Les enfants de choeur



Les enfants de chœur

hier et aujourd'hui

 

La religion occupait autrefois une grande place dans la vie de nos ancêtres, entièrement vouée au travail et organisée autour des pratiques religieuses. Leur existence était jalonnée d'un certain nombre de repères, de rites de passage comme le baptême, la première communion, la communion solennelle, le mariage et le décès. L'admission dans le groupe des servants de messe, les " Méssdìener ", faisait également partie de ces rites. On peut dire que les garçons devenaient automatiquement servants d'autel, c'était dans la logique des choses, comme l'entrée à l'école et le départ pour le service militaire.

Très peu de parents refusaient que leur fils serve la messe, ils le poussaient plutôt à le faire. Etre enfant de chœur était un grand honneur non seulement pour le garçon, mais aussi pour la famille. Par là on se rendait agréable au curé qui régentait pratiquement toute la vie du village. En même temps, en se mettant au service de l'Eglise, du prêtre et de la communauté paroissiale, on accomplissait son devoir de chrétien et on s'efforçait de gagner le Ciel.

Le service de l'autel

C'est après la cérémonie de la première communion que les jeunes garçons pouvaient rejoindre le groupe des servants de messe, dans l'année de leurs 9 ans. La charge était réservée uniquement aux garçons, c'était un fait établi qu'aucune fille ne pouvait contester, ni aucun parent. Elle durait normalement jusqu'à la fin des études à l'école élémentaire, c'est-à-dire jusqu'à 14 ans, à moins d'une démission, ce qui était presque impensable. Seule la maladie ou le départ en internat pour certains rares enfants pouvait arrêter le service de l'autel.
Certains adolescents servaient jusqu'à l'âge de 18 ans et on faisait appel à eux pour les grandes occasions. C'était assez amusant de constater que souvent les servants étaient alors plus grands que le prêtre et le dépassaient allegrement d'une tête.
(1)

(1) Souvenir de François Freyermuth.
Petite anecdote : dans un village voisin, le curé récompensait les adolescents servants de messe en leur offrant un paquet de cigarettes…



En 1946, sur le parvis de l'église.

De gauche à droite, au premier rang : Joseph Stephanus, Alphonse Muller, Adrien Simon,
René Laluet, Robert Lohmann, Armand Freyermuth
Second rang: Pierre Herrmann, Raymond Guinebert, Lucien Freyermuth, Joseph Lohmann, Edouard Muller
Troisième rang: Théo Freyermuth, Nicolas Demmerlé, Joseph Muller, Lucien Lohmann

Les grands garçons chaperonnaient les plus petits, surtout au début, pendant la période de l'apprentissage. (2). Les anciens en imposaient aux plus jeunes et jouissaient d'un prestige certain. Aussi étaient-ils craints et respectés. Il existait un " chef " des servants : c'était presque toujours le plus âgé de la classe du certificat d'études. Il avait pour rôle la planification des tâches surtout pendant la Semaine Sainte et aussi l'équitable distribution des menus " cadeaux " pendant l'année. (3)

Les anciens servaient à droite, là où il y avait le plus à faire et au bout d'une ou deux années, les novices, qui avaient débuté à gauche, montaient en grade et avaient le droit de servir à droite et d'initier ainsi d'autres plus jeunes qu'eux.

(2) François Freyermuth se rappelle avoir été initié par son cousin Etienne et avoir lui-même appris le " métier " à Bernard Kremer.
(3) Tout juste avant la guerre, c'était Nicolas Metzger qui était "chef des servants" ( Souvenir d'Adolphe Lenhard. )


Pour les débutants le service de la messe était difficile car il fallait apprendre par cœur des phrases latines, voire des textes entiers pour pouvoir répondre au curé à voix basse. On marmonnait sans comprendre et le prêtre se satisfaisait de la prononciation plus qu'approximative.
Le célébrant : " Introibo ad altare Dei. "
Le servant : " Ad Deum qui laetificat juventutem meam. "
Le célébrant : " Adjutorium nostrum in nomine Domini "
Le servant : " Qui fecit coelum et terram. "

Le " Confiteor " était aussi difficile à retenir, c'était une prière longue et il fallait la réciter sur le bout des doigts. Bientôt le " Kyrie ", le " Gloria ", le " Credo ", le " Sanctus " et l' " Agnus Dei " n'avaient plus de secrets. " Nous étions fiers de pratiquer le latin, comme le curé, comme la chorale, comme nos parents aux offices. Mais que c'était dur au début ! Le prêtre avait beaucoup de patience et il nous faisait répéter souvent pour que cela rentre. Nous étions encore petits de taille à 9 ans et nous devions descendre et monter les marches du maître-autel en portant le pupitre chargé du gros missel. Nous ne voyions pas bien à nos pieds et parfois nous marchions sur notre aube, trop longue, au risque de tomber ", se souvient François Freyermuth.

Les grands se permettaient parfois de goûter au vin de messe, en cachette du curé qui ne tolérait aucun écart de conduite.

Le service normal exigeait deux enfants de chœur, il débutait par la messe basse du dimanche matin (7 h) et se poursuivait pendant toute la semaine. S'il n'y avait rien de spécial dans la semaine, on servait le dimanche la messe basse, la grand'messe de 10 h, les vêpres à 14 h et puis les complies à 19 h. Chaque jour de la semaine la messe avait lieu à 7 h du matin, avant l'école. Cela faisait un total de 10 offices par semaine.

Pour la grand'messe, il y avait 4 servants, placés tous à l'autel et même 6 pour les grandes fêtes religieuses comme Pâques. L'abbé Nicolas Ichthertz aimait la solennité des cérémonies et ne se gênait pas d'en utiliser encore plus de telle sorte que le chœur était parfois rempli d'une multitude d'enfants de chœur.
(4)

Le déroulement des cérémonies était réglé comme du papier à musique et se déroulait comme une vraie pièce de théâtre. Pendant les vêpres, les servants et le prêtre s'asseyaient des deux côtés du chœur. La chorale chantait les psaumes. A la fin de chaque psaume et du Magnificat, elle entonnait le couplet du " Gloria Patri et Filiu et Spiritui Sancto ". Un des servants faisait fonction de maître de cérémonie et se levait alors, se tournait vers le prêtre et frappait un coup dans ses mains. Ce dernier enlevait sa barrette, se tournait vers l'autel et inclinait la tête. Les autres servants se levaient et se tournaient eux-aussi vers l'autel. A la fin du couplet, un autre coup frappé dans les mains annonçait la fin du recueillement. L'enfant à qui incombait ce rôle devait suivre les prières dans son missel et être attentif pendant tout l'office car il avait un rôle important.

(4) Les paroissiens étaient sensibles à la beauté du rite. Souvenir de Lucie Schlegel.

L'habit de cérémonie comportait d'habitude une soutanelle rouge, mais qui était de couleur bleu ciel lors des fêtes mariales, et noire pour les offices des morts. Un surplis ajouré à dentelles apportait une touche de blancheur. Parfois une petite pèlerine fermée par une chaînette se portait sur les épaules. Les grands servants, au-delà de l'âge scolaire, portaient une aube blanche nouée par une cordelette au niveau de la ceinture. Cette cordelette était un instrument de jeu pour certains, dans le dos du prêtre occupé à l'autel.
(5)



Bénédiction du monument aux morts dans les années 70 par l'abbé Antoine Stab.

Le service était théoriquement bien sûr bénévole, mais les enfants de chœur appréciaient fortement, à une époque où l'argent de poche et les friandises étaient rares, le " salaire " de la semaine et certains petits dons reçus lors des baptêmes, comme les cornets ou les boîtes de dragées offerts par le parrain et la marraine et qui pouvaient parfois contenir une pièce de monnaie ou un petit billet. Parfois le billet était conséquent et le " chef " se chargeait du partage entre les servants sans que le curé n'ait à intervenir.

Les mariages étaient aussi appréciés car il y avait toujours un petit cadeau : une petite somme d'argent et même une part de gâteau parfois, du " Krànzkùche " qu'on allait déguster au domicile de la mariée, après la cérémonie.
(6)

(5) (6) Souvenirs de François Freyermuth. Lors du mariage Clément Calmes-Marie Grosz vers 1953, François a pu manger une part de gâteau le lendemain de la noce.

Les honoraires des messes de semaine dites à l'intention d'un défunt et payées par la famille réservaient aux enfants de chœur une petite somme d'argent que le curé leur distribuait en fin de semaine.
(7)

Lors des messes de fondations, les enfants de chœur recevaient aussi une petite somme. Ces messes, fondées par un testament devant notaire, devaient être dites par le prêtre à des époques précises de l'année liturgique. Le fondateur avait prévu, entre autres, un certain montant pour les servants.

La fondation faite par le curé Pierron au profit de Christine et Odile Muller, le 12 avril 1885, prévoyait de faire célébrer 2 messes avec exposition du Saint Sacrement et bénédiction, l'une le jeudi tombant le plus près de la fête de Sainte Christine et l'autre le jeudi tombant le plus près de la fête de Sainte Odile. L'ordonnance épiscopale en date du 30 août de la même année institue cette fondation et alloue les sommes suivantes : 4 F au célébrant, 1F20 au chantre et 30 centimes aux enfants de chœur.
(8)

Les enfants qui étaient de service les jours de messes de fondations ou lors des baptêmes et des mariages recevaient ainsi une petite rémunération ou des friandises supplémentaires et c'était une aubaine pour eux. Les autres n'étaient pas jaloux pour autant car leur tour viendrait aussi, les baptêmes, les mariages et les messes de fondations étant nombreux pendant l'année.

L'abbé Ichthertz ne se montrait pas ingrat envers les enfants de chœur, il leur payait chaque année une excursion. Cela faisait une sortie pour tous ces enfants qui n'avaient pas souvent l'occasion de quitter le village. Ils auraient peut-être préféré la visite d'un zoo ou d'un musée, mais le curé les emmenait toujours dans un lieu de pèlerinage, comme à Notre-Dame de Sion ou à la procession de la Fête-Dieu à Blieskastel.
(9)

Mais tous attendaient avec impatience la Semaine Sainte et plus spécialement la période débutant le Jeudi-Saint, après l'office du soir, et se terminant après la Vigile Pascale, le soir du Samedi-Saint. C'était pour eux la période la plus active de l'année et la plus " enrichissante ". Ils devenaient pour quelques jours crécelleurs.

 

(7) 10 centimes pour une messe en semaine, 30 centimes pour un service de trentaine, 50 centimes pour un service d'anniversaire. Souvenir de François Freyermuth.
(8) Registre des délibérations du conseil de fabrique.
(9) Souvenir de François Freyermuth.

Les crécelleurs

Tous les servants étaient mobilisés pour cette occasion car il s'agissait de remplacer les cloches " parties pour Rome " et d'annoncer les offices à leur place. Le " chef " répartissait ses " sujets " par rue et formait des binômes. Lui-même se gardait le privilège d'officier dans les écarts du village, à Hutting, au quartier de la gare et à Weidesheim. Il emmenait avec lui une dizaine de bons copains qu'il favorisait ainsi.

La destination " Hutting et les écarts " était très prisée car elle apportait avec elle une part d'aventure et quelques menus avantages alimentaires. Mais elle n'était pas de tout repos car pendant deux jours il fallait se lever très tôt, dès 4 heures du matin. Les parents se chargeaient de réveiller leur garçon, de lui préparer un bon casse-croûte pour la route, sans oublier de lui faire les recommandations d'usage.

Il faisait encore nuit lorsque la petite troupe des crécelleurs, les " Kläbberbùùwe " se mettait en route, chaudement habillés, car les nuits étaient encore fraîches au mois d'avril. Chacun était muni de son instrument, la crécelle, " de Kläbber ". Ce n'était pas la crécelle à une main, qui tournait autour du manche, mais la crécelle à manivelle, en fait une caisse de résonnance assez rudimentaire. On tournait une manivelle qui actionnait une série de petits marteaux venant frapper sur le dessus de la boîte. L'instrument était entièrement en bois et il se transmettait de père en fils. Sa fabrication était artisanale, faite par le menuisier du village ou par un membre de la famille. Les crécelles différaient d'un village à l'autre, mais un seul modèle existait à Kalhausen.

 

François Freyermuth conserve jalousement la crécelle de son enfance.



Les crécelles en usage à Herbitzheim étaient différentes : elles étaient beaucoup moins volumineuses que celles de Kalhausen et on les faisait fonctionner avec un mouvement de va-et-vient du poignet. C’est le charron du village qui les fabriquait au moyen de son tour à bois.

                 



Le déplacement était bruyant par le " Guggelsbèrsch " et plus d'un villageois au sommeil léger pestait contre ces garnements qui ne se gênaient pas. Dès 5 heures on était à Hutting pour annoncer l'Angelus du matin, mais il était très tôt, beaucoup trop tôt pour le réveil des habitants du lieu.
Peu importe, les servants de messe faisaient leur travail, ils crécellaient, ils réveillaient tout le monde. Les Huttingeois n'enrageaient pas car ils savaient que c'était comme ça et que l'année prochaine la Semaine Sainte serait encore identique.

Pour les enfants l'heure n'était pas trop matinale car il leur restait encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir rentrer au village. Hutting était la première halte, une halte très attendue car il y avait Adeline. Cette brave femme avait le cœur sur la main. Dans sa petite maison, en face de la famille Kirch, elle préparait chaque année de bonnes tartines au beurre et à la marmelade de quetsches, le fameux " Schläggel ", qu'elle distribuait aux petits lève-tôt déjà affamés. Il n'était pas question de refuser une tartine.
(10)

Il ne fallait pourtant pas trop traîner chez Adeline car le curé tenait absolument à ce que la troupe soit rentrée pour la messe de 7 heures. Le hall de la gare, encore désert, offrait un abri pour une seconde halte. C'est là qu'on savourait, à l'abri de la fraîcheur du matin, le casse-croûte préparé par les parents.

Puis il fallait se rendre à Weidesheim, en passant par le chemin du moulin. Il était 6 heures passées et les vachers des deux fermes s'occupaient déjà de la traite du troupeau dans les étables.

Le retour au village s'effectuait à marche forcée par le sentier qui traverse le ruisseau d'Achen, en face de la forêt du " Mihlewàld ", puis par la rue de la gare. On avait à peine le temps d'effectuer le service au village, c'est-à-dire d'annoncer la messe du matin à laquelle il fallait assister malgré la fatigue due au déplacement et au lever matinal.
L'Angelus de midi, celui du soir et les offices du Vendredi-Saint ainsi que ceux du lendemain étaient moins stressants à annoncer car on disposait de plus de temps. Il n'était plus question de retourner dans les écarts à midi et le soir. Une fois dans la journée suffisait largement.

Les déplacements des crécelleurs étaient toujours bruyants car le bruit était leur raison d'être. Au moyen de leur instrument et de leur voix, ils remplaçaient efficacement les sonneries des cloches. Plus d'un était aphone à force de crier, de chanter pendant deux jours ces ritournelles apprises de leurs aînés.

(10) Souvenirs d'avant-guerre d'Adolphe Lenhard.
Adeline Klein, née le 21.04. 1894, avait épousé Paul Kemter le 13.04.1916. De leur union était né un enfant, Victor Paul, décédé en bas âge. (23/07/1916-07/05/1924)



Le service avant tout...



Le matin, dès 6 heures, c'était le " Dààglock " qui résonnait dans les rues et répondait au bruit des crécelles.

"Dààglock, Rooseschdock,
Schdeh ùff, du àlder Schlòòfkopp.
Siewe Eier sìnn gebròòt,
Siewe Eier sìnn gesòòs,
Siewe Eier léje ìm Néscht."
(11)
A midi, on pouvait entendre " Mìddaa, Bohnedàà, iwwermòrje (ou mòrje) ìsch Ooschderdàà. " (12)

Ou encore

" Ihr lìewe Litt, wàs soll ich èich sòhn?
Die Glogge hònn zwölöff geschlàà. Mìddaa ".
(13)

(11) C'est l'Angelus du matin, lève-toi, dormeur. Sept œufs sont cuits, sept œufs sont saucés, sept œufs sont dans le nid.
(12) C'est l'Angelus de midi. Jour de haricots. Après-demain (demain) ce sera Pâques.
(13) Bonnes gens, que dois-je vous dire ? Les cloches ont sonné les douze coups. Il est midi.

Le soir, c'était " Nààhglock, de Hààs ìsch dood,
Er lèjt ìm Fèld
Unn hàt kènn Gèld".
(14)

Les offices de la journée étaient également annoncés. Chaque office était précédé de trois annonces, comme les sonneries des cloches le faisaient en temps normal : une heure avant, " zùm érschde Mòòl ", puis une demi-heure plus tard " zùm zweide Mòòl ", enfin un quart d'heure avant le début de l'office " zùm lédschde Mòòl ".
(15)
Cela donnait beaucoup d'occupation pour les deux jours et les enfants aimaient cela. Ils pouvaient sillonner les rues du village et mettre leur " science " en valeur, ils étaient cette fois les acteurs d'une pièce de théâtre en plein air et les villageois les spectateurs. Il ne manquait plus que les applaudissements.

Le curé veillait sur sa troupe d'acteurs et il ne fallait pas rater les offices de la Semaine Sainte sous prétexte de retard dû au service.

La meilleure journée, certainement la plus attendue était le Samedi-Saint. Ce jour-là les enfants de chœur touchaient leur " salaire ", le salaire des jours précédents, mais aussi celui de toute l'année, versé cette fois par les paroissiens. Et les villageois se montraient généreux.

Cette fois, dès 8 heures du matin, tous les servants faisaient ensemble le tour du village et de ses écarts pour récolter les fruits de leurs efforts. Affublés d'un vieux chapeau orné de rubans multicolores, trop grand pour leur tête, ils parcouraient les rues, tirant plusieurs charrettes, ces petites carrioles aux roues en bois qu'on utilisait pour rentrer les récoltes du potager. Le ramassage des " dons " était long et durait jusque dans l'après-midi.
Le boulanger offrait trois gros pains, des " Drèipìndre ".
(16), le boucher deux saucisses de viande en forme de couronne, " Ringle Flèèschwùrschd " et les autres habitants surtout des œufs de la basse-cour ou une tranche de lard. Les dons d'argent étaient rares à cette époque.

On allait, par groupes de deux, sonner aux portes et les œufs étaient placés avec précaution dans un panier garni de foin, puis dans la carriole.

Pour l'occasion, le "chef des servants" était affublé du surnom de Judas et c'est à lui qu'on remettait les sommes d'argent collectées. Il avait la charge de gérer les liquidités et plus tard de les distribuer.
Celui qui était venu ce samedi matin en retard devenait le "Néschtquàck " et celui qui avait l'habitude d'être continuellement le dernier pendant l'année était le " Jàhrquàck. "
(17)

(14) C'est l'Angelus du soir, le lièvre est mort, il gît dans les champs et n'a pas de sous.
(15) Littéralement, c'est la première fois, c'est la seconde fois, c'est la dernière fois.
(16) Ces grands pains de forme allongée pesaient 1,5 kg chacun.
(17) Neschtquàck : littéralement " le dernier sorti du nid ", Jàhrquàck, " le dernier né de l'année "


Pendant que la joyeuse et bruyante troupe parcourait le village, on se moquait gentiment des traînards et on le faisait savoir à toute la population en chantant :

" Neschtquàck owwe nuss,
Neschtquàck ùnne nuss,
Iwwer Mìllers Huss enuss."
(18)

" Jàhrquàrck owwe nuss,
Jàhrquàrck ùnne nuss,
Iwwer Kàrmàns Huss enuss."
(19)

Devant chaque porte l'on chantait :
" Mìr hànn gekläbbert fèr's hèèlische Grààb
Gìnn ùns e Ooschdergààb
Nìtt ze groos, nìtt ze klien,
Àwer es geht àlles ìn de Korb enìnn."
(20)

Les paniers et les carrioles se remplissaient peu à peu au fur et à mesure de la tournée. A midi un casse-croûte géant était improvisé dans une grange : le pain, la saucisse, le lard étaient équitablement partagés par le " chef ". On pouvait aussi recevoir un œuf cru à gober. Le propriétaire de la grange, un parent d'enfant de chœur, offrait la boisson, de l'eau avec du sirop de menthe ou de la limonade maison.


Vers les 3 heures de l'après-midi, tout le monde se rassemblait au domicile du " chef " pour effectuer le partage du butin : des œufs, encore des œufs et bien peu de monnaie selon le goût des enfants qui auraient préféré plus d' argent.
(21)

(18) Dernier sorti du nid vers le haut, dernier vers le bas, par delà la maison des Muller. (dans le cas où le fils Muller avait été le dernier le samedi matin)
(19) Dernier de l'année vers le haut, dernier vers le bas, par delà la maison des Karman. (dans le cas où le fils Karman avait été souvent le dernier au cours de l'année)
(20) Nous avons crécellé pour le Saint Tombeau. Donnez-vous un cadeau de Pâques, ni trop grand, ni trop petit. Mais tout rentrera dans notre panier.
(21) Du temps de l'abbé Ichthertz, la distribution était effectuée par le curé. (Souvenir de François Freyermuth.)


Chacun s'en retournait ensuite chez soi, portant précautionneusement son chapeau rempli à ras bords d'œufs. Les parents montraient leur joie au retour du fils et la livraison de ces œufs garantissait de succulentes omelettes pour les jours à venir à moins que la maman ne les réquisitionne, les fasse cuire et les teigne avec des pelures d'oignons pour les transformer en œufs de Pâques.

Dans d'autres villages les enfants de chœur profitaient de ces journées pour assouvir leur besoin de liberté : ils ne rentraient pas pour midi et passaient leur temps autour d'un feu de camp. Cela engendrait souvent quelques excès de boissons parfois alcoolisées et on goûtait aux premières cigarettes, loin des yeux des parents. Certains étaient alors indisposés et les adultes n'aimaient pas beaucoup cela. Le curé d'ailleurs non plus et il veillait autant que possible à ce que ces abus ne se reproduisent pas.

.
La quête du Samedi-Saint.
L'abbé Stab et les crécelleurs dans les années 70.

Autres services et prérogatives

Les servants de messe étaient indispensables au bon déroulement de la liturgie et le curé tenait à ce qu'il y en ait toujours autour de lui, quel que soit l'office.
Le service ne s'arrêtait pas à l'autel, mais il se prolongeait à l'extérieur, lors des enterrements, des processions, de l'accueil des communiants qui se faisait sur le pas de la porte du presbytère et de la visite des malades avec distribution de la communion. Dans ce cas, deux servants accompagnaient le prêtre dans le village : l'un portait une lanterne à bougie fixée au bout d'un manche et l'autre agitait une sonnette destinée à avertir les passants. Ces derniers devaient se découvrir et mettre un genou à terre par respect pour le Saint Sacrement.


Monseigneur Schmitt, lors de la Confirmation de 1958.



Sur le chemin du presbytère vers l'église.


Les enterrements avaient aussi besoin de servants car le prêtre se rendait avec les enfants de choeur au domicile mortuaire et il fallait porter la croix. Après l'office des morts, on se rendait en cortège au cimetière et on portait encore la croix, mais aussi le bénitier avec le goupillon ainsi que l'encensoir. L'instituteur ne se faisait pas prier pour libérer ceux qui avaient la semaine à servir. Ces derniers étaient ravis de pouvoir quitter la classe en fin de matinée scolaire et on ne les revoyait plus avant treize heures.

Une autre occupation était également très prisée bien qu'elle n'eût rien à voir avec le service de l'autel et qu'elle présentât quelque danger. C'était la sonnerie des cloches. Cette charge était remplie avant guerre par Florian Stephanus qui faisait fonction de sacristain et de chantre. Si ce dernier avait la possibilité matérielle de sonner les cloches les deux premières fois avant un office, il ne pouvait plus le faire la troisième fois puisqu'à ce moment-là il s'occupait dans la sacristie à préparer l'office. Son frère Adam, non plus, ne pouvait à lui seul tirer simultanément sur les cordes des trois cloches pour la grand'messe dominicale ou lors des fêtes religieuses. Avec l'accord tacite du curé, l'abbé Albert, les grands enfants de chœur qui étaient de service, s'occupaient de la sonnerie des cloches. Ils s'amusaient beaucoup et essayaient de monter le plus haut, accrochés à leur corde. Là aussi ils se donnaient en spectacle aux paroissiens qui passaient sous le clocher pour entrer dans l'église.
Mais le danger était toujours présent : bousculade, chute, blessure…

De nos jours

Malgré la désaffection de la population pour la religion et la baisse de la fréquentation des églises, le service de l'autel a toujours autant d'attrait pour certains enfants car ils peuvent se rendre utiles, ils se mettent en valeur et en tirent un bénéfice. Le changement réside actuellement dans le mode de recrutement des enfants de chœur. Jadis exclusivement réservé aux garçons, le service s'est ouvert aux filles par la force des choses, dans le but de maintenir la tradition. Au point que désormais les servantes de messe sont plus nombreuses que les servants. Malheureusement le nombre d'enfants volontaires tend à diminuer, les parents ne les encouragent pas beaucoup car cela reste un service un peu contraignant.



La quête du Samedi-saint.

La tradition de la Semaine Sainte se perpétue pourtant et les crécelleurs n'ont pas encore disparu dans nos villages. Les ritournelles en dialecte sont toujours d'actualité bien qu'elles soient devenues plus rares et que les enfants, tous francophones désormais, ne les comprennent plus et les prononcent approximativement. Les déplacements dans les écarts du village se font désormais en voiture pilotée par un parent et seront peut-être supprimés car ils n'ont plus de sens actuellement. La quête du Samedi Saint ne rapporte plus beaucoup d'œufs, mais de l'argent et les jeunes préfèrent cela.
Ainsi va la vie …

Souvenirs de François Freyermuth, Adolphe Lenhard et Lucie Schlegel mis en forme par Gérard Kuffler
Décembre 2008.