le_legs_d_hausen

Le legs d’Hausen  1854-1918


ou comment une libéralité ne profite pas pleinement à ses destinataires.





Le déroulement  de cette affaire illustre bien les difficultés de cohabitation entre les autorités civiles et les autorités religieuses locales, après l’annexion de l’Alsace-Lorraine au Reich allemand en 1871.


Elle se déroule en plein "Kulturkampf", ce "combat pour une société nouvelle", qui opposa de 1871 à 1880 le chancelier impérial Otto von Bismarck à l’Eglise catholique romaine. Pour corser le tout, s’y rajoute un fort sentiment francophile entretenu par un clergé brimé par l’administration allemande et qui n’accepte pas la germanisation.

L’affaire ne trouvera son dénouement qu’à partir de 1880, lorsque Bismarck aura changé de politique et renoué des liens avec le Vatican.

D’autres difficultés apparaîtront après 1890 et auront pour cause les relations conflictuelles entre le curé et le maire, générées par le presbytère et la construction de la rue de la gare.

En fin de compte, les nécessiteux du village, bénéficiaires du legs, sont les grands perdants d’une libéralité qui aurait dû leur venir en aide annuellement, mais dont il ne pourront profiter que sporadiquement à cause de susceptibilités de personnes et d’antagonismes de caractères.

J’ai essayé de tracer la stricte chronologie des faits, en me basant sur le registre des délibérations du conseil de fabrique de Kalhausen et sur le dossier concernant le legs, consultable aux Archives Départementales.

1854-1857
Le rodage ou les difficiles débuts du legs

Les liens entre les seigneurs de Weidesheim, les d’Hausen, et le village de Kalhausen n’ont jamais été très étroits. On ne se fréquentait pas. Le plus connu des d’Hausen, Dominique Charles Ignace (1758-1824), fut député de la Moselle de 1815 à 1820, maire de Sarreguemines de 1811 à 1815, puis de 1820 à 1824. Il ne résida à Weidesheim que de juin 1793 jusqu’à son retour à Sarreguemines en 1810.

De ses 9 enfants, deux seuls sont nés à Weidesheim, dont Charles Joseph d’Hausen (1799-1853), qui fut juge au tribunal civil de Thionville.

Charles Joseph avait épousé en 1830 Elisabeth Lambert de Ballyhier (1802-1860), veuve en premières noces de Joseph François, baron de l’Espée, dont elle avait eu deux enfants, Martien de l’Espée (1823-1896) et Berthe de l’Espée (1825-1827). Il résidait à Nancy, puis à Thionville.

De son union avec Elisabeth est né, en 1830, à Nancy, Maurice d’Hausen. Ce dernier décède à Paris, en août 1854, à l’âge de seulement 24 ans. C’est lui qui nous intéresse.

Les contacts de cette branche des d’Hausen avec le village de Kalhausen sont une exception. Elle apparaît 3 fois dans le registre des délibérations du conseil de fabrique :

- en 1854, lorsque Maurice d’Hausen, le demi-frère de Marcien de l’Espée, lègue, par testament olographe en date du 26 avril 1854, soit quelque mois avant son décès, la somme de 5 000 F à la commune de Kalhausen, à charge pour elle de placer cette somme importante, environ 12 650 euros (1) en rente sur l’Etat et ensuite de faire distribuer, par le curé, les dividendes aux pauvres de la paroisse. C’est ce geste voulu par Maurice d’Hausen qui est au cœur de l’affaire qui nous préoccupe.

- en 1860, lorsque Elisabeth d’Hausen fait une donation d’un titre de rente de 204 F au conseil de fabrique, avec la charge de faire lire 52 messes basses par an à son intention.

- en 1877, lorsque Marcien, baron de l’Espée,  son épouse Angélique Nau de Sainte Marie, son cousin  Alexis d’Hausen et l’épouse de ce dernier,
Carole Dorothée Deshayes, sont présents lors de la bénédiction de 3 nouvelles cloches pour l’église paroissiale. Les épouses sont les marraines de deux cloches.


Le legs de Maurice d’Hausen est sans aucun doute le bienvenu à une époque d’extrême pauvreté dans le village. (2)

Personne ne connaît au juste le pourquoi de cette libéralité. Il est pourtant curieux de noter qu’il existe une délibération du conseil municipal de Kalhausen prise, sous la présidence du maire Freyermuth, le 6 janvier de l’année du legs et concernant des secours à apporter aux indigents. Le Conseil délibère en effet ce jour-là au sujet d’une circulaire préfectorale en date du 8 octobre 1953, enjoignant aux communes, à défaut de bureau d’aide sociale, de solliciter une aide financière de l’Etat pour soutenir les pauvres de la commune.
Nous apprenons par la même délibération que la commune n’a pas les ressources financières nécessaires pour secourir ses pauvres, que le nombre d’indigents s’élève à 111 (pour une population totale de 957 habitants  recensement de 1851) et que le conseil municipal demande donc une aide de 400 F à l’Etat. ( source : registre des délibérations du conseil municipal de Kalhausen)


Est-ce que la situation de misère de presque 12% de la population et la délibération du Conseil ont ému Maurice d’Hausen ? Est-ce le prêtre de l’époque qui a sollicité Maurice d’Hausen, en l’assurant de sa disponibilité pour distribuer la rente annuelle ?
Tout cela est fort probable, mais non démontré.

____________________
(1)    1 franc 1850 correspond environ à 2,53 euros  actuels www. histoire-genealogie.fr

(2)   Déjà l’abbé Gapp, desservant de Kalhausen en 1802 à 1803 et plus tard fondateur de la congrégation des sœurs de la Divine Providence, se plaint de la pauvreté de ses paroissiens dans une lettre au vicaire-général Oster. (Xavier Blum dans L’Alsace Bossue Revue des vallées de la Sarre, de l’Eichel et de l’Isch 2003)
De nombreux habitants émigrent au cours du 19° siècle en Amérique, en Algérie, mais aussi dans la région parisienne ou en Meuse, pour échapper à la misère.



En tout cas, les héritiers de Maurice d’Hausen, décédé en août 1854, vont s’occuper de sa succession et du fameux legs.

Par un acte notarié en date du 15 décembre 1854, le baron de l’Espée et sa mère Elisabeth, seuls héritiers de Maurice d’Hausen, consentent à la délivrance du legs sous les conditions imposées par le testateur et demandent au conseil municipal  de se prononcer à cet égard.

Malheureusement les problèmes commencent dès le départ, car le conseil municipal de l’époque veut pouvoir contrôler la distribution des intérêts du capital placé.

Si le legs en question avait été fait, à cette époque, à la paroisse et non à la commune, il n’y aurait certainement pas eu de problèmes, ni au départ, ni par la suite. Tout aurait été beaucoup plus simple.

Le conseil se prononce alors le 8 novembre 1855 et déclare "n’accepter le legs qu’à cette condition qu’un ou deux membres du conseil municipal seraient adjoints au curé pour la distribution des secours provenant du legs de Mr. Maurice d’Hausen."

Mais le baron de l’Espée ne l’entend pas de cette oreille et prétend vouloir faire exécuter la stricte volonté de son frère, qui est de laisser le curé seul s’occuper de la distribution de l’argent. Il va donc refuser de verser la somme de 5 000 F à la commune, tant qu’elle persistera dans sa "prétention non fondée de s’immiscer dans la distribution de la rente."

Le curé Pierron, plus tard, fustigera les 10 conseillers municipaux de l’époque, dans sa correspondance avec les autorités administratives en les qualifiant ironiquement de "doctes", rajoutant qu’ils "n’avaient pour eux que leur prétention, Mr. de l’Espée, lui, avait l’argent et surtout le devoir et le droit de ne céder cet argent que le jour où on ferait droit à la volonté de son frère."

L’affaire va traîner jusqu’au 30 août 1856, époque à laquelle le Sous-Préfet de Sarreguemines s’adresse au maire de Kalhausen, en lui spécifiant que, la clause mise par le conseil municipal "retardant la délivrance du legs …il est dans l’intérêt de la commune d’accepter purement et simplement la donation sous les conditions énoncées au testament."

Huit jours après cette lettre, soit le 7 septembre, la commission municipale qui a remplacé le conseil se réunit et, suivant l’avis de la sous-préfecture,  décide "qu’elle accepte avec reconnaissance la donation susdite et prie M. le Sous-Préfet de vouloir bien lui en accorder l’autorisation."

L’année suivante, le 22 juin 1857, le Sous-Préfet fait parvenir au maire la copie d’un arrêté préfectoral en date du 20 juin 1857 autorisant la commune à accepter le legs de Maurice d’Hausen. Ce document officiel fera foi pour le déroulement ultérieur de l’affaire et il est bon d’en prendre connaissance in extenso. L’abbé Brunagel le transcrit dans le registre des délibérations le 4 octobre 1858.

"Nous, Préfet de la Moselle,

Vu le testament olographe du 26 avril 1854 déposé en l’étude de Maître Deuloux notaire à Paris par lequel M. Maurice d’Hausen lègue à la commune de Kalhausen la somme de cinq mille francs à charge d’en affecter le placement et d’en faire distribuer la rente annuelle aux pauvres de cette commune par les soins du curé de la paroisse,
L’acte de décès du testateur en date du 23 août 1854,
L’acte en date du 15 décembre 1855 par lequel M. le Baron de l’Espée et Madame Elise d’Hausen seuls héritiers de M. Maurice d’Hausen déclarent consentir à l’exécution du legs fait par ce dernier sous les conditions imposées,
La délibération de la commission administrative représentant les pauvres de Kalhausen en date du 7 septembre 1856,
L’avis du conseil municipal de ladite commune du 8 novembre 1855,
Le budget communal et l’état de la situation financière de la commune à défaut du bureau de bienfaisance,
Les renseignements fournis par M. le maire de Kalhausen le 22 janvier 1856,
L’acte en date du 5 août 1855, par lequel M. le curé s’engage en son nom et en celui de ses successeurs à l’entretien des dispositions du testament
de M. Maurice d’Hausen,

Les avis de Monseigneur l’Evêque de Metz en date du 13 et 29 novembre 1856,
L’avis du Sous-Préfet de l’arrondissement,
La loi du 18 juillet 1838,
Le décret du 25 mars 1852,
Considérant que la libéralité faite par M. d’Hausen permettra de venir en aide aux nombreux indigents de la commune de Kalhausen, qu’elle n’impose aucune charge et qu’elle est acceptée par le conseil municipal au nom de la commune et en particulier au nom des pauvres, que l’assemblée a émis le vœu que la rente du capital légué soit distribuée à ces derniers par le curé de la paroisse avec le concours du bureau de bienfaisance, mais que les héritiers du testateur entendent que le curé seul fera la distribution conformément aux dispositions du testament précité,
Considérant que cette dernière condition peut être acceptée sans aucun inconvénient et que la libéralité n’en sera pas moins avantageuse à la commune, que le desservant de la paroisse a pris l’engagement en son nom et en celui de ses successeurs de se charger de l’emploi de la rente à provenir du capital légué,

Arrêtons

Article 1er. Le maire de Kalhausen au nom de cette commune est autorisé à accepter le legs de la somme de cinq mille francs qui lui a été fait par M. Maurice d’Hausen, suivant son testament olographe du 26 avril 1854 à charge de faire distribuer aux pauvres de ladite commune, par les soins du curé de la paroisse, la rente à provenir de ce capital.
Article 2. Cette somme de cinq mille francs sera employée en acquisitions de rentes sur l’Etat et les arrérages desdites rentes seront versés chaque année entre les mains du curé de la paroisse pour recevoir la destination ci-dessus indiquée.
Article 3. M. le Sous-Préfet de l‘arrondissement de Sarreguemines est chargé en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté.

Fait à Metz en l’Hôtel de la Préfecture
Le 20 juin 1857"


1857-1874
La vitesse de croisière ou les pauvres reçoivent leur dû.

La situation étant clarifiée désormais et les droits des uns et des autres bien précisés, le capital de 5000 F est versé par le baron de l’Espée à la commune qui l’intègre dans son budget et le place en rentes sur l’Etat.

Le taux d’intérêt d’un placement de ce genre est en général de 3 à 3,5%, ce qui ferait de 150 à 175 F par an, soit environ 380 à 440 euros actuels.
Pendant une durée de 7 ans, le curé de la paroisse s’occupera de la distribution de la rente provenant du capital placé, sans autre formalité qu’un reçu à signer.

Mais entretemps la guerre franco-allemande de 1870, perdue par l’empereur Napoléon III, a privé la France de l’Alsace-Moselle annexée au Reich allemand.
Une politique rigoureuse de germanisation est alors mise en place par les autorités allemandes dans les domaines administratif, linguistique, culturel et moral.

Le clergé mosellan, qui jouit d’une forte autorité dans les villages et tient en main la paysannerie, voit d’un très mauvais œil le nouvel empereur Guillaume 1er de confession protestante.

Il se braque encore plus contre le Reich allemand lorsque le chancelier von Bismark lance dès 1871 son combat contre la papauté et l’Eglise catholique, appelé "Kulturkampf" dans le but de réduire son influence dans le domaine de l’enseignement comme  dans le domaine social, et de séparer l’Eglise de l’Etat.

Le chancelier pensait arriver à son but de renforcer le contrôle de l’Etat sur l’Eglise, au moyen de lois anticatholiques, mais aussi de chicaneries administratives contre le clergé romain.

A la direction du Cercle de Sarreguemines (la Kreisdirektion), le cas de la rente issue du legs d’Hausen est particulièrement passé à la loupe, plus spécialement l’arrêté préfectoral décisif de 1857 qui autorise le maire à verser les intérêts annuels du legs au curé, contre un reçu de la somme totale.
Pour l’administration allemande, les intérêts annuels, qui sont crédités au budget communal, appartiennent de ce fait à la commune et ensuite, s’ils sont débités et versés au curé, l’administration a un droit de regard sur leur destination.


1875-1881
Les premiers soubresauts ou  les  chicaneries de l’administration allemand

Le directeur du Cercle adresse donc une lettre le 27 septembre 1875 à la Présidence de Metz (le Bezirkspräsidium) et demande l’avis de la hiérarchie.
La Présidence lui répond le 11 novembre suivant "qu’il est de la compétence du curé catholique de Kalhausen, selon les dispositions testamentaires, de pouvoir utiliser à son gré les revenus issus du legs d’Hausen, par ailleurs bien de la commune et qu’elle doit gérer, mais que d’un autre côté, la manière d’utilisation de la rente qui apparaît dans la comptabilité communale doit être contrôlée.
Par là, il ne peut pas s’agir de l’établissement d’un reçu émanant du curé et concernant la globalité du montant de la rente annuelle issue du legs ou une partie quelconque de la rente, mais bien plus des reçus spécifiques de chaque réceptionnaire de dons.
A l’avenir, il faudra mettre en place la  façon de procéder suivante : le curé signale à la commune les secours mis en place, la commune distribue les aides contre un reçu et tient une comptabilité." (traduit de l’allemand)

Le curé Nicolas Brunagel, sûr de son bon droit et conforté par la situation en place et la manière de fonctionner du temps de l’Empire Français, refuse catégoriquement de dresser la liste des personnes nécessiteuses. Les autorités  interdisent alors au maire de verser le montant de la rente au curé. Cet argent sera crédité par le percepteur au budget communal et utilisé, en attendant, pour d’autres besoins municipaux.

Lorsque l’abbé Justin Auguste Pierron est installé le  5 octobre 1875,  il trouve une situation de conflit entre les autorités paroissiales et les autorités administratives.
 

              




L’abbé Pierron, dans la situation actuelle de lutte de l’Etat Allemand contre l’Eglise Romaine, ne peut dédire son prédécesseur et accepter la demande de l’administration. Il refuse lui aussi de céder et de dresser une liste des nécessiteux.


"Comme corollaire de mon refus, écrit-il, l’argent des pauvres me fut refusé."

Il peut être sûr que le baron de l’Espée le soutient dans sa démarche de refus, car ce dernier avait déjà fait prévaloir la volonté de Maurice d’Hausen face au conseil municipal, au début de l’affaire.

De plus Marcien de l’Espée avait opté pour la nationalité française le 1er mars 1872 et ne peut être suspecté de germanophilie, bien au contraire.
En attendant une évolution de l’affaire, l’argent de la rente d’Hausen continue à être crédité à la commune, mais sert à d’autres fins que celles voulues par le donataire.

Jusqu’en 1880, on ne trouve aucune mention de l’affaire dans le registre des délibérations du conseil de fabrique.
En tout cas, il apparaît que les autorités de Metz sous couvert du Cercle de Sarreguemines  ont fait des propositions au curé Pierron dans le but de trouver une solution. Le curé n’a apparemment pas donné de réponse, refusant toute proposition allant contre le droit défendu par son prédécesseur et lui.

Lorsque l’abbé Pierron entame un nouveau registre des délibérations, en 1880, il retrace longuement l’historique de l’affaire sous le titre "Affaire des pauvres avec les Prussiens. Histoire de la non-exécution d’un testament"

Il commence ainsi : "Ceci est écrit pour mon successeur, si on veut le chicaner, il connaîtra ses droits et pourra les faire respecter."
Puis il continue : "Cet historique est résumé dans ma lettre au sous-secrétaire d’Etat à Strasbourg, M. de Sommer-Esche. Cette lettre écrite le 20 janvier 1880 est restée sans réponse jusqu’aujourd’hui 12 juin 1880. Il est à croire que si mes pauvres ont faim, les Prussiens paraissent fort peu s’en soucier."

Cette fois-ci, il s’adresse directement à la plus haute autorité du Reichsland et ne passe pas par la voie hiérarchique. Pense-t-il que l’affaire trouvera une solution plus rapide depuis qu’un gouverneur (le Statthalter) est nommé à Strasbourg pour gouverner l’Alsace-Moselle, en remplacement du Président Supérieur?



Signature de l'abbé Pierron

 

Il est à noter que cette lettre est écrite entièrement en français alors qu’elle s’adresse à l’administration allemande. D’ailleurs tous les comptes-rendus des séances du conseil de fabrique sont inscrits en français par l’abbé Pierron, alors que son prédécesseur utilise l’allemand dès 1873, pour revenir au français en 1875.

L’abbé Pierron maîtrise parfaitement la langue de Goethe, nous le verrons plus loin, mais se fait un honneur "français" de narguer les nouveaux maîtres, ajoutant par là du retard à la réponse et au dénouement de l’affaire.

En 1880, le moment est désormais favorable pour  faire avancer le conflit, car Bismark, devant l’échec de sa politique intérieure, doit faire marche arrière et essayer de se concilier les bonnes grâces du nouveau pape Léon XIII élu en 1878, et du clergé catholique. Et devant la situation de précarité de beaucoup de ses paroissiens, il n’est pas permis plus longtemps au curé de laisser pourrir la situation, au détriment des nécessiteux.

Voyons la longue et intéressante lettre du curé au sous-secrétaire d’Etat M.de Sommer-Esche. Ce haut fonctionnaire travaille au ministère de l’Intérieur du Reichsland et s’occupe de l’enseignement et des cultes.
Nous passerons sur la partie de l’historique de l’affaire, déjà développée, pour nous attarder sur la suite, digne du meilleur avocat plaidant une affaire devant la Cour.

Là encore, il est utile de prendre connaissance, dans sa totalité, de la "plaidoirie"  du curé, car l’abbé Pierron sait parfaitement exposer et développer sa thèse, prouver ce qu’il avance, disséquer les arguments de la partie adverse et les réfuter en démontrant qu’ils sont faux. C’est du pur art oratoire, digne des plus grands avocats. En habile rhéteur, il place l’administration allemande devant un parfait dilemme qui n’admet pas d’échappatoire : une solution doit désormais impérativement être trouvée.

"Excellence,
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance une affaire d’un intérêt majeur puisqu’il s’agit de mes pauvres, affaire qui traîne depuis six ans et qui aujourd’hui encore n’a pas de solution.

Tel est, Excellence, aussi raccourci que possible, l’historique de cette affaire. Qu’il me soit permis, Excellence, de tirer les déductions qui ressortent naturellement de cet historique.
Déductions :
La première est celle-ci : les pauvres de Kalhausen ont un droit sacré de se voir distribuer annuellement la rente de 5 000 francs provenant d’un legs, celui de M. Maurice d’Hausen. Cette rente, depuis 1874, ne leur a pas été versée jusqu’à aujourd’hui.
Donc les pauvres de Kalhausen sont volés. (3)
De l’administration allemande ou du curé, il y a un coupable du vol fait aux pauvres. La loi seule peut décider qui de l’administration allemande ou du curé est coupable dans cette affaire.
Ceci posé :
Quelles sont les lois sur lesquelles s’appuie la Présidence de Metz, pour refuser au curé de Kalhausen l’exercice de son droit ?
La première est celle-ci : le legs a été fait à la commune, donc il est sa propriété. En matière de comptabilité pour la commune, il faut un rendement de compte.

La seconde loi est une circulaire ministérielle du 19 février 1817 ainsi conçue : "Lorsqu’il y a nomination d’une personne appelée par la confiance du donateur ou du testateur, à faire l’emploi de sa libéralité, sans être tenu d’en rendre compte, l’acceptation du don ou du legs faite par l’administration ne lui confère pas le droit de demander un compte, dont le mandataire est exempt, par la volonté du testateur ; elle lui impose seulement le devoir d’assurer ou de surveiller l’exécution de la disposition faite au profit des pauvres."

______________
(3) Les mots sont soulignés dans le texte transcrit au registre, même parfois doublement.

La troisième loi est une soi-disant circulaire ministérielle du 23 juin 1828.

Daigne votre Excellence me permettre de répondre une à une à chacune de ces lois pour examiner leur valeur respective.

Quant à la première, elle est admissible pour un percepteur, pour un fonctionnaire salarié quelconque, voire même pour le mandataire ou l’exécuteur testamentaire d’un legs fait à une commune, sans aucune restriction.

Mais pour le cas qui nous occupe, cette loi n’a qu’une valeur relative parce qu’elle a contre elle cette autre loi de droit commun : un testament valide doit être exécuté exactement d’après sa teneur. La dernière volonté d’un mourant est chose sacrée, surtout quand elle est hautement proclamée par les héritiers et qu’elle est acceptée purement et simplement et par la commune et par l’administration d’un pays. C’est là une chose indéniable.
Quelle a été la volonté de M. Maurice d’Hausen en nommant le curé de Kalhausen seul distributeur de ses libéralités ?

Ce n’a certes pas été de faire acte de pure philanthropie, de bienfaisance purement civile, en un mot, une aumône administrative. Car alors, il se serait adressé à un bureau de bienfaisance ou au conseil municipal. Il veut, par sa libéralité, donner au curé de Kalhausen, quel qu’il soit, le moyen de venir en aide à ses pauvres, de la façon dont il le juge convenable, sans que personne ait rien à y voir, parce qu’il trouve en lui l’honneur de la charité chrétienne, le ministre et l’agent des pauvres.

Les héritiers ont prouvé que c’était bien là la volonté de leur frère puisque de 1854 jusqu’à 1857 ils se refuseront à verser le capital de 5 000 francs pour la seule raison qu’un élément étranger veut s’immiscer dans la distribution des secours. M. de l’Espée surtout l’a prouvé puisque chaque fois que je lui ai fait part des exigences de la Présidence de Metz, sa réponse a été invariable : c’est contraire aux volontés de mon frère.

La commune a fait droit à la volonté du testateur, c’est-à-dire que le curé distribue, sans contrôle, l’argent de la rente, la délibération du conseil municipal de Kalhausen du 7 septembre 1856 en fait foi.
L’administration de 1857 a non seulement compris et accepté cette volonté. Elle l’a appuyée. La lettre du sous-préfet de Sarreguemines au maire (30 août 1856), l’arrêté préfectoral du 20 juin 1857 le disent tout haut. En versant pendant 17 ans au curé de Kalhausen les revenus de la rente d’Hausen contre une simple quittance du curé de la somme totale, l’administration a confirmé l’acceptation faite par elle de la volonté du donateur.
Et pourtant la loi pour la comptabilité des communes est une loi française. Personne, je le suppose, ne fera à M. le préfet de Metz de 1857 ni à M. le sous-préfet de Sarreguemines l’injure de supposer que ces Messieurs ne connaissaient pas cette loi.
Malgré cette loi, depuis 1857 jusqu’à 1874, le curé de Kalhausen a touché contre une simple quittance de la somme totale, la rente provenant du legs d’Hausen. Pendant 17 ans, les comptes de la commune ont pu être équilibrés au moyen de cette quittance totale : ab actu ad posse valet consecutis. (4)

____________________
(4) Il faut lire : ab actu ad posse valet consecutio, ce qui signifie : il ne faut jamais conclure de sa non-existence à son impossibilité, en bon français dès lors qu’une chose est, il n’est pas possible de douter qu’elle puisse être, puisque de fait elle est. Cet adage de logique était autrefois enseigné en théologie et utilisé par Saint Thomas pour expliquer la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’eucharistie.
la.revue.item.free.fr/paroisse_st_michel

On m’a objecté, il est vrai, qu’il y avait eu dans cette affaire un chassé-croisé de politesses entre l’administration française de cette époque et les héritiers de M. d’Hausen. C’est là une supposition plus que gratuite, car elle ne s’appuie sur aucun fait. Ici nous parlons loi, une supposition ne peut avoir aucune valeur pour un homme de loi qui demande et veut, avant tout les faits.

Les faits, les voici dans toute leur simplicité. M. Maurice d’Hausen a voulu, il en avait le droit, léguer 5 000 francs à la commune de Kalhausen, pour être distribués à des pauvres. Il a voulu, il en avait le droit, et il avait raison (les quelques centaines de francs employés par la commune de Kalhausen à la réparation des maisons d’école le prouvent), il a voulu, dis-je, et il en avait le droit, que ces revenus fussent distribués, sans contrôle, par les soins du curé de la paroisse.

La commune et l’administration ont accepté cette volonté, sans restriction. Donc la première loi sur laquelle s’appuie l’administration allemande n’a qu’une valeur relative et pour le cas échéant, elle n’a aucune valeur.

Seconde loi (circulaire du 19 février 1817). Les termes en sont tellement clairs et surtout tellement en la faveur du curé de Kalhausen que je ne veux pas m’y arrêter.

Troisième loi : pardon, Excellence, ce n’est pas une loi, c’est une simple décision, une lettre privée de ministre à préfet. Elle n’a donc pas force de loi. Et voulut-on l’admettre comme loi, elle a contre elle aussi une décision ministérielle du 14 octobre 1844 ainsi conçue : "Lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que l’intention du testateur, qui a chargé un curé de distribuer ses libéralités, était de laisser à ce curé liberté absolue dans le choix des pauvres, le curé ne doit pour toute reddition des comptes que la liste des pauvres qu’il aura secourus. Il pourra même taire le nom des pauvres honteux."
Bulletin des bureaux de bienfaisance p.40
Bulletin des lois civiles et ecclésiales p. 287

Cette jurisprudence qui est postérieure à celle de la lettre du ministre de 1828 a l’avantage d’avoir été suivie jusqu’en 1874, quand il ne nous est révélé aucun fait prouvant que celle de 1828 ait reçu une seule application. Il y a un axiome de droit qui dit : consuetudo est optima legum interpres, ce qui traduit, est généralement accepté sous cette rubrique : la prescription fait loi. (5)

En refusant jusqu’aujourd’hui les deux modes imaginés par la présidence de Metz, je crois n’avoir agi que dans le droit le plus strict ; en effet, les lois énoncées par l’administration me paraissent nullement convaincantes ; d’un autre côté, j’ai pour moi la volonté du testateur qui me dispense de tout compte (circulaire du 19 février 1817). J’ai en outre l’arrêté préfectoral du 20 juin 1857 dans lequel est formellement mentionnée la renonciation et de la commune et de l’administration à toute immixtion soit de l’un, soit de l’autre dans la distribution des revenus du legs d’Hausen.
______________
(5) C’est une ancienne loi romaine qui signifie : l’usage est le meilleur interprète des lois. En effet, l’usage ou la coutume accepté par une collectivité compense l’absence d’une loi
générale ou y remédie.

crm.revues.org


En outre, il y aurait des inconvénients fort graves résultant de l’acceptation des exigences de l’administration allemande. Ces exigences ont pour premier inconvénient de contrecarrer sinon d’annuler les intentions du testateur.
En effet, M. d’Hausen par ses aumônes veut faire le bien. C’est tout le contraire qui aura lieu si les conditions exigées par l’administration sont acceptées. Car alors la liste des pauvres doublée des quittances de chaque pauvre étant portée au compte municipal sera connue et commentée, surtout s’il y a dans la commune un maire hostile au curé (et le cas n’est pas rare), de là mécontentement, jalousie, murmures, haine contre la prêtre distributeur, haine réciproque entre les pauvres.

Le curé de Kalhausen pourra distribuer aussi équitablement que possible cet argent, la divulgation résultant de la liste des pauvres lui vaudra la haine de la classe pauvre. Je parle ici d’expérience.
Outre cet inconvénient, il y en a un autre non moins grave. J’ai dans ma paroisse des familles nécessiteuses, 6 et 7 enfants, qui ont à peine le pain de tous les jours, qui méritent à tous égards par leur vie laborieuse et régulière un secours de la rente d’Hausen et qui refuseront une aumône et souffriront la faim plutôt que de se voir figurer au compte municipal.

Excellence, j’ai fini.
Peut-être ai-je mis votre patience à une forte épreuve par la longueur nécessaire de ma requête. Mais il s’agit de mes pauvres, de mes pauvres qui ont faim, qui ont droit, un droit sacré à un secours qui leur serait plus  nécessaire que jamais, vu la misère toujours croissante de la classe nécessiteuse.
Aussi n’ai-je pas pu hésiter un seul instant à vous exposer dans tout son jour une question qui aujourd’hui plus que jamais demanderait une prompte solution. On fait en ce moment partout des quêtes et des loteries pour venir en aide aux pauvres si nombreux qui souffrent du froid et de la faim.
L’administration allemande m’impose des conditions que je ne peux ni ne veux accepter parce que l’administration n’a nul droit de les imposer, du moins à mon humble avis.

Jusqu’à présent les exigences de l’administration refusées par le curé de Kalhausen ont produit ce résultat que l’argent de la rente d’Hausen a été employé et affecté par la commune à des travaux qui n’ont rien de commun avec l’assistance due aux pauvres.
Je continuerai à refuser les exigences de l’administration jusqu’au jour où, la loi en main, cette administration me prouvera qu’elle est dans son droit ou me les imposera et cela lui sera difficile.

Faudra-t-il que mes pauvres se voient jusque là frustrés et de leur droit et de leur argent, j’espère que non. Excellence, je fais appel à votre humanité. Daignez mettre un terme à une  situation que tout homme non prévenu doit nommer inhumaine. Ou bien l’administration allemande est dans son droit en m’imposant ses conditions. Si je les refuse contre toute justice, qu’elle me traduise devant les tribunaux.
Ou bien je suis dans mon droit en les refusant. Que l’administration alors me verse sans délai un argent qui est dû à mes pauvres qui en ont un besoin pressant, qu’elle me verse cet argent dans les conditions énoncées au testament, dans les conditions acceptées et par la commune et par l’administration de 1857.

Daigne votre Excellence agréer en même temps que ma requête l’hommage de ma considération.
Kalhausen le 20 janvier 1880
Transcrit le 25 janvier 1880"

On le voit, après s’être basé sur les faits et la législation, le curé essaie de prendre son interlocuteur par les sentiments dans l’espoir de voir l’administration céder.
Pratiquement 7 mois passent et la réponse à ce courrier tarde toujours à venir. L’abbé Pierron s’adresse cette fois au président de Lorraine, à Metz par une lettre en date du 3 septembre de la même année.

Il écrit dans le registre des délibérations :
"La lettre à M.  Sommer-Esche étant restée sans réponse, le curé de Kalhausen pour maintenir ses droits, s’est derechef adressé à la Présidence de Metz.
Cette lettre est écrite en allemand pour voir si cette langue sera mieux comprise que la langue française."

Il y retrace rapidement l’historique de l’affaire, comme il l’a déjà fait dans la lettre pour Strasbourg et il explique que les pauvres, se voyant lésés en 1874, se sont adressés, pour faire valoir leurs droits, au baron de l’Espée, lequel s’est tourné vers le curé.

Il rajoute qu’il aurait pu demander à l’exécuteur testamentaire de saisir la justice, mais qu’il n’a pas voulu le faire, par respect pour la Présidence de Metz.
Il termine en demandant encore une fois au président d’étudier le cas et de lui faire part de ses décisions qui ne pourront être que favorables pour lui.

Début 1881 arrive enfin la réponse tant attendue de Strasbourg, écrite le 8 février, et l’abbé Pierron la retranscrit en notant : "Réponse bien tardive."

La lettre est bien sûr écrite en allemand, mais cela ne pose pas de problème au curé.

Le président de Lorraine concède volontiers au curé le droit, selon les dispositions du testament, de pouvoir distribuer aux pauvres les intérêts du capital, mais il lui demande, en fin d’année comptable, de bien vouloir adresser à la direction du Cercle de Sarreguemines un état des sommes versées à chacun.
Il rajoute : "En consultant les pièces versées à ce dossier, j’ai appris que le directeur du Cercle  de Sarreguemines vous avait déjà fait en 1878 la proposition d’un tel règlement de l’affaire et que cette proposition avait d’abord été acceptée avec reconnaissance par vous. Plus tard, au contraire, cette proposition avait été rejetée sans raison apparente.

Dans votre aimable courrier du 20 janvier, ces faits ne sont pas mentionnés.
Je ne peux que recommander vivement à votre Révérend, dans l’intérêt de l’affaire, de suivre mes recommandations mentionnées ci-dessus pour le règlement de l’affaire et d’y mettre de la bonne volonté.
M. le directeur du Cercle  de Sarreguemines a été averti pour qu’il fasse le nécessaire en vue du versement des intérêts à votre profit dès que vous vous déclarerez prêt à faire la vérification de l’année passée. Il sera demandé à la commune de Kalhausen de restituer les sommes correspondant aux intérêts et utilisées pour d’autres besoins communaux." (traduit des l’allemand)

Le curé ne saurait accepter de devoir rendre des comptes à l’administration pour les raisons qu’il a si bien expliquées dans sa lettre à Strasbourg, il veut avoir les mains libres et c’est pourquoi il a toujours refusé les propositions de l’administration allemande.

C’est pour cette raison aussi qu’il ne répondra pas à cette lettre du Président de Lorraine qui lui demande de mettre un peu de bonne volonté dans ses démarches.

Comme aucune réponse ne vient du côté du curé de Kalhausen, le directeur du Cercle de Sarreguemines revient à la charge le 27 mars 1881.

"J’ai l’honneur de m’adresser très humblement à vous,  mon révérend, pour savoir si vous êtes disposé à utiliser les intérêts du legs d’Hausen de la manière qui vous a été suggérée par l’administration impériale en date du 8 février." (traduit de l’allemand)

Voyant que l’administration ne veut pas laisser traîner l’affaire et qu’elle est prête à trouver une issue au problème, le curé s’empresse de lui répondre, le 4 avril. Il prend même les devants et lui fait des propositions, se plaçant ainsi en position de force. Si l’affaire échoue à ce stade, ce ne sera plus de sa faute.

"J’ai l’honneur de porter à votre connaissance, suite à votre courrier en date du 27 mars de cette année concernant le legs d’Hausen en faveur des pauvres, que je suis entièrement disposé à régler cette affaire.
Le fait est que pour la production des pièces comptables réclamées par l’administration de Strasbourg (et cela me paraît être, après mûre réflexion, la voie la plus raisonnable, en vue du règlement de cette affaire qui concerne depuis assez longtemps les pauvres du village) le curé de Kalhausen remettra chaque année à M. le directeur du Cercle de Sarreguemines tout simplement les reçus des aliments, vêtements et autres fournitures au profit des pauvres aidés, mais qu’il se gardera le droit (selon l’ordonnance ministérielle en date du 14 octobre 1844) de ne pas mentionner le nom des pauvres honteux et surtout je ne voudrais pas que les noms transmis à M. le directeur du Cercle soient divulgués. Je suis donc entièrement d’accord avec l’administration de Strasbourg.
Je reste, Monsieur le directeur du Cercle,  avec mon plus grand respect, votre très humble serviteur." (traduit de l’allemand)


Le 14 avril le directeur du Cercle répond au curé dans une lettre très technique détaillant la proposition de compte-rendu de la distribution des secours aux pauvres.

"J’ai l’honneur, mon révérend, suite à votre aimable courrier en date du 4, de vous répéter, très humblement, que je suis d’accord avec votre proposition du règlement de l’affaire du legs d’Hausen.
 Il ne s’agit plus que de trouver un arrangement en ce qui concerne le traitement des pièces comptables selon les normes et je vous demande très humblement par conséquent de me transmettre votre accord sur les propositions suivantes :
Le curé de Kalhausen, après chaque année comptable adressera à la direction du Cercle de Sarreguemines les pièces comptables suivantes :

I)    Une comptabilité de la répartition des intérêts du legs d’Hausen comprenant :


1) Les noms des personnes aidées ainsi que la somme correspondant à l’aide que chacune aura reçue, dont le montant en argent équivalent à l’aide reçue en nature
Par exemple :
Monsieur….en nature la somme de …..Marks et pf et en argent (en liquide) la somme de ….M et pf

2) Le nombre des pauvres honteux aidés sans indication de leur nom, 
    mais avec la mention pour chacun des sommes versées (en  nature et en liquide)
                    Par exemple :
                          Pour 4 pauvres honteux :   
                        a    en nature….Marks.pf et en liquide ……M.pf               
                        b    en nature….Marks.pf et en liquide ……M.pf
                        c    en nature….Marks.pf et en liquide ……M.pf   
                        d    en nature….Marks.pf et en liquide ……M.pf

II)    comme pièces justificatives

1)    les quittances  des personnes aidées pour les sommes reçues

2)    les factures des fournisseurs pour les biens en nature

3)    en ce qui concerne les pauvres, un reçu global de l’aide totale versée, en nature et en liquide, établi par le curé.
     Pour les pauvres honteux, j’ai l’honneur de poser une seule  
     condition, que le montant total des aides qui leur sont versées ne dépasse pas la moitié des intérêts du legs d’Hausen.

Le directeur du Cercle demandera directement au curé de Kalhausen toutes les explications nécessaires au contrôle de la comptabilité.
Après contrôle, le directeur du Cercle retournera la comptabilité au curé de Kalhausen avec la mention qu’elle a été examinée et qu’il n’y a pas de remarque à faire.

En même temps, le directeur du Cercle avertira le percepteur que la comptabilité de l’utilisation des intérêts du legs d’Hausen aura été contrôlée, qu’il n’y aura rien à redire et que décharge sera donnée à M. le curé, avec l’instruction de conserver cette décision comme justificatif pour les pièces de la comptabilité communale.
J’ai l’honneur, mon Révérend, de vous demander très humblement de bien vouloir me faire part le plus rapidement possible de votre accord à propos de
ces propositions. Dès réception de votre réponse, j’ordonnerai le versement à votre profit des intérêts échus du legs d’Hausen." (traduit de l’allemand)



Le curé n’a pas obtenu entière satisfaction en ce qui concerne l’anonymat des personnes aidées, seuls les pauvres honteux, ceux qui ne veulent pas être nommés, pourront rester dans l’anonymat. Il doit se plier par ailleurs aux exigences de l’administration.
Mais il n’a pas dit son dernier mot.

Le 20 avril, il répond à la lettre du directeur du Cercle, en français, alors que les autres courriers avec le Cercle étaient rédigés en allemand.

"J’ai l’honneur de rappeler à votre bienveillant souvenir l’entretien dont vous avez voulu m’honorer à Wittring, lundi dernier 18 du courant.

J’ai eu l’honneur dans cet entretien de vous adresser deux demandes respectueuses. La première concernant le legs d’Hausen était celle-ci : je prie M. le Kreisdirector de Sarreguemines de vouloir dispenser mes pauvres de fournir les quittances signées pour les secours qu’ils pourront à l’avenir recevoir des arrérages du legs de M. Maurice d’Hausen.

Vous avez daigné, M. le Kreisdirector, admettre la justesse de cette demande et me promettre d’y faire droit.

La seconde demande de ma part concernait le mur de mon jardin qui est complètement en ruines et qui demande de toute urgence une réparation.
En vous remerciant, Monsieur le Kreisdirector, pour la délicatesse de vos procédés, surtout dans l’affaire concernant les pauvres de Kalhausen, j’ai l’honneur, Monsieur le Kreisdirector, de vous prier d’agréer l’assurance de ma considération."

L’abbé Pierron tient à son idée d’anonymat des personnes aidées et en même temps il ose proposer une requête toute personnelle concernant son jardin et reflétant les relations parfois houleuses également entre le curé et la municipalité. Grâce à l’intervention du directeur du Cercle, pense-t-il, la commune se verra contrainte d’entreprendre des réparations qu’elle diffère faute de moyens. On notera aussi dans ce courrier des mots excessivement flatteurs employés à dessein. (6)
_________________
(6) Les relations maire-curé n’ont pas toujours été sereines à Kalhausen et des problèmes sont survenus à propos du jardin du curé lors de la construction de la rue de la gare et aussi
au sujet du presbytère. Cela a fait l’objet d’une autre étude.


La réponse du directeur du Cercle est bien sûr attendue avec impatience par l’abbé Pierron,
L’administration écrit le 6 mai au curé de Kalhausen.

"J’ai l’honneur, mon Révérend, de répondre très humblement à votre aimable lettre en date du 20 avril que j’écarte votre souhait concernant la production des reçus émanant des pauvres auxquels une aide issue du legs d’Hausen a été accordée.

Je vous demande maintenant très humblement, mon Révérend, de bien vouloir signer la notice explicative ci-jointe qui contient les différents points reconnus par vous concernant la présentation de la comptabilité et de me la retourner.

De mon côté j’ai demandé à la commune de Kalhausen de bien vouloir vous faire parvenir les intérêts arriérés du legs d’Hausen.
J’ai en outre demandé au percepteur de la commune de bien vouloir désormais vous verser les intérêts échus du legs d’Hausen, sans autres directives, de ma part, contre la production de votre côté du reçu des sommes à percevoir." (traduit de l’allemand)


Dans ce courrier, apparemment l’abbé Pierron n’obtient pas ce qu’il souhaitait et que lui avait promis le directeur du Cercle, à savoir la dispense des quittances signées par les pauvres. De plus, il n’est fait aucune mention du mur du jardin.
On sent que la patience du directeur du Cercle a des limites et que la plaisanterie a assez duré. Il est temps maintenant d’en finir avec cette affaire qui dure depuis 1874, depuis 7 ans. L’abbé Pierron ne fait aucun commentaire.
                                                      
Il transcrit encore au registre la lettre reçue par le maire de Kalhausen et écrite par le directeur du Cercle, également le 6 mai 1881.
 
"Les intérêts du legs d’Hausen ont été conservés depuis 7 ans par la commune. L’administration impériale a décidé par l’ordonnance de 8 février que les intérêts produits par le legs d’Hausen devaient être versés pour les besoins de M. le curé si ce dernier s’engage à utiliser cet argent dans le sens du legs (en français dans la transcription, rajout de l’abbé Pierron :  "cela veut dire, entre parenthèses, comme bon lui semble et de rendre compte qu’il lui a plu de vouloir bien rendre") et s’il apporte la preuve de leur utilisation au Directeur du Cercle  actuel de Sarreguemines de la manière dont il aura convenu avec l’actuel Directeur du Cercle.
Désormais, après que le curé de Kalhausen se soit déclaré prêt à présenter chaque année au directeur du Cercle de Sarreguemines la comptabilité de l’utilisation des intérêts du legs en question (en français, dans la transcription : "ici, encore, entre parenthèses, pour faire remarquer à mes successeurs que la comptabilité n’est pas du tout celle qu’on avait voulu m’imposer d’abord, mais celle que j’ai imposée moi-même dans ma lettre que j’ai transcrite le 4 avril 1881)
Il n’y a pas d’obstacle au versement des intérêts du legs d’Hausen et les intérêts qui ont été versés à la commune depuis 1874 mais qui n’ont pas été utilisés pour aider les pauvres (1 256 Marks et 59 pfennig) sont à créditer à M. le Curé. (soit près de 4 000 euros)
Je vous demande de prendre contact avec le percepteur de la commune au sujet des modalités du versement.
Je vous demande aussi très humblement de bien vouloir demander au percepteur de la commune de verser désormais les intérêts échus du legs d’Hausen sans autre instruction au curé de Kalhausen contre un reçu.
De mon côté, après la clôture de l’exercice comptable, lorsque M. le curé m’aura transmis la comptabilité de l’utilisation des intérêts du legs en question, lorsque j’aurai contrôlé cette comptabilité, je vous aviserai que la comptabilité m’aura été présentée et qu’il n’y a rien à redire.
Ce contrôle doit figurer comme pièce dans la comptabilité communale." ( traduit de l’allemand). 

Et le curé rajoute, en français, avant de clore ce long chapitre :

  "Et puis c’est fini grâce à Dieu ; cela a duré assez longtemps."




Les deux remarques rajoutées dans la transcription par l’abbé Pierron méritent quelques commentaires.
La première remarque semble être à l’avantage du curé : l’administration a reconnu qu’il pouvait disposer de l’argent comme bon lui semblait, c’est-à-dire le distribuer à qui il voulait. Mais cela a toujours été le cas et cette condition n’était pas la pierre d’achoppement. Ce n’est pas un point marqué par le curé.
La seconde remarque est un pis-aller : le curé voulait avoir les coudées franches, c’est-à-dire pouvoir disposer de l’argent sans avoir de compte à rendre, sans devoir dresser une liste des personnes aidées, sans devoir produire des états et des quittances à destination de l’administration. Là, il n’a pas eu gain de cause. Tout au plus a-t-il eu la pertinence, voire la subtilité de proposer à l’administration des modalités de compte-rendu. L’acceptation de ces propositions par l’administration allemande, dans un souci d’apaisement, fait en sorte que le curé semble sortir vainqueur d’une affaire qui a beaucoup trop duré, qui a fait des victimes collatérales en la personne des pauvres et qui aurait pu trouver une solution beaucoup plus rapide avec un peu de bonne volonté.
Mais Kalhausen et toute la Moselle étaient alors Terre d’Empire en cette fin du 19° siècle et les circonstances politiques telles que la germanisation et
le "Kulturkampf" ont eu comme résultantes une animosité, un esprit de résistance contre le Reich allemand et son administration, pouvant expliquer l’attitude obtuse de certains membres du clergé.


1881-1899
L’apaisement ou le versement sans histoires des intérêts

L’affaire du legs étant désormais réglée, l’abbé Pierron perçoit de la commune les intérêts issus du legs d’Hausen et les distribue aux pauvres, tout en rendant des comptes à l’administration. Sa mutation intervient en 1890 et un nouveau prêtre est nommé en la personne de l’abbé Jean-Michel Albert (installation du curé le 6 octobre 1890).


 


Les premières années se passent sans heurts et l’abbé Albert, suit scrupuleusement le mode de fonctionnement mis en place par l’administration allemande et accepté par son prédécesseur Pierron en 1881.

Lorsque la distribution des aides est terminée, le curé envoie au Cercle la feuille justificative de l’emploi des intérêts (Verwendungsnachweis), généralement vers le mois de mars. Cette feuille mentionne les sommes individuelles allouées aux "pauvres ordinaires" (die gewöhnlichen Armen),
avec indication de leur nom et prénom et aux "pauvres honteux" (die verschämten Armen), sans indication de leur identité. Pour les aides en nature,
il est fait mention des fournisseurs de biens et des sommes qui leur sont payées : magasins,  commerçants, pharmacie, garde forestier, boulanger…

Le récapitulatif comprend en recettes le montant total de la somme versée par le percepteur et en dépenses le montant total des aides distribuées, avec parfois un déficit qui sera repris l’année suivante.

Le directeur du Cercle contrôle ce bilan comptable valant justificatif de l’emploi des intérêts et donne décharge au curé pour sa gestion.
Il lui renvoie une copie du compte, avec éventuellement ses remarques.
En même temps, il avertit le maire qui établit un ordre de versement pour les intérêts suivants (Zahlungsanweisung), et le percepteur qui débloquera
la somme concernée, disponible le 1er janvier de chaque année.


L’argent est régulièrement crédité sur le compte de la commune, débloqué par le percepteur, payé au curé et distribué par lui, pendant cette période, sans qu’il y ait des problèmes :
  
Années comptables
Montant en Marks
des interets versés
Années de paiement
1892
173
1893
1893
192
1893
1894
192
1894
1895
192
1895
1896
192
1896
1897
192
1897
1898
192
1898
1899
192
1899
 
Le montant annuel des intérêts équivaut à 237 Francs de l’époque, soit environ 600 euros. (1 Mark = 1,235 F en 1878  www.persse.fr)

1900-1912
De nouvelles difficultés ou l’Abbé Albert contre la commune et l’administration


Le 4 juin 1902, le maire de Kalhausen s’adresse au directeur du Cercle pour l’informer au sujet des intérêts issus de la rente d’Hausen "que l’argent est depuis deux ans dans la caisse de la commune, parce que le curé a cessé de le distribuer." (7)
Il rajoute : "Nous avons beaucoup de pauvres qui ont absolument besoin d’aide."

L’argent a donc été crédité sur le compte de la commune, mais n’a pas été réclamé par le curé.

Comment se fait-il que le curé ait soudainement arrêté de réclamer à la mairie l’ordre de versement de l’argent et laissé "ses pauvres" dans le besoin, alors que l’aide est disponible depuis deux ans ?

La raison de cette situation anormale est toute simple : deux affaires opposent le curé Albert au maire Fabing depuis quelques années déjà. La première (8) concerne le presbytère que le curé trouve inapproprié à son standing et insalubre, et la seconde (9) la construction par la commune de la nouvelle route vers la gare, qui doit empiéter sur le jardin curial, le cimetière et une parcelle appartenant au conseil de fabrique.

Pour ces affaires, aucun arrangement n’est trouvé pour le moment entre les deux parties et la relation curé-maire ne se fait qu’au moyen de courriers. Tout le monde s’évite poliment.

Dans ces conditions, on voit mal le curé demander au maire un ordre de versement. Ou bien le maire lui fournir automatiquement cet ordre. Et tant pis pour ceux qui attendent des secours !

Le Cercle de Sarreguemines réagit rapidement :
-    demande d’explications au percepteur de Rohrbach sur la situation (31 mai 1902),
-    ordre au maire de verser les intérêts de 1900 et 1901 (4 juin)
-    demande au curé de renvoyer le justificatif d’utilisation des intérêts pour 1899 et 1900 (4 juin)

Le curé obtient donc en 1902, certes avec du retard,  les intérêts de 1900 et 1901.
L’année suivante, le Cercle demande au curé le 12 février, la production du justificatif de l’utilisation des intérêts versés en octobre dernier.
Le curé répond le 18 février que "d’après les coutumes, les justificatifs sont envoyés seulement au mois d’avril, ce qui sera aussi le cas cette année."
Il rajoute qu’il serait souhaitable "que les intérêts échus depuis le mois dernier soient versés déjà maintenant, ainsi on pourrait renvoyer en même temps, en avril prochain, les deux justificatifs."

Le 16 mai 1903 le Cercle informe le maire que les justificatifs pour 1900 et 1901 lui sont bien parvenus et lui donne l’ordre de verser les intérêts de 1902.
Le même jour, il demande au curé de lui renvoyer le justificatif concernant ces intérêts.

L’utilisation des intérêts issus du legs d’Hausen semble désormais reprendre son cours normal, avec cependant non plus des déblocages annuels, mais bisannuels.

En novembre 1904, arrive au Cercle de Sarreguemines une lettre écrite de Weidesheim, le 16 du mois par Madame Firmin-Didot. (10)
Voici sa lettre, écrite bien sûr en français :

"Monsieur le Kreisdirector,

 Un secours ayant été demandé par une malade indigente de Kalhausen, j’ai déclaré qu’un legs avait été fait par un de mes parents en faveur des pauvres de la commune, que cette personne devait être secourue déjà et que par conséquent je ne jugeais pas nécessaire de lui donner une seconde fois.

J’ai été fort étonnée d’apprendre alors que cette personne n’avait rien reçu de ce côté.
Je vous serais donc très obligée de me faire savoir si la distribution aux pauvres des secours provenant du legs est faite.
Recevez, Monsieur le Kreisdirector, l’expression de ma considération distinguée.
De l’Espée Firmin-Didot"

_____________________
(7) Les textes cités, en italique, ont été, sauf contre-indication,  traduits de l’allemand (période de 1871 à 1918).
(8 et 9) Voir le dossier Relations maire-curé
(10) Louise Marie-Thérèse de l’Espée, épouse Albert Raoul Firmin-Didot, est la fille du baron Marcien de l’Espée, l’exécuteur testamentaire de Maurice d’Hausen, l’auteur du legs.

Le directeur du Cercle lui répond le 21 suivant en lui disant de s’adresser au curé de Kalhausen, lui seul étant compétant pour distribuer les secours.
Peu après, le 14 janvier 1905, le curé s’adresse au Cercle, pour l’informer de la visite de Louise Firmin-Didot.
Il ajoute :
"Je ne suis malheureusement pas dans la situation de lui donner les explications souhaitées.
Depuis octobre 1902, aucun ordre de versement ne m’est parvenu de la part des autorités municipales, bien que depuis le 1er janvier dernier, les intérêts issus du legs d’Hausen sont échus pour 1901, 1902, 1903, 1904, 1905. Je vous serais très reconnaissant, si vous pouviez me communiquer pourquoi les autorités municipales ont ce comportement, pour que je puisse en informer la famille de l’Espée qui a intérêt à ce que la volonté du testateur soit accomplie."

Cela veut dire tout simplement que depuis 3 ans, les intérêts sont disponibles à la Perception, mais que le curé ne les a pas réclamés, faute d’ordre de versement donné par le maire.

Vis-à-vis de la famille du testateur, cela fait un peu désordre pour l’administration allemande et le Cercle prend immédiatement les choses en main, en demandant des éclaircissements au percepteur.

Ce dernier répond au directeur du Cercle que les intérêts correspondant à trois années (1902, 1903 et 1904) n’ont pas été versés et sont toujours disponibles. (lettre du 19.01)

Le directeur s’adresse alors au maire et le met en demeure de lui renvoyer l’ordre de versement des intérêts de 1902, comme il l’avait déjà demandé
le 6 mai 1903. (lettre du 25.01)


Le maire s’empresse de lui répondre "de façon bien obéissante", le 30 janvier, et lui adresse un ordre de versement pour 1902 et 1903. En même temps,
il lui adresse une liste des pauvres, telle que le conseil municipal l’a établie.

Il rajoute :
" Selon le testament d’Hausen que j’ai en mains, Monsieur le curé est dans l’obligation de distribuer l’argent aux pauvres de cette liste."


Cette liste de "la pauvreté notoirement reconnue de Kalhausen" comporte 27 personnes, dont des familles avec enfants.
On compte 3 journaliers, 3 personnes sans profession, 1 veuf aveugle, 13 célibataires majoritairement des femmes, 2 personnes mariées, 6 habitants faiblement imposés.

Si l’on compare cette liste établie par la mairie au justificatif établi en 1903 par le curé, on arrive au même nombre de personnes aidées grâce au legs d’Hausen (15 pauvres ordinaires et 12 pauvres honteux).
On ne peut pas comparer tous les noms, car "les pauvres honteux" ne sont pas nommés, toutefois 4 noms se retrouvent sur les deux états, dont la personne aveugle.

Le 1er mars, le directeur demande au percepteur de débloquer les intérêts de 1902 et 1903, soit 384 Marks, bien que le justificatif d’utilisation de la somme que le curé doit établir, ne soit pas encore rentré.
Le même jour, il réclame la pièce manquante au maire.
Ce dernier lui répond le 18 avril qu’il n’a toujours rien reçu de la part du curé et qu’il ne sait pas si un tel état a vraiment été dressé ou adressé à un
autre destinataire.

Le Cercle redemande, le 29 avril, le document qui fait défaut.
Le 8 mai, c’est au tour du percepteur de réclamer au maire le fameux document, ajoutant : " C’est bien vous qui devez me faire parvenir le justificatif que le curé en personne est dans l’obligation de présenter. Ce n’est pas mon affaire !"

Le maire répond au Cercle, le 24 mai, qu’il a demandé par lettre au curé de bien vouloir lui faire parvenir "ici, à la mairie, sous huit jours" le justificatif, pour qu’il puisse le faire parvenir au Cercle.

La réponse du curé au maire est immédiate (lettre du 23 mai) :
-    aucune demande de justificatif n’est encore parvenue de la part du Cercle,
-    le document sera établi après la fin de la distribution des aides,
-    il n’est pas à produire "ici", mais à la Direction du Cercle,
-    cette dernière n’a pas encore retourné le dernier bilan comptable envoyé.

Par conséquent, comme le curé ne veut pas remettre au maire le document réclamé,  le directeur du Cercle s’adresse au curé, le 15 juillet, et lui demande les justificatifs pour 1902 et 1903.
Une seconde fois, le 22 août suivant, le même document est réclamé.
Le curé, enfin daigne répondre le 20 septembre. Dans sa réponse, il cite la lettre reçue de la mairie le 13 mai et sa réponse en date du 23.

Puis il continue :

"Le fait que je n’ai pas reçu, comme d’habitude, la feuille comptable pour 1901, avec décharge, doit certainement résulter d’un oubli. Aussi ai-je l’honneur de vous demander de bien vouloir m’adresser ce document, avec décharge, pour me permettre la mise à jour de cette affaire."

Mais il n’envoie toujours pas le fameux document.

Le directeur du Cercle est encore une fois obligé de le lui réclamer, par courrier du 27 septembre. Il l’assure en même temps que décharge lui a été accordée pour les comptes de 1900 et 1901, ce que le curé voulait savoir.
Il rajoute :

"Si vous désirez conserver un justificatif, je vous prie de l’établir en deux exemplaires."


Le curé s’adresse de nouveau au Cercle le 8 janvier 1906.

"Il ressort des documents que le bilan comptable est à retourner au curé et que la caisse communale doit verser les intérêts échus sans autre ordre émanant de la direction du Cercle, mais simplement contre un reçu du curé pour le montant versé.
Je m’en remets à vous, pour m’envoyer le dernier justificatif, pour que je puisse le joindre aux autres documents."

Le directeur du Cercle  répond le 27 juin suivant :

"Suite à votre lettre du 8 janvier je vous adresse, mon révérend, une copie du justificatif concernant l’utilisation des intérêts de 1900 et 1901.
Je compte à présent recevoir bientôt, en contrepartie, le même document comptable pour 1902 et 1903, en double exemplaire."

Le curé obtempère enfin le 18 août, en envoyant le document réclamé. Pas moins de 12 courriers entre le Cercle, la Perception, la Mairie et le Presbytère ont été nécessaires pour débloquer la situation.

Mais le curé, dans sa lettre, demande "qu’aucune tierce personne ne puisse avoir droit de regard sur le justificatif de l’emploi des intérêts, comme les documents le stipulent et que dorénavant, l’ordre de versement des intérêts échus me soit transmis."

Le curé veut donc décider seul qui a besoin de secours et le conseil municipal n’a pas à s’en mêler, en tant que tierce personne. C’était dès le départ la prérogative des curés Brunagel et Pierron. Ils avaient eu raison et la commune avait laissé faire.

Si la commune a essayé de se mêler de la distribution des aides, en 1905, en établissant une liste des personnes nécessiteuses, cela est une des résultantes du conflit ouvert entre le curé et le maire. Chacune des parties veut imposer ses vues à l’autre.

Mais le maire n’a pas eu raison de la part du Cercle : ce n’est pas à lui, selon les documents en mains,  de décider de l’utilisation des fonds. Le curé seul, choisit les bénéficiaires du legs.

Si la situation ne s’est pas débloquée plus rapidement, cela est le fait des "caractères forts" en présence. Personne ne veut céder et avoir l’impression
de perdre la face.  Le curé ne va pas demander l’ordre de versement au maire, lequel ne va pas le remettre en mains propres au curé qui  attend qu’on le lui présente.


Ensuite le curé, en bon pinailleur, utilise toutes les possibilités qui lui sont offertes pour contrecarrer l’administration allemande et refuse de se soumettre à ses  demandes, avant que les siennes n’aboutissent.
C’est peut-être de bonne guerre, mais pendant le temps que les deux parties "guerroient", les pauvres ne touchent pas leur dû et font les frais d’un conflit inutile qui voit s’opposer des individualismes et des égoïsmes.

Mais même si l’administration fait des efforts louables pour régler le conflit et rendre l’argent disponible auprès de percepteur, si le curé ne réclame pas cet argent, les efforts auront été vains.

Et c’est ce qui va de nouveau se passer, car en cette année 1906, les autres affaires sources de conflits ne sont toujours pas réglées à l’amiable.

Le 2 octobre 1906, le percepteur avertit le Cercle que les intérêts de 1904 et 1905 n’ont pas encore été payés au curé et qu’ils sont toujours disponibles.
Dans une lettre au Cercle, en date du 25 octobre suivant, le maire écrit :

"La distribution des intérêts issus du legs d’Hausen est à faire par Monsieur le curé aux indigents reconnus de la commune. Dès que le justificatif de cette distribution est présenté, l’ordre de versement peut être automatiquement établi.
Mais la commune exige avec fermeté, et elle s’y sent autorisée, de connaître  le nom et le montant de l’aide de chaque pauvre. Ainsi, chaque année,  sans plus, l’ordre de versement sera donné au curé après production du justificatif."

On croyait l’affaire résolue, mais voilà que le maire présente des exigences qui ne sauraient être admises par le curé.
En mai 1907, selon le percepteur, les intérêts de 1904, 1905 et 1906 sont disponibles, soit 576 Marks. Le curé se plaint le 7 octobre de la même année auprès du directeur du Cercle de ce que les intérêts de 1904, 1905, 1906 et même 1907 n’ont pas encore été payés.
"Par ces retards incompréhensibles, on cause un tort non négligeable aux pauvres, ce qui n’est pas dans l’esprit du legs."

Le directeur du Cercle écrit au maire le 4 janvier 1908 :

"Je vous demande de payer les intérêts issus du legs d’Hausen et accumulés jusqu’en 1906 contre un reçu de Monsieur le curé. (384 Marks)
En ce qui concerne le règlement futur du legs en question, je remarque que Monsieur le Président de Metz a concédé à Monsieur le curé l’utilisation des revenus de la rente, selon les documents du legs, et que la manière de les utiliser doit être justifiée dans la comptabilité communale."

Le même jour, il demande au curé de lui renvoyer le justificatif de l’utilisation de cette somme de 384 Marks et il lui adresse en même temps un
formulaire pour le versement futur des intérêts.


Le curé ne lui répond que le 4 août :

"Le justificatif de l’utilisation des intérêts du legs d’Hausen n’a pas encore pu être envoyé, car un fournisseur n’a toujours pas produit de facture malgré de nombreuses demandes.
J’aimerais ensuite faire remarquer que les intérêts ne sont pas distribués dans l’esprit du legs et que je vous serais très reconnaissant,  dans l’intérêt des pauvres, pour une information appropriée sur les causes des retards, sur la conservation et l’utilisation de l’argent.
En même temps, je vous répète l’information que j’ai transmise à Monsieur l’Inspecteur de l’Ecole Müsslin, à savoir que le jeune Joseph Fabing, d’âge scolaire, né le 10 juin 1897, ne fréquente plus l’instruction religieuse depuis le 1er juin."

Le 15 octobre, le même document est encore une fois réclamé au curé par le directeur du Cercle.

On se demande vraiment qui montre le plus de mauvaise volonté, si les excuses du curé sont vraiment valables et qui possède le plus grand pouvoir de nuisance.
Voilà même que le curé utilise l’arme de la délation pour essayer de discréditer son adversaire aux yeux du Cercle, mais je doute fort que la direction ait donné suite à cette dénonciation, puisqu’en marge du paragraphe en question figure cette annotation : "Ne concerne pas du tout le legs."

Le 8 janvier 1910, le maire adresse une longue supplique au Cercle :

"Je me vois obligé de prier la direction du Cercle, de bien vouloir m’aider dans la situation décrite ci-dessous :
Comme vous le savez, monsieur le curé n’a pas distribué aux pauvres les intérêts issus du legs d’Hausen pour les années 1906, 1907, 1908 et 1909. Il y aurait maintenant 768 Marks à distribuer.

La misère est grande en cet hiver, les denrées de consommation sont chères et le tressage de chapeaux de paille peu rémunérateur. Les secours seraient les bienvenus pour les pauvres. Pour moi, le refus de monsieur le curé de distribuer l’argent est dû au refus de produire le justificatif de l’utilisation des fonds.
Un tel motif ne devrait quand-même pas être la raison de laisser les pauvres de la commune dans la misère. Les autorités et l’administration de la commune devraient savoir quels sont les pauvres aidés et dans quelle mesure ils sont secourus.
De plus, la production du justificatif est une disposition du legs.
Je ne peux pas rencontrer directement Monsieur le curé, car je sais par expérience que mon intervention personnelle dans cette affaire resterait infructueuse.
C’est pourquoi je prie l’administration de bien vouloir obliger Monsieur le curé à distribuer l’argent en question sous la condition d’établir le justificatif obligatoire.
D’après moi, toute la somme disponible est à distribuer.
L’utilisation des fonds pour acquérir des biens matériels de la part du curé pour les pauvres n’est pas judicieuse et moins profitable que le versement d’une somme d’argent. En vérité, c’est le manque d’argent qui est très grand chez les personnes nécessiteuses."

On ressent ici toute la détresse du maire Fabing, toute son incapacité de faire aboutir l’affaire, car il a en face de lui un curé intraitable et dur, toute son humilité aussi, puisqu’il demande assistance et aide à sa hiérarchie, et par là pourtant toute sa volonté de trouver une issue profitable aux pauvres dont paraît peu se soucier leur pasteur.

Il n’empêche que le maire essaie pourtant de discréditer auprès de sa hiérarchie l’action du curé qui distribue aux pauvres des biens matériels et de l’argent. Il n’y a pas de contre-indication à cette initiative prise par le curé : le prêtre doit certainement bien connaître les besoins de certaines familles
et pourvu que les pauvres soient aidés, peu importe la manière. Et parfois il vaut mieux distribuer des produits de première nécessité qu’une somme d’argent qui pourrait être dépensée à mauvais escient.


Le Directeur du Cercle, bien embarrassé lui aussi par cette affaire qui dure, s’adresse à la Présidence de Metz, par courrier en date du 12 février 1910,
pour prendre connaissance des textes qui régissent le legs.


Le directeur y retrace brièvement l’historique du legs : les premiers démêlés avec la commune en 1875, puis l’arrêté de 1881 qui mettait en place une procédure agréée par la commune et le curé, enfin les nouveaux problèmes survenus récemment.
Il ajoute qu’il "prévoit de faire intervenir, si possible, des changements dans la manière d’opérer actuelle."
C’est dans le but de les étudier, qu’il lui demande de lui faire parvenir une copie du testament et de l’arrêté de 1881.

Le directeur s’empresse alors d’écrire au curé, à la date du 13 mars :

"Je reviens vers vous, mon Révérend, au sujet des retards pris depuis maintenant plus de trois ans, par le paiement des revenus annuels issus du legs de Maurice d’Hausen, et cela dans l’intérêt des nombreux pauvres de la commune.
Comme il ressort des documents, dont je viens seulement de  prendre connaissance, un arrangement écrit avait été trouvé entre un de vos prédécesseurs et le directeur du Cercle de l’époque, au sujet du paiement des intérêts à l’occupant de la cure et de la production, par ce dernier, du justificatif de l’utilisation de l’argent. Cet arrangement a été transmis par la direction du Cercle de l’époque au curé Pierron, le 14 avril 1881.

Comme je ne sais pas si le contenu de cet arrangement vous est connu, je me permets de vous faire suivre ci-dessous les principaux points concernant la production du bilan.

Je pense que l’observation de ces points prévus à cette époque et encore valables aujourd’hui peut éviter des difficultés dans la gestion de l’affaire.
Je vous prie, donc, mon Révérend, de m’adresser en retour le justificatif de l’utilisation du montant des intérêts jusqu’en 1903 inclus.
J’attends de votre part également l’envoi du justificatif pour 1903-1905 et je vous ferai parvenir en retour l’ordre de versement des intérêts disponibles depuis 1906 et qui se montent à 768 Marks."

A la lecture de ce courrier, le curé doit avoir jubilé, puisqu’il connaît le contenu de l’arrangement de 1881, retranscrit par l’abbé Pierron dans le registre
des délibérations, ainsi que toute l’histoire du legs depuis 1854.


Ce que l’abbé Albert veut, c’est que la mairie justement ne s’occupe pas de la distribution en fournissant une liste des nécessiteux. Or le maire veut aussi avoir son mot à dire, car il suspecte, peut-être à bon escient, des préférences de la part du curé, du favoritisme, surtout en cette période de conflit ouvert où il est facile de pénaliser les partisans du camp adverse et de faire du clientélisme.

Ce que le curé veut, c’est que la commune ne puisse pas connaître les bénéficiaires de l’aide et que toute la correspondance se fasse directement avec le Cercle, en court-circuitant la mairie, qui ne devrait servir que de boîte aux lettres.

Le curé se donne le beau rôle dans sa réponse au Cercle en date du 22 mars.

"Je me permets de répondre à votre lettre du 12 mars dernier, que j’attends enfin volontiers le dénouement de cette affaire qui traîne depuis des années.
Je déplore vivement que les documents qui se rattachent à cette affaire soient venus aussi tardivement à votre connaissance et que vous avez dû faire exécuter une difficile copie de ces documents, alors que leur contenu m’est connu dans sa totalité.
De mon côté, j’ai respecté pendant toutes ces années l’arrangement de 1881 et le mode de fonctionnement mis en place, je me suis retenu de toute modification et ai rejeté toute immixtion d’un tiers.
J’aimerais encore faire remarquer que la commune doit avoir perçu non seulement les intérêts de trois années, mais de cinq. Le montant total des intérêts s’élève donc à 960 Marks.
J’ose espérer que vous reconnaîtrez la justesse de ma remarque et dans ce cas, je vous adresserai bientôt, dans sa forme usuelle,  le justificatif de l’emploi des intérêts de 1903-1905."

Le directeur du Cercle confirme au curé, dans sa réponse en date du 26 mars suivant qu’il y a effectivement quatre fois 192 Marks disponibles et qu’au 1er avril se rajouteront encore 192 Marks, ce qui fera en tout 960 Marks. Il n’oublie pas de réclamer les fameux justificatifs… que le curé lui envoie encore dans la semaine pour les années 1903-1904 et 1904-1905.

Le 1er avril, le percepteur reçoit l’ordre de verser la somme de 960 Marks.


Années comptables
intérêts en Marks
Années de versement
1900 et 1901
384
1902
1902 et 1903
384
1904
1904 et 1905
384
1907
1906 à 1910
960
1910
 

On se dit que l’affaire est enfin terminée pour le plus grand bien des pauvres du village et que désormais les intérêts seront récupérés et distribués régulièrement, chaque année, par le curé. C’est sans compter sur l’esprit pinailleur du curé Albert qui ne manque aucune occasion pour rappeler au directeur du Cercle un document non retourné, une hypothétique échéance de versement non respectée, un dû non réglé, un oubli de la part du percepteur, etc, etc…

Il serait trop long de transcrire ici tous les courriers : ceux émanant du curé sont des courriers de réclamation, ceux provenant du percepteur ou du Cercle des lettres explicatives avec des conseils pour éviter les difficultés…

Voici quelques extraits de ces courriers :

"La commune n’a jamais payé les intérêts avant leur échéance, bien plus, dans certains cas, elle les a retenus sans raison et par là considérablement nuit aux intérêts des pauvres." (Curé au Cercle, 3 juin 1911)

"Pour éviter à l’avenir des difficultés, je vous prie d’utiliser les intérêts à la date de leur échéance." (Cercle au curé, 4 juin 1911)

"La commune n’a jamais retenu les intérêts, s’ils n’ont pas toujours été versés régulièrement au curé, c’est que ce denier non plus n’a pas présenté le justificatif prescrit  aux échéances." (Percepteur au Cercle, 10 juin 1911)

"Je remarque que des difficultés sont intervenues seulement parce que la commune ne m’a pas donné l’ordre de versement à la date de l’échéance."
(Curé au Cercle, 3 juillet 1911)


"En ce qui concerne l’établissement de l’ordre de versement, je vous demande de vous mettre en relation avec Monsieur le maire."
(Cercle au curé, 9 octobre 1911)


"En considération de la hausse des prix des aliments, je vous demande au nom des pauvres, de faire le nécessaire pour que l’argent arrive à destination." (Curé au Cercle, 30 octobre 1911)

"Après vous avoir expliqué clairement l’état des choses, je vous prie de prendre vos distances au sujet de cette affaire dans vos courriers futurs."
(Cercle au curé, 4 novembre 1911)


"Vous comprendrez bien que j’ai le plus grand intérêt à savoir si les renseignements donnés par le trésorier municipal sont exactes et ce qu’il est advenu des différents ordres de versements."
(Curé au Cercle, 6 novembre 1911)


"Le secrétaire de mairie et le maire auraient dû savoir qu’on ne peut pas débiter des intérêts qui ne sont pas échus."
(Curé au Cercle, 12 décembre 1911)


"A l’avenir, vous voudrez bien adresser votre courrier aux autorités et non à mon adresse personnelle, pour éviter des retards dans les versements." (Directeur du Cercle au curé, 28 décembre 1911)

D’autres passages moins flatteurs pour le curé et contenus dans son abondant courrier concernent l’école et non le legs. Une première lettre citée plus haut contenait déjà des propos  délateurs au sujet d’un des fils du maire (4  août 1909).

Le 21 mai 1911, l’abbé Albert s’adresse ainsi au directeur du Cercle :

"En ce qui concerne l’école, je dois faire remarquer que plusieurs bancs ont été enlevés dans l’école des garçons et à cause de cela, il y a un nombre de places insuffisant pendant l’instruction religieuse, quand les garçons et les filles des cours moyen et supérieur sont réunis."

Il remet cela le 3 juin suivant :

"Il m’est permis d’attendre un règlement prochain de l’affaire des bancs d’école."

Le 3 juillet, il rappelle au directeur du Cercle que "l’affaire des bancs d’école n’est toujours pas réglée." Et il continue : "Le 24 juin, Monsieur le Maire m’a fait savoir qu’il avait reçu un courrier, dans lequel Monsieur l’Inspecteur scolaire lui expliquait qu’il n’était pas possible d’installer plus de bancs dans
l’école ; comme je ne comprenais pas bien sa réponse, je lui demandai de me montrer la lettre, ce qu’il refusa."


Bien sûr, le directeur du Cercle ne répondit jamais à ces propos hors sujet et le curé arrêta de lui-même ces manières peu franches de se comporter.

La correspondance a été abondante, de 1902 à 1914, entre les différents protagonistes de cette affaire : 23 courriers répertoriés émanant du curé principalement en direction du Cercle, 8 adressés par le maire Fabing surtout au Cercle, 11 provenant de la Perception et 35 envoyés par la direction du Cercle et répondant systématiquement à ceux du curé.

Le percepteur est resté à son poste pendant toute l’affaire entre le curé Albert et le maire, il s’agissait de Dominikus Eyles.
Par contre le Cercle était dirigé au départ par le Docteur Böhmer jusqu’en 1906, puis par Rheinhart jusqu’en 1914 et enfin Fleurent.

C’est sûr que "l’activité débordante" du curé Albert était connu dans les sphères administratives, mais jamais les règles de politesse n’ont été enfreintes, ni par le curé, ni par l’administration. Les relations épistolaires ont toujours été des plus courtoises, même si parfois on devine de la part du Cercle ou de la Perception un ras-le-bol bien compréhensible, voire de l’agacement.

Ainsi le percepteur écrit au Cercle le 4 juillet 1907 :

"Que Monsieur l’abbé Albert laisse enfin en paix, à propos de cette affaire, le percepteur = le trésorier municipal Eyles, auquel il veut se frotter
maintenant !"

De même il se trouve dans le dossier du Cercle une remarque datée du 22 juillet 1911 avec cette annotation : "Le curé Albert ne peut pas être convaincu, d’autres discussions ne semblent pas légitimes."


Années
comptables

Date du document

Pauvres ordinaires

Nombre   Montant de l'aide
Pauvres honteux

  Nombre    Montant de l'aide
Montant des biens
en nature distribués

Recettes


Charges


Ancien déficit

Total des charges

Nouveau déficit

1900 et 1901
26 avril 03
 15                   144,4
12                           127
136
384
407
11,84
419,24
35,24
1902 et 1903
07 juillet 06
 14                    164
  8                            127,6
113,73
383
405
35,24
440,57
57,12
1903 et 1904




384




1905 à 1910
03 mars 11
 14                    392
 13                            310
258
960
960

960
0
1911 et 1912
06 février 14
 14                    196,5
  5                              44
230,5
384
501
0
618
117
1913

13 mars 15
  7                       95
  4                              48
47
192
190
117
307
115
1914

12 janvier 16
  7                       76
  4                              32
36
192
144
115
259
67
1915

01 février 17
5                         93
  6                              51
84
192
228
67
295
103
1916

30 janvier 18
    8                         109       
  8                              84
7
192
200
103
303
111
 
Le tableau ci-dessus récapitule les données qui se trouvent sur les différents justificatifs disponibles dans le dossier des Archives Départementales concernant le legs et émis par le curé.

On peut remarquer la baisse dans le temps du nombre des indigents du village (27 en 1900 et seulement 16 en 1916). La moyenne de l’aide apportée par personne indigente et par année va de 7,11 Marks en 1900 à 12 Marks en 1918.

Les biens en nature distribués sont des produits de première nécessité, comme le pain et le bois de chauffage, mais aussi des médicaments, des chaussures.

 
Fourniseurs
Matériel Pharmacie Pain Chaussures Menuiserie Notaire Bois Loyers terres
Divers
Moritz
Sarreguemines
20







Marchal
Sarreguemines
53,65







Wack
Rohrbach
81,8







Pefferkorn Jean Pierre
Kalhausen


34,5





Pefferkorn Blaise Kalhausen



36,82




Koch
Oermingen


95,9





Lenhard Henry
Kalhausen




10



Muller Richard
Kalhausen








4
Juving Jean-Pierre
Weidesheim






40


Hoffmann Henri
Kalhausen







72,84

Ehlinger Sarralbe

10,05







Fabrique de l'église Kalhausen







132,68

Notaire






21,1



Divers









29,2


Ce tableau récapitule les aides en nature apportées entre 1900 et 1916. Le chapitre "loyer de terres" correspond au fermage dû par les agriculteurs qui exploitent les terres du conseil de fabrique et qui n’ont alors pas de droits de fermage à payer. Il est à remarquer que le curé fait cuire du pain à Oermingen et auprès de Jean Pierre Pefferkorn (Maiébs) qui tenait une épicerie dans la rue de la montagne et qui sera maire de Kalhausen après le décès du maire Fabing. Il ne demande pas, et pour cause, au maire Fabing, boulanger de métier, de fournir du pain.

Le legs d’Hausen retrouvera au début de la guerre son fonctionnement de croisière, dans ce sens que le maire, fatigué de tous ces conflits, aura cessé de faire valoir ses prérogatives dans ce domaine et que le curé se pliera aux conseils du Cercle pour le renvoi des justificatifs conditionnant le versement annuel des intérêts.

 
Années comptables
Intérêts en Marks
Années de paiement
1911 et 1912
384
1914
1913
192
1915
1914
192
1916
1915
192
1917
1916
192
1918


Les autres affaires opposant le curé à la mairie ont elles aussi trouvé un dénouement au début du 20° siècle, encore avant le legs d’Hausen, et la période comprise entre 1918 et 1945 verra le curé Albert mener en paix son apostolat dans le village.

D’ailleurs "son ennemi héréditaire" ne survivra pas longtemps à l’affaire du legs d’Hausen, puisque Nicolas Fabing s’éteindra le 17 juin 1915, peut-être miné par le dur conflit s’étant étalé sur une vingtaine d’années et l’ayant opposé au curé Albert sur plusieurs plans.

Il n’y a plus de trace du legs dans les registres pour les années postérieures à la première guerre mondiale. On ne sait pas jusqu’à quelle année l’argent
a été distribué aux pauvres et ce que la commune a fait du capital.


Il sera encore une fois fait allusion au legs en septembre 1941 dans une lettre du maire allemand de Kalhausen destinée au percepteur de Rohrbach. Il y explique qu’il a eu connaissance de l’existence d’un legs des propriétaires de Weidesheim en faveur des pauvres du village et que malgré tous ses efforts, il n’a rien trouvé de concret dans les archives communales. Il demande en conséquence au percepteur de faire des recherches sur la situation actuelle de ce legs et de lui dire où l’argent a été placé. La réponse du percepteur ne nous est pas connue.

Pour nous l’histoire du legs s’arrête là. Tout comme l’argent des fondations pieuses, le capital du legs a fondu au fil des années et n’a plus rempli son rôle initial qui était d’apporter une aide substantielle aux nombreux indigents du village. La situation économique s’est également améliorée après la  première guerre mondiale et l’aide voulue en son temps par Maurice d’Hausen n’avait plus vraiment de raison d’être.


Conclusion générale

Les affrontements entre le curé et le maire à la tête de son conseil municipal ont forcément eu un impact sur la vie du village. Dans ce genre d’affaire, on ne peut pas rester neutre, il faut prendre parti. Ouvertement ou non.

Dans le village, deux clans se sont certainement formés : les partisans du curé et ceux du maire. En général, les plus jeunes soutiennent le maire alors que les femmes sont du côté du curé. Il n’y a pas eu d’affrontement ouvert entre les deux clans, mais des rancœurs sont nées souvent entre des familles, entre des membres d’une même famille ou encore contre le curé.

Que dire du maire Fabing, "la cause de tous les maux du curé", lui qui a osé s’opposer à son autorité ? En supposant qu’il ait fréquenté l’église au début de son emménagement au village, a-t-il continué, au plus fort de l’affrontement, d’assister aux offices tenus par son ennemi ?

La querelle maire-curé a certainement détourné plus d’un de l’église et cela se vérifiera également pour les générations suivantes qui n’étaient pas les témoins directs des conflits.

Quel était aussi l’état d’esprit du curé Albert lors des obsèques du maire Fabing ? Le prêtre a-t-il pu faire abstraction des rivalités passées et prier pour son ennemi ? J’espère que oui.

Comme je l’ai déjà dit, le conflit resta une affaire purement locale, même si elle est remontée jusqu’à la Présidence de Metz ou au Gouverneur de Strasbourg. Elle n’a jamais été une affaire politique, comme d’autres auraient pu l’être à la même époque en France, opposant par exemple un maire républicain au clergé. Il n’y a jamais eu d’anticléricalisme : les  habitants du village étaient dans leur grande majorité croyants et pratiquants, ils avaient besoin du curé et ne prenaient pas ouvertement partie pour l’un ou pour l’autre, à quelques rares exceptions près.

Ils auraient pu jalouser le curé pour "sa maison" dotée de tout le confort et si magnifiquement décorée, alors que beaucoup d’entre eux vivaient dans le dénuement. Pour eux, le curé devait tenir son rang et c’était tout à fait normal.

Mieux valait vivre en bons termes avec le curé, lui qui avait connaissance, par la confession, des moindres faits et gestes de ses paroissiens.

La querelle eut certainement aussi des répercussions financières sur le budget de la fabrique. Le montant de la location des bancs afficha des baisses pendant cette période et le curé s’en était plaint devant le conseil de fabrique.

Pour finir, on peut se poser fort logiquement la question pourquoi le curé Albert est resté si longtemps à Kalhausen. Les autorités allemandes n’ont pas jugé utile de le faire muter, car les conflits qui l’opposaient à l’administration communale étaient des conflits locaux, propres à être gérés en grande partie par la direction du Cercle et qui ont malgré tout permis au legs de remplir sa fonction.

Le curé, de son côté, semble avoir trouvé ici un bon poste, et depuis qu’il est installé dans "son" presbytère, et que les démêlés sont terminés avec la commune, il n’a certainement pas envie de partir. En la personne du maire Fabing, il avait trouvé quelqu’un qui avait osé lui tenir tête.
 
Le maire suivant a été sans doute plus conciliant, plus "malléable". La preuve que le curé tenait à ses paroissiens, est le fait que lors de son assignation à domicile à Nancy, pendant la seconde guerre mondiale, il n’a pas oublié ses paroissiens et leur a fait parvenir un texte de sermon qui sera lu en chaire
le 23 avril 1944 et qui les exhortait à communier dignement à Pâques.


Disons qu’il vaut mieux garder comme souvenir du curé Albert, la construction du magnifique presbytère, plutôt que ses démêlés avec la commune et l’aministration.

Sources :
Registre des délibérations du conseil de fabrique de l’église de Kalhausen
Archives départementales Fonds Legs d’Hausen. Cote 16Z44
Merci à Bernard Zins pour son aide.

Octobre 2014
Gérard Kuffler