guerisseurs_et guerisseuses

Guérisseurs et guérisseuses






A côté des rebouteux et en complémentarité avec leur pratique, existaient aussi dans les villages des guérisseurs.

Ils n’avaient pas le même don que les rebouteux, ils ne soignaient pas les mêmes symptômes et n’utilisaient pas les mêmes techniques. C’était en général des femmes qui guérissaient par le secret : elles chassaient le mal (muguet, dartres, verrues, maux de dents…) par le contact des mains, par des signes de croix, des formules de conjuration, parfois la recommandation de prières et de pèlerinages à tel saint.

Le secret leur avait été livré par un membre de la famille, un ancêtre, ou par une autre personne sans descendance. Elles n’avaient pas le droit de divulguer le secret sous peine de perdre leur pouvoir de guérison.

A Kalhausen vivait Marie Jung, appelée « Oswàlds Mari ». Née Muller, le 31 octobre 1915, elle épousa en 1946 Joseph Jung (1915-1988) et s’installa au « Guggelsbèrsch », actuellement, numéro 4 de la rue de la montagne.


Elle possédait le pouvoir de guérir le muguet et les dartres.

Le muguet  appelé « Kàngert », en dialecte, est une affection (mycose), caractérisée par le développement, sur la langue, la muqueuse buccale et sur le pharynx, de plaques blanchâtres, crémeuses contenant des levures Candida albicans.

Elle est fréquente chez le nourrisson et peut lui causer une gêne lors de la succion : il tète mal et semble ressentir une douleur à la déglutition car cette affection est très désagréable et peut provoquer des brûlures locales.

Le muguet peut contaminer l’ensemble du tube digestif et provoquer des diarrhées et des vomissements.

Chez les adultes, le muguet peut provoquer une grande fatigue et de la déprime.

Le traitement est assez simple : il faut badigeonner l’intérieur de la bouche d’une solution d’eau bicarbonatée ou utiliser un gel, un produit fongicide.
D’après le site internet : www.medisite.fr

La dartre, appelée « Schwìng » en dialecte, est une lésion cutanée courante et bénigne qui touche les peaux sensibles souvent en hiver ou après une exposition au soleil. C’est une éruption de fines croûtes squameuses (en forme d’écailles), aux contours variés, situées sur le visage de l’enfant, sur le haut du corps et les bras de l’adulte et quelques fois entourées d’un liseré rouge. Elle occasionne peu de démangeaisons.

On soigne la dartre en hydratant la peau et en la graissant au moyen de crèmes. Des pommades à la cortisone et des préparations à base d’oxyde de fer sont aussi utiles.
D’après le site internet : www.santémagazine.fr


La manière dont Marie a « hérité » du secret est tout à fait originale.

Alors qu’elle était, dans les années 30, apprentie couturière à Sarralbe, Marie prenait son déjeuner chaque jour dans la famille Wahl où une certaine dame Wolf était blanchisseuse.
Les femmes se côtoyaient, elles ont dû lier connaissance, parler de choses et d’autres et sympathiser.
Or, cette madame Wolff était guérisseuse, et cela Marie ne le savait pas, bien qu’elle ait aussi des patients de Kalhausen : en 1937, elle soigna, en une seule imposition des mains, la petite Joséphine Freyermuth alors âgée de 3 ans et atteinte du muguet. (Communication de sa mère Elisabeth Freyermuth)

Le temps passa et pratiquement vingt ans plus tard, après son mariage avec Joseph Jung et la naissance de ses deux enfants, Marie revit la dame Wolf qu’elle avait connue autrefois, et cela dans des circonstances peu communes.


Le plus jeune des garçons, Jean-François, né le 27 novembre 1950, était atteint du muguet et Marie alla consulter, sur les conseils d’une personne du village, Marie Seiler en l’occurrence, appelée « Burs Mari »,  une guérisseuse de Salzbronn, près de Sarralbe. Quelle ne fut pas la surprise de Marie de reconnaître en la guérisseuse, la blanchisseuse rencontrée autrefois, du temps de son apprentissage!

Madame Wolf soigna le petit Jean-François et Marie, poussée par on ne sait quelle force, demanda à la guérisseuse de bien vouloir lui léguer son secret.
Elle se montra fort réticente devant cette curieuse demande, mais suite à l’insistance de Marie, elle finit par céder, encouragée par son propre époux. Elle mit cependant des conditions à l’utilisation de ce secret : ne pas commencer à l’exercer avant son propre décès, ne jamais accepter d’argent, soigner tout patient sans distinction.

Marie garda son secret pour elle et un beau jour, elle apprit par le journal le décès de madame Wolf.
Alors seulement commença pour elle l’exercice de son secret.

Les gens du village n’eurent plus à se déplacer à Salzbronn et ils furent les premiers patients. Bientôt la renommée de Marie s’étendit dans les communes voisines. Les mères affluaient de partout pour faire soigner leurs nourrissons atteints du muguet. Des adultes venaient également chercher aide et remèdes auprès d’elle.

Telle cette personne de Montbronn qui après l’échec de plusieurs médecins et sur recommandation de Marguerite Borner, originaire de Kalhausen et habitant Montbronn, vint se faire soigner avec succès.

Tel cet habitant de Bining, Jean-Luc Schwanner, qui vint plusieurs semaines durant, se faire soigner.

Telle cette habitante de Kalhausen, Marie Hermann, appelée « ‘s Mihle Mari », qui venait plusieurs fois dans l’année à cause de son état de fatigue générale.



Comme les rebouteux, la guérisseuse n’avait pas le droit de demander de l’argent pour le prix de ses soins. Les gens donnaient parfois une petite bricole, un bibelot. Un jour une personne voulut absolument donner de l’argent. Devant le refus de Marie, elle promit de faire dire une messe à l’intention de l’époux décédé de la guérisseuse.

Si un patient laissait quand même une pièce ou un billet, Marie ne gardait jamais l’argent pour elle, mais le donnait à la quête du dimanche, à l’église, ou à des personnes nécessiteuses du village.

D’après la croyance, quiconque utilisait le don pour s’enrichir le perdrait irrémédiablement.


Les techniques de reboutement et de guérison par le secret se ressemblent uniquement par la fait qu’il y a contact avec les mains. Si le rebouteux utilise le contact, le toucher, il fait beaucoup plus car il exerce des pressions sur la zone douloureuse, il manipule, il soigne par une action physique.

La guérisseuse, par contre, pour guérir le muguet, posait simplement une main sur le menton de la personne à soigner et l’autre sur la nuque. Il y avait seulement contact et pas d’action physique. Ensuite elle prononçait des mots, le fameux secret de guérison. Etait-ce une prière, une incantation, une sorte de formule magique ?
Ou bien Marie soignait-elle uniquement par une action mentale, par le seul travail de son esprit, en se focalisant sur le mal pour le chasser ?

L’intervention ne durait que deux à trois minutes.
Parfois trois séances étaient nécessaires pour éradiquer le mal, et cela à trois jours d’intervalle chaque fois.
Le patient devait se faire soigner dans une période de la journée comprise entre l’Angelus du matin et celui du soir. La nuit n’était pas propice au travail de la guérisseuse.

Celui qui soigne, qui fait le bien, travaille à la lumière du jour, à la vue de tous, selon la tradition populaire. La nuit est le domaine des ténèbres, du mal.

Pour guérir un nourrisson, une seule séance n’était jamais recommandée car l’effet produit sur le bébé aurait été trop fort et donc dommageable au vu de sa constitution encore trop fragile. C’est pourquoi il fallait doser les séances et en pratiquer trois.

Marie Jung travaillait aussi sur photo, si le patient ne pouvait se déplacer. Dans ce cas, elle posait la photo sur la paume de la main et elle plaçait l’autre par-dessus, sans toucher la photo.

Mais pour qu’il y ait efficacité, il fallait que la personne à traiter soit seule sur la photo.
Marie pouvait ressentir ainsi si la maladie était grave ou non. Plus la photo était perçue floue par elle (les témoins ne pouvaient pas le voir) et plus l’affection était sérieuse.

Pour guérir la dartre, Marie frottait la tache cutanée avec une couenne de lard en faisant le signe de croix et en disant une prière.

Les personnes qui avaient déjà consulté auparavant apportaient la couenne de lard sinon la guérisseuse s’en procurait une. D’ailleurs cela ne manquait pas dans la maison puisque le ménage Jung a toujours élevé des porcs pour la consommation familiale.




Marie et Joseph Jung.


Au terme de sa vie Marie n’a pas pu ou voulu transmettre le secret de guérison à ses fils ni à une autre personne.


Elle parlait souvent de ce don qu’elle possédait et ses fils attendaient qu’elle fasse le premier pas et qu’elle leur propose de continuer son action. Par respect pour elle, aucun des deux n’a jamais voulu insister et lui demander le secret.

Peu à peu sa mémoire commença à défaillir et elle fut hospitalisée suite à un accident vasculaire cérébral survenu le 26 juillet 2001. A partir de ce moment tout espoir de connaître le secret fut perdu et Marie la guérisseuse s’éteignit le 14 octobre 2002, emmenant avec elle le secret dans sa tombe.
Profondément croyante, elle avait vécu, simple et discrète, au service de son prochain, ne recherchant jamais la gloire ni la richesse. Dommage que son activité de guérisseuse n’ait pas pu se poursuivre dans ses deux fils! Ils y auraient été prêts tous les deux. Aujourd’hui ils regrettent beaucoup de ne pas lui avoir proposé de leur communiquer son secret de guérison.

Un autre habitant de Kalhausen soignait également la dartre, il s’agissait de Camille Klein (1927-2007), domicilié dans le rue de la libération, « ìm Làngenéck ». Il avait moins de patients car les mamans avaient plus tendance à faire confiance à une guérisseuse qu’à un guérisseur.


 

 Camille et son épouse
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                                 Gabriel Jung
      
                          
                 Jean-François Jung




Récit de Gérard Kuffler
D’après les souvenirs de Gabriel et Jean-François Jung.
Décembre 2010.