bicylindre refroidi par eau et compte 5 vitesses AV et 1 AR.
(Photos mototracteurs.forumactif.com
vieilles.soupapes.free.fr)
Le Vendeuvre AS 500 de 1959 acquis par Charles Demmerlé
est un monocylindre refroidi par air affichant une puissance de 18 CV.
(sfv202.pages.perso-orange.fr)
Le Hanomag R19 de 1956 acquis d’occasion par Pierre Lang.
C’est un bicylindre diesel refroidi par eau. Il a 5 vitesses AV et 1 AR.
Remarquez la poulie de battage.
Jacques Stephanus sur son Vendeuvre BL 30.
C’est un bicylindre diesel refroidi par air. Il a 8 vitesses AV et 4 AR.
Le Champion Junior acquis par Florian Freyermuth (Ängels Bojo)
est le petit frère du Champion Comet. (Photo passion-usinages.forumgratuit.org)
Le Cormick D 439 de 1965 acquis en 1990 par Edouard Klein.
Il a un moteur diesel à 4 cylindres d’une puissance de 39 CV.
Lien vers la liste des tracteurs du village
4.4. Le tracteur au village-anecdotes
La conduite d’un tracteur exige
un apprentissage sérieux et ne peut plus se comparer au maniement d’un
attelage. Les chevaux ou encore les vaches de trait sont des animaux
paisibles et attachants et un lien affectif fort, fait de complicité,
de dialogue et de respect s’instaure souvent entre le paysan et ses
bêtes.
Les bêtes ont chacune leur nom propre et leur caractère bien
marqué et chacune réagit à sa manière à l’appel de son nom. De plus, un
attelage est intelligent, adroit, sait éviter les obstacles ou
s’arrêter devant eux, et trouver tout seul le chemin des champs ou de
la maison.
Désormais l’attelage est remplacé
par une machine impersonnelle, bruyante, rapide et déjà génératrice de
stress, une machine qu’il faut dompter, qui n’obéit plus à la voix, qui
n’a pas d’âme, qui n’est intelligente et adroite qu’en fonction de son
chauffeur. Il n’y a plus de lien affectif. Le tracteur est remisé le
soir dans la grange ou le hangar et on ne s’en occupe plus jusqu’au
lendemain. Parfois le recyclage de charretier en tractoriste est
difficile, surtout pour la vieille génération qui a du mal à tout
assimiler rapidement et les nouvelles habitudes ne se mettent pas
facilement en place.
Lorsque Charles Demmerlé achète
son premier tracteur, un Vendeuvre AS 500, il a dépassé la soixantaine
et ne se risque plus à la conduite mécanique. Toute sa vie, il a mené
des attelages de chevaux, même pendant la première guerre mondiale
qu’il a vécue comme conducteur dans un régiment d’artillerie. La
conduite du tracteur est laissée à son gendre Alphonse Schreiner.
Charles Demmerlé (1897-1985)
De même, le Renault Super 3 D
acquis en 1967 par Jacques Klein sera conduit, après son décès
prématuré, par son fils Gaston, mais aussi par son beau-frère Pierre
List, (Muurhònse Pééder), qui malgré sa difficulté à se déplacer (il
s’aidait d’une canne) et son âge (il était né en 1899) se
débrouillera fort bien. Il faut aussi dire que le Renault disposait
d’une grille placée à la base du levier de vitesses et qui
facilitait certainement le choix et le passage des vitesses.
Jacques Klein (1914-1969)
Pierre List (1899-1985)
Le levier de vitesses du Renault et sa grille.
Au second plan se trouve la manette du relevage hydraulique.
Quelques incidents ou accidents,
la plupart heureusement sans conséquences graves, surviennent pendant
la conduite des tracteurs. Les rues du village sont pratiquement toutes
en pente et les conducteurs des petits tracteurs des années 60 ne
peuvent les emprunter sans devoir rétrograder, surtout s’ils tractent
une remorque chargée. Les vitesses à l’époque ne sont pas synchronisées
et leur changement est souvent une opération risquée pour les
conducteurs novices.
Le jeune Roger Lauer monte un
jour la rue de la montagne avec le Fendt F24 paternel et se voit obligé
de rétrograder au niveau de la maison André Borner. Il ne peut
malheureusement enclencher la vitesse désirée ni tirer le frein et le
tracteur s’arrête sans dommage contre le pignon de Jean Pierre
Pefferkorn (Fawriggersch). Renseignement fourni par André Neu.
Roger Lauer (1948-2016)
Dans un autre registre, un soir,
Florian Gross (Krìschängels) rentre son Fendt Farmer dans la grange et
se met à crier "Ooha", pour arrêter son engin, comme il avait
l’habitude de le faire avec l’attelage de chevaux. La machine s’arrête
heureusement contre le mur du fond de la grange.
Florian Gross (1901-1983)
Des versements de tracteur se produisent aussi parfois, dus à la déclivité du terrain ou à l’inexpérience du conducteur.
En 1978, Pierre Stephanus, alors
âgé de près de 80 ans, remonte la rue de la Libération et rate lui
aussi son changement de vitesse. Le tracteur
recule contre la bordure
du trottoir et se couche sur le côté . Personne n’est blessé et les
dégâts sont insignifiants.
Pierre Stephanus (1900-1982)
Bruno Spielewoy, secrétaire de
mairie à Kalhausen, prête parfois à la commune le tracteur
Champion ayant appartenu à son frère Edgard et dont il se sert
couramment depuis le décès de ce dernier, ainsi que la remorque. Un
jour, l’ouvrier communal, Camille Klein, pilote l’engin et se
déplace à Hutting pour y effectuer un transport de matériaux. Camille
n’a pas l’expérience de la conduite d’un tracteur et le renverse. Il
est coincé sous l’engin. Un conducteur de train signale l’accident à
son arrivée en gare de Kalhausen. Les pompiers dégagent l’infortuné
conducteur qui n’est heureusement pas blessé. La commune indemnisera le
propriétaire du tracteur pour les dégâts occasionnés.
Camille Klein (1927-2007)
André List circule un jour à tracteur dans un champ en pente au lieu-dit "Hàbrètt"
et renverse la remorque portant la tonne à purin à l’issue d’un virage
trop serré, pris probablement à trop grande vitesse. (renseignement
André Neu)
André List (1908-1986)
Dans les années 80, Adolphe
Lenhard arrête le Vendeuvre BM 57 au lieu-dit "Chaussée" et descend du
tracteur sans serrer le frein à main. L’engin dévale la pente en
direction du "Klàrer Brùnne", vers Etting et fait un tonneau. Les dégâts
sont heureusement minimes et se résument à quelques bosses sur le capot.
Adolphe Lenhard (1927-2012)
Les tracteurs tricycles ont un
rayon de braquage très court et André Freyermuth en fait un jour
l’expérience. Au volant de l’Allis Chalmers paternel, il remonte la rue
de la Libération à assez grande vitesse et fait demi-tour sur la route
au risque de renverser l’engin. Son père Jean Pierre, témoin de la
scène, s’énerve et lui lance : "Du kùmmsch mìr nimméh drùff !" (Tu
ne monteras plus sur le tracteur !)
André Freyermuth (1933-2000)
Les caractéristiques techniques
du moteur sont souvent de grandes inconnues pour les nouveaux
motorisés, les voyants lumineux sont ignorés et les rapports mal
utilisés.
Jacques Zins, qui travaillait à
la SNCF et avait l’expérience de la vapeur, utilise un jour des propos
imagés pour raconter sa conduite du Fendt F12.
"Gìschert bìnn isch ìn de Rohrbrùch gewènn, hònn bìssel Dòmp gìnn ùnn der ìsch àb wie nìx. Héit hònn ìsch voller Dòmp gìnn ùnn der ìsch nìtt gelààft. Isch verschdéh nìx méh. »
(Hier j’étais au lieu-dit
Rohrbrùch, j’ai donné un peu de vapeur et le tracteur est parti comme
un rien. Aujourd’hui j’ai mis pleine vapeur et le tracteur n’avançait
pas. Je n’y comprends plus rien.)
L’explication est toute simple :
un jour, Jacques avait enclenché une petite vitesse et la fois suivante
une grande. (anecdote rapportée par André Neu)
Le même ignore un jour l’allumage d’un voyant rouge au tableau de bord et continue de rouler jusqu’à couler une bielle.
Jacques Zins (1899-1965)
Il arrive aussi que l’on oublie
de vidanger le circuit de refroidissement du moteur en hiver ou d’y
ajouter de l’antigel : c’est ce qui arrive à André List avec son Fendt
F12 qui a remplacé le Staub. André List n’achètera désormais plus de
tracteur.
Le gonflage des pneus arrière
pose aussi parfois problème : un pneu surgonflé ne s’adapte pas au
terrain et l’adhérence est alors nulle surtout dans les terres
détrempées ou en forêt. C’est la mésaventure arrivée à un agriculteur
de Zetting. Lors de son premier débardage de bois en forêt, les roues
de son nouveau tracteur manquent d’adhérence et par dépit, il rentre à
la maison et attelle ses bons vieux chevaux qu’il avait eu la sage
précaution de garder.
L’attelage expérimenté lui donne entière
satisfaction, contrairement au tracteur. Quand il raconte sa
mésaventure à un voisin également nouveau motorisé, ce dernier lui
conseille de dégonfler un peu ses pneus pour résoudre le problème. Ce
qui est fait à sa plus grande satisfaction.
(communication d’André
Meyer)
Une petite mésaventure est aussi
arrivée un jour à Joseph Pefferkorn de la "Schùùlgàss". Ce dernier
acquiert, auprès d’un revendeur de matériel agricole, un scarificateur
porté. L’outil lui est livré par camion, devant son domicile de la rue
des lilas. Quand Joseph décide de l’utiliser, il l’attelle à son second
tracteur, un Deutz D 5506 et s’apprête à quitter la rue des lilas pour
le centre-village. Malheureusement la largeur du scarificateur
l’empêche de passer entre la maison Lucie Freyermuth et le pignon de la
grange Florian Gross. L’histoire ne dit pas comment Joseph s’est
débrouillé pour aller aux champs, en dételant l’outil et en le ripant
ou en passant par le "Rèbbèèrsch".
Joseph Pefferkorn (1931-2012)
Les accidents avec blessés sont
heureusement rarissimes : un seul survient en 1979 avec des
conséquences assez graves. Un jour de printemps, Jean Pierre
Freyermuth, âgé de 72 ans, se tient debout -ce qui est une pratique
courante pour bon nombre de personnes- sur la barre d’attelage du
tracteur conduit par son petit-fils. Une remorque à quatre roues
chargée de terre est attelée au tracteur. Dans un pré en pente, les
roues arrière du tracteur perdent de leur adhérence à cause de la
poussée de la remorque qui n’est pas freinée. Il aurait fallu arrêter
le tracteur au début de la pente, descendre et tourner la manivelle
pour serrer les freins de l’essieu arrière (de Mékanick).
L’ensemble se
met alors en porte-feuilles et le malheureux Jean Pierre a la jambe
droite coincée entre le tracteur et le timon de la charrette. La
fracture ouverte est soignée à l’hôpital, mais la gangrène s’installe
et la jambe doit être amputée au bout de 14 mois d’hospitalisation.
Jean Pierre ne remontera plus jamais sur un tracteur.
Pierre Freyermuth (1907-1989)
Une autre mésaventure est aussi
arrivée un jour à Jean Pierre, alors qu’il avait son Allis-Chalmers, et
elle aurait pu avoir des conséquences graves. Cet engin avait une barre
de coupe fixée à l’arrière et entraînée par la prise de force. A
l’époque, la prise de force n’était pas protégée par un carter et Jean
Pierre eut la jambe du pantalon happée par la prise de force en
mouvement. Heureusement que le tissu céda et seul le pantalon fit les
frais de cet accident vestimentaire et non corporel. Jean Pierre en fut
quitte pour une grosse frayeur et un retour au village…en caleçon, au
détriment de sa pudeur.
L’avenir des machines anciennes
Le manque de place dans les
hangars et garages n’a souvent pas permis de conserver les machines
agricoles mises au rebut par l’apparition de nouveaux engins. La
plupart du temps, le ferrailleur a récupéré les machines trop
encombrantes qui gênaient. Ainsi on ne trouve presque plus dans le
village de faucheuse mécanique, de moissonneuse-lieuse, de batteuse…
Tout au plus reste-t-il parfois, dans un coin de hangar, quelques
petites machines comme une charrue, un coupe-racines, une charrette à
bras.
Bric-à-brac dans un
vieux
hangar
Remorque à plateau et charrue dans le même hangar
D’autres machines sont encore
abandonnées tristement à leur sort dans un parc et rouillent en
attendant le passage du ferrailleur ou bien pourrissent. Pourtant elles
mériteraient un meilleur sort, conservées, exposées et mises en valeur
dans un musée. Voici quelques instantanés pris sur le ban de la commune.
Triste vue d’un MF 165 abandonné…
![](images/mma_327.jpg)
|
![](images/mma_328.jpg)
Coupe-racines à gauche et …charrue Hamant à droite.
|
Remorque et arracheuse de pommes de terre.
Distributeur d’engrais Vicon et moissonneuse-batteuse Claas.
Moissonneuse-batteuse Fahr et semoir mécanique.
Scie à ruban et remorque.
Quelques machines sont heureusement restaurées et servent de décoration devant une maison.
A gauche, houe à cheval devant la maison Thaller de Kalhausen et à droite hache-paille devant une maison de Philipsbourg.
Petite meule à main joliment fleurie.
Maison Prando, rue des roses.
Quant aux tracteurs anciens, ceux
de la période glorieuse de la motorisation, la plupart ont été repris
par le revendeur de machines agricoles lors de l’achat d’un tracteur
plus moderne ou plus puissant. Certains pourtant sont conservés
jalousement dans la famille par un fils ou un petit-fils, en souvenir
du temps passé et une très rare minorité est encore occasionnellement
en service aujourd’hui. J’ai ainsi dénombré 13 tracteurs anciens au
village, dont
6 sont encore plus ou moins utilisés pour de menus
travaux.
Ferguson "Petit gris" de 1959, appartenant à
Jean Claude Bach, et pris en photo en août 2014.
![](images/mma_341.jpg)
Ci-dessus , Mac Cormick FD 137 de 1961 toujours au nom
de Nicolas Assant et utilisé épisodiquement par son gendre Gilbert Schmitt.
A droite, Ferguson MF 35 racheté par Jean Paul Hiegel
pour planter les pommes de terre.
|
![](images/mma_342.jpg)
|
Le Kramer KB 22 de 1958 ayant appartenu à
Jean Pierre Lenhard et conservé par son fils Ewald.
Encore vaillant, le Mac Cormick FD 135 de 1961
acquis par Rodolphe Wendel et conservé par sa fille
Le Renault D 22 ayant appartenu à
Henri Hoffmann et entreposé dans une grange.
Le Cormick FD 135 de 1961 ayant appartenu à
Claude Kirch et récemment vendu après son décès.
Le Fordson Dexta de Jean Demmerlé, datant de 1963,
est tous les ans en service pendant la fenaison.
Le Renault Super 3 D acheté en 1967 par
Jacques Klein est toujours en service.
Son fils Gaston l’utilise presque journellement
pour de menus travaux. La couleur des jantes n’est pas d’origine.
Le Renault Super 2 D acquis également en 1967 par
Charles Demmerlé n’est pas encore trop fatigué.
Les différences qui existent
entre le Super 2 D et le 3 D sont minimes : le premier possède un
moteur 4 cylindres Indénor refroidi par eau et affiche 25 CV,
alors que le second a un moteur MWM bicylindre refroidi par air et a
une puissance de 30 CV.
Le Massey Ferguson MF 35 de
Lucien Bour utilisé par son fils Daniel.
Le tracteur le plus ancien
présent au village est bien l’Allgaier A 22 de Marcel Thinnes. Cet
engin, mis en circulation en 1951 (immatriculation 823 AB 67) a été
acquis d’occasion en 1961 (immatriculation 59 JN 57) et affiche un âge
respectable de 66 ans. Il ne circule plus qu’occasionnellement et
démarre toujours au quart de tour…de manivelle.
![](images/mma_351.jpg) |
Eté 2015.
Roland Thinnes au volant du vaillant Allgaier.
|
![](images/mma_352_a.jpg)
Balade nostalgique…
Certaines personnes passionnées,
issues du milieu agricole et férues de mécanique, entreprennent de
restaurer du matériel agricole ancien et plus particulièrement des
tracteurs. C’est le cas d’André Neu, originaire de Kalhausen et
habitant Siltzheim ou des frères Zins de Kalhausen.
![](images/mma_353.jpg)
1972. Camille Zins et son Soméca 400 de 1969.
|
![](images/mma_354.jpg)
Le même Soméca restauré par les frères Zins.
|
Deux belles vues d’un Allgaier A 22 de 1951 restauré par André Neu.
Deutz F1M414 de 1940 appartenant aussi à André Neu.
Ce tracteur,
produit de 1936 à 1951 est un monocylindre refroidi par eau.
Il affiche
une puissance de 11 CV et dispose de 3 vitesses Av et d’1 vitesse AR.
C’est le premier tracteur allemand produit en série et le plus vendu
avant 1939.
Il est livré monté sur pneus, avec une poulie de battage,
une prise de force et une barre de coupe.
D’un prix abordable, il est
le tracteur préféré des agriculteurs et donne un élan
décisif à la
mécanisation des petites et moyennes exploitations. Il est appelé "Bauernschlepper", le tracteur des paysans.
Le tracteur Kramer K 18 a été produit de 1936 à 1941.
Il est doté, comme le modèle K 12, d’un moteur diesel,
refroidi par eau, selon le principe de la bouillotte.
C’est un monocylindre horizontal Güldner d’une puissance de 18 à 20 CV.
Il a 4 vitesses AV et 1 vitesse AR.
Deux vues d’un petit Energic 518, à moteur Peugeot,
en train d’être restauré par un particulier.
André Neu possède aussi de nombreux moteurs thermiques anciens dont certains sont magnifiquement restaurés
Moteur à essence Cérès type M 1Q de 1910.
Il a une puissance de 3 CV et ne tourne qu’à 400 tours/minute.
Moteur CLM
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![](images/mma_357_d.jpg)
Moteur Cérès
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![](images/mma_357_c.jpg)
Moteur Bernard
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![](images/mma_357_f.jpg)
Moteur Millet
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Moteur Japy
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Dans la proche région, des associations désireuses de conserver, de mettre en valeur et de
transmettre les traditions agricoles se regroupent et rassemblent, pour
l’exposer, du matériel ancien. C’est le cas notamment du moulin
d’Eschviller, du musée de Grosbliederstroff (Shag) et de la maison
des
Arts et traditions de Rouhling en ce qui concerne le petit matériel.
Des musées de matériel agricole et de tracteurs existent aussi, mais pas dans la région.
De nombreuses manifestations se
déroulent encore chaque année au cours de l’été : expositions de
machines agricoles, défilés de tracteurs pour le plaisir des
yeux, mais aussi pour rappeler de bons souvenirs aux plus anciens.
Notons le défilé de tracteurs à Blies-Ebersing, la fête des saveurs et
du battage à Eschviller Maxstadt, la fête de l’Agriculture
à Lorentzen), la fête des tracteurs et véhicules anciens à Mittersheim,
le concours de labour, l’exposition et le défilé de tracteurs anciens à
Rimling et à Bliesbruck...
Des communes mettent encore en
valeur le patrimoine agricole dans le but de décorer l’espace vital,
mais aussi de transmettre "l’Histoire" aux jeunes générations et aux
touristes de passage. C’est le cas de Volmunster qui évoque
l’Evacuation de septembre 1939.
Et puis, il y a Internet où, pour
peu que l’on sollicite un moteur de recherche, l’on peut trouver
d’innombrables photos de machines agricoles anciennes et récentes ainsi
que des vidéos d’époque ou de reconstitution de scènes issues de la vie
agricole. Un vrai trésor !
Conclusion
Comme dans l’industrie, la
mécanisation et la motorisation se sont imposées en agriculture, malgré
des débuts difficiles et de nombreux tâtonnements.
En agriculture désormais, quelle
que soit la machine utilisée, le moteur joue un rôle primordial,
il est à la base de tout travail. Et le premier des moteurs sollicités
est celui du tracteur ou, si on veut, le tracteur est pris comme moteur,
comme source d’énergie. La mécanisation et la motorisation ont fait
d’énormes progrès en un peu moins de 200 ans et ces progrès ont été
plus nettement visibles pour notre génération qui a connu la fin de la
traction animale et l’avènement du tracteur.
Malgré le coût souvent exorbitant
des machines agricoles qui oblige l’exploitant à s’endetter et cultiver
toujours plus pour essayer de rembourser ses emprunts, la motorisation
est irréversible. L’évolution du machinisme n’est certainement pas
terminée.
Devant la raréfaction de la main
d’œuvre agricole, nous continuons actuellement à assister au
développement continu de la mécanisation et de la motorisation
agricoles. L’agriculteur d’aujourd’hui, semblable à celui de hier et à
celui de demain, continue d’exiger plus de confort et plus de
sécurité et bien sûr moins de fatigue et moins d’efforts physiques. Il
cherchera toujours à pouvoir faire son travail sans devoir lui
consacrer de longues heures monotones et d’interminables journées.
En réaction contre la motoculture
à outrance, quelques paysans, par idéologie ou folklore, font
partiellement marche arrière et se remettent au cheval pour des travaux
bien particuliers en viticulture (binage), en horticulture ou en
exploitation forestière (débardage). Le cheval, aussi utile et
respectueux de la nature qu’il puisse être, ne peut plus remplacer
entièrement la machine, il s’agit de l’utiliser en complémentarité avec
la machine, pour le plus grand bien de la nature et de l’homme.
Si jadis la majorité des
exploitations ne possédaient qu’un seul tracteur, voire 2 au grand
maximum, actuellement la plupart des exploitations utilisent toute une
gamme de tracteurs de puissances diverses et adaptés chacun à un
travail bien spécifique, sans compter les machines automotrices.
La course à la puissance, qui
semblait chez certains agriculteurs ne pas avoir de limites, est bien
l’image de cette théorie platement humaine et appliquée dans bien des
domaines : le maximum de travail avec le minimum de temps, le moins
d’efforts et de risques de tous genres. Il faudrait
encore ajouter : au
moindre coût pour un maximum de bénéfice.
Pour essayer d’atteindre ces
buts, la motoculture a encore de beaux jours devant elle. Mais l’homme
qui pilote ou programme la machine devrait se poser la question
fondamentale du devenir de l’agriculture : peut-on continuer à aller de
l’avant, dans cette course effrénée à la puissance et au gigantisme, en
ne respectant pas la nature, en contaminant les sols et les nappes
phréatiques, en détruisant les écosystèmes, bref en polluant à outrance
?
D’accord pour cultiver plus, plus
vite, plus facilement, mais aussi mieux, pour le bien-être du
producteur et du consommateur. L’agriculteur, tout comme l’industriel
et le consommateur, tient l’avenir de la terre entre ses mains et
malheureusement, il n’en a pas souvent conscience.
Dans l’agriculture comme dans
l’industrie, se pose encore et toujours l’éternelle question
philosophique de l’asservissement de l’homme à la machine : est-ce que
la machine a libéré l’homme ou bien en a-t-elle fait son esclave ? Le
cultivateur d’aujourd’hui, a-t-il plus de temps libre grâce à la
machine ou bien doit-il toujours faire plus à cause de la machine ?
Chacun est placé devant un choix de vie, de qualité de vie. Il faudrait
que la raison l’emporte…
Depuis peu, la prise de
conscience de l’impact négatif de l’agriculture chimique sur la nature
a pour conséquence la naissance d'une tendance n’est plus forcément au
gigantisme, mais plutôt à la précision : la délivrance du bon dosage
d’engrais, de pesticides, de fongicides ou d’eau, directement sur la
plante. Il s’agit en premier lieu de préserver la nature, qui est
l’outil de travail premier des agriculteurs. Le 52° Salon International
de l’Agriculture, qui s’est tenu à Paris du 21 février au 1er mars
2015, n’a-t-il pas judicieusement été placé pour cette raison,
sous le signe de " l’innovation pour des pratiques écologiques
responsables face au défi climatique" ?
La mécanisation et surtout la
robotisation continuent de se développer et finalement l’exploitant
agricole dirigera, dans un avenir proche, son entreprise depuis
son bureau et son ordinateur et ne mettra pratiquement plus les pieds
dans les champs. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? L’avenir nous
le dira.
Gérard Kuffler Avril 2017
Mes remerciements à André Neu pour son apport photographique ainsi que ses connaissances techniques et historiques.
Ouvrages consultés
Le machinisme Agricole. Tony Ballu. Presses Universitaires de France. 1951
La traction Mécanique en Agriculture. Tony Ballu. La Maison Rustique. 1943
Un Siècle de Tracteurs Agricoles. Jean Renaud. Editions France Agricole. 1998
Attelages et attelées : un siècle d’utilisation du cheval de trait. Marcel Mavré Editions France Agricole
Le progrès mécanique en Agriculture de 1938 à 1958. R. Carillon
La motorisation agricole. Jean Marc de Montis
Les conséquences de la motorisation. Bulletin de la Société Française d’Economie Rurale Volume 3 n°1 1951
L’industrie du tracteur agricole en France. Jean Bienfait. Revue de géographie de Lyon. 1959
Données historiques sur le développement du machinisme agricole en France. Pierre Dellenbach et Jean Paul Legros
Taux de conversion des francs en euros (www.lepratique.fr)
1951 : 0,02271, 1952 : 0,02029, 1955 : 0,02036, 1968 : 1.13