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Marcien Léon Edouard Stamm
(1904-1986)
En hommage
Un peu de généalogie
Hutting est un paisible écart
de la commune de Kalhausen et les bâtiments de l’ancienne cense Ducotau
sont occupés par les Juving et les Klein au cours du 19° siècle.
Atlas Topographique du Comté de Bitche 1758.
Cadastre 1829.
Marie Rosalie Juving, dite Rosine,
née en 1802, a épousé en 1833, Antoine Klein, né en 1804, dont les
parents sont natifs du village alsacien voisin d’Oermingen. Antoine est
cité comme journalier, laboureur dans les actes d’Etat Civil, alors que
son épouse est dite cuisinière.
Ils ont huit enfants, dont Nicolas et
Georges.
1. Nicolas Klein est né le 9
juillet 1835 à Hutting et a épousé sa cousine Philomène Pfister, née à
Weidesheim le 19 octobre 1845 où son père Dominique Pfister était garde
forestier et chasseur du seigneur de Weidesheim. Sa mère était Anne
Françoise Caroline Juving et ils avaient construit, en 1868, pour leur
retraite, une maison à Hutting. Dominique était décédé en 1886 et son
épouse en 1897, mais des enfants célibataires y habitaient encore.
Maison Pfister, puis Kirch.
Nicolas et son épouse Philomène
Pfister trouvent chacun du travail à Paris, lui est agent de police et
elle est modiste. Après 1870, ils optent pour la nationalité française
et se marient à Paris le 12 septembre 1872. Leurs enfants naissent à
Paris : Marie Gabrielle, en 1870, et Maria Pia Atala, en 1873.
Ils rentreront à Hutting pour y finir leur vie, Nicolas décède en 1902 et son épouse en 1925.
La cense de Huttting.
2. Georges Klein est soldat
français en 1870, il opte à Dijon pour la nationalité française et
trouve un emploi de cocher à Paris jusqu’en 1887. Au décès de son
épouse, Jeanne Marie Corvé en 1892, il rentre à Hutting et se remarie
avec Marie Herrmann avec laquelle il aura deux enfants, Marie Adèle,
dite Adeline, en 1894 et Auguste Antoine, en 1899.
Adeline était une figure bien
connue de Hutting, elle avait épousé Guillaume Paul Kemter en 1916 et
ils avaient un fils Victor Paul, né en 1916 et décédé en bas âge en
1924. Guillaume était né en 1891 à Rudolstadt, en Allemagne, dans le
land de Thuringe, il décède le 16 août 1945. Adèle décède en 1980.
La surveillance de la voie ferrée était dévolue à une unité du Landsturm composée de territoriaux,
soldats âgés ne faisant pas partie de l’armée d’active. Guillaume Kemter est peut-être sur la photo.
(Archives municipales de Sarreguemines).
Adeline Kemter.
Son frère Auguste habite à la cense, il est le père de Camille Klein, né en 1927 et ouvrier communal de Kalhausen.
Le chemin de fer
La nouvelle ligne de chemin de fer
en direction de Strasbourg (Mommenheim) vient d’être ouverte le
mercredi 1er mai 1895 et les trains circulent désormais vers Sarralbe,
en passant par Hutting. Kalhausen devient une gare de bifurcation le
mardi 1er octobre de la même année encore, avec l’ouverture de la ligne
vers Sarreguemines.
Les chemins de fer (Kaiserliche
Generaldirektion der Eisenbahnen in Elsaß-Lothringen) recrutent du
personnel et un certain Joseph Stamm, originaire de Lipsheim, au sud de
Strasbourg, se voit confier le poste de sous-chef de gare ou assistant
de station à la toute nouvelle gare de Kalhausen. Il est le fils de
Henri Auguste Stamm, chef de station et de Caroline Bottemar.
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Le blason de Lipsheim avec saint Pancrace, martyr.
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Dans un premier temps Joseph Stamm,
né le 5 mars 1859, s’installe à Sarreguemines et se rend journellement
en train sur son lieu de travail. On lui confie aussi le poste de
télégraphiste et il prend en charge les liaisons de télégraphie en
morse avec les autres gares.
Par quel hasard rencontre-t-il au
début du 20° siècle, une jeune fille de Hutting, Maria Pia Atala Klein,
née à Paris le 18 janvier 1873 et revenue avec ses vieux parents à
Hutting?
Maria Pia est-elle passée un jour devant la gare ou a-t-elle simplement pris un billet de train pour aller à Sarreguemines ?
Toujours est-il qu’ils se sont
rencontrés, se sont aimés et se sont mariés à la mairie et à l’église
de Kalhausen le 21 avril 1903. Joseph a déjà 44 ans et son épouse en
compte 30. Un enfant naît bientôt dans la nouvelle famille le 9 décembre 1904 et se voit appeler Marcien Léon Edouard.
Marcien Léon Edouard Stamm
Marcien, appelé le plus souvent Marcel, grandit dans la petite maison de Hutting que ses parents y ont fait construire dès 1902.
Il se rend plus tard tous les jours
à pied à l’école de Kalhausen et revient le soir pour aider ses parents
dans leur petit train de culture. Il fête sa communion en l’église de
Kalhausen, à l’âge de 13 ans, en 1917, sous la direction du curé Michel
Albert.
La maison est actuellement en train d’être restaurée,
après un abandon d’une trentaine d’années et l’écroulement d’un pignon.
L’arrière a été dégagé.
Sur le pignon, la porte de l’étable et la gerbière du fenil.
La maison des Stamm ne suit pas le
plan des maisons paysannes lorraines traditionnelles, avec en façade
les travées habitation et grange. La place aurait été suffisante pour y
bâtir une telle construction. Non, la grange n’existe pas et il faut
décharger les récoltes de foin par la gerbière du pignon.
Photo aérienne 1938.
La maison Stamm est déjà "étouffée" par les arbres fruitiers.
2021. La situation n’a guère changé pour la maison Stamm.
Très tôt, le jeune homme montre des
dispositions pour les études et les langues, particulièrement le
français que sa mère parle couramment. Il se fait remarquer parmi ses
camarades par sa facilité à parler le français et il aimerait faire des
études et peut-être devenir prêtre. Mais ses parents ne sont pas
d’accord, sa place est à Hutting, dans la petite exploitation agricole,
où il doit seconder son père qui a déjà atteint la cinquantaine.
Marcien se plie à la volonté de ses
parents et reste à Hutting pour exploiter les quelques 6 ha de terres
qui se trouvent en partie autour de la maison. Le père décède assez
tôt, laissant la mère seule pour s’occuper d’agriculture avec son fils.
Marie Pia Atala quitte à son tour
ce monde le 2 octobre 1938, à l’âge de 65 ans. Le jour de
l’enterrement, un agriculteur du village, peut-être Jean Baptiste Neu,
prend son attelage de chevaux et transporte le cercueil jusqu’au
village. Marcien, pour se venger et montrer son désaccord avec sa mère,
ne participe pas aux obsèques religieuses qui ont lieu à Kalhausen et
reste tout seul à Hutting.
Marcien est désormais libre de
faire ce qu’il veut et il veut toujours être prêtre. Mais pour lui, il
n’est pas question d’intégrer le Grand Séminaire pour différentes
raisons : il n’a pas le niveau d’études requis et il doit rester à
Hutting où il possède une maison et des terres qu’il faut exploiter.
Et bien, il fera comme s’il était
prêtre, il jouera au curé le dimanche, jour de repos de la semaine, il
dira la messe le matin et les vêpres l’après-midi. Il aura des enfants
de chœur pour servir les offices et, si possible, quelques assistants.
Avec ce qu’il peut récupérer,
Marcien fabrique dans une pièce située à l’étage, un maître-autel,
presque aussi grand que celui de l’église, avec un tabernacle et des
candélabres. Il faut aussi un tas d’accessoires comme les habits
sacerdotaux, les nappes d’autel, les livres de prières, un ciboire, des
vases avec des fleurs, des étendards, des statues et des tableaux
religieux pour orner les murs, et même un ostensoir, e Mùnschtròns.
Tout cela, Marcien le fabrique de
ses propres mains ou bien l’achète avec le peu d’argent qu’il possède.
Il sait scier et clouer les planches, tailler et coudre les effets
vestimentaires. Une belle commode avec des garnitures dorées supportera
la table d’autel, des planches décorées de scènes bibliques formeront
l’autel et un tabernacle doré sera placé au centre.
Un jour, il chaparde la barrette du
curé de Kalhausen et l’emmène à Hutting pour pouvoir la copier. Il la
rapporte ensuite et le curé n’y voit que du feu.
De nombreuses petites étagères avec des statues en plâtre garniront les murs de la "chapelle". Il s’est aussi fabriqué une chaire
à prêcher, e Kànsell, avec des caisses militaires américaines
récupérées à la fin de la guerre. Pour décorer sa chaire, il récupère
des enjoliveurs de roues de voitures qu’il y fixe. Tout ce qui brille
est le bienvenu dans sa chapelle.
Le "révérend" Marcien peut maintenant se mettre en scène pour ses représentations, dire la messe et les vêpres.
Comme à l’église, il y a dans une
pièce adjacente un autel plus petit, un autel latéral, e Siddeàldààr,
dédié à saint Joseph. Cette pièce sert aussi de sacristie et c’est là
que le "révérend " se prépare pour les "offices".
Il n’a pas de paroissiens, juste
l’un ou l’autre enfant de chœur. A un moment donné, de jeunes
adolescents venaient à Hutting, le dimanche après les vêpres
"officielles", pour assister aux "offices". C’était plus pour narguer
le curé Ichtertz et son autoritarisme que par ferveur religieuse. Mais
le curé se fâcha en chaire et l’affaire s’arrêta là. Il ne restait
alors plus à "l’abbé" Marcien qu’à prêcher la bonne parole à son
auditoire de chats.
L’abbé Nicolas Ichtertz, curé de Kalhausen de 1945 à 1971.
Avec l’âge, il devint plus
difficile d’officier à l’étage et la "chapelle" déménagea bientôt
dans une pièce du rez-de-chaussée, plus accessible.
De nombreux magazines et livres encombrent encore la "chapelle" actuellement.
Comme les curés sont des gens
instruits, Marcien ne veut pas être en reste et achète de très nombreux
ouvrages religieux, surtout auprès de l’abbé Goldschmitt, curé de
Rech-lès-Sarralbe, qui y tient une imprimerie. Marcien s’y rend bien
sûr à pied pour faire ses emplettes, une fois par mois.
Cette folie bibliophile s’est
exercée bien avant la guerre déjà et Marcien avait trouvé un moyen
d’avoir un peu d’argent pour s’acheter des livres. Quand sa mère lui
demandait de faire quelques achats chez le boulanger, le boucher ou
l’épicier de Kalhausen, Marcien n’achetait jamais ce qu’il fallait,
mais toujours un peu moins. Il mettait ainsi quelques pièces de côté et
… subissait les foudres de sa mère au retour. Mais cela le laissait
indifférent. De toute façon, il était en conflit permanent avec elle.
On ne mangeait donc pas
suffisamment à la maison, on vivait dans la misère et c’est ce que
Marcien décrivait plus tard par schwarzer Hunger, la misère noire.
Les livres religieux s’entassent
par conséquent à Hutting et continuent à s’entasser au fil des années.
Est-ce que Marcien les lit tous ? On ne sait pas. On parlerait
aujourd’hui d’un comportement addictif.
En 1940, au retour de l’évacuation
en Charente, Marcien fait comme tous les habitants et récupère des
meubles pour remplacer ceux que les soldats ont détériorés ou brûlés.
Son choix se porte sur deux beaux fauteuils de style qu’il transporte
avec ses vaches et sa charrette du château de Weidesheim jusqu’à
Hutting et qu’il dispose dans sa "chapelle". Mais on le dénonce et le
régisseur-garde forestier du château le force à restituer les deux
sièges.
Au sortir de la guerre, Marcien
offre l’hospitalité à une certaine dame Graff, âgée d’une cinquantaine
d’années et qui est originaire d’Allemagne. Elle occupe pendant
quelques années la pièce de gauche sur l’avant et la cuisine.
Bien plus tard, après 1945, Marcien
se rend aussi à pied, à Oermingen, une fois par mois, pour se faire
couper les cheveux par le coiffeur Schnepp et…pour faire provision de
revues. Ce dernier est dépositaire de presse et lui met de côté les
numéros invendus de Paris Match ou Stern. Marcien les rachète pour une
poignée de pain et se tient ainsi au courant de l’actualité en France
et dans le monde.
Marcien avait une grande taille et le regard perçant. Il en imposait…
Déjà avant la guerre, Jean Baptiste
Neu effectuait, pour les petits cultivateurs, les gros travaux
culturaux avec ses chevaux. Il avait ainsi pour client la famille Stamm.
Jean Baptiste Neu
(1902-1982)
De fil en aiguille, après le décès
de sa mère, Marcien Stamm, se met au service des Neu, en tant que valet
de ferme. Chaque jour, sauf le dimanche et les jours de fête
religieuse, il lui faut quitter Hutting et gagner le village pour
débuter son travail. Les horaires sont extrêmement flexibles, surtout
en hiver, quand la neige tombe.
Le chemin qui relie Hutting à Kalhausen est bien visible sur cette photo aérienne.
Mais Marcien s’arrange toujours
pour être à pied d’œuvre à 10 h du matin. Cela le fait partir à 9 h 30
de chez lui et le bon marcheur qu’il est a vite parcouru les 2 ou 3 km
entre Hutting et Kalhausen.
Auparavant il lui a fallu s’occuper de sa
vache, la nourrir et la traire, la mettre au parc en été. Il a aussi dû prendre son
petit-déjeuner qui consistait invariablement en lait cru ou bouilli
accompagné de pain rassis ou de viennoiseries périmées qu’il achetait à
bon compte à l’épicerie Sadal tenue par Bruno Spielewoy.
Il n’avait pas
de porte-monnaie en cuir, mais une boîte métallique destinée à rouler
les cigarettes, qui renfermait la petite monnaie. Il donnait alors la boîte à la vendeuse, lui disant : « Hool ’s Gèld eruss. » (Prends l’argent.)
On le voyait souvent cheminer de
son pas lent et régulier, un sac de jute à l’épaule pour y placer ses
achats de fin de journée. Quand il rentrait, il passait toujours
derrière l’école et le cimetière, par la rue des lilas, de Schùùlgàss
et il retrouvait le chemin de Hutting au niveau de l’actuel hangar
Stock. Ce raccourci lui évitait de prendre la forte montée de la rue de
la montagne.
Une fois arrivé chez les Neu, il se
voyait offert un second petit-déjeuner par la maîtresse de maison
Hélène : du lait chaud, un bon morceau de pain et de la confiture.
C’est que le bougre avait bon
appétit, souvent il ne mangeait rien chez lui le matin et en profitait
pour s’empiffrer à Kalhausen. Il avouait manger pour 2 ou 3, mais ne
grossissait pas. Ses mets préférés étaient à base de farine : des
crêpes, Pònnkùche, des beignets, Fààsenàchtskìeschle, des quenelles,
Knépple, des gaufres, Wàffle, des bouillies, Brèi, des gâteaux, Kùùche
et des pâtes, Nuudle. Et aussi tout ce qui était sucré.
Un jour il donna un coup de main aux voisins de la rue de la
libération, les Stéphanus, Schòòndersch, pour épandre du fumier. Comme
c’était la coutume, Adam, qui avait 7 à 8 ruches dans son jardin, ne le
paya pas en argent, mais lui fila un pot de miel d’environ 500 g.
Marcien demanda à son patron de lui chercher une cuillère et il réussit
à vider le pot sur place, dans le jardin, devant les témoins médusés.
Cela offusqua Jean Baptiste qui lui en fit la remarque. « Du bìsch doch ùnverschäämt.
Schààm disch. Die Litt glààwe, bie ùns gitts nìcks se èsse. (Tu es
quand même sans vergogne. Honte à toi. Les gens croient qu’il n’y a
rien à manger chez nous.)
Il lui répondit : « Isch géh doch nìtt ùff Hìddìnge mìt so klien Glàss Hùnnisch ». (Je ne vais pas rentrer à Hutting avec ce petit pot de miel.)
C’est dire qu’il ne se connaissait plus de limites s’il avait devant lui un mets qu’il appréciait. Une autre fois, en été, alors qu’il
se faisait tard et qu’il fallait encore décharger une charrette de
foin, Marcien voulut rentrer chez lui. Jean Baptiste lui proposa un
marché, qu’il accepta.
« Wènn de dòò bliebsch, màcht ’s Hélènn Brèi fer disch. » (Si tu restes, mon épouse te fera de la bouillie.)
Jean Baptiste savait que
Marcien adorait la bouillie de lait, Mìllìschbrèi. Il dit à son
épouse d’en faire une bonne dose. Hélène lui prépara 3 l de bouillie.
Bien sûr, Marcien réussit à tout ingurgiter, mais il ne put rentrer à
Hutting à cause de crampes d’estomac et il dut se coucher en haut de la
rue de la montagne, pour passer la nuit sous les étoiles. Le lendemain,
il était de nouveau à son poste de travail, comme si de rien était. Il
raconta alors sa mésaventure à son patron. « Isch hònn mùsse ìn de Pàffedèll schlààfe. » (J’ai dû dormir dans la Pàffedèll.) Ce matin-là, sa vache aura subi les conséquences de sa goinfrerie, personne n’est venu la traire.
Si Marcien avait un bon appétit, il
avait aussi une santé de fer et n’était pas client chez les médecins.
La toilette journalière n’était pas son fort non plus et cela ne le gênait pas.
C’était une force de la nature,
capable de travailler à son rythme jusqu’au soir. Quand on lui donnait
une tâche à effectuer, il l’effectuait sans rechigner et on n’avait
plus besoin de le contrôler. On était sûr que cela était bien effectué.
Jamais il ne fatiguait, surtout lorsqu’il fallait monter les sacs de 50
kg de céréales au grenier.
Les tâches qui lui étaient confiées
étaient systématiquement les mêmes : monter les betteraves de la
cave en vue de nourrir les bêtes, rentrer le bois dans la cuisine pour
alimenter la cuisinière, approvisionner le boulanger Ferdinand Neu en
charbon et surtout aider la famille dans tous ses travaux culturaux. Ce
qu’il aimait surtout faire –et il en était un spécialiste-, c’était
épandre manuellement le fumier dans les champs, Mìscht schprèède.
Il n’effectua que des travaux manuels, jamais il n’osa conduire le
tracteur sur la route.
Chaque année, en novembre, il
allait aussi aider un des fermiers de Weidesheim, Louis Greff, pendant
les travaux de battage des céréales.
Sciage du bois avec les hommes de la famille Neu.
Marcien est le plus grand, au milieu.
Marcien n’était pas une petite
nature, mais un dur, qui se contentait de peu et qui vivait simplement.
En été, il travaillait toujours tête nue et torse nu. La peau du dos
pelait souvent, mais Marcien n’y prenait pas garde.
Il était considéré comme faisant
partie de la famille Neu et il s’entendait bien avec les parents et un
des fils, André. La mère de famille, Hélène, lui achetait de
temps en temps un bleu de travail pour remplacer les vieux habits. Elle
ne lui faisait pourtant pas la lessive.
Il se sentait bien dans la famille
qui lui offrait principalement le manger. Il quittait chaque soir
Kalhausen, le ventre rempli, et ne s’occupait plus de cuisiner. On
cuisinait pour lui et il mangeait à satiété.
Un jour de 1970, il tomba sur le
coude et se fit mal, de sorte que l’articulation ne fonctionnait plus.
Que fallait-il faire ? Le conduire à l’hôpital de Sarreguemines, qui
avait mauvaise réputation ou l’emmener à Illkirch-Graffenstaden, à la
clinique spécialisée, ’s Krìbbelheim ?
André, qui était déjà marié et qui
avait des enfants, décida de le conduire avec sa voiture à Illkirch.
Marcien fut hospitalisé pendant un bon mois et André vint chaque
dimanche lui rendre visite, avec son père ou sa femme et ses enfants,
ou encore avec le voisin d’en face, Camille Klein.
Marcien prend sa retraite
d’agriculteur à l’âge de 65 ans, en 1969 et il touche mensuellement une
petite somme d’argent. Cela lui permet d’investir un peu plus dans ses
livres. Il ne s’arrête pas de travailler et continue de se rendre
journellement chez la famille Neu. Sa vie est à Kalhausen et non à
Hutting.
Son patron, Jean Baptiste Neu
décède en 1982, à l’âge de 79 ans et Marcien devient un peu orphelin.
Il s’entendait bien avec lui et avait pratiquement le même âge.
Désormais, ce ne sera plus comme avant et les déplacements vers
Kalhausen se feront de plus en plus rares.
Un jour, il tombe dans sa maison et
n’a plus la force de se relever. Une voisine, Nicole Muller, entend ses
cris et vient à son secours. Elle prévient les pompiers qui le
conduisent à l’hôpital de Sarreguemines. Il passera ensuite quelques
semaines au centre de réadaptation de Rouhling, puis finira sa vie à
l’hôpital de Bitche, le 22 mars 1986, à l’âge vénérable de 82 ans,
laissant derrière lui sa "chapelle" et ses nombreux livres, sa maison
et ses terres.
La commune de Kalhausen prendra en
charge son inhumation au cimetière du village et les frais des
obsèques. Il est parti simplement, sans
faire de bruit, comme il avait vécu.
La tombe est entretenue par Marie Madeleine Neu.
Marcien faisait partie de cette
catégorie d’ouvriers agricoles que l’on appelait autrefois valets de
ferme. C’était des domestiques, des hommes à tout faire, auxquels on
confiait souvent des travaux peu reluisants. Ils étaient en général
célibataires et habitaient à part, bien qu’ils fussent souvent invités
à la table de leur employeur.
Marcien était un cas à part,
puisqu’il était propriétaire d’une maison et de terrains, et qu’il
n’habitait pas chez son employeur. Il était respecté et considéré comme
un membre de la famille.
Ses concitoyens le considéraient
comme un original, à cause de ses manières et aussi à cause de ses
agissements religieux, mais le laissaient faire. Il faut dire aussi que
l’écart de Hutting était loin du village et il ne gênait personne. Il
était libre de faire ce qu’il voulait. Pacifiste dans l’âme, il ne
cherchait jamais noise à quiconque et se contentait de son sort, vivant
sa vie, comme il l’entendait.
Gérard Kuffler
Janvier 2022
Un grand merci à André Neu pour ses nombreux renseignements.
Réactions.
La mise en ligne de ce texte, qui
relate fidèlement la vie de Marcien, a suscité énormément de réactions.
Beaucoup de personnes ont tenu à rendre hommage à "Marcel" Stamm.
C'était un personnage qui a marqué notre enfance.
En voici quelques unes qui sont apparues sur les réseaux sociaux.
Jean-Claude Bach
« C’était un homme très intelligent, je pense même qu'il était surdoué. »
Yannick Borner
« Avec son sac de jute et ses yeux perçants, il me terrorisait un peu, même si on m'avait dit qu'il était gentil. »
Sylviane Gapp
«
Merci pour ce partage, souvenirs d’enfance, on faisait partie des
enfants de chœur du (curé) Stamm "et on avait une trouille de son
regard."..»
Yolande Gapp
« Merci
beaucoup, joli reportage, que de souvenirs, on venait voir ma oma, on
était enfants et je me souviens très bien "d'Adeline", du "Stamm" qui
faisait la messe, il était impressionnant, mais on l'aimait bien »
Annabelle Kirch
« Il m’impressionnait beaucoup… »
Sophie Pierrel-Kirch
« Marcel Stamm, qu’on appelait « Le Stamm
» et sa maison ont sans doute suscité beaucoup d’histoires et de
fantasmes dans nos esprits d’enfants. On le voyait souvent marcher avec
son sac de jute sur l’épaule, disant « Quand il n’y aura plus de grive, nous mangerons les hommes ». Quel personnage! »
Roland Thinnes
«
Il passait toujours chez nous au magasin et emmenait les revues déjà
lues. Il lisait beaucoup. Au magasin, il avait acheté pour Noël trois
locomotives qu'il faisait fonctionner ensemble. Il était aussi
émerveillé qu'un enfant. J'avais, plutôt, j'ai toujours la même
locomotive. »
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