la_photographie_autrefois

La photographie autrefois




Rares étaient autrefois, avant la guerre de 39-45, les personnes d’un village qui possédaient un appareil photographique. Le photographe de la ville venait parfois prendre quelques clichés de l’église, de la gare, d’un commerce ou d’un évènement de la vie du village et de nombreux curieux, surtout des enfants, se pressaient pour figurer sur les vues. Des cartes postales étaient alors éditées et vendues dans le village.


          





Les quatre clichés ont pu être pris le même jour,
           la voiture du photographe étant visible sur deux photos.          

Les particuliers qui possédaient un appareil photographique prenaient parfois des photos de leurs compatriotes, mais c’était plutôt pour leur rendre service. Ils leur vendaient les clichés obtenus et c’est ce qui constitue maintenant la mémoire du village.
Mon père possédait un appareil photographique à soufflet, e Foddoàbberààd, de marque Kodak, qu’il avait acheté avant la guerre et dont il se servait souvent. Il utilisait des pellicules de 8 négatifs.

 



Ces films étaient de format 620 et les photos avaient la dimension 6 x 9 cm. Ils se présentaient sous la forme d’une bobine en métal noir sur laquelle était enroulée une bande de papier protecteur, avec la pellicule proprement dite. Le papier protecteur était noir sur sa face en contact avec la pellicule et portait au dos des repères et des numéros permettant le contrôle du déroulement de la pellicule et le positionnement du film.
Une petite fenêtre ronde percée dans le dos de l’appareil photographique et obturée par un transparent rouge permettait de voir les numéros des vues.


          



Le film était enroulé sur une bobine.


Pour charger l’appareil, il fallait l’ouvrir et placer la pellicule dedans. On déroulait un peu le papier protecteur, on le faisait passer devant l’objectif et on glissait l’amorce du papier dans la fente de la bobine réceptrice qui sera entraînée par le système d’avancement.
 
 

 La bobine vide.
 



Mise en place du film.
On voit la bobine réceptrice à droite.


 


Le film est engagé dans la bobine réceptrice.
On voit bien la clé d’avancement.





Le regard  sur le dos de l’appareil.

L’avancement de la pellicule n’était pas automatique, mais manuel : on tournait une molette en surveillant par le regard dans le dos de l’appareil le défilement des impressions sur le papier protecteur. Quand le nombre 1 apparaissait bien au milieu du regard, l’appareil était prêt pour la première photo. Bien sûr, après chaque image, il fallait faire avancer la pellicule jusqu’au nombre suivant.

Après la dernière des 8 photos, il fallait continuer à enrouler la pellicule pour "emballer" complètement le film dans son papier protecteur. On devait sentir le moment où le film se détachait de la bobine débitrice. On enroulait encore 3 ou 4 tours et on pouvait maintenant ouvrir le dos de l’appareil (toujours à l’abri d’une lumière vive).

On ressortait la pellicule exposée et on collait la petite bande de papier gommé pour éviter un déroulement accidentel. La pellicule partait au laboratoire. Pour nous, c’était la droguerie Peiffer de Sarralbe qui s’occupait du développement et du tirage des photos.


La bobine débitrice était sortie de son logement et prenait la place de la bobine réceptrice, dans l’attente de la mise en place d’un nouveau film.
Ces opérations pouvaient paraître fastidieuses, mais il n’y avait pas d’autre solution. Il ne fallait à aucun prix ouvrir l’appareil photographique avant d’avoir pris toutes les 8 photos.

Le réglage manuel de l’appareil photographique était aussi indispensable avant de faire une photo, si on voulait qu’elle ne soit pas floue. On devait choisir la mise au point, c’est-à-dire la distance de l’appareil vers le sujet à photographier (2,3,4,6,12 m ou l’infini), le diaphragme, c’est-à-dire la dimension de l’orifice d’entrée de la lumière à travers l’objectif (4,5-5,6-8-11-16 ou 22) et enfin le temps de pose, c’est-à-dire la vitesse d’ouverture du diaphragme (1/25, 1/50, 1/100, 1/150 et B pour la pose).

Ainsi pour un sujet immobile, on affichait une petite ouverture du diaphragme (16 ou 22) et une vitesse de 1/25. Pour un sujet animé, on prenait une grande ouverture (4,4-5,6- ou 8) et une vitesse plus grande (1/50, 1/100 ou 1/150).

Par beau temps ensoleillé et pour un sujet clair, on choisissait un diaphragme de 8, une distance de 5 m et une vitesse de 1/100. On avait alors de fortes chances que la photo soit réussie.

Avant la guerre de 39-45, mon père avait aussi un petit laboratoire de développement qu’il installait dans la cuisine, près de l’évier. Une fois que le film était développé et sec, il découpait les 8 négatifs, l’un après l’autre. Ensuite, puisque le négatif était aussi grand que la future épreuve, il tirait les photos par simple contact. Il lui suffisait d’avoir un petit cadre en bois de la taille du négatif, muni d’une plaque de verre et il coinçait son négatif contre le verre, au moyen de pinces, bien à plat pour éviter qu’il ne gondole. Le système était rodé et donnait de bons résultats.




Développement et tirage de photo effectués par mon père pendant l’évacuation de 1939.
La qualité du négatif laisse un peu à désirer (sources de lumière).


La prise de vue au flash, de Foddo mìt Blìtzlìscht


Les photographies au flash étaient beaucoup plus laborieuses et mon père n’en faisait pas beaucoup. Le flash couplé à l’appareil n’existait pas. Je ne sais pas si on en fabriquait à l’époque, en tout cas mon père n’en avait pas. Il avait donc bricolé tout un système de remplacement du flash synchronisé.
Les photos se prenaient toujours le soir, car il fallait avoir l’obscurité complète dans la pièce, pour faire la photo. On reculait la table de la cuisine et mon père plaçait son appareil ouvert, l’objectif dirigé vers le sujet à photographier. En l’occurrence, c’était les parents et les enfants, assis sur la chaise longue, " ’s Schääslong ", placée en face de l’appareil. Il réglait la distance et le diaphragme, et regardait par le viseur pour voir si tout le monde figurerait sur la vue. On ne bougeait plus.

Auparavant, il avait fixé à la lampe de la cuisine une sorte de papier flash qui donnait beaucoup de lumière en brûlant. Dans le noir complet, il ouvrait le diaphragme et le mettait sur pose. Il allumait alors le papier qui brûlait un très court moment et produisait une forte lumière éclairant la scène. Il suffisait de refermer le diaphragme et la photo était dans l’appareil.



  1956. Photo prise avec le papier flash. Le cadrage n’est pas parfait.

Un peu plus tard, il utilisa des ampoules flash pour remplacer le papier. Une douille fut accrochée à la lampe et mon père y plaça une ampoule spéciale. Le courant électrique était produit par une batterie plate de 4,5 volts. Un interrupteur permettait de faire fonctionner l’ampoule à usage unique. Mon père vint se placer à côté de nous, il tenait en mains l’interrupteur qui commandait l’ampoule. De cette manière, il put effectuer de nombreuses photos.

 

1960. On voit nettement mon père tenir l’interrupteur,
ainsi que les fils qui partent en direction de l’ampoule et de la pile.
Le cadrage laisse un peu à désirer.


Mon parrain m’offrit en 1961, pour ma communion solennelle, un appareil photo à soufflet, de marque Ludax, et je m’achetai alors un flash synchronisé Fex. Le système bricolé par mon père était mis au rencart et nous pûmes effectuer de belles photos d’intérieur.

         





L’appareil et le flash avec son câble de synchronisation.


La sacoche.

      



Ampoules de flash.


Une dizaine d’années plus tard, j’acquis un appareil 24 x 36 Agfa Silette LK, avec flash incorporé et utilisant des films 135 de 36 poses. Je pus alors effectuer des photos en couleurs. Le progrès était sensible par rapport au modèle précédent.

 

  L’appareil est sorti de sa sacoche.
On peut le laisser dedans pour faire des photos.





Le film est enroulé dans une cartouche.


Cet appareil fit mon bonheur jusqu’en 2003, où un appareil numérique le remplaça. Quel progrès par rapport aux appareils précédents ! Je ne voudrais plus échanger. La photographie argentique avait vécu.

Désormais, chaque image est délivrée par l’appareil sous forme de fichier numérique exploitable par un ordinateur personnel. Les possibilités sont immenses : chaque fichier donne lieu à une photo couleurs ou noir et blanc, l’autonomie est très grande, on peut modifier la sensibilité et le ton de l’image, on peut capter des images animées avec le son. Toutes les retouches sont possibles (recadrage, couleurs, contraste, netteté…). Même le contenu de l’image est modifiable (ajout ou suppression de personnages ou d’objets, modification de l’apparence physique d’une personne). La technique argentique ne subsiste que sous la forme d’expression artistique pratiquée par quelques amateurs.

Actuellement, de nombreuses photographies numériques sont réalisées et on mitraille à tout va. On n’a plus besoin d’économiser le film et le nombre de clichés. On efface ce qu’on ne veut pas garder et les photos virtuelles sont rangées dans des dossiers, au cœur du PC. On peut encore commander des tirages papier sur internet et ranger les photos dans un album. Mais cette pratique se perd quoiqu’on puisse quand même faire éditer des albums-photos.

Les appareils photographiques sont actuellement peu à peu remplacés, chez les photographes amateurs et chez les jeunes, par le téléphone portable, capable aussi d’enregistrer des vidéos. Les smartphones disposent de capteurs très sensibles, d’un flash et même d’un zoom. Leur force réside dans leur simplicité : tout est automatisé. De nombreux filtres permettent de corriger les défauts (suppression des yeux rouges, ajustement de la luminosité et du contraste…). Certains appareils proposent le mode rafale, pratique pour prendre plusieurs clichés dans un temps très court. Et ils permettent de partager des photos instantanément avec parents et amis par SMS ou courrier électronique ou sur les réseaux sociaux. Aussitôt pris, aussitôt envoyés, nos clichés voyagent à la vitesse de la lumière, pour le bonheur de tous.

Notre téléphone ne nous quitte plus. Glissé dans le sac à main ou dans une poche, il peut être dégainé en une seconde pour immortaliser un moment de vie ou le scoop de l’année, comme le faisaient les cow-boys avec leur colt, mais pour d’autres raisons.

Que de chemin parcouru, depuis l’invention de la photographie par Nicéphore Nièpce, en 1812 !

Gérard Kuffler

Décembre 2021