nuit des sorcieres


La nuit des sorcières ou Héxenàcht

 

Pour les Celtes, la nuit de la première pleine lune entre l'équinoxe de printemps (21 mars) et le solstice d'été (23 juin) était une date importante du calendrier religieux : on fêtait cette nuit-là le début de l'été et donc le réveil de la nature, le renouveau. C'était l'occasion d'allumer de grands feux de joie pour brûler symboliquement les branches de l'hiver, de danser autour de ces brasiers et de faire des sacrifices sanglants.

Grand feu de Walpurgis en Suède.

 

D'après la mythologie germanique, les sorcières étaient censées organiser une grande fête, un sabbat, pendant cette nuit, dans le massif du Brocken, situé dans le Hartz (Massif d'Allemagne centrale).



Vue du Brocken

 

Avec l'arrivée du christianisme, la pratique traditionnelle de ces grands feux fut considérée comme païenne et liée à la sorcellerie, donc condamnée par l'Eglise.
Les feux et les rondes ne furent pas supprimés pour autant, mais récupérés dans le but de chasser les sorcières, émanation du Mal. On continua donc d'allumer de grands feux, de danser et de chanter le printemps.

La nuit du 30 avril au 1er mai fut alors appelée Walpurgisnacht, ou nuit de Walpurgis, car cette sainte était fêtée le lendemain. (Sainte Walpurge ou Gauburge, née vers 710 en Angleterre et abbesse du couvent de Heidenheim, en Franconie). La date de la fête de cette sainte n'est pas innocente, l'église invoque justement sainte Walpurge pour la protection contre les sorcières et les sorts jetés aux humains et aux animaux.

Mais les anciennes traditions avaient la vie dure et les sorcières étaient toujours censées se rendre à leur sabbat pendant cette nuit, pour y rencontrer le diable en personne.

Il fallait donc, pour nos ancêtres, se protéger des sorcières qui se déchaînaient pendant cette fameuse nuit du 30 avril au 1er mai.
Les paysans s'efforçaient d'être rentrés des champs et d'avoir mené leurs bêtes à l'abreuvoir avant l'Angélus du soir, pour ne plus être obligés de sortir dans la rue et pour éviter de faire de mauvaises rencontres.

Pendant les 9 jours qui précédaient cette fête, l'Eglise faisait sonner les cloches (peut-être à la tombée de la nuit), pour chasser les sorcières.

Les villageois sillonnaient les rues du village, en faisant beaucoup de bruit, pour chasser les sorcières.
Il n'y a pas si longtemps encore, dans nos villages, au soir du 30 avril, certaines personnes n'oubliaient pas de faire le tour de leur propriété (maison, grange, étable) et d'asperger les ouvertures, même les trous de serrure, avec de l'eau bénite.
Elles allaient aussi dans la cour et le jardin pour jeter de l'eau bénite en direction des quatre points cardinaux, vers les champs et les prés.

Il était aussi coutume, dans le même but, de placer un peu de sel bénit sur le seuil des maisons.
Certains villageois, plus courageux que d'autres, sillonnaient les rues du village, pendant la nuit, en faisant beaucoup de bruit, pour faire peur aux sorcières.

Le but de ces pratiques était évidemment de se protéger personnellement, mais aussi de protéger la maison et les futures récoltes contre les mauvais sorts qui auraient pu être jetés par des esprits malveillants.

Les jeunes gens dansaient autour de l'arbre de mai, qui symbolisait également la fertilité de la nature.


Danse autour de l'arbre de mai.

 

La nuit des sorcières, appelée Walpurgisnacht ou Héxenàcht se base donc sur une tradition païenne, reprise à son profit par l'Eglise, et n'a rien à voir avec la nuit des sorcières que nous connaissons dans notre région.

Notre Héxenàcht actuelle est en réalité une Freinacht, une nuit de libertés, où tout est possible et permis, comme au temps du carnaval.
Dans les pays germaniques, une Freinacht précédait certains jours fériés, comme par exemple le lundi de Pentecôte. Les jeunes gens profitaient de l'occasion qui leur était donnée, pour se défouler, et déplacer tout ce qui se trouvait devant les maisons.

C'est cette Freinacht que nous connaissons dans notre Moselle-Est. Le lien avec la Walpurgisnacht et la Héxenàcht, c'est la présence de " sorcières " pendant cette nuit.

Les jeunes gens, conscients de la peur que les sorcières infligeaient aux villageois, profitaient du fait que les gens n'osaient plus sortir jusqu'au lendemain matin, pour se livrer à des facéties bon enfant et jouer des tours à leurs semblables.

Les victimes étaient toutes trouvées : une jeune fille qui avait éconduit un soupirant, un voisin grincheux et râleur, un parent avec lequel la famille avait un problème…
Il n'y avait aucune volonté de nuire, ces agissements étaient tout simplement des farces qu'on se faisait et dont souvent on se rendait la pareille l'année suivante.

De tout temps, les villageois entreposaient devant leur demeure, sur l'usoir, beaucoup de matériel agricole. C'était également la période où ils rentraient le bois de chauffage qu'ils avaient coupé durant l'hiver, peut-être déjà scié, et qui séchait au soleil devant leur maison. Bref, les objets à déplacer ne manquaient pas : les charrettes, les brouettes, les herses, les charrues, les bancs de conversation, les portes de jardin, les billots, les rondins de bois…



A cette époque, les " farceurs " étaient fort nombreux, et ils formaient plusieurs groupes en activité dans les rues du village. Il était évident que le plus grand silence était de rigueur lors de la Héxenàcht, afin de ne pas réveiller les gens endormis. Mais tous ne dormaient pas. Les plus malins attendaient, cachés derrière les volets, le passage de ces mauvais garçons afin de les prendre la main dans le sac, d'en reconnaître l'un ou l'autre pour pouvoir facilement retrouver et récupérer les objets déplacés, et qui restaient parfois introuvables. Dans ce but, il était important de savoir qui était à l'origine de ces méfaits.

Il pouvait arriver qu'un objet déplacé ne fût jamais retrouvé, mais cela était très rare. En général les lieux d'entrepôt étaient immuables : au centre-village, ou dans la Kluss, ce petit ravin qui longe la rue de la gare.

Les " sorcières " étaient pourtant difficilement reconnaissables car les rues des villages n'étaient pas toutes éclairées. Plus tard, avec l'avènement de l'éclairage public généralisé, leurs agissements devenaient plus difficiles. La solution pour ramener l'obscurité dans le village fut vite trouvée : il s'agissait d'éclairer, au moyen d'une lampe de poche, la cellule photoélectrique située sur un transformateur et qui commandait l'éclairage. Ainsi l'éclairage public faisait défaut et favorisait les agissements des bandes.

Il n'était pas rare de retrouver une charrue sur le toit de l'abribus de la place du village (édifice aujourd'hui détruit) et la faire descendre n'était pas chose aisée.
Il arrivait même qu'un agriculteur, qui, la veille, avait chargé sa charrette de fumier pour la conduire aux champs, la retrouvât déchargée devant l'église, au beau milieu du village.
Un autre avait retrouvé sa charrue hissée dans un pommier, mais de colère, il ne la récupéra pas et elle trôna pendant une bonne année au milieu des pommes. L'histoire ne dit pas comment il se débrouilla pour labourer son champ.

Les charrettes non rentrées et non enchaînées disparaissaient systématiquement et se retrouvaient parfois dans des lieux reculés du village. Leur déplacement était chose aisée, puisque presque toutes les rues du village sont en pente.
Mais les charrettes aux roues en bois cerclées de fer étaient bruyantes et il fallait faire vite au moment de les déplacer. Les remorques munies de pneus étaient préférées, car silencieuses.

Telle personne qui avait monté un échafaudage à sa maison en construction le retrouvait démonté un peu plus loin dans la rue. Les rondins de bois servaient à barricader les portes d'entrée.

Même certains objets laissés à l'arrière de la maison et que l'on croyait en sécurité, disparaissaient, comme par exemple les balançoires ou balancelles pourtant assez encombrantes.

Au réveil, le décor de certaines rues avait changé par suite du déplacement des objets et l'hilarité de certains répondait à la colère d'autres habitants.

Pendant la nuit, quelques mauvais perdants n'hésitaient pas à se munir d'une carabine ou d'un tuyau d'arrosage pour essayer de surprendre les plaisantins. Il aurait été bien plus sage de laisser faire et d'accepter ces plaisanteries, car l'année suivante les " sorcières " en profitaient pour se venger et aggravaient leurs agissements envers ces râleurs.

De nos jours, les charrettes à déplacer, le fumier à décharger, cela n'existe plus. Aussi les bancs que l'on retrouve devant la poste, ou les poubelles que l'on doit récupérer dans une autre rue sont choses courante. De même pour les pots de fleurs, les paillassons et autres objets laissés imprudemment dehors.

Amas de poubelles, de chaises, de bancs devant l'ancien bureau de poste...

 


En ville, la Héxenàcht avait un autre aspect, car il n'y avait rien à déplacer devant les immeubles. Aussi s'amusait-on à enduire de graisse les clenches des portes, à enrouler du papier hygiénique autour des arbres, des poteaux électriques et à verser du liquide vaisselle dans les fontaines publiques pour avoir un spectacle " mousse ".

Comme d'habitude dans ce genre d'amusements, les excès et les débordements devinrent inévitables.
Actuellement, on ne s'attaque pas seulement aux biens des particuliers (boîtes aux lettres dégradées et arrachées, façades souillées et même taguées, véhicules rayés, objets qui ne sont plus jamais retrouvés…), mais aussi aux biens publics (bacs à fleurs, bancs, panneaux de signalisation…)
Les forces de l'ordre sont obligées de faire des rondes pour dissuader les groupes les plus virulents.

Les communes ainsi que les particuliers n'hésitent pas à porter plainte car les dommages subis sont parfois conséquents. Il est dommage que la tradition de la Héxenàcht serve de prétexte au défoulement de certains casseurs, comme ceux qu'on retrouve dans toutes les manifestations urbaines qui dégénèrent.

 

Espérons que cette tradition de la nuit des sorcières puisse se continuer, car elle fait partie de notre patrimoine culturel. Mais il faudrait pourtant qu'elle se déroule dans le respect des biens de chacun, ainsi que des biens de la communauté.

Sources :

http//fr.wikipédia.org
http//de.wikipédia.org
Vie familiale, dimanches et jours de fête. Coutumes et traditions en
Sarre-Lor-Lux. Monika Sommer-Hasenstein. Editions Gollenstein.
Mémoire collective.