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Evadé de la Wehrmacht
Aloyse SCHEGEL
était un jeune garçon lorsque la guerre éclata en septembre 1939. Né le
6 octobre 1927, il allait sur ses douze ans. Mais en cette année de
déclaration de guerre qui n’augurait rien de bon pour l’avenir, il fêta
son anniversaire en Charente avec les siens, loin de son village
évacué. Mais avait-il vraiment la tête à fêter avec tous ces évènements
?
La famille SCHLEGEL,
composée de Jean-Pierre, le père, de Clémence, la mère et des trois
enfants, Marie, Aloyse et Lucie ne resta pas longtemps en Charente car
le père, cheminot, dut reprendre son travail. Il fut d’abord nommé à
Saint-Jean-de-Bassel, près de Sarrebourg, puis dans la région de
Troyes. Après la débâcle de mai-juin 40, la famille dut se replier dans
la région de Bourges.
Le retour au village, après
l’armistice, se fit en septembre 40 et la vie reprit son cours presque
normal. Aloyse fréquenta de nouveau l’école communale, allemande cette
fois, et entra rapidement dans la vie active.
En ces temps troubles où toute vie économique était désorganisée, il
était facile de trouver un emploi dans une usine d’armement en
Allemagne. Il était préférable pourtant, si on ne voulait pas
contribuer à l’effort de guerre nazi, de trouver du travail sur
place, au village, chez le boulanger, le boucher, le forgeron par
exemple ou encore auprès des agriculteurs.
Le travail ne manquait pas pour qui ne voulait pas rester inactif et gagner un peu d’argent ou de la nourriture.
Aloyse s’employa donc à aider ses
parents dans leurs travaux agricoles, tout comme le faisaient déjà ses
deux sœurs Marie et Lucie. Et puis il donnait aussi souvent un coup de
main à Pierre et Nicolas LIST, les "Muurhànse" qui avaient leur exploitation dans la rue de Schmittviller, le "Làngenéck" ou encore à Jean-Pierre HIEGEL, dans la rue de la montagne, le "Guggelsbèrsch".
Les jours passaient dans
l’insouciance de la jeunesse. On vivait au jour le jour, sans se
poser trop de questions pour le moment. Il y avait les copains,
les frères DEMMERLE, Marcel et Erwin, Gérard et Gilbert BELLOTT, Adolphe LENHARD et d’autres.
Mais à partir de 1942 l’avenir
commença à s’assombrir car les différentes classes d’âge devaient
progressivement être incorporées à la "Wehrmacht". C’était d’abord le départ pour le "Reichsarbeitsdienst", le service du travail du Reich,
une sorte de préparation militaire, puis l’affection dans une caserne
et le départ pour le front. En mars 1943, c’était au tour de la
classe 1925. Aloyse commençait à songer sérieusement que son tour
allait bientôt venir.
La guerre se poursuivait et les
besoins en soldats se faisaient cruellement sentir pour l’armée
allemande, surtout après les pertes sur le front russe.
La maison familiale (état actuel)
Et l’ordre de se présenter au RAD arriva au mois de mai 44. Aloyse dut se rendre à contre-coeur en Allemagne, dans le Land de Sarre, à Dörenbach.
Après un passage écourté au RAD, il fut rapidement versé dans une unité de la "Wehrmacht" sans même pouvoir bénéficier d’une permission. Le jeune homme n’avait
pas encore 17 ans et déjà le métier des armes l’attendait…
D’autres jeunes de son âge,
originaires de villages voisins avaient été incorporés avec lui. Il y
avait Alphonse KREMER et Adolphe SCHMITT de Etting notamment.
En cet été 44, les Américains
avaient entrepris de libérer le pays. Paris était libre depuis le 25
août. Les troupes allemandes essayaient de résister mais elles
battaient en retraite partout sur le territoire. Un vent de défaite
soufflait déjà sur la région.
Dans ces conditions, Aloyse n’était
pas très motivé de devoir jouer au soldat, qui plus est, dans une armée
qui n’était pas la sienne et qui l’avait enrôlé de force, malgré-lui.
Mais il devait obéir pour le moment.
Le jeune soldat SCHLEGEL, affecté dans une caserne de Sarrebruck,
fut chargé de convoyer jusqu’à Metz un fourgon hippomobile. Pour lui
c’était un jeu d’enfant de conduire un attelage de chevaux, il en avait
l’habitude, et il arriva sans encombres à Metz. La mission
accomplie, on lui ordonna alors de rejoindre par ses propres
moyens sa caserne à Sarrebruck. Mais Aloyse ne l’entendait pas de cette oreille.
Il savait que les Américains
n’étaient plus très loin et que la guerre était perdue pour les
Allemands. Il décida alors de s’évader de l’armée allemande et de
retourner dans son village, à Kalhausen, pour s’y cacher.
Il n’était plus question de rejoindre son unité. Pour cela, il lui
fallait d’abord trouver un moyen de locomotion. Aloyse n’hésita
pas à "emprunter" un vélo dans la caserne de Metz et se mit en route officiellement
pour…Sarrebruck qu’il n’atteignit pas ce jour-là. Et pour cause.
Arrivé près de Kalhausen, le
fugitif se dit qu’il serait sage de prendre quelques précautions et
d’arriver au village par des chemins détournés. Aussi passa-t-il par le "Mihlewàld", la forêt du
moulin, le vélo à la main. Dans la traversée de la petite forêt privée,
il tomba nez-à-nez avec six jeunes filles ukrainiennes qui s’étaient
enfuies de la faïencerie de Sarreguemines et qui se cachaient là. C’était des
travailleuses déplacées, des "Ostarbeiterinnen", forcées de travailler pour le Reich et de contribuer à l’effort de guerre.
A la vue du jeune homme en uniforme allemand, elles prirent peur et se
crurent déjà perdues. Mais Aloyse les rassura sur ses intentions,
leur dit de ne pas bouger et qu’on viendrait les aider le soir.
Il arriva au village par le chemin de Hutting, dévala à toute vitesse le "Guggelsbèrsch", la rue de la montagne, et s’engouffra dans la rue des mésanges, le "Schbàtzenéck", pour arriver en trombe devant la maison paternelle et y disparaître. Il ne voulait surtout pas être vu des villageois.
Le premier moment de surprise passé, Aloyse relata à ses parents la
rencontre avec les filles russes et on décida avec les voisins d’aller
les chercher. Elles furent recueillies dans différentes familles du
village, chez Auguste WECKER, Jean BOUR, Henri DEMMERLE et bien sûr Jean-Pierre SCHLEGEL, entre autres.
Jusqu’à la fin de la guerre elles furent d’un précieux secours pour les
travaux ménagers ou agricoles et elles étaient plus ou moins en
sécurité.
Quant à notre évadé, il avait pris
ses parents au dépourvu, quand il leur avait annoncé tout de go qu’il
ne voulait plus regagner sa caserne, mais se cacher en attendant la fin
des hostilités. Sa mère Clémence en pleurs alla narrer ses soucis aux
voisins d’en face, Henri et Anne DEMMERLE, les parents de ses copains Marcel et Erwin.
« Non, Aloyse ne
peut pas rester à Kalhausen, le village n’est pas sûr : il y a certaines personnes
favorables aux Allemands et pas moins de six gendarmes logent chez des
habitants. Il y a des Allemands partout, même dans notre propre maison
! »
Un petit bureau fonctionnait en effet dans la chambre du devant, la "Schdùb" avec la présence quotidienne de trois soldats qui garaient leur véhicule, une Traction Avant, dans la grange.
« Non, vraiment, c’est insensé ! Aloyse ne peut pas rester, il doit regagner son régiment ! C’est trop dangereux pour lui, pour la famille et tout le voisinage ! »
Son père Jean-Pierre décida alors
de l’accompagner en train jusqu’à la gare de Sarreguemines. Il s’assura
que son fils était bien monté dans le train en partance pour Sarrebruck
avant de rentrer à Kalhausen. Mais Aloyse, au lieu d’obéir à son père
et de s’installer bien sagement dans le compartiment, sortit sur le
quai opposé et en profita pour s’éclipser discrètement.
Le père, la conscience tranquille,
rentra paisiblement à la maison où, déjà l’attendait…son fils. Ce fils,
obstiné et volontaire, savait ce qu’il voulait. Impossible de le faire
changer d’avis ! Les parents durent céder devant son entêtement. Sur
les conseils du voisin, Paul LOHMANN qui habitait provisoirement à l’étage, dans la maison de Henri DEMMERLE,
et avec l’approbation de ce dernier, on décida de cacher l’irréductible
évadé dans la vieille maison inhabitée, car trop vétuste, appartenant à
Paul, l’actuel immeuble n°6 de la rue des mésanges, propriété de la
famille Pierre-Noël D’ANDREA.
La maison de Paul LOHMANN (état actuel).
Ce serait la cachette idéale, tout près de la maison paternelle. La
porte d’entrée pouvait se condamner et il existait une sortie sur le
côté. Le peu de foin qui restait sur le fenil suffirait à cacher Aloyse.
L’uniforme allemand fut brûlé pour
effacer toute trace de sa présence ou de son passage. Les autorités
allemandes qui avaient à cette époque d’écroulement du Reich
d’autres préoccupations plus importantes, ne firent pas de recherches
pour retrouver le fugitif. Elles récupérèrent pourtant, en compagnie du
maire KARMANN, le vélo qui avait servi à Aloyse pour se rendre de Metz à Kalhausen.
Le père pouvait jurer qu’il avait
accompagné son fils mineur à Sarreguemines et qu’il l’avait fait monter
dans le train de Sarrebruck. Des témoins pouvaient confirmer ses dires.
Aloyse dut passer presque trois mois dans sa cachette, du 1er septembre 44 à la mi-novembre et il s’ennuyait ferme !
Pendant la journée il pouvait se
déplacer dans les pièces du logement, dans la grange, au grenier, dans
le fenil. Mais il ne trouvait pas à s’occuper et le temps lui
paraissait bien long. Surtout à un âge où l’on a l’habitude de bouger.
Son copain Erwin DEMMERLE, alors
âgé de 14 ans, un des fils de Henri DEMMERLE, le voisin, était
embauché par Nicolas FABING, l’un des deux boulangers du village,
appelé "de Bägger Nìggel". Erwin profitait chaque jour de sa pause de midi pour rentrer
déjeuner à la maison et rendre une petite visite à Aloyse. Il lui
apportait par la même occasion le déjeuner préparé par sa mère Clémence
et s’enquérait de ses besoins.
Chez les DEMMERLE, la fenêtre de la cuisine située au-dessus de la pierre à eau, "de Wàsserschdèèn", avait une vue directe sur le pignon de la maison LOHMANN. Souvent,
le soir, un des membres de la famille allait chercher le jeune Aloyse
pour l’accueillir dans la maison : il avait juste dix mètres à
parcourir à découvert pour s’engouffrer dans la cuisine en passant par
la fenêtre située devant l’évier. Il n’osait bien sûr pas rentrer
par la porte donnant sur la rue.
Aloyse regagnait aussi parfois la
maison paternelle pour changer de vêtements et se laver. Là aussi il
usait de ruses de Sioux pour ne pas se faire voir : il attendait la
tombée de la nuit et passait par l’arrière de la maison LOHMANN pour
arriver chez ses parents par le jardin.
Ce séjour dans l’antre du loup – n’oublions pas que des soldats
allemands étaient cantonnés dans la maison – était des plus
périlleux et pouvait à tout moment dégénérer.
A mesure que son séjour en cachette
se prolongeait, Aloyse devenait de plus en plus téméraire et de plus en
plus inconscient. Sans s’en rendre compte, il mettait sa vie en danger
et par là-même celle de ses parents et des voisins. Tout l’entourage
vivait dans la terreur.
Les parents craignaient le plus les
soldats allemands hébergés dans leur maison, mais aussi les jeunes
enfants du voisinage qui auraient vite fait de parler s’ils avaient été
mis au courant de quelque chose ou s’ils avaient remarqué quoi que ce
soit.
Le secret était heureusement bien
gardé et seules trois familles étaient au courant de sa présence au
village. Ses parents mettaient chaque fois leur fils Aloyse en garde,
mais ce dernier s’obstinait à leur désobéir et au lieu d’essayer de
passer inaperçu, il multipliait les imprudences, voire les provocations.
Un jour que des enfants jouaient
devant la maison, il ne trouva rien de mieux que de jeter de petits
cailloux par les jalousies des volets fermés. Les enfants,
heureusement, ne suspectèrent pas de présence dans la maison et
continuèrent leurs jeux.
Une autre fois, il manifesta
ouvertement sa présence, sans aucune retenue. Alors que des bombardiers
alliés passaient très haut dans le ciel, deux villageoises, Madeleine GROSZ, appelée "Aléxe Léhn" et Cécile BELLOTT, la tante d’Erwin, comptaient les avions, debout dans le jardin, à l’arrière de la maison.
Soudain une voix venue de derrière elles se mêla à la conversation et contredit leur comptage. C’était notre Aloyse !
Il avait purement et simplement découvert un m2 de tuiles et tout le
haut de son corps dépassait du toit. S’il voulait passer inaperçu,
c’était raté ! Heureusement que la scène se passait à l’arrière de la
maison, un peu à l’abri.
Mais l’évènement qui aurait pu avoir le plus de conséquences est bien celui-ci. Aloyse, le "Hauschdàlljäger", comme il aimait à s’appeler,
"le chasseur du fenil", demanda un jour à son copain Erwin d’examiner de plus près la
Traction Avant garée dans la grange dont la grande porte à double
vantail était toujours ouverte. Erwin aperçut alors un pistolet dans
son étui, posé sur la lunette arrière de la voiture. Aloyse lui demanda
immédiatement de le subtiliser et de le lui rapporter. Erwin s’apprêtait
déjà à ouvrir la portière lorsque sa mère Anne, qui l’observait depuis
la fenêtre de la cuisine, poussa un grand cri. Le jeune homme, stoppé
dans son élan, ne put que s’enfuir et se cacher, par peur de la
réaction des soldats et de ses parents.
Heureusement que cette tentative de
vol d’arme échoua, car les conséquences de cet acte de "terrorisme"
auraient pu être catastrophiques. Les autorités allemandes n’auraient
pas manqué de faire leur enquête et une fouille approfondie des
maisons. Le fugitif aurait été facilement cueilli, sa famille et les
voisins incarcérés et déportés.
Le séjour forcé dans la maison
déserte pesait tous les jours un peu plus au jeune homme, qui souffrait
de l’inaction et de l’absence de chauffage en cette saison.
Mais la bataille de la libération
de la Moselle se rapprochait chaque jour davantage et on entendait
quotidiennement le grondement des canons, semblable au tonnerre d’un
lointain orage. Thionville était libérée le 12 septembre, Metz seulement le 22 novembre.
Les habitants de Kalhausen
savaient que le dénouement était proche et ils s’impatientaient,
attendant chaque jour l’arrivée des libérateurs qui ne venaient
toujours pas. C’est que les Allemands se défendaient avec
acharnement autour de Metz et de ses forts.
Dès la mi-novembre 44, les
habitants commencèrent à se réfugier dans les caves voûtées de
certaines maisons. Aloyse n’était plus en sécurité dans son fenil et il
serait plus prudent pour lui qu’il rejoigne les voisins dans leur abri
souterrain. Mais lui, tenait absolument à rester dans sa cachette,
pire, il voulait même que son copain Erwin vienne s’installer
avec lui, pour lui tenir compagnie. Ce dernier eut le plus grand mal du
monde à le faire changer d’avis. Finalement Aloyse consentit à
rejoindre les LOHMANN et les DEMMERLE qui avaient trouvé refuge dans la cave de Florian LOHMANN, appelé "de Kràmmàdisch" (actuellement la maison de Catherine MOURER dans la rue des mésanges).
Cette cave était accessible de plein pied à partir de la rue et elle
était divisée en plusieurs compartiments. Un tas de betteraves occupait
le fond et on aménagea, pour Aloyse, au moyen de planches, une cache
sous le tas. Une petite porte camouflée permettait d’y accéder.
Le 6 décembre 44, l’arrivée des
Américains fut un grand soulagement pour Aloyse et les siens, comme
pour tous les villageois et les autres réfractaires cachés dans le
village.
Les trois mois de planque d’Aloyse
avaient paru une éternité pour lui, sa famille et les voisins. Les
soucis étaient désormais terminés, les dangers passés.
Mais lorsque les Allemands, dans un dernier sursaut, déclenchèrent l’opération "Nordwind", au début de janvier 1945 et contre attaquèrent pour arriver jusqu’à Achen,
un nouveau vent de panique souffla sur le village. Qu’adviendrait-il du
fugitif et des jeunes filles ukrainiennes en fuite si les Allemands
revenaient au village?
Alors Aloyse et ses camarades, Jean WECKER, Joseph BELLOTT, Erwin DEMMERLE se replièrent avec les Ukrainiennes jusqu’au village voisin d’ Oermingen.
Les soldats de la 2° DB
rencontrés sur les hauteurs de Kalhausen leur dirent de ne pas aller
trop loin car ils tenaient la situation en main. Les jeunes trouvèrent
refuge dans la cave chauffée de Jean BELLOTT, le parrain d’Erwin, qui
habitait un logement dans la cité des officiers, en face de la caserne.
Les réfugiés y restèrent quelques jours et regagnèrent ensuite tranquillement leurs foyers respectifs.
Aloyse et ses copains ne parlèrent
ensuite plus de leurs "faits de guerre", ils fondèrent des familles,
trouvèrent un travail et vécurent chacun leur vie.
Aucun des jeunes qui s’étaient
soustraits à l’incorporation ou qui n’avaient pas regagné leur régiment
ne fut dénoncé pendant la guerre. Les Kalhousiens surent faire preuve de patriotisme et les familles concernées de courage.
Mais le cas d’Aloyse
montre bien que l’insouciance et l’imprudence de certains auraient pu
avoir de graves conséquences. La chance pourtant avait été de
leur côté et ils sont sortis de l’épreuve sans dommages.
Souvenirs de Lucie SCHLEGEL et Erwin DEMMERLE,
mis en forme par Gérard KUFFLER.
Février 2012.