dix_ans_d_aeronautique_dans_le_pays_de_bitche

Dix ans d’aéronautique dans le pays de Bitche
1909-1919



Du survol du premier Zeppelin au retour à la France



L’arrêté du 8 juin 2011 paru au Journal Officiel prononce la fermeture définitive de l'aérodrome de Bitche et clôt ainsi un chapitre aéronautique dans la région. Cette activité aérienne du pays de Bitche est directement liée à l'histoire militaire de la ville de Bitche. Les premières expérimentations par des aviateurs de Metz-Frescaty ont lieu sur le terrain de manœuvre juste avant le déclenchement de la Première Guerre Mondiale. A la fin du conflit, une escadrille de chasse allemande déployée à Bitche a pour mission d'intercepter les bombardiers de l'Entente qui attaquent des objectifs industriels dans la Sarre, le Palatinat et au-delà.

Avec le retour à la France, des avions aux couleurs tricolores réinvestissent le champ d'aviation. Mais ce n'est que de courte durée. Le 21 juin 1919, le Ministère de la Guerre ordonne la désaffection de la plupart des terrains d'aviation utilisés durant le conflit, dont celui de Bitche1. La période étudiée débute en 1909 par l'engouement populaire provoqué par l'arrivée dans le Reichsland du dirigeable LZ 3 qui survole Bitche, jusqu'à l'arrêt provisoire des activités aériennes en 1919.


Le survol de Bitche par le premier Zeppelin militaire

En juillet 1909, alors que Louis Blériot s'apprête à traverser la Manche, la presse régionale se fait l'écho de l'arrivée du dirigeable LZ 3 (appellation militaire Z I) à Metz-Frescaty. Le mastodonte long de 126 mètres, qui contient 11429 m3 de gaz est propulsé par deux moteurs Daimler. C'est le troisième appareil conçu par le Comte von Zeppelin. Construit en 1906 et amélioré à plusieurs reprises, il parcourt en 1907 la distance de 350 kilomètres en 8 heures.

Bien qu'étant encore un prototype, il est acquis par l'armée allemande en novembre 1908. Commandé par le Major Sperling, l'équipage arrive en mars 1909 à Friedrichshafen pour se familiariser avec les équipements. Le convoyage de l'engin vers Metz avec le survol de Haguenau, Wissembourg, Bitche et Sarreguemines est prévu fin juin 1909. Dès lors, la relation des faits par les journalistes prend les traits d'un véritable feuilleton; les dépêches qui se succèdent tiennent le lecteur en haleine.


Le 29 juin, vers minuit, le dirigeable décolle du lac de Constance, survole Ravensburg, mais très rapidement le mauvais temps contraint l'équipage à poser l'appareil à Biberach, à une soixantaine de kilomètres au nord du lac.

Un contingent de pionniers bientôt relayé par des grenadiers venus d'Ulm surveille l'engin amarré dans un pré et entouré de curieux. L'arrêt impromptu permet d'effectuer quelques réparations sur un moteur et une hélice. A deux reprises, de l'hydrogène en bouteilles amené de Friedrichshafen est injecté dans les cellules pour compenser les pertes de gaz, mais les pluies intermittentes qui ont détrempé l'enveloppe empêchent tout décollage.
Enfin, le samedi 3 juillet, le temps s'améliore et le dirigeable redécolle à 23h30 en direction de Metz. Malgré l'heure avancée, la nouvelle se propage rapidement. Si la plupart des Bitchois sont dans les bras de Morphée, la garnison a été informée du passage du dirigeable durant la nuit.

Dans un élan patriotique, avec beaucoup d'emphase, le journaliste de la Saargemünder Zeitung2 relate les faits. : "Il est environ 4h30 du matin, depuis la forteresse retentit un signal suivi par le Fürstengruß entonné par les clairons des chasseurs du 10. Hannoversches Jäger Bataillon.
Les rues s'animent, des silhouettes ensommeillées, vêtues de costumes de nuit les plus improbables, sont aux fenêtres. Des lève-tôt ou peut-être couche-tard armés de jumelles scrutent les hauteurs de Bitche pour profiter d'un spectacle attendu depuis une semaine avec beaucoup d'impatience.
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  1SHD (Air), 1A309/1.

  2Saargemünder Zeitung du 5 juillet 1909

Au lointain horizon apparaît un point qui s'agrandit et prend forme. C'est lui ! Au terrain d'exercice où deux régiments badois exécutent des manœuvres, les troupes sont alignées avec musique en tête pour accueillir dignement cet éminent hôte. Distinctement, on entend une pétarade et les regards se dirigent vers l'origine du bruit où avec toute sa splendeur le fier dirigeable fait son apparition. Des milliers de Hourrah entonnés à pleine gorge retentissent puis c'est au tour de la fanfare. En guise de remerciement, le vaisseau s'incline à plusieurs reprises, contourne le terrain de manœuvre et se dirige à vitesse modérée vers la ville. Les cris d'enthousiasme des chasseurs du 10. Hannoversches Jäger Bataillon, alignés sur le parvis de la citadelle au plus près du vaisseau, résonnent encore une fois dans le petit matin. La plupart des habitants ont pris place aux fenêtres ou sont descendus dans les rues et accueillent avec des cris de bienvenue ces pionniers du ciel. Le vaisseau survole la ville à 500 ou 600 mètres en direction des hauteurs du Freudenberg, vers Sarreguemines. Les regards  scrutent le firmament comme s'ils pouvaient figer ce moment. Le survol de notre ville par le fier vaisseau du Comte von Zeppelin et son arrivée par la "Porta Lothringia" dans notre Land pour le surveiller et le protéger est un moment à jamais gravé dans la mémoire et le cœur des Bitchois ".





Après avoir survolé Haguenau, Bitche, Sarreguemines,
le premier Zeppelin acheté par l'armée allemande est accueilli
triomphalement à Metz le 4 juillet 1909.
(Collection Joël Beck)



Aux alentours de Sarreguemines, au petit matin de ce dimanche, seuls quelques lève-tôt profitent du spectacle, dont les pompiers de Woelfling appelés à un exercice matinal. Vers 5h30, aperçu à la verticale du Wiesingerhof, le Zeppelin survole la ville de Sarreguemines à une hauteur de 300 à 400 mètres et largue près de la caserne d'infanterie une pochette avec 20 cartes postales. Après avoir passé Welferding, le dirigeable prend la direction de la voie ferrée Béning-Metz et se pose à 8h00 sur le terrain d'exercice de Metz-Frescaty où entouré de nombreux curieux, il est accueilli en grande pompe par le gratin militaire et civil de la ville.

Dans cette société du début du 20e siècle, tout le monde n'est pas au fait des dernières nouveautés techniques et le poids des règles et traditions rythme un certain mode de vie. Un fait qui peut nous paraître amusant s'est déroulé à proximité du petit village alsacien de Neunhoffen. Très tôt en ce dimanche du 4 juillet, alors que le Zeppelin se dirige vers Bitche, un ouvrier termine dans une petite vallée la fauche d'un pré entamé la veille. Dans le brouillard matinal, il entend un grondement inhabituel qui se rapproche. Pensant être confronté au châtiment divin pour avoir transgressé la règle du repos dominical et croyant sa dernière heure arrivée, il jette sa faux et retourne précipitamment à son domicile !

   

Après avoir survolé Haguenau, Bitche, Sarreguemines, le premier Zeppelin
acheté par l'armée allemande est accueilli triomphalement à Metz le 4 juillet 1909.
(Collection privée
)


Ce convoyage et la mise en service d'un dirigeable dans les forces militaires allemandes est un succès pour le Comte von Zeppelin. Alors que la Saargemünder Zeitung relate les péripéties du convoyage vers Metz, un autre article fait part des projets du Comte quant à l'exploration du Pôle Nord, mais il n'échappe à personne que le dirigeable est pensé avant tout comme une arme.
Du côté français, les dirigeants politiques et militaires voient avec inquiétude se développer à proximité de la frontière de 1871 un établissement militaire tel que Frescaty, considéré avant tout comme une menace par sa capacité à espionner les infrastructures de défense en bordure du sol national. Cela donne lieu à des crises de "zeppelinite", comme le 3 avril 1913. Parti de Friedrichshafen et devant rallier Baden-Baden, le dirigeable LZ 16, en phase d'homologation, est confronté à des problèmes d'ordre technique et de navigation et doit se poser en France sur le terrain de manœuvre de Lunéville. Dans le climat de tension régnant à l'époque, cet incident est immédiatement interprété par une certaine presse nationaliste et belliqueuse française, comme une mission d'espionnage.


Premiers exercices aériens dans le pays de Bitche

1912 est une année charnière pour l'aviation allemande. Celle-ci prend véritablement son essor avec les sommes récoltées par la Nationalflugspende. Cette collecte nationale doit financer la formation de pilotes militaires, augmenter la production d’aéronefs et contrer l’avance française. Un comité alsacien-lorrain est créé à Strasbourg ; des comités locaux - comme ceux de Boulay ou de Sarreguemines3 - voient le jour le 15 juin 1912.

L'histoire aéronautique du Bezirk Lothringen prend un nouveau tournant avec l'arrivée progressive des premiers aéroplanes du modèle Taube et Albatros à Metz-Frescaty et à Strasbourg au printemps de la même année. Le 9 août 1912, un aéronef se pose pour la première fois à Bitche. C’est un avion militaire Albatros basé à Metz qui effectue un vol d’entraînement de concert avec le dirigeable Z III. L’évènement est immortalisé par le photographe local.



(Archives municipales de Bitche)


Au mois de septembre, de nombreux curieux sont attirés par le spectacle offert par les troupes impériales qui circulent entre Gros-Réderching et Utweiler (actuellement écart de la commune allemande de Gersheim dans l'arrondissement Sarre-Palatinat) et participent à l'exercice de clôture des manœuvres divisionnaires qui ont lieu dans la région.
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  3Archives départementales de la Moselle, 16Z4.


Deux avions sont dépêchés par la Fliegerstation de Strasbourg à des fins d'observation. L’appareil Taube du Fliegerbataillon N° 4 de Strasbourg basé provisoirement sur le terrain d'exercice de Sarreguemines-Neunkirch, piloté par l'Oberleutnant Bahrends, embarque le Leutnant Schiller en qualité d'observateur.

Un deuxième avion qui a décollé de Strasbourg a dû faire demi-tour pour des raisons techniques. Bahrends est un des pionniers de l'observation aérienne militaire allemande. A l'issue des manœuvres impériales de septembre 1911 où les premiers exercices de ce type sont couronnés de succès,
le Kaiser lui décerne l'ordre de la Couronne4. Avec les retours d'expérience de l'observation aérienne, les autorités allemandes prennent des mesures draconiennes. La région de Bitche comme le secteur de Metz-Thionville ou la vallée du Rhin avec Saverne, considérées comme territoires militaires sensibles, sont dès 1912 des zones d'exclusion aérienne pour les appareils volants civils, qu’ils soient de nationalité allemande ou de provenance étrangère.


L'aviation reste toutefois une activité à risque. Jusqu'à l'entrée en guerre, des exercices sont menés par des avions sur les différents terrains d'exercice de la région : Sarreguemines, Saint-Avold, Bitche. Le 26 juin 1914, quatre avions Taube détachés de Metz évoluent à Bitche. Le terrain d’évolution de ces appareils est situé derrière les logements des officiers, le long de la route d'Haspelschiedt. Le lendemain, le Major Büchner de l'état-major de l'Infanterie Regiment 166 embarque à bord de l'appareil du Leutnant Pohl en tant que passager. Parvenu à une altitude de 10 mètres, l'aéronef est secoué par une explosion. Le moteur s'embrase et le pilote se jette de l'avion qui s'écrase au sol. Blessé au genou, Pohl tente en vain d'extirper son passager des débris du Taube en feu; le Major Büchner connait une fin horrible.




Terrain de manœuvre de Bitche le 26 juin 1914.
Le Major Büchner perd la vie lors d'un vol d'exercice.
(Collection Joël Beck)


1918, la guerre aérienne étend son emprise


Dès le début de la guerre, l'aviation française effectue des bombardements sporadiques en Lorraine annexée. Avec l'arrivée du Groupe de Bombardement n° 1 (GB1) sur le terrain du plateau de Malzéville, près de Nancy, en mars 1915, la guerre aérienne prend une nouvelle dimension. Désormais, les établissements industriels de la région de Metz-Thionville, les terrains d'aviation et les installations ferroviaires sont des cibles potentielles. Le commandement allemand a largement sous-estimé la menace. Comme le manque de coordination entre les différents services complique les choses,
les autorités militaires prennent des mesures de rationalisation.

En novembre 1915, une Flughauptwache est mise en place à Sarrebruck ; elle centralise les observations liées à l'intrusion d'avions ennemis. Dans ce cadre, une équipe de guetteurs est postée sur les hauteurs de Rohrbach. Des consignes sont données aux civils. Dès avril, le directeur du cercle de Sarreguemines avertit la population : « Si des avions ennemis sont en approche, restez à l'abri dans les maisons, de nuit évitez les rais de lumière, le tocsin sonnera en cas de danger imminent... Les contrevenants seront sanctionnés. »  La ville de Sarralbe subit un premier bombardement nocturne effectué par l'aviation française en septembre 1916 . Sarreguemines subit le même sort au mois de novembre. Ces villes ne sont pas sur la liste des objectifs et ont été prises pour cible par erreur.


En 1918, un nouvel acteur entre en scène dans la région : L'Independent Force britannique, première force de bombardement stratégique de l'histoire. Sir Hugh Trenchard, futur commandant, en avait défini déjà les contours le 26 novembre 1917 : « Les raids de bombardement à longue distance sont une part intégrale des opérations aériennes… Il n’est pas question d’opérations de représailles. Il s’agit d’affaiblir l’ennemi de manière directe et indirecte — directement par l’interruption de la production, du transport et de l’organisation en infligeant des dommages à l’infrastructure ferroviaire et aux installations militaires, l’obligeant de ce fait à retirer du front des avions en vue de contrer la menace — indirectement en provoquant le mécontentement et l’effroi parmi les travailleurs de l’industrie… » Sur ce point, la doctrine française reste bien en retrait des positions anglaises.
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 4Supf (Peter), Das Buch der deutschen Fluggeschichte I, Berlin, Herrmann Klemm, 1935

 5Martel (René), L'aviation française de bombardement, Paris, Paul Hartmann, 1939

 6Voir "Les Deutsche Solvay Werke entre soumission et devoir" par Bernard Zins, paru dans le Pays d'Albe n°46, 2016


L’aviation doit soutenir les troupes au sol et assurer la maîtrise des airs. Les objectifs stratégiques demeurent limités. Les Britanniques font donc cavalier seul et l’Independent Force est officiellement créée le 6 juin 1918. Elle ne dépend pas du généralissime des armées alliées, mais du commandement britannique, et ne représente que 10% des moyens engagés en France. Pour les Britanniques, il s’agit d’emménager ou de construire des bases au plus près du front et de la frontière du Reich de manière à être à portée des centres névralgiques de production industrielle et des voies de communication. Le rayon d’action des avions permet d’intervenir dans une zone en territoire ennemi allant jusqu’à une ligne Cologne-Francfort-Stuttgart.




Le 15 septembre 1918, un avion de reconnaissance du squadron 55 de l'Independent Force
photographie le camp de Bitche. L'appareil décolle d'Azelot à 9h40, traverse la ligne de front à Dieuze,
survole Bitche, Zweibrücken, Kaiserslautern, Neustadt, Speyerdorf, Germersheim,
revient par Baccarat et se pose à 14h25. 45 plaques photographiques sont exposées.
(Collection privée
)


Deux aviateurs perdent la vie à Weidesheim le 25 juin 1918

La mission7 effectuée par les Britanniques le 25 juin 1918 où deux jeunes aviateurs perdent la vie à Weidesheim, écart de Kalhausen, est représentative de l'intense activité aérienne qui a pour cadre la région.

Ce matin les squadron 104 et 55 de l'Independent Force, basés à Azelot (situé à 15 km de Nancy), et équipés d'avions DH9 et DH4 spécialisés dans le bombardement de jour, ont pour objectif les usines de munitions de Karlsruhe, dans le pays de Bade.


 

Un avion de ce type s'écrase à Weidesheim, écart de Kalhausen le 25 juin 1918; ses deux occupants trouvent la mort.
Le bombardier DH4 est un bombardier de jour utilisé par l'Independant Force.
Mis en service en 1917 il peut atteindre la vitesse de 180 km/h et voler à 6700 mètres d'altitude.
Sa charge utile est de 210 kg de bombes.

(Collection privée)


La Deutsche Waffen und Munitionsfabrik (DWM) et le nœud ferroviaire sur la ligne Mannheim-Strasbourg constituent des objectifs de premier choix. Une autre attaque est planifiée sur Offenburg par le squadron 99 basé sur le même terrain. L’attaque du 25 juin 1918 sur Karlsruhe est prévue en 2 vagues successives avec un intervalle d’une heure 15 minutes. La première vague constituée de 2 groupes de 6 avions DH9 du squadron 104 et commandée par le capitaine Home-Hay décolle d’Azelot à 4h15 du matin. Après avoir gagné de l’altitude, les appareils se dirigent vers l’est et franchissent la ligne de front à Badonviller dans les Vosges. En altitude, les aviateurs sont confrontés à des formations nuageuses et à un vent assez fort en provenance de nord-ouest.

Suite à des problèmes techniques, ce ne sont que sept appareils, ayant suivi le cours du Rhin, qui atteignent la cible. Le largage de 10 bombes occasionne des dégâts insignifiants. Le retour à la base d’Azelot est plus mouvementé. Les Anglais sont interceptés au-dessus de Bitche par 5 avions
de la Kest 1b de Karlsruhe, une unité de défense du territoire. A l’issue de l’engagement, les Britanniques déplorent la perte d’un avion. L’équipage composé du lieutenant Pontin et du second-lieutenant Arnold est fait prisonnier de guerre. Les avions rescapés rejoignent la base d’Azelot à 8h00 avec
3 blessés.


La deuxième vague de deux groupes de six avions avec pour objectif les usines de munition de Karlsruhe décolle du terrain d’Azelot à 5h32. Suite à des problèmes de motorisation, un avion effectue un atterrissage forcé dans les lignes amies. Pour induire en erreur les guetteurs allemands sur leur destination, les onze avions restants ne prennent pas le même cap que leurs camarades de la première vague de bombardement et franchissent la ligne de front vers Château-Salins à l’altitude de 14500 pieds (4420m). Deux autres appareils sont contraints d’abandonner. Confrontée à un vent plus fort que celui annoncé et gênée par une mauvaise visibilité vers la vallée du Rhin, la formation met le cap sur l’objectif secondaire : le nœud ferroviaire et les usines de Sarrebruck.

La Sarre est un grand centre industriel pendant la Première Guerre Mondiale, la moitié de l’acier allemand y est produit, les ressources minières en charbon et la fonte produite en Lorraine y contribuent. Des hauts-fourneaux sont concentrés autour de Sarrebruck, dont ceux de Burbach incorporé dans la cité en 1909. Les industries sidérurgiques de Brebach, Völklingen et Dillingen, vitales à l’industrie de guerre allemande, distantes de quelques kilomètres de la ville sont régulièrement prises pour cible. L’usine de Dillingen produit des plaques de blindage pour la construction navale.

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7Rennles (Keith), Independent Force, London, Grub Street, 2002


Arrivés au-dessus de Sarrebruck, les neuf avions du capitaine Williams, pris sous le feu de l’artillerie anti-aérienne, larguent leur chargement d’explosifs. Les observateurs estiment avoir touché des usines et des installations ferroviaires et exposent 10 plaques photographiques en verre. Les tirages sur papier montreront quelques impacts de bombes non loin de la caserne de cavalerie de la Mainzerstraße et d’une installation de production de gaz.  Le bilan des victimes s’élève à 4 morts, 8 blessés graves et 8 blessés légers, tandis que les dégâts sont estimés à 80 000 Mark. Les autorités allemandes enregistrent scrupuleusement les dommages occasionnés par les raids aériens. A l’issue du largage, les DH4 du squadron 55 mettent cap à l’ouest en direction d’Azelot. Très vite, ils sont aux prises avec deux avions Albatros de l’unité de défense du territoire Kest2 (abréviation pour Kampfeinsitzerstaffel), basée à Sarrebruck.

Tenu un temps à distance par le feu des armes de défense des mitrailleurs britanniques, un appareil avec aux commandes l’Offiziers-Stellvertreter (faisant fonction d’officier pour la durée de la guerre) Gottlieb Vothknecht fond sur le deuxième groupe de six avions du lieutenant Van der Reit et prend sous son tir le DH4 B 7866 du lieutenant Sweet et du second-lieutenant Goodyear. Leurs camarades voient l’avion touché et quitter la formation en perdant des morceaux d’entoilage et de contreplaqué. L’appareil s’écrase au sol entre le passage à niveau sur la route de Wittring et les fermes de Weidesheim. Les huit avions britanniques restants sont harcelés par neuf avions ennemis venus en renfort. Néanmoins les Anglais rejoignent leurs lignes vers 8h40 du matin sans subir d’autres pertes.




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La mission du 25 juin 1918.
(Infographie Alain Behr
)


Un témoin oculaire, Aloyse Karmann, né en 1908 à Wiesviller, raconte dans un livre de souvenirs8 publié en 1993, bien longtemps après les faits, sa perception des évènements. Agé de 9 ans à l’époque, il fréquente ce mardi 25 juin 1918 l’école communale de Wiesviller. Il relate qu’après l’heure de la récréation (D’après le rapport britannique, le combat aérien s’est déroulé vers 8 heures heure française, donc vers 9 heures à l’heure allemande instaurée à l’été 1916) l’attention des élèves est attirée par monsieur Robert l’instituteur, voyant des avions évoluer au-dessus du Rotenberg, et qui venaient de la direction de la Hermeskappel. Il se rappelle des faits suivants : « Nous entendions le crépitement des mitrailleuses…les avions tournoyaient…L’avion allemand se plaça au-dessus de l’avion ennemi et tira une rafale. Celui-ci sortit de la mêlée et prit la direction de Wittring. Soudain un jet de flammes fut visible à l’avant du fuselage, à l’embranchement de l’aile droite. Le réservoir avait été touché et le moteur chaud avait embrasé l’essence. Le feu attaqua l’aile droite et l’appareil disparut de notre champ de vision. » Les plus grands de la classe avaient constaté que l’avion touché était un ennemi.

Après l’école, poussés par la curiosité et bravant l’interdiction parentale, Aloyse Karmann et un de ses camarades de classe se rendent à Wittring. Arrivés au pont enjambant la Sarre, ils apprennent que l’avion s’est écrasé à Weidesheim distant de 2 km et que les corps des aviateurs reposent à la chapelle. Deux soldats barbus du Landsturm9 en faction en interdisent l’accès. Ils laissent tout de même entrer les jeunes gens. Les corps sont étendus dans la pénombre. « Regardez-les, s’écrie un factionnaire, ils ont sauté de leur appareil à 20-30 mètres de hauteur, ils sont tombés à deux endroits différents, le grand est un anglais, l’autre à l’air juvénile, est un américain âgé de 18 ans » (en réalité, il est canadien).

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8Karmann (Aloyse), Am Schwartzbach im Tal, Lemberg, Imprimerie Neiter, 1993

9Ces territoriaux du Landsturm Infanterie Bataillon Saarbrücken stationnés dans la vallée de la Sarre sont chargés de la surveillance de la ligne de démarcation, matérialisée dans ce secteur par la voie de chemin de fer Kalhausen-Sarreguemines, qui sépare la zone des armées de l’arrière. En 1918, Weidesheim est situé dans le Sperrgebiet, zone à déplacement restreinte pour les civils. D'autres territoriaux sont chargés de la surveillance des prisonniers de guerre russes, employés dans l'agriculture.



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Après la première guerre mondiale, le cimetière municipal de Kalhausen abrite les deux tombes des aviateurs.
En 1977, des travaux d’élargissement de la voirie entraînent l’exhumation et le transfert des corps vers le cimetière
militaire britannique de Telincthun, à Wimille, dans le Pas de Calais.


Charles Frederick  Richard Goodyear de nationalité britannique est né le 7 décembre 1898. Au moment de son incorporation il réside à Wallasey dans le Cheshire près de Liverpool et suit à partir du 5 mars 1918 une formation dédiée à l’observation aérienne et au tir dans l’une des premières écoles spécialisées, créées au printemps 1918.
Sa nomination comme second lieutenant observateur à titre temporaire pour la durée de la guerre du 18 mai 1918 prend effet le 4 juin 1918. 


Georges Ascott Sweet de nationalité canadienne est le pilote de l’avion. Né le 29 septembre 1899, il est étudiant au Collegiate Institute à Hamilton (Ontario, Canada), s’engage en 1917 et suit un entraînement de base au Canada sur Curtiss JN-4 pour devenir pilote. Sweet débarque en Angleterre le 1er février 1918, est affecté le 6 février
au 44th Training Squadron, 27th Wing à Waddington dans le Linconshire pour parfaire sa formation. Confirmé dans le grade de second lieutenant le 4 mars 1918, il est nommé flying officer le 27 mars 1918, puis lieutenant en mai. Le 18 mai à l’issue de sa formation, Sweet est muté au squadron 55 en France où il débarque à la fin du mois.


Il n’est pas possible de retracer la courte carrière de Sweet en France mais il a participé à une mission de bombardement sur Thionville le 23 juin deux jours avant sa mort.

(Photo Bernard Zins The National Archives London Air/76/492-76/187)

L’épave du DH4 dont il ne subsiste que des morceaux calcinés et quelques débris métalliques est gardée par deux autres soldats du Landsturm. Vide de ses occupants, l’avion a glissé sur le sol avant de s’embraser entièrement. En guise de souvenir, le jeune homme emporte un morceau d’aluminium. Des témoins du drame relatent naïvement que les deux aviateurs auraient eu la vie sauve s’ils avaient sauté dans les meules de foin montées dans le pré. Le DH4 surnommé flaming coffin (que l’on peut traduire par cercueil hautement inflammable) par ses équipages a la réputation de s’embraser facilement et une des hantises des aviateurs est de mourir brûlés vifs. Affectés au squadron 55 en début du mois de juin, Sweet et Goodyear ont été tués lors d’une de leurs premières sorties opérationnelles. Les pertes de l’Independent Force sont très sévères, 394 aviateurs sont tués, blessés ou capturés. Les accidents mortels sont fréquents. 320 aéronefs sont détruits en deçà du front. De juin 1918 à la mi-octobre, la formation perd 104 bombardiers de jour et 34 de nuit au cours de missions de guerre10.

L'engagement aérien du 25 juin 1918 au service de la propagande

En marge de ce raid aérien, il est intéressant de comparer les articles de presse édités par les parties adverses. Le 26 juin, un communiqué du journal local allemand Die Saargemünder Zeitung évoque l’attaque du 25 juin dans les termes suivants : « Le matin du 25 juin entre 8 et 9 heures La ville de Sarrebruck a de nouveau été attaquée par plusieurs avions ennemis. Plusieurs bombes lancées d’une altitude élevée ont occasionné des dégâts. Malheureusement cela a coûté la vie à 4 personnes, 8 autres ont été gravement blessées, tandis que 4 autres ont été blessées plus légèrement. Pris en chasse, un avion britannique a été abattu. Les deux occupants sont morts. » Dans cet article l’accent est mis sur le coût en vies humaines occasionné par la lâcheté de l’attaque britannique depuis une altitude élevée.

Dans le numéro de la Gazette des Ardennes du 3 juillet 1918, qui est un journal édité en langue française par les autorités allemandes, paraît la version des évènements du 25 juin vue par la presse britannique. Voici un extrait :
 « Londres, 25 juin 1918 soir. Le matin du 25 juin, nous avons attaqué avec succès les usines de Sarrebruck, les hangars et casernes d’Offenburg ainsi que des usines d’explosifs et la gare de Karlsruhe... A Karlsruhe deux coups au but ont été observés sur les hangars de locomotives et sur les usines métallurgiques produisant de grandes explosions. Ceci a été confirmé par nos clichés photographiques. Les usines et la gare de Sarrebruck ont été endommagées. Au cours des nombreuses attaques par les aéroplanes ennemis contre nos machines, deux avions adverses ont été anéantis. Deux autres ont été descendus. Trois de nos machines manquent, dont une a été forcée d’atterrir dans les lignes ennemies suite à une panne de moteur… »

Les Britanniques admettent leurs pertes en aéronefs, par contre le compte-rendu de mission amplifie les dégâts infligés à l’ennemi. Les aviateurs de l’Independent Force revendiquent 4 avions allemands détruits et abattus, ce qui est inexact. Dans la région, aucun appareil allemand n’est porté manquant le 25 juin 1918. L'exagération systématique des bilans des attaques aériennes est une constante chez les belligérants, peut-être plus accentué du côté de l’Entente.
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10Dans la matinée du 31 juillet 1918, le squadron 99 de l'Independent Force perd 14 aviateurs ; les sept avions sont abattus entre Château-Salins et Sarreguemines. Le DH9 du lieutenant Dennis et du second lieutenant Wooley pris en chasse au-dessus de Willerwald s'embrase et s’écrase en terrain découvert sur le ban de la commune de Herbitzheim (Bas-Rhin).  Wooley a sauté dans le vide sans parachute. Malgré des recherches entreprises après le drame, le corps de l’infortuné aviateur n’est pas retrouvé. Son squelette et quelques objets épars sont découverts fortuitement à l’occasion d’une battue en décembre 1922 dans la forêt communale. Les aviateurs reposent côte à côte au cimetière du Commonwealth de Sarralbe.

Pour conclure avec les communiqués de presse, dans la Saargemünder Zeitung  un entrefilet inhabituel attire l’attention. Le général von Hoeppner, commandant en chef des forces aériennes allemandes exprime personnellement à l’Offiziers Stellvertreter Vothknecht de la Kest 2 ses félicitations et sa reconnaissance pour sa victoire aérienne du 25 juin. Pourtant Vothknecht n’a abattu que trois appareils ennemis. Cette annonce est à mettre au crédit de la campagne de propagande11 lancée en faveur des forces de défense du territoire. Au courant de l’été, par beau temps, les incursions de l’aviation britannique sont presque quotidiennes. Par ce message, les autorités allemandes encouragent les aviateurs de ces formations ainsi que les guetteurs au sol et laissent sous-entendre que la population et ses intérêts sont protégés.



Avant d’être muté à la Kest 2 le Sarrebrück le 10 avril 1917, Gottlieb Vothknecht affecté à la Jasta 24 de Morhange abat le 25 février 1917 près de Sarreguemines
le Sopwith 1 ½ Strutter 9739 du 3. Wing du Royal Naval Air Service. Le 9 mars 1917, il a à son actif un avion français du modèle Salmson-Moineau SM1,
biplan triplace de reconnaissance de l’escadrille F 45 qui chute à Bathelémont-lès-Bauzemont en Meurthe et Moselle au nord de Lunéville.
Durant l’entre deux guerre, il exerce la profession de dentiste à Sarrebrück.
(collection privée)


La Kest 8 protège le Reich

Une unité de défense du territoire, la Kest 8 comparable à la Kest 2 de Sarrebruck, est basée à Bitche en 1918. Vingt escadrilles de chasse et de défense du territoire sont dispersées entre la vallée de la Meuse et la vallée du Rhin, dont neuf Kest stationnées dans la zone d’opérations de l’Independent Force.

Ces dernières créées en 1916 et créditées seulement de 36 victoires confirmées en 1918 relèvent du commandement des forces de défense du territoire au même titre que la DCA ou les barrages de ballons. Souvent les commandants d’unité sont des pilotes chevronnés venant des secteurs du front afin
de former les jeunes recrues.

Il arrive aussi que des aviateurs convalescents ou fatigués soient mutés dans ces escadrilles. En avril, conséquence de l'offensive Nivelle dans les Flandres, certaines Kest stationnées le long du Rhin et dédiées à l'interception des bombardiers ennemis, sont redéployées dans l'urgence pour combler des brèches sur le front.

La Kest 3, affectée à la défense de Karlsruhe, est envoyée au terrain du Heckenstück, à Morhange, pour être engagée sur le front de Lorraine comme escadrille de chasse, tandis que la Jasta 24 implantée sur le terrain depuis décembre 1916, rejoint le secteur des Ardennes. La Kest 8, destinée à la défense de Hambourg12, opérationnelle au terrain de manœuvre de Bitche le 1er avril 1917, est envoyée en Flandre13 .

Au printemps 1918, la partie est de la Lorraine ainsi que la Sarre sont couvertes par la Kest 2 du terrain d'aviation de Sankt-Arnual, à Sarrebruck, en place depuis l'été 1916. La Kest 8 revenue à Bitche prend en charge la couverture de l'espace aérien entre Sarrebruck et Karlsruhe14. Une photographie de reconnaissance alliée, datée du 23 octobre 1918, donne quelques informations sur les installations de Bitche situées près de la route d'Haspelschiedt : un grand hangar et quatre tentes sont repérés sur le cliché. Dans la description effectuée par la commission britannique qui a visité le terrain en décembre 1918, il est précisé que la halle a une emprise au sol de 66 x 22 mètres. La surface est bétonnée et de larges baies vitrées laissent filtrer la lumière naturelle. Elle est du type Normalflugzeughalle15 destiné aux installations permanentes.

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 11Neumann (Georg Paul), Die gesamten deutschen Luftstreitkräfte im 1. Weltkrieg, Berlin, Ernst Siegfried Mittler und Sohn, 1920 (réédition 2011)

 12En décembre 1914, le Royal Naval Air Service britannique entreprend le premier raid aéronaval de l'histoire et bombarde le port de Cuxhaven distant  de 100 km de Hambourg.

 13Voir "Les troupes d'aviation allemandes en Lorraine annexée 1914-1918" par Bernard Zins, dans les Cahiers Lorrains, n°1 - 2, 2017

 14Schuh (Horst) Hrsg, Luftkrieg über Front und Heimat 1914/18, Aix-la-Chapelle, Helios Verlags-und Büchervertriebgesellschaft, 2014

 15A l’heure actuelle subsistent en Moselle deux hangars du type Normalflugzeughalle. Celui de Sarreguemines amputé d'un tiers par faits de guerre en 1944 abrite toujours des avions. Un hangar métallique d'un modèle légèrement différent, érigé avant la première guerre mondiale à Sarrebourg-Buhl,
est partagé entre les services de l'Equipement et l'aéroclub.


Les modèles d’avions hétéroclites des débuts sont remplacés durant l'été 1918 par un avion d'interception performant fabriqué par Siemens Schuckertwerke, le SSW DIII. Les pilotes d'essai de la firme effectuent des démonstrations dans les différentes unités afin de sensibiliser les futurs utilisateurs aux qualités de vol de l’appareil. Le 22 août 1918, le Leutnant Bruno Rodschinka16 est en déplacement à Bitche dans le cadre d'une de ces missions. L'alerte est donnée; des bombardiers ennemis ont pénétré dans l’espace aérien allemand. Rodschinka prend les commandes d'un SSW DIII et abat deux DH9 britanniques dans les contreforts vosgiens.

Ce sont les seules victoires aériennes à mettre au crédit de l'unité de Bitche. En cette matinée du 22 août, le squadron 104 de l'Independent Force, basé à Azelot a pour objectif l'usine BASF de Mannheim. Harcelée par différentes unités de chasse, l'escadrille 104 est décimée : sept appareils sont portés manquants au retour de mission. Le dernier commandant de la Kest 8, transformée en Jagdstaffel 88 (escadrille de chasse) en octobre 1918 est Otto Wilhelm Höhne, un ancien de la Jasta 2, l'escadrille de l'as Oswald Boelcke.




Bruno Rodschinka est un pilote d'essai de la firme Siemens Schuckert.
De passage à Bitche le 22 août 1918 pour présenter le dernier modèle d’avion de la firme,
il décolle du terrain et abat deux bombardiers britanniques.
Rodschinka vole sur un SSW D.III produit par la firme Siemens Schuckert

(Collection privée)


1919, la fin provisoire des activités aériennes à Bitche

Après la signature de l'armistice, un constat effectué à Bitche révèle la présence de 3 épaves sur le terrain. Les avions en état de vol ont rejoint le terrain de Trèves. Un de ces appareils, le SSW D III 3025/18 est utilisé en décembre 1918 / janvier 1919 par les Américains à des fins d'évaluation. Les ex terrains allemands situés en Moselle sont investis par des escadrilles françaises. Sept unités se succèdent à Bitche jusqu’en septembre 191917, bien après le déclassement officiel du terrain. Le 1er avril 1919, la BR 104, une escadrille de reconnaissance rattachée à la 8ème Armée et basée à Sarreguemines depuis le 1er janvier, est transférée à Bitche.

Un accident inexpliqué endeuille les aviateurs le 5 avril dans l'après-midi. Un avion Breguet 14 A2, avec pour mission la reconnaissance du champ de tir d'artillerie du camp de Bitche, s'élève à 200 mètres. Après avoir effectué un virage au niveau de la caserne Teyssier, l'appareil part en vrille et s'écrase au sol. Les 400 litres d'essence du réservoir s'embrasent immédiatement. Des militaires des 19ème et 121ème Bataillons de Chasseurs à pied retirent de l’épave le corps du lieutenant Réthoré âgé de 24 ans. Il souffre d’une fracture du crâne et est grièvement brûlé. Il décède quelques minutes plus tard à l'infirmerie de la caserne. Le corps du sergent pilote Simard, âgé de 19 ans, coincé sous l’appareil, est retrouvé entièrement calciné.

Une enquête de gendarmerie diligentée le lendemain est révélatrice de l'état d'esprit qui règne après le retour à la France des départements recouvrés. D’éventuels actes de malveillance et de sabotage sont suspectés, mais très rapidement tout soupçon est écarté. L'accident est à mettre au compte de l'inexpérience des jeunes pilotes qui ont récemment intégré les escadrilles de l’aviation française18
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Conclusion

Le premier conflit mondial dans les airs et sur terre ne s’est pas cantonné sur les champs de bataille, le long des tranchées. S’il est connu que les Allemands ont bombardé la Grande-Bretagne, une guerre aérienne sans merci qui oppose surtout les Britanniques aux troupes d’aviation du Reich se déroule dans notre région en 1918.
Ce sont des combats à mort où l'esprit chevaleresque, un mythe véhiculé par la propagande, n'a pas sa place. Les équipages britanniques sont inexpérimentés. La formation au pilotage, à la navigation, aux techniques de combats est succincte ; elle est quasi inexistante pour le vol en formation.

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16Mückler (Jörg), Deutsche Flugzeuge in Ersten Weltkrieg, Stuttgart, Motorbuch Verlag, 2013

17Les escadrilles de l'aéronautique française, Service Historique de l'Armée de l'Air, 2011


18SHD (Air), 1A309


De plus, contrairement aux pilotes allemands en 1918, les aviateurs de l’Entente ne sont pas équipés de parachutes. Si les recherches historiques effectuées dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre restituent certains pans de cet affrontement, cet éclairage sur l’activité aérienne dans le pays de Bitche nous amène à nous interroger sur les débuts de l’aéronautique dans la région. Des recherches plus approfondies méritent d’être entreprises.



Bernard Zins

Paru dans la revue de la Shal de Bitche N°16-2017