Opération_Nordwind


Opération Nordwind à Achen et Gros-Réderching

 Bernard ZINS

     (Paru en 2015 dans la revue de la Shal, section de Bitche)


En 1945, Nordwind est la dernière offensive allemande sur le territoire français. En Moselle-Est, les opérations militaires s'essoufflent au bout de quelques jours, mais pour beaucoup de soldats américains inexpérimentés, débarqués depuis peu en Europe, ce sera un baptême du feu terrible.
Des éléments de la 2e Division Blindée du général Leclerc, engagés à leurs côtés, vont être confrontés à un adversaire très déterminé. A l'issue des engagements, un spectacle de désolation s'offre aux yeux des habitants des villages touchés par les combats: maisons soufflées par les explosions, cheptel décimé...


Le contexte général.

Le 16 décembre 1944, à 5h30 du matin, Hitler déclenche l’opération Wacht am Rhein, plus connue sous le nom de Bataille des Ardennes. L’objectif est de reprendre le port d’Anvers par lequel transitent la majorité des approvisionnements destinés aux armées alliées.

Considéré comme calme, destiné à l'entraînement et au repos des troupes, le secteur des Ardennes est défendu par des forces dérisoires : quatre divisions d'infanterie. De gros moyens sont mis en œuvre par les Allemands : 10 divisions blindées, 200 000 hommes prennent part à l’assaut. A ce moment, l'effort allié se situe dans la Ruhr et dans la région de la Sarre.


Devant l’urgence de la situation, les forces du général Patton engagées en Sarre stoppent leurs opérations et volent au secours des unités engagées dans les Ardennes. A partir du 19 décembre, la 3e armée américaine fait un virage de 90° et se dirige vers le Luxembourg. La portion de territoire allemand conquise ainsi que les villages lorrains libérés sont abandonnés et un no man’s land se crée, vite réoccupé par les Allemands.



 Général Patton

(photo internet)

En fin d'après-midi du 24 décembre, les premiers réfugiés en provenance de Bliesbruck arrivent à Kalhausen dans le sillage d’une colonne américaine. La population ne comprend pas pourquoi les Américains reculent et les abandonnent! Ces convois de blindés et de véhicules de la 87th Infantry Division, entrés en Sarre quelques jours plus tôt, se dirigent vers un point de rassemblement situé à Munster (Moselle). La prochaine étape est Reims; leur objectif est la ville de Bastogne encerclée par les forces du maréchal von Rundstedt.



Maréchal von Rundstedt

(photo internet)


La 7e armée du général Patch prend la relève des troupes envoyées vers le nord. Les lignes du nouveau front sont très étirées (135 km). La 44th Infantry, Division, commandée par le général Dean, arrive dans le secteur vers le 20-21 décembre et s’installe en position défensive. Le secteur tenu par l’unité s’étend le long de la Blies jusqu’à Bliesbruck, suit la ligne de chemin de fer, passe devant Niedergailbach, Obergailbach, Guiderkirch. La Century Division flanque la 44th sur sa droite vers Bitche, tandis que la 103rd est déployée à l’ouest de Sarreguemines. Un plan de retrait est prévu en cas d’offensive ennemie majeure.



Général Patch

(photo internet)



Général Dean

(photo internet)


Vers le 22 décembre 1944, Hitler se rend compte que l’offensive en Belgique n’aboutit pas et commence à planifier l’opération Nordwind. L’objectif est de détruire la 7e armée américaine en la prenant en tenaille. Une attaque doit percer le front dans le secteur de la Ligne Maginot, entre Sarreguemines et Rimling, une autre attaque a pour objectif le débouché des vallées de Wingen et Niederbronn.

D’autres forces allemandes doivent traverser le Rhin au nord de Strasbourg et celles de la poche de Colmar établir la jonction avec les troupes engagées dans le secteur Nord, ainsi l’Alsace serait à nouveau allemande et le drapeau à croix gammée flotterait à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg.


Le 25 décembre 1944, le plan est approuvé par Hitler. Une série de réunions avec les officiers généraux a lieu le 28 décembre. Finalement dans la soirée, le groupe est conduit au quartier général à l’Adlerhorst dans le Taunus (Land de Hesse) où Hitler tient une conférence.

L’accent est mis sur l’importance de cette offensive pour la poursuite de la guerre. Des promesses relatives à l’attribution de moyens aux unités concernées par l’opération sont faites. Pour donner le maximum de chances à la réussite de l'opération et bénéficier de l'effet de surprise, le Generaloberst Blaskowitz, commandant en chef de l'Heeresgruppe G (groupe d'armées G), interdit toute reconnaissance des zones d'attaque. Les communications radio sont bannies, les ordres doivent être écrits et transmis par messagers. Seuls les officiers généraux, les commandants de division et leurs aides connaissent les détails du plan.



Generaloberst Blaskowitz

(Photo internet)

Dès le 26 décembre, malgré les précautions allemandes, le service G2 (service de renseignements) de la 7e armée américaine soupçonne l’imminence d’une offensive. Le 27 décembre, le général Eisenhower annule les ordres pour la réduction de la poche de Colmar. Aussitôt, la 2e DB (Division Blindée
du Général Leclerc) est mise à disposition de la 7e Armée du général Patch.




Général Eisenhower

(Photo internet)





Général Leclerc


(Photo internet)



Des photos aériennes mettent en évidence la préparation de positions d'artillerie dans le secteur de Bitche, des patrouilles relèvent des concentrations de troupes inhabituelles... Quarante-huit heures avant le début de l'offensive, le service G2 de la 7e Armée déclare qu'une attaque serait imminente dans le secteur de Bitche-Sarreguemines.


En cas d’une attaque massive allemande, un plan de repli stratégique est prévu par les Alliés en direction des Vosges. Il concerne la 7e Armée de Patch et la Première Armée Française. Le 1er janvier 1945, l’ordre est donné et doit être effectif le 5 janvier 1945. De Gaulle réagit promptement : hors de question d’abandonner Strasbourg et l’Alsace.

Le 3 janvier a lieu une conférence au sommet entre de Gaulle, Eisenhower et Churchill. Au moment de la conférence, les Allemands sont arrêtés à Achen et la situation militaire dans les Ardennes s’améliore. A Wingen-sur-Moder où est engagée la 6. SS Gebirgs Division Nord, unité très expérimentée qui a combattu en Carélie sur le front de l'Est, la situation est devenue précaire pour les Américains. Eisenhower se range toutefois à l’avis émis par de Gaulle et fait suspendre le mouvement de retrait.

Préparatifs et ordres allemands pour l’opération  Nordwind  dans la région de Sarreguemines

L’attaque est prévue le 31 décembre 1944, à 23 heures. Les instructions pour la mission Achen, "Aufgabe Achen"  (nom que donneront les Allemands plus tard à Nordwind au niveau local) sont données le 29 décembre. Le XIII SS Infanterie Korps doit pousser vers Rohrbach. Les missions des unités sont les suivantes :

- La 19. Volksgrenadierdivision attaquera entre Habkirchen et Bliesbruck, traversera la Blies, tiendra le secteur des fermes du Viesing et poussera jusque Zetting.

- La 36. Volksgrenadierdivision attaquera, en direction d’Achen, les forts de la Ligne Maginot et continuera vers le Sud. L’objectif est d’être maître de la Ligne Maginot le 1er janvier au matin.

- La 17. SS Panzergrenadierdivision Götz Von Berlichingen percera les lignes alliées à l’Ouest d’Erching, traversera la Ligne Maginot, puis, avec l’aide d’un groupe blindé, avancera vers Diemeringen et Drulingen.

Arrivée des renforts américains et du détachement de la 2e DB.




Insigne de la 2e Division Blindée

(Photo internet)

Des renforts américains issus de la 63rd Infantry Division, les 253rd Infantry Regiment et 255th Infantry Regiment sous l'appellation de Task Force Harris, sont acheminés dans la nuit du 31 au 1er janvier 1945 depuis Haguenau en Alsace vers les secteurs de Hambach, Siltzheim, Wittring et Achen. Les soldats de ces régiments, rattachées au XV Corps, récemment arrivés en Europe, sont inexpérimentés et mal entraînés; ils n'ont jamais connu le combat.

Le matériel lourd est encore aux Etats-Unis. Un certain nombre de ces hommes proviennent d'unités antiaériennes dissoutes, de l'Army Specialized Training Program (programme destiné à fournir des ingénieurs et des techniciens pour l'armée US) dont les effectifs ont été réduits... Ces unités doivent stopper les Allemands au cas où les premières lignes américaines seraient enfoncées. Une grande confusion règne lors de la recherche et de l'installation des positions de combat. Le terrain n'est pas familier, le sol gelé ne permet pas de creuser des positions de combat.
 

 

Achen, janvier 1945.
Ces soldats américains, issus de régiments de la 63rd Infantry Division récemment
débarquée en Europe, vont connaître le baptême
du feu lors de l'opération Nordwind.

(Collection 63rd Div assn historian)



Mis en alerte le 29 décembre 1944, le GTL (Groupement Tactique Langlade), formé de différentes unités de la 2e Division Blindée du général Leclerc, prend position le 2 janvier dans des localités de l’Alsace Bossue et dans quelques villages du pays de Bitche. Un détachement conduit par le capitaine Fonde du 2e RMT (Régiment de Marche du Tchad) quitte Bourgheim en Alsace, le 30 décembre 1944, à 13 heures. La colonne traverse Molsheim, Saverne, Phalsbourg, puis est dirigée sur Mittelbronn, sans connaître sa mission.

Une halte est faite à Baerendorf, dans le Bas-Rhin. Beaucoup de soldats français sont frappés par le contraste existant entre les villages alsaciens relativement opulents et les villages lorrains plus modestes. La population de ces derniers semble plus réservée à leur égard. Ce sentiment ne les quittera pas durant leur court séjour en Moselle-Est.

La mission du GTL est de stopper toute infiltration ennemie sur la ligne Wittring, Achen, Bining. Le 2 janvier au matin, le sous-groupement Minjonnet, dont fait partie Fonde, reçoit ses ordres : rejoindre Kalhausen, Oermingen, Dehlingen par Wolfskirchen et Sarre-Union. Il fait très froid ( -17°), certains half-tracks (véhicules semi-chenillés) ne démarrent pas; de l’eau contenue dans l’essence a gelé dans les canalisations. Des lampes à souder sont utilisées pour dégeler. Instruction est donnée de maintenir les moteurs chauds en les faisant tourner à intervalle régulier de jour comme de nuit.

A Postroff, le sous-lieutenant de Miscault, commandant un peloton de chars du 4e escadron du 12e RCA (Régiment de Chasseurs d’Afrique), est lui aussi confronté aux rigueurs climatiques. Parmi les cinq chars Sherman sous ses ordres, deux sont du modèle M4A3, équipés d’un moteur à essence Ford V8 de 500 CV, tandis que les trois autres sont des M4A2 équipés de moteurs diesel.

A l’origine, seuls la 2e DB, l’Armée Rouge et les Marines américains dans le Pacifique sont équipés de ce modèle de char, fonctionnant avec du carburant diesel. Pour remplacer les matériels perdus, la 2e DB perçoit les mêmes modèles de chars que les divisions blindées américaines en Europe, équipés de moteurs à essence.

Dans les unités, le panachage d'engins utilisant deux sortes de carburant va poser de gros problèmes de maintenance. Lors d’une révision par manque de pièces détachées, les réchauffeurs sur les chars équipés diesel du peloton n’ont pas pu été remontés. Pour démarrer ces engins par temps froid, le sous-lieutenant de Miscaut n'a qu'une solution : les démarrer en les tirant avec les chars Sherman équipés de moteurs à essence. Etre débrouillard et savoir improviser sont des qualités essentielles dans les unités de la 2e DB.


L’attaque allemande.

En alerte depuis le 29 décembre, les Américains ont retiré leurs avant-postes et organisé des patrouilles. L’attaque débute le 31 décembre 1944, vers 23 heures. L'objectif initial du XIII SS Infanterie Korps est la prise de Rohrbach et l'ouverture d'un passage suffisant pour permettre le déploiement de la 21. Panzer-Division et la 25. Panzer-Grenadier Division vers la Plaine d’Alsace.

Aucune préparation d’artillerie n'a lieu, mais très vite les Allemands se rendent compte que l’effet de surprise escompté n’a pas lieu. Le commandant en chef de la 7ème armée américaine, le général Alexander Patch, s'est rendu le soir même à Fénétrange, au poste de commandement du XV Corps (44th Infantry Division, Century Division, 103rd Infantry Division) et a ordonné aux commandants de faire annuler toutes les festivités, car cette nuit une attaque allemande est attendue.

 


 

Cette inscription paraphée par trois soldats américains de la
44th Infantry Division a été apposée le soir même du déclenchement
de l'opération Nordwind sur un mur de l'école de Kalhausen.




Les troupes américaines de la 44th et de la Century situées en première ligne se battent avec acharnement, mais cèdent du terrain sous la pression ennemie. La bataille fait rage sur les hauteurs d’Obergailbach et autour des fermes de Morainville et de Brandelfing.

Pour enrayer l’avance allemande, l’artillerie américaine effectue des tirs de barrage qui se révèlent très efficaces. De l'infanterie soutenue par des chars Sherman bloque l'avance allemande au sud du bois de Bliesbruck. Un régiment de la Century Division contient la poussée ennemie à l'ouest de Rimling.


Alors que la bataille est engagée, un calme trompeur règne à Achen. Dans une lettre datée du 2 janvier, Philipp L Baker, un lieutenant américain du 255th Infantry Regiment, âgé de 23 ans, exprime son ressenti à Achen: « J’ai passé le premier jour de l’an dans un village français en partie démoli. La messe avait été célébrée, les gens sortaient de l’église. Ils avaient l’air pathétiques en descendant la rue encombrée de matériel militaire, jeeps, camions, chars, canons et de soldats américains. Leurs habits étaient vieux, mais en bon état. La silhouette de leur église en partie détruite se découpait dans le ciel hivernal. J’avais le son de leurs chants en tête, s’en dégageait une impression de tragédie et d’espoir qu’il sera difficile d’oublier ». C’est la dernière lettre écrite par cet officier tué le lendemain à Achen.

Un sous-officier et quelques hommes du 1er Régiment de Marche des Spahis Marocains, l’unité de reconnaissance de la 2e DB, sont détachés à Achen pour faire la liaison avec les troupes américaines. En soirée, à l’issue de la patrouille vers Woelfling, ils rapportent aux civils que tout est calme et qu’il ne faut pas s'inquiéter. Toutefois, l’incertitude sur l’issue des combats donne lieu à des mouvements de panique. A Schmittviller, le chauffeur d’un camion GMC benne son chargement composé de ravitaillement dans la rue et prend le large.




Insigne 1er régiment de spahis marocains

(Photo internet)

Dans la nuit du 2 au 3 janvier, les lignes américaines sont percées. Les forces allemandes atteignent la voie ferrée Sarreguemines-Bitche. La route nationale 410 est coupée. Gros-Réderching est à nouveau occupé. La situation est très confuse. Dans la matinée, c’est au tour d’Achen d’être investi par la Stossgruppe Kaiser, composée d’éléments du 38. SS Panzergrenadier Regiment  et d’éléments de la 17. SS Panzer Abteilung. Le 2 janvier, un peu avant minuit, le groupement Kaiser estimé à 150 hommes, soutenu par trois blindés Sturmgeschütz s’avance venant de Gros-Réderching en direction d’ Achen, par la vallée du ruisseau d’Achen.

Le 3 janvier vers 4h30, la lisière Nord d’Achen est atteinte. Surpris par la soudaineté de l'incursion allemande, les occupants du blockhaus de la ligne Maginot près de la route de Wiesviller n'ont pas le temps de réagir et sont capturés. Vers 9h, Achen insuffisamment défendu est entre les mains allemandes.



 

   L'avancée allemande à la date du 3 janvier 1945

(Infographie Alain Behr)

 
                                                                
Comme dans les villages environnants, de nombreux déserteurs et réfractaires à l’armée allemande sont cachés dans les fenils et greniers. Charles Rimlinger de Kalhausen, caché chez Petri à Achen, raconte :

« Le 3 janvier très tôt, je trayais l’unique vache qui nous restait, les autorités allemandes ayant réquisitionné le cheptel. Il y avait des bruits inhabituels. Dans l’obscurité, je vis des fusées de signalisation. Ayant été soldat allemand, je compris tout de suite. Ils étaient de retour. J’enfourchais mon vélo, mais dans le village, je fus arrêté par des soldats américains. Ils n’avaient pas compris ce qui se passait ; après quelques palabres, ils me laissèrent repartir. Je repris mon vélo. Près du pont, j’entendis les balles siffler et je  partis en direction de Kalhausen. Un camion GMC venant de la petite route d’Etting s’encastra dans la maison d’en face. Le chauffeur fut tué. D’autres rafales de mitrailleuses claquaient, je vis les impacts de balles non loin de moi, me jetai dans le fossé et traînai mon vélo comme je pus. Au Val d’Achen, je réveillai les gens, ils n’avaient pas pris conscience des évènements. Arrivé à Kalhausen, depuis les hauteurs, je vis les maisons d' Achen en feu. »


Réveillés par la famille Jung, les Spahis qui ont patrouillé la veille en direction de Woelfling, quittent précipitamment le village et rejoignent in extremis le détachement du GTL à Kalhausen. Peu après, un convoi de véhicules américains cherche à évacuer Achen. Deux camions avec leurs remorques, chargés d’explosifs et de munitions de la antitank company du 255th Infantry Regiment, sont stoppés par un char allemand au croisement de l’actuelle rue du Haut Poirier et de la rue de Wiesviller.

Le "Sturmgeschütz" ouvre le feu et incendie un véhicule. Depuis l'étage d'une maison voisine, un soldat américain met le tank en joue avec un bazooka, mais l'engin antichar ne fonctionne pas. A cause du froid, la pile électrique nécessaire à la mise à feu est déficiente. Dans un grand fracas, les munitions explosent et soufflent tout le quartier. Par chance, il n’y a qu’un blessé à déplorer parmi la population civile réfugiée dans les caves. Les chauffeurs des camions, légèrement blessés, ont pu quitter les véhicules et se mettre à l’abri.

    










     
A droite, une vue des dégâts occasionnés à Achen au matin du 3 janvier 1945 par les tirs d’artillerie et l’explosion
de 2 camions américains chargés de torpilles Bangalore, de munitions et de mines. A gauche, une photo du même pâté de maisons,
datant d'avant-guerre. Ces bâtiments étaient situés face au croisement de l'actuelle
rue du Haut-Poirier et de la rue de Wiesviller.

(Collection privée et Ecpad)



Les deux bataillons du 255th Infantry Regiment de la Task Force Harris rejetés d'Achen, prennent position de part et d’autre de la petite route reliant Achen à Gros-Réderching qui est l’unique voie de communication vers l’arrière pour les Allemands.

Ces unités se regroupent vers 9h45 entre Singling et le ruisseau d’Achen, protégées par l'artillerie tirant sur Achen depuis Oermingen. Les Américains se réorganisent et vers midi, la souricière se referme sur les Allemands. Coupés de leur ravitaillement et de leurs renforts, ils n’ont pas les moyens de poursuivre leur avancée.


Les blindés français du 4e escadron du 12e RCA, en alerte à Oermingen, se dirigent sur Kalhausen. Ordre leur est donné de bloquer toutes les voies de communication. Un peloton de chars est positionné sur les hauteurs d'Etting, d’autres chars surveillent la coulée entre Etting et Schmittviller. Des renforts sont acheminés à Oermingen. Vers 9 heures, le sous-groupement Minjonnet reçoit l’ordre de contre-attaquer et de nettoyer Achen. Il est aussitôt annulé, en raison de la confusion possible entre troupes amies et ennemies à cet instant. Quelques Allemands montent jusqu’au cimetière d'Etting. Arrêtés par les chars français, ils refluent. Un blindé allemand fait une reconnaissance jusqu’à la Oligmühle, puis fait demi-tour. Les fantassins de la compagnie du capitaine Fonde reçoivent l’ordre de s’installer sur les crêtes dominant le village de Kalhausen. Le sol est gelé, impossible de creuser des trous. Depuis peu, un contingent de jeunes recrues inexpérimentées a rejoint la compagnie. Connaissant la réputation de l'adversaire, l'encadrement ne cache pas son inquiétude. De loin, ils voient les premiers villageois d'Achen fuir la zone des combats.


 
 

Le Bigorre est le char de l’aspirant Catala. On retrouve souvent cette photo dans les ouvrages relatant l’épopée de la 2e DB, ceci sans explications ou fantaisistes.
Cette photo a été prise au "Làngenéckerkritz", au niveau du croisement Kalhausen, Oermingen, Schmittviller, Ritterstròss bien après la fin des combats.

Le char s’engage sur le chemin de terre en direction d’Etting. Il est du type Sherman M4A2, avec un canon de 75 mm, équipé d’un jumelage de moteurs diesel développant une puissance de 410 cv. Ce modèle n’est pas utilisé par l’armée américaine en Europe. (Ecpad)


Achen est repris

Vers 11h30, de nouvelles instructions sont transmises aux Français. L’ordre est donné de prêter main-forte aux Américains, la 1ère section du lieutenant Salbaing de la 7e compagnie ainsi que 2 pelotons de chars du 4e escadron sont désignés.

Michel de Miscault, chef de peloton, raconte : « Le 3 janvier au matin, nous vîmes un petit détachement US, automitrailleuses M8 et quelques véhicules à roues traverser à vive allure Kalhausen vers l’Est. Le peloton Dufour fut envoyé en observation sur la crête qui nous séparait du village d’Achen. Vers 12 heures, je reçus l’ordre d’aider le commandant d’un bataillon US à reprendre le village d’Achen. Mon chef de corps (le Chef d’Escadron Gribius) me rejoignit au PC de ce bataillon, mais il m’interdit de m’engager avec la totalité de mon peloton. J’ai donc envoyé le MDL/C (Maréchal des Logis-Chef) Quéffelec avec son groupe de 2 Sherman. Il fut malheureusement tué ainsi que le maréchal des logis chef de Vaumas. »

Peu après 12 heures, l’attaque démarre, les blindés français appuient les Américains qui progressent de maison en maison. Dans l’après-midi, les chars du peloton de Miscault démolissent deux "Stumgeschütz" qui apportent leur soutien aux unités allemandes. Le compartiment moteur des blindés est touché. Les tirs fusent de toute part. Un tankiste SS est abattu lors d'une tentative visant à récupérer la radio du char devant la maison Jung, en passant par la fenêtre de la maison. Un tireur embusqué américain interdit aux SS de traverser la rue devant la maison de Joseph Rimlinger. Des mitrailleuses mises en batterie sur les lignes de crêtes surplombant les rues transversales du village tirent sans discontinuer.

A la nuit tombée, les troupes françaises rejoignent Kalhausen et laissent aux Américains le soin de parachever le nettoyage et la reconquête d’Achen. Les Allemands retranchés dans l’extrémité nord du village reçoivent l’ordre de décrocher et se replient en direction de Gros-Réderching. Le Hauptsturmführer Toni Eichner, à la tête du III.Bataillon du 38. Panzergrenadier Regiment,  raconte : « Le village était toute la journée sous le feu ennemi, les communications radio étaient difficiles, nos munitions étaient presque consommées, les renforts ne suivaient pas. L’opérateur radio fit une crise de nerfs, il nous fut possible de traverser les lignes américaines au cours de la nuit ».

Appuyés par le 3e Sturmgeschütz intact, les SS percent l’encerclement et parviennent à rejoindre leurs lignes en franchissant la nationale Sarreguemines - Rohrbach au nord de Gros-Réderching.

Alors que le 3 janvier les combats se poursuivent à Achen, le général de Langlade * donne l’ordre au lieutenant-colonel Massu de reprendre Gros-Réderching par l’est. Parti aux alentours de 14h de Rahling, le sous-groupement progresse par la vallée de l’Altkirch en pleine tempête de neige, n’arrive que vers 16 heures de l’après-midi. L’infanterie et les chars investissent le village par le sud et l’est après un vif combat près du cimetière et aux lisières sud. A la tête du 2ème escadron du 12ème  R.C.A., le lieutenant Rives Henrys chargé de l’action principale, est grièvement blessé d’une balle dans la nuque, dans la tourelle du char "Maurienne". Il décéda le 5 janvier 1945 à l'hôpital de Lorquin sans avoir repris connaissance. (Citation à l'ordre de la Division (O.G. N° 66 du 1er novembre 1944) - Chevalier de la Légion d'Honneur à titre postume).



Général de Langlade

(Photo internet)




Le lieutenant Rives Henrys dans la tourelle de son char
du 2ème Escadron à Gros-Réderching

(Collection Musée GAL LECLERC de HAUTECLOCQUE & Musée Jean MOULIN-Paris Musées)


Le nettoyage du village est entrepris par 2 sections de la 6ème compagnie de 2ème  R.M.T. du capitaine Langlois mais l'unité ne parvient pas à se rendre complètement maître des lieux. De nombreux foyers de résistance subsistent et sont renforcés d’une manière continuelle par des éléments retraitant d’Achen. Pour cette raison, le général De Langlade demande avec insistance à ses homologues américains de la 44th Infantry Division de relever au plus vite le sous-groupement Massu dont l’infanterie n’est pas assez nombreuse pour tenir le village.



 

Un char Hetzer lance-flamme de la Flamm Kompanie 353 à court de carburant,
abandonné dans la grange de la maison Schmitt à Gros-Réderching.
Le jet enflammé a une portée de 50 mètres. Ces engins devaient contribuer au succès
de Nordwind en perçant la Ligne Maginot dans le secteur d'Achen.
Seuls 20 exemplaires de ce modèle ont été construits.

(Collection mairie de Gros-Réderching)


 
Le commandement américain donne suite, mais les liaisons radio et le manque de coordination avec les troupes américaines vont faire échouer l'opération. Le second bataillon du 71th Infantry Regiment chargé de cette mission rapporte que dans l'obscurité et la confusion, des chars français les ont pris sous leur feu, les obligeant à faire demi-tour.

Du côté français, il est rapporté que le 4 janvier vers 1 heure du matin, ce n’est pas la relève américaine attendue qui entre à Gros-Réderching, mais ce serait un groupement SS vêtu d'uniformes américains, utilisant l’itinéraire prévu, appuyé par un char Sherman arborant l'étoile américaine!  La confusion est totale. En désespoir de cause, le lieutenant-colonel Massu fait évacuer les rescapés français sous un tir de barrage d’artillerie. Le bilan de cette nuit est lourd et fait état de 4 chars français détruits ainsi que de 10 tués. Le capitaine Langlois est capturé. Le village est de nouveau entre les mains allemandes.

Par un froid glacial, le 4 janvier vers 6h30, à la demande des Américains, le tandem infanterie-blindés du 12e RCA, commandé par le lieutenant Salbaing et l’aspirant Catala reprend la direction d’Achen.

Les Français sont accueillis par des Américains croyant dans un premier temps entendre des blindés ennemis. Certains embrassent les chars. Le nettoyage final commence, il ne reste que des Allemands isolés qui se rendent pour la plupart. Une douzaine de prisonniers sont faits, pour la plupart des SS tchèques et polonais. Vers 10h, le dernier point de résistance est un blockhaus de la ligne Maginot. Vers 17h, les Français retournent sur Kalhausen. L’offensive allemande est endiguée, Gros-Réderching est repris le 5 janvier.



 
Comme son frère Henri, Hubert de Hautecloque s’engage dans la 2e DB.
Ils sont les fils aînés du général Leclerc. Leclerc est le nom de guerre
que le capitaine de Hautecloque prend en Angleterre, en juillet 1940.
Après la victoire de 1945, Leclerc de Hautecloque sera le
patronyme familial pour lui et ses descendants. Hubert de Hautecloque
est photographié au Làngenéck (rue de la libération) au niveau du jardin Muller.
Il est âgé de 17 ans et porte le grade de brigadier.
L’équipage de 5 hommes du char Sherman Bordelais II
du sous-lieutenant de Miscault, dont il fait partie, loge chez Nicolas Lenhard. (Ecpad)


Robert Velut, du 4e escadron du 12e RCA, se souvient: « J’ai été volontaire avec quelques autres pour aller rechercher le corps du MDL/C Quéffelec qui était un ami, tué la veille (3 janvier). Son char était le "Saintonge" un Sherman M4A2. Au cours d’une reconnaissance à pied, il avait été tué par une grenade. Les Allemands tiraient toujours sur Achen. C’était un spectacle désolant, les maisons étaient en feu, les tas de fumier étaient répandus sur la route qui n’était plus qu’un sentier. Partout des cadavres d’hommes et d’animaux mêlés. Ça et là des vaches blessées, pour achever l’une d’elles, l’arrière écrabouillé, je dus lui tirer 7 balles dans la tête. Nous avons enfin trouvé notre copain étendu. Sous le feu ennemi, nous avons salué sa dépouille et l’avons mis à l’abri dans l’attente d’un moment de calme. »

Le MDL/C Quéffelec, originaire de Benodet dans le Finistère, est inhumé au cimetière de Kalhausen par le curé Schilt. Après-guerre, son corps est transféré en Bretagne

 

Jean Queffelec, chef de char du 12ème RCA
 
Le maréchal des logis-chef Jean Queffelec, chef de char du 12ème RCA, a été tué à Achen, le 3 janvier 1945. Engagé en 1938, il a fait partie du 507ème régiment de char, puis 19e BCC sous les ordres du colonel de Gaulle. Jean Queffelec a déjà effectué un séjour en Moselle-Est en 1939-1940 pendant la drôle de guerre dans le secteur Sarreinsberg, Althorn, Goetzenbruck. (AHK)



 
Le capitaine Jean Julien Fonde
 
Le capitaine Jean Julien Fonde, commandant la 7e compagnie du 2e régiment de marche du Tchad (2e RMT), pose devant son PC à Kalhausen. Des câbles téléphoniques courent depuis le bâtiment. En remerciement de l’aide apportée à Achen les 3 et 4 janvier, un officier américain cède à Fonde un central téléphonique de campagne ce qui permet au capitaine de rester en contact avec ses hommes répartis dans les maisons du village. (Ecpad)


Le chef du 2e char, le maréchal des logis-chef de Vaumas, voulant remplacer Quéffelec tué par une grenade, est blessé par balle, le chef d’escadron Gribius, voulant suivre de près l'action, bloqué à Achen, le transporte dans une maison voisine qui prend feu. Il aura toutes les peines du monde à faire évacuer le blessé par les Américains. De Vaumas décède des suites de sa blessure à l’hôpital américain de Dieuze, le 10 janvier 1945.

Les civils dans la tourmente

Dès le 3 janvier et les jours suivants, des civils originaires de Bliesbruck, Woelfling, Wiesviller, Gros-Réderching, Achen quittent la zone de combat et trouvent refuge à Kalhausen et dans les villages environnants. 292 hommes, femmes, enfants, originaires des villages pris dans la tourmente de l’offensive Nordwind sont officiellement enregistrés par la mairie de Kalhausen pour la journée du 3 janvier. (Ce chiffre est à prendre avec précautions, puisque des réfugiés de Bliesbruck enregistrés à la journée du 3 janvier sont présents à Kalhausen depuis le 24 décembre 1944.)

D’autres sinistrés suivent dans les jours à venir. La présence d’une compagnie de la 2e DB rassure les gens et stoppe le flux de réfugiés. Les soldats français leur garantissent que l’offensive allemande est jugulée. Dans beaucoup de maisons, les propriétaires doivent se contenter de 2 pièces habitables. En plus des réfugiés, le village abrite une compagnie de la 2e Division Blindée jusqu’au 18 janvier, ainsi que des soldats américains.


 
Des réfugiés de Gros-Rédeching se dirigent vers Achen.
Ils empruntent le même chemin que les SS de la 17. SS Panzergrenadierdivision
Götz Von Berlichingen quelques jours plus tôt. En arrière plan la Walckmühle. (Ecpad)

 
Bernard Obry, de Wiesviller, dont la famille a trouvé refuge à Kalhausen le 3 janvier 1945, se souvient de cette journée:

« J’avais 10 ans à l’époque. Le bruit s’était propagé que les Allemands étaient de retour. Nous sommes partis, mes parents, mes frères et sœurs (nous étions quatre enfants), ainsi que mes grands-parents dans une voiture tirée par un attelage de chevaux. Nous y avons entassé ce que nous avons pu, y compris deux cochons venant d’être tués. Il faisait très froid.

Mon père a pris la route menant à Achen. Arrivés sur les hauteurs avant la descente vers le village, nous avons été stoppés par la police militaire américaine. C’est là que nous avons compris qu’il se passait quelque chose à Achen, une bataille avec des chars à ce qu’on nous a dit. Refoulés, nous n’avions plus qu’à faire demi-tour et revenir à Wiesviller.

Mon père a décidé alors de passer par Wittring en empruntant la route s’appelant actuellement rue de la libération. Arrivés sur les hauteurs avant la descente vers Wittring, nous avons été face à un nouveau barrage établi par la police militaire américaine. Un soldat nous arrêta, mais mon père, excédé, continua son chemin. Le policier militaire braqua son pistolet sur la tempe de mon père, pour finalement ranger son arme et nous laisser passer. La route était verglacée.

Dans la descente vers Wittring, la voiture fit un tête-à-queue. Plus de peur que de mal, il n’y eut pas de blessés. Nous avons poursuivi notre chemin par Weidesheim. Arrivés à la patte d’oie en contrebas de Kalhausen, nous sommes montés vers le village. C’est là que nous avons entendu la déflagration d’un obus. Nous avons appris un peu plus tard que Laluet, le boucher du village, avait été tué dans l’explosion. Arrivés sur la place du village, nous avons cherché à nous loger. Finalement, c’est la famille Neu habitant la rue menant à Oermingen qui nous a accueillis. Nous ne sommes retournés chez nous que vers la fin mars. »




Une famille de réfugiés, originaire de Bliesbruck,

est hébergée au " Langeneck "
(rue de la libération) à Kalhausen.
 

La percée allemande vers Rohrbach a échoué, cependant l'Armeegruppe G a encore une carte à jouer dans le secteur nord de l'opération Nordwind. A l'instar de ce qui a été tenté dans le pays de Bitche, l'objectif allemand consiste à créer un couloir où pourraient s'engouffrer la 21. Panzerdivision et la 25. Panzergrenadierdivision. L'action se déroule dans la zone de 16 km comprise entre la Century Division à l'est de Bitche et Neunhoffen dans le Bas-Rhin où commence le secteur tenu par la 45th Division.

La Task Force Hudelson, composée d'unités de reconnaissance mécanisées et d'infanterie motorisée cède du terrain le 1er jour de l'attaque, ce qui permet à la 6. Gebirgs Division Nord d'atteindre Wingen-sur-Moder. La plaine d'Alsace pourrait être atteinte via Ingwiller. Conscients des enjeux, les Américains défendent âprement la route de Lemberg-Goetzenbruck. Le 7 janvier, la reprise de Wingen marque la fin de la première phase de l'opération Nordwind. Le centre de gravité de la bataille se déplace vers Wissembourg et atteint son paroxysme à Hatten-Rittershoffen où 2000 soldats allemands et 1200 Américains vont laisser leur vie. Sur ordre de Hitler, l'offensive est stoppée le 25 janvier.


   

Le capitaine Fonde et le lieutenant Baillou sont photographiés devant le Sturmgeschütz abandonné
par les Allemands
dans un bosquet en contrebas de la route menant de Kalhausen à Oermingen.
Notez le gilet en peau de lapin du lieutenant Baillou : l’intendance de la 2e DB en acheta un grand
nombre dans une usine des Vosges en octobre 1944.
Ils furent confectionnés à l’origine pour l’armée
allemande.
Ce Sturmgeschütz III est du modèle G équipé d’un canon de 75 mm. Ce char pèse
24 tonnes, c’est un blindé d’appui-feu pour l’infanterie.
Les Sherman du 12e RCA sont confrontés à
ces engins à Achen et Gros-Réderching. (AHK)



Les dernières victimes

Les dernières victimes à mettre au compte de l'opération Nordwind dans la région trouvent la mort sur la route de Lemberg vers Goetzenbruck, citée précédemment. Dans l’après-midi du 18 janvier 1945, vers 16 heures, le véhicule Peugeot 402, conduit par Joseph Jost, est pris sous des tirs sur la route de Lemberg vers Goetzenbruck. Les passagers sont le lieutenant de réserve Aloyse Schilt et le capitaine de réserve Edouard Fogt de la résistance locale en mission de reconnaissance. Deux occupants de la voiture décèdent: Joseph Jost est tué d'une balle dans la tête, la poitrine d'Aloyse Schilt est criblée de balles.

Edouard Fogt en réchappe et parvient à atteindre les lignes américaines. Ils sont victimes d’une méprise. L’auteur des tirs est un avant-poste américain pensant être confronté à une patrouille allemande circulant dans un véhicule civil. Aloyse Schilt est le curé du village de Kalhausen. Avant de prendre en charge la paroisse le 26 octobre 1944, il est successivement, à partir de 1941, curé de Montbronn, de Malaucourt-sur-Seille et de Manhoué, près de Delme. Intrépide et volontaire, il est plusieurs fois inquiété par la Gestapo du fait de ses prises de position antinazies dans ses sermons.

Début décembre, devant l'église de Kalhausen, une altercation entre le curé et un officier SS faillit dégénérer. Un élève officier allemand, ancien séminariste, pris de sympathie pour le curé, calme le jeu. Le 3 janvier, au plus fort de l'opération Nordwind, Schilt échappe de justesse à la mort. En début d’après-midi, accompagné de Jacques Laluet, le boucher du village, il se rend dans une position française surplombant la vallée d'Achen. Sur le chemin du retour, un obus tiré trop court explose sur le sol gelé. Les éclats fusent, l’un traverse la soutane du curé et tue Jacques Laluet, lui sectionnant l’artère fémorale.
                                  


Pendant la drôle de guerre, Aloyse Schilt occupe la fonction de chef
de section de mitrailleuses au 168e Régiment d’Infanterie de Forteresse
dans le Secteur Fortifié de Thionville.
Il tombe sous les balles d'un avant-poste américain le 18 janvier 1945.

(Archives municipales de Sarreguemines)   




Jacques Laluet,
le boucher de Kalhausen, une des victimes civiles lors de l'opération Nordwind. (AHK)

           
  
Mythes

Si dans l'ensemble le déroulement de l’opération Nordwind en Moselle-Est est bien connu, se pose le problème des sources. Pour certains épisodes, elles sont incomplètes, voire manquantes. Certains témoignages sont contradictoires et peuvent ne pas refléter ce qui s’est réellement passé. Dès le 3 janvier, des réfugiés arrivés d’Achen racontent à leurs hôtes de Kalhausen qu’un combat à l’arme blanche opposant Américains et Allemands a eu lieu dans une des dernières maisons du village en direction de Wiesviller entraînant un bain de sang.

Les corps de trois soldats allemands et d’une dizaine d’Américains sont effectivement relevés. La consultation des sources allemandes aussi bien qu’américaines n’apporte aucun élément probant. Un témoin oculaire, Raymond Jung a vu la scène et réfute cette affirmation. Il n'y a pas eu de combat corps à corps, ni d'exécution sommaire à l'arme blanche. Le décès des soldats est imputable à l’éclatement d’un obus qui éventre la façade de la maison où quelques SS gardent des soldats américains capturés le matin même dans le blockhaus de la Ligne Maginot, situé non loin de là.

Que s'est-il passé la nuit du 3 janvier à Gros-Réderching ? A aucun moment, les comptes-rendus allemands ne font état de l'utilisation d'un char Sherman capturé et d'autres véhicules utilisés par des équipages allemands en uniforme américain, relaté par les soldats français.

L'opération de cette nuit est à mettre au compte d'un officier SS de la "Götz von Berlichingen" très expérimenté et audacieux, un ancien de la division
"Das Reich" qui a fait ses armes en Russie, puis sur le front Ouest. Le SS Sturmbannführer Wahl à la tête d'un groupe de combat composée  de 11 Sturmgeschütze de la SS-Panzerjäger-Abteilung 17 de la SS-Panzeraufklärungs-Abteilung 17 a pour mission de dégager les éléments de la SS-Panzer-Abteilung 17 et du SS-Panzergrenadier-Regiments 38 pris au piège à Achen. C'est un succès, il bouscule les troupes alliées à Gros-Réderching, détruit quatre chars Sherman, pousse jusque Achen et regagne les lignes amies avec la majeure partie des encerclés.




Le SS Sturmbannführer Kurt Wahl

(Photo internet)



En conclusion.

Le rapport allemand analysant l’échec de l’opération Achen paraît le 29 janvier 1945. Les points suivants sont soulignés :

-L'absence d'un certain nombre de blindés sur les positions de départ au moment de l’attaque.

-La faible combativité de certaines unités composées de 30% de Volksdeutsche : Russes issus de minorités germaniques, Polonais, Tchèques, quelques Lorrains.

-Le manque de réserves en hommes et matériel, des flancs non protégés.

-La détermination des Américains disposant d’une puissante artillerie, de munitions à profusion, de blindés et de la supériorité aérienne.

Un état de la 17. Panzerdivision Goetz Von Berlichingen rapporte que 38 Américains ont été capturés durant les combats de Gros-Réderching et d'Achen.

Du côté français, les points suivants sont mis en exergue : ordonner l'attaque tardive d'un village sans reconnaissance est à proscrire, mettre impérativement au point les liaisons entre unités de nationalités différentes.... Les pertes allemandes relevées dans le journal de marche du GTL font état de 200 tués ou blessés et de 62 prisonniers pour tout le secteur. Au final, l'analyse du général de Langlade sur Nordwind en Moselle-Est est très pertinente. :
« De Bitche à Sarreguemines, un front de 35 km était tenu par un détachement de 2000 fantassins (allemands NDLR) appuyé de deux douzaines de chars. Le tout commandé par un enragé lieutenant-colonel (SS Standartenführer Lingner NDLR) démuni de tout, sans réserves, n’ayant derrière lui que le vide barométrique ! »

Bernard Zins.

(mise à jour août 2019)           


Sources et bibliographie

DE LANGLADE (Paul), En suivant Leclerc, Robert Laffont, Paris, 1964
FONDE (Jean Julien), J'ai vu une meute de loups, Fernand Nathan, Paris, 1969
HOLZRITTER (Etienne) Hoffmann (Gaston), Au cœur de la tourmente; Gros-Réderching en janvier 1945
SALBAING (Jacques), Ardeur et réflexion, La pensée universelle, Paris, 1992
STÖBER (Hans), Die Sturmflut und das Ende, Munin Verlag, Osnabruck, 1987
WOLF T ZOEPF, MATAXIS (Theodore) Seven Days in January: With the 6th SS-Mountain Division in Operation Nordwind, Aberjona Press, 2001
63rd Infantry Division History, edited by the 63rd Div Assn Historian, 2006
Battle of the Vosges mountains, Combat Studies Institute, US Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, 1984
Kriegstagebuch Goetz von Berlichingen, Arbeits und Förderverein Für Bliesdalheimer Dorfgeschichte, 1995
"Der Freiwillige", Jahrgang 52, Heft 4, April 2006

Archives municipales de Kalhausen, Sarreguemines, Service Historique de la Défense Vincennes
Infographie Alain Behr
Interviews de Michel de Miscault, Robert Velut, Jacques Fenouillère, anciens de la 2e DB
Interview de Raymond Jung, Bernard Obry. Témoignages divers.
Remerciements à Jacques Fougeray, René Buchheit