Luc Colomb 1
1943-1945.
DANS LA TOURMENTE DE L'HISTOIRE.
Ce récit est
uniquement le témoignage d’un acteur de la Seconde Guerre Mondiale et
comme tout témoignage, il peut être subjectif et s’éloigner de la
vérité historique. Les souvenirs de Lucien Colombe (+27/04/2014), ont été
retranscrits fidèlement, tels qu’il les a présentés dans ses notes
manuscrites et leur contenu publié ici est entièrement sous sa
responsabilité.
L’occupation.
Mon nom officiel est Lucien Colombe, mais souvent on m’appelle plus simplement Luc Colomb.
En septembre 1939, à la déclaration
de la guerre, j’allais sur mes 13 ans et je fréquentais le Collège
Episcopal de Zillisheim, à environ 3 km au sud de Mulhouse, autrement
dit le petit séminaire.
Comme j’avais de bons résultats
scolaires, mes parents avaient suivi les conseils de mon instituteur et
m’avaient inscrit à l’internat du collège.
Nous habitions à Ensisheim, à
une dizaine de km au nord de Mulhouse, dans un petit logement ouvrier
de la cité Sainte Thérèse, car mon père était mineur de potasse. Ma
mère, Léonie Bielmann, s’occupait du foyer et de notre éducation, de
celle de ma sœur aînée Charlotte et de la mienne.
Je me débrouillais bien à l’école
et mon esprit curieux était surtout attiré par tout ce qui concernait
la technique, plus spécialement le travail du fer. J’avais aussi un
autre centre d’intérêt encore, les avions : il y avait un petit
aérodrome à proximité d’Ensisheim, vers Guebwiller, au Bollenberg, et
je ne me lassais jamais d’observer les appareils qui décollaient ou se
posaient. Comme tous les enfants de mon âge, je m’employais à
construire de petits avions en bois de balsa, mus par une hélice
actionnée au moyen d’un élastique et je rêvais souvent de voler un jour
sur de vraies machines.
J’étais également un des meilleurs
de la classe, sinon le meilleur, en éducation physique, à la course, au
lancer de poids et au grimper à la corde.
L’arrivée des Allemands, en
juin 40, après la défaite de la France, apporta bien des
bouleversements dans notre petit monde.
A la rentrée de septembre, le
système scolaire allemand fut mis en place, avec cours tous les matins,
l’après-midi étant réservé à des activités périscolaires.
L’enseignement se fit désormais en allemand et le portrait du Führer
remplaça le crucifix dans les salles de classe. Le Collège Episcopal
fut dissout et remplacé par un lycée. Bien sûr, tous nos professeurs,
qui étaient des prêtres, durent céder leur poste à des laïcs et toute
religion fut bannie de l’établissement.
Mon prénom Lucien devint Luzian, mais pour mes parents et mes copains, je restais Lüssi.
Les autorités allemandes
instaurèrent, dès août 1940, en Alsace, le mouvement de la Jeunesse
Hitlérienne et nos professeurs nous conseillèrent vivement d’y adhérer.
Cette organisation proposait de nombreuses activités aux jeunes et
c’est tout naturellement que je me portai volontaire, avec l’aval de
mes parents.
J’ai toujours été un enfant
hyperactif, un peu turbulent et bagarreur. Il me fallait de l’action,
des activités physiques pour me défouler et canaliser mon trop plein
d’énergie. La lecture, activité calme et reposante, n’a jamais été ma
tasse de thé et je préférais de loin les jeux physiques, au contact de
la nature.
Je pratiquais activement le
sport, entre autres des disciplines comme l’athlétisme et
l’haltérophilie dont le goût m’avait été donné par Paul Entzinger, qui
habitait en face de nous, dans la cité, et qui avait bricolé des
haltères avait de gros roulements à billes et des barres de fer.
La boxe aussi était un de mes
sports favoris, elle allait bien avec mon caractère et mon ambition de
toujours reculer les limites et d’être le meilleur.
La Hitler Jugend, qui
concernait les jeunes garçons de 14 à 18 ans, allait me permettre de
progresser dans ces activités et je m’y engageai pleinement. J’y
trouvais tout ce qui me convenait : la camaraderie entre jeunes qui ont
la même passion, l’action, le grand air et un peu aussi la possibilité
de me faire remarquer, de crâner aux yeux des filles et du voisinage.
Nous adhérions naïvement,
sans arrière-pensée, à une organisation politique d’endoctrinement, de
préparation militaire dont nous ne percevions pas du tout la finalité,
ni le caractère insidieux. Mes parents ne faisaient pas de politique et
je n’en faisais pas non plus. Je me souciais peu de l’idéologie nazie.
La HJ me proposait tout simplement de multiples activités physiques que j’affectionnais.
Tous mes loisirs étaient désormais
occupés par cette organisation et j’y passais tous mes après-midis,
ainsi que les dimanches et les vacances scolaires. Je faisais partie du
groupement d’arrondissement de Guebwiller, appelé un Bann, et notre
chef, le Bannführer, dont je ne me rappelle plus le nom, était un
ancien capitaine mutilé de la Grande Guerre.
Le Bann comptait en tout 3000
jeunes, répartis en 5 Unterbanner, des sous-groupements de 600
membres chacun, eux-mêmes divisés en 4 Gefolgschaften, des groupements
de 150 membres chacun. Ensuite il y avait la Schar (une meute) de 50
jeunes, formée de plusieurs Kameradschaften, des équipes d’environ 15
membres chacune.
Nous portions bien sûr un uniforme
pour toutes les manifestations et pour ceux qui le désiraient, même au
lycée. C’était un uniforme qui ressemblait un peu à celui des scouts :
il se composait d’une chemise brune, d’un pull-over pour l’hiver, d’une
culotte courte en toutes saisons, d’un foulard noir maintenu par un
rond de cuir, d’un calot pour l’été, d’une casquette pour l’hiver et
d’un brassard rouge orné d’une bande blanche et d’une croix gammée
noire. Nous avions tous un poignard porté au ceinturon.
J’étais très assidu dans les
Jeunesses Hitlériennes et ne pensais qu’à progresser. J’avais obtenu la
fourragère blanche qui me permettait d’être l’adjoint du Bannführer.
J’étais fier de ce grade car nous n’étions que 4 à avoir obtenu
cette fourragère au niveau du groupement départemental.
Je continuais à boxer à
cette époque, en m’inscrivant à un club de boxe de Mulhouse. Je sais
qu’il se trouvait près du canal couvert, am gedeckten Kanal.
Du rêve à la réalité.
Dès octobre 1942, à l’âge de
16 ans, je m’inscrivis au Nationalsozialistisches Fliegerkorps (NSFK)
pour pouvoir pratiquer le vol à voile. Nous appartenions au groupe
Südwest dont le siège se trouvait à Karlsruhe. Les cours commencèrent
dès le printemps 43 et se pratiquaient sur le terrain du Bollenberg,
puis sur celui d’Engen, près de Constance.
Le Flugbuch ou carnet de vol, ouvert à mon inscription au NSFK,
répertorie tous mes vols sur planeur,depuis
les premières séances jusqu’à l’obtention des différents examens.
Alors là, j’étais pleinement dans
mon élément. Les moniteurs de vol à voile nous dispensaient au début
une douzaine de cours théoriques, puis nous initiaient à la pratique
sur des planeurs ultra-légers en bois, assez rudimentaires et qui
n’avaient pas de cabine.
Ces appareils d’apprentissage étaient des SG 38 (SG pour Schulgleiter).
SG 38 (SG pour Schulgleiter).
Pendant que quelques
aides maintenaient fermement la queue du planeur par une corde,
deux autres équipes (les Gummihunde ou chiens d’élastique) tendaient
deux gros élastiques en forme de V. Au signal du moniteur, le
Fluglehrer, le planeur était ainsi catapulté dans les airs. On appelait
cela le Gummiseilstart ou décollage à l’élastique.
Comme ce décollage se pratiquait
sur une pente, nous arrivions au début à effectuer de petits bonds qui
commençaient à s’allonger de plus en plus. C’était le Gleitflug ou vol
plané qui pouvait durer jusqu’à 40 secondes. Le plus difficile était de
remonter, avec l’aide des Gummihunde, chaque fois, le planeur au sommet
de la pente pour un nouvel envol.
Pour pouvoir réussir le premier
examen, après une trentaine de vols, il fallait savoir voler droit et
maîtriser le décollage et l’atterrissage.
Pour le second examen, après une
vingtaine de vols supplémentaires, il fallait réussir les vols courbes
et les atterrissages sur cibles.
Puis venait le troisième examen qui sanctionnait le vol sur de vrais planeurs.
Les séances (une vingtaine au
total) avaient lieu maintenant sur le terrain d’Unterbaldingen, près de
Donaueschingen, sur le SG Boot, une forme améliorée du SG 38, puis sur
un vrai planeur, le Grunau Baby II.
Les envols jusque là se faisaient toujours à l’élastique.
Extrait du carnet de vol.
Malheureusement il manque les dates des vols.
On peut distinguer de gauche à droite, l’intitulé de l’avion (SG 38),
la durée des vols en secondes, la direction et la force du vent,
le nom du terrain (Engen), le mode de propulsion
(G pour Gummiseilstart) et les appréciations du moniteur.
Le SG Boot (bateau) avait une carlingue rudimentaire entoilée.
(
Le Grunau Baby II.
J’avais toujours en vue l’Armée de
l’Air, la Luftwaffe, mais il me fallait d’abord passer par le RAD (Reichsarbeitsdienst), le service du travail du Reich, obligatoire pour
les futurs incorporés et qui avait été instauré en Alsace en mai 41
déjà. Mes camarades de la classe 26 n’étaient pas encore concernés,
pour le moment, seules les classes 22 à 24 étaient convoquées.
Pour mener à bien mon dessein de
faire partie le plus rapidement possible de la Luftwaffe, je me portai
encore une fois volontaire juste après avoir passé l’examen du bac
(l’Abitur).
Le RAD était en fait une
préparation militaire qui devait durer théoriquement 6 mois. En
réalité, pour moi, elle ne dura que 2 mois et demi. Nous logions dans
un camp de baraques à Germersheim, dans la Palatinat. Je peux dire,
sans me tromper, que la période du RAD fut la période d’instruction la
plus dure pour moi.
C’était l’automne, puis le début de l’hiver, et les conditions atmosphériques n’étaient pas les meilleures.
Nous devions ramper dans la boue,
marcher au pas, faire des maniements d’armes (avec une bêche) et
surtout obéir aveuglement, sans rechigner. Nos instructeurs étaient des
sous-officiers sadiques, des brutes.
C’est là que commença à naître en
moi un début d’aversion pour le régime militariste nazi, aversion qui
devait croître par la suite et avoir de funestes conséquences pour moi.
J’étais intérieurement révolté
devant le sadisme de ces petits chefs, devant la discipline impitoyable
et dure qu’ils faisaient régner dans le camp. Plusieurs fois, l’envie
de déserter m’effleura et je n’aurais eu aucun mal à rejoindre le
domicile parental et à me cacher dans la famille. Mais mes parents
auraient sans aucun doute dû subir des représailles à cause de moi et
je ne voulais pas les mettre en danger.
Je me tins à carreau pendant cette
période et ne fis pas trop de zèle. J’obtins pourtant, grâce à mes bons
résultats sportifs, le grade de Vormann, ce qui correspond à celui de
caporal dans l’armée.
Pour le moment, je n’avais qu’un
but, devenir aviateur, Flieger. Il me fallait obéir, même si cela me
coûtait beaucoup, et passer par ces épreuves.
Lors d’une permission, une lettre
m’attendait à Ensisheim, qui m’enjoignait de me présenter le plus
rapidement possible au Bannführer de Guebwiller, que je connaissais
bien.
Le lendemain, je me rendis à vélo
au chef-lieu d’arrondissement distant d’une quinzaine de km, et mon
ancien supérieur m’annonça avec joie que ma candidature au concours
d’entrée à l’Ecole d’officiers de réserve était acceptée. Il m’apprit
qu’une dizaine de camarades de l’arrondissement étaient sélectionnés,
dont Norbert Bischoff d’Ensisheim et aussi mon grand adversaire des
concours d’athlétisme, Hans Grünewald.
Le concours aurait lieu autour de
Noël, à la Bismarckkaserne de Munich. Il durerait 3 à 4 jours et
porterait sur des sujets divers comme la culture générale, les
sciences, les ordres de commandement et l’éducation physique.
Il me félicita chaleureusement et me souhaita bonne chance.
J’étais fou de joie. Mon rêve de
voler sur de vrais avions, de suivre les traces de héros comme le baron
von Richthofen, de Ernst Udet ou encore de Hermann Graf que j’avais eu
l’honneur d’accueillir un jour à Engen, lors d’un stage de vol à voile,
ce rêve allait pouvoir se réaliser bientôt, et je n’en doutais pas.
L’affaire était bien engagée et
j’étais persuadé qu’elle aboutirait. Bien sûr, il y avait la sélection
du concours, mais j’avais un bon niveau général ainsi qu’une excellente
condition physique. Jusqu’à présent, à force de volonté et
d’application, j’avais toujours mené à bien ce que j’avais entrepris :
ma scolarité, la Jeunesse Hitlérienne, le vol à voile, la boxe.
Fils d’ouvrier, j’étais en train de
sortir du rang, d’être promu et de faire honneur à ma famille. Mes
camarades de classe d’Ensisheim ou du collège de Zillisheim n’avaient
pas voulu, par manque d’ambition, sauter sur les occasions qui
s’étaient présentées à eux et c’était tant pis. Pour ma part, je ne
regrettais rien, bien au contraire.
Mon service du travail, qui avait
démarré le 1er octobre 42, dura à peine 2 mois et demi, jusqu’au 15
décembre, puisque je devais passer le concours.
A Munich, je n’eus aucun mal à me
distinguer et à surclasser la plupart des candidats : j’arrivais 8° aux
épreuves écrites et orales et 3° aux épreuves sportives, soit 5° pour
l’ensemble du concours, sur plus de 300 candidats, dont 95 %
d’Allemands, avantagés par la langue.
Je rejoignis, au mois de janvier
43, la base aérienne de Fribourg-en-Brisgau, pas très loin de Mulhouse,
pour y continuer ma formation de pilote de planeur et passer le
troisième examen. Je volais maintenant avec un instructeur, sur un
planeur biplace, le Kranich II. Pour l’envol, nous étions remorqués par
un avion et nous atteignions des altitudes pouvant aller jusqu’à 900 m.
Les vols duraient maintenant jusqu’à une demi-heure. J’aurais encore pu
progresser dans le vol à voile, augmenter la durée du vol et la
distance à parcourir, mais les circonstances allaient en décider
autrement.
le Kranich II
Dans la Luftwaffe.
En mars, selon le processus logique de formation des pilotes de guerre, je fus incorporé à la Luftwaffe, sur la même base.
Je vous laisse deviner ma joie et
ma fierté d’être enfin membre de cette prestigieuse force aérienne
commandée par le Feldmarschall Hermann Goering, un as de la 1ère guerre
mondiale et qui comportait en son sein nombre d’aviateurs célèbres qui
s’étaient distingués en Espagne et sur le front de l’ouest.
Je rêvais déjà de suivre les pas de
ces as de la chasse allemande qu’on appelait des « experts » et cela me
motivait encore plus.
Je m’empressais de renvoyer, par la
poste, à mes parents, ma tenue brune des membres du NSFK, devenue
désormais inutile. J’arborais fièrement ma nouvelle tenue bleu pâle
d’aviateur, avec épaulettes et fourragère blanche des élèves-officiers
(Kriegsoffizierbewerber ou K.O.B.) obtenue à la Kammerstube de la
caserne.
Les premières semaines furent des
semaines comme les connaissent tous les incorporés dans les casernes :
instruction de base (Grundausbildung), parcours du combattant,
maniement d’armes, marches, tir…Je faisais mes classes, comme tout
soldat.
Après ces 5 semaines de formation
initiale, je fus affecté au peloton des élèves-officiers de réserve
avec en vue le grade d’aspirant (Fähnrich) et je commençai ma formation
proprement dite de pilote.
Les séances théoriques en salles de
cours alternaient avec des exercices pratiques qui aboutissaient peu à
peu à des vols, d’abord sur le Messerschmitt 17, un appareil ultra
léger construit entièrement en bois, avec moniteur dans le dos, puis
sur le Messerschmitt Bf 108, qui pouvait contenir 4 personnes.
Le petit Messerschmitt 17 était le premier avion
construit en 1925 par Willy Messerschmitt à Barnberg en Bavière.
C’était un appareil ultra léger (198 kg).
Fait curieux, le pilote n’avait aucune vue vers l’avant.
Le Messerschmitt 108 servait pendant la guerre d’avion de liaison,
de transport et aussi d’entraînement.
Je progressais rapidement car je
possédais déjà pas mal de connaissances théoriques et pratiques dues à
mon activité de vol à voile.
La sélection était rigoureuse, avec
un contrôle continu des apprentissages et des aptitudes, qui était sans
pitié pour ceux qui échouaient.
Les élèves se voyaient orientés en
fin de formation selon leurs résultats : les meilleurs devenaient
pilotes de chasse (Jagdflieger), les autres pilotes de reconnaissance
(Erklärungsflieger) ou pilotes de bombardiers (Bomberflieger). Ceux qui
échouaient se voyaient renvoyés dans une école de formation de
sous-officiers et intégraient le personnel au sol.
Grâce à mes bons résultats, je pus
rejoindre en juillet 43 l’Ecole de l’Armée de l’Air, die
Luftkriegsschule 3 d’Oschatz, près de Dresde, dans le land de Saxe,
pour me spécialiser comme pilote de chasse, l’élite de la Luftwaffe.
C’est là que je fis connaissance avec le Messerschmitt BF 109 qui était
le chasseur emblématique de la Luftwaffe et qui sera mon fidèle
compagnon désormais.
On nous apprit la technique du
combat aérien, avec virages serrés pour échapper à un adversaire qui
vous poursuivait. Cela s’appelait wegbrechen ou Ausweichmanöver.
Une autre possibilité était le vol
en piqué (Sturzflug) ou la chandelle (Hochziehen), toujours pour sortir
de la ligne de mire de l’adversaire, avec la volonté de décrire une
boucle pour se placer avantageusement derrière lui.
L’attaque d’un avion ennemi devait toujours se faire par surprise, avec le soleil dans le dos.
On nous apprit le tir à la
mitrailleuse sur cibles fixes (des panneaux carrés de 2,5 m de
diagonale), par rafales de 100 coups, ou au canon, ainsi que les
rudiments de la survie au cas où nous serions abattus, et aussi à
sauter en parachute en cas de besoin.
La manœuvre de gauche
appelée « Wegbrechen », ou rompre le combat, consistait à effectuer un
virage serré en direction d’un ennemi attaquant par l’arrière, dans le
but de lui échapper.
Ce dernier avait plus
de difficulté à toucher un avion venant de travers et souvent, emporté
par la vitesse, il filait tout droit.
La manœuvre de droite appelée « Zange » ou tenaille, était rendue possible par la formation de la paire ou « Rotte »
Un avion ennemi attaquant un avion allemand risquait de se faire prendre en tenaille par la paire allemande,
car les deux avions volaient côte à côte, à bonne distance l’un de l’autre.
Illustrations extraites du livre « Die Jägerasse der deutschen Luftwaffe 1939-1945 de Mike Spick.
Le Messerschmitt Bf 109 était un
monomoteur de chasse assez performant de part sa vitesse, son
rayon d’action de 850 km, son plafond de 12 000 m et la puissance de
son moteur (plus de 1000 CV).
Mais il ne fallait surtout
pas souffrir de claustrophobie, car le cockpit (die Kanzel) était
très étroit. De plus la vue, surtout vers l’arrière était restreinte à
cause des barreaux de la verrière.
On était assis sur le parachute
incorporé dans le siège et les jambes se trouvaient presqu’à
l’horizontale. Ce n’était pas très confortable.
Le ME 109, comme nous l’appelions,
avait aussi la fâcheuse tendance à piquer de l’aile à l’atterrissage et
au décollage et il fallait sans cesse compenser pour éviter les
accidents.
Mais une fois qu’on avait la « bête » bien en main, il n’y avait plus de problèmes.
Sur ce Messerschmitt Bf 109 E, familièrement appelé Emil,
on distingue nettement les 2 mitrailleuses de capot et les canons de 20 mm dans les ailes.
La roulette de queue n’était pas escamotable.
Notez le support d’antenne et l’antenne, à l’arrière du cockpit.
Notre tenue de vol comprenait une combinaison brune, un casque en cuir et des bottes de cuir.
Pendant cette période de formation,
la discipline de vol était très stricte, car il fallait éviter à tous
prix les accidents. Les désobéissances aux ordres étaient punies de
Stubenarrest, c’est-à-dire de consignation dans les chambrées pendant
un ou plusieurs jours.
Le séjour à Oschatz, et donc ma formation de pilote de combat (Kampfflieger), dura jusqu’au 10 décembre 43.
Sur le front de l’est.
Je fus alors versé au front de l’Est, dans l’escadre de chasse Jagdgeschwader 52, dans la région de Smolensk-Minsk.
Sur cette photo, je porte l’uniforme d’aviateur avec le ruban noir-blanc-rouge de la croix de fer de 2° classe.
Un camarade m’a photographié en train d’armer mon pistolet Mauser 9 mm.
C’est là que je retrouvai Hermann Graf qui commandera l’escadre au printemps 44.
Je faisais partie des nouveaux, des
bleus, et je devais faire mes preuves. Les anciens nous accueillirent
chaleureusement et nous prodiguaient leurs bons conseils. Avec mes 17
ans, j’étais le plus jeune de la bande.
Nous formions une bonne équipe de camarades, soudée autour de notre grand chef, le Kommodore Herrmann Graf.
J’avais connu Herrmann au début de
la guerre, en 42, lors d’un stage de vol à voile effectué à Engen, son
village natal. Il avait atterri sur un petit Fieseler-Storch et nous
avait tous serré la main. A l’époque, il était déjà célèbre dans la
Luftwaffe pour le nombre de ses victoires homologuées et nous
l’admirions comme un dieu.
A l’escadre, il jouissait d’un
grand prestige et il savait nous galvaniser. Il faisait partie des
aviateurs les plus efficaces avec plus de 200 victoires, et aussi des
plus décorés avec les Croix de Fer I et II (EK 1 et EK 2), la Croix de
Chevalier avec feuilles de chêne, glaives et diamants (Ritterkreuz des
Eisernen Kreuzes mit Eichenlaub, Schwerten und Brillanten).
Il était le premier à avoir atteint
le cap des 200 victoires homologuées et atteindra le nombre de 212
victoires pour 830 missions effectuées.
Il avait une haute estime de ses
adversaires qu’il qualifiait de « prächtige Kerle », de gars brillants.
Il était un exemple pour nous, à cause de sa combativité, de ses
qualités de pilote et de son esprit de camaraderie.
Graf finira la guerre avec le grade
de lieutenant-colonel. En 1950, après son retour de
captivité en territoire soviétique, je lui rendis visite à Engen et
nous avons évoqué le sort de nos camarades dispersés après la défaite
ou pour la plupart tombés au champ d’honneur. Il m’a souhaité, à mon
départ, bonne chance en France, ajoutant, plein de tristesse et de
dépit : « Ici, il n’y a pas de place pour les héros de la guerre. »
Il faut aussi dire que Graf avait
évolué vers la fin de la guerre et s’était éloigné du nazisme après
avoir été un jour témoin oculaire d’atrocités commises en Russie par
des SS sur des civils et surtout sur des femmes et des enfants.
Nos journées à la base se passaient
immanquablement toujours de la même façon : attendre, être prêts à
décoller à la moindre alerte pour s’opposer à des chasseurs russes ou
apporter un appui tactique aux combattants au sol. Les sorties étaient
quotidiennes et il y pouvait en avoir jusqu’à 4 par jour. Les
incursions vers l’est, en avant de la ligne de front n’étaient pas
rares, pour mitrailler des convois de ravitaillement ou des colonnes de
soldats.
Au centre, l’insigne de l’escadre
et autour les insignes des différentes escadrilles
peintes sur les avions
Notre escadre faisait partie de la
6° flotte aérienne (Luftflotte), à qui était dévolue la partie nord du
front est. Chaque escadre était commandée par un colonel (Oberst) ou un
lieutenant-colonel (Oberstleutnant) qui portait le titre de Kommodore.
L’escadre était divisée en
plusieurs groupes : un petit état-major avec 5 à 6 appareils, et en
moyenne 3 groupes comprenant une trentaine d’avions chacun.
Le groupe était sous les ordres d’un Major ou d’un Hauptmann (capitaine) qui portait le titre de Kommandeur.
Dans chaque groupe, il y avait 3 ou
4 escadrilles (Staffeln) d’une douzaine de pilotes chacune. Un
lieutenant (Oberleutnant) ou capitaine commandait l’escadrille.
Une bonne ambiance régnait au sein
de la Luftwaffe et plus particulièrement dans notre escadrille, la
Jadgstaffel ou Jasta « Schwarze Panther », l’escadrille de la
panthère noire.
Au sol, nous avions la belle vie et
nous ne manquions de rien, contrairement aux autres soldats,
particulièrement les fantassins. Nous vivions comme des pachas. La
nourriture était abondante, l’alcool ne manquait pas, surtout le Cognac
et la discipline n’était pas très stricte.
La formation de vol était toujours
la paire (eine Rotte), il y avait le leader (der Rottenführer) et
son coéquipier (der Rottenkamerad, appelé couramment der Katschmareck). Ce dernier devait
toujours voler un peu en retrait de son leader, à une distance
d’environ 200 m, et son rôle principal était d’assurer la surveillance,
surtout sur les arrières et en-dessous, à cause des angles morts.
Cette formation de la paire était un avantage, car l’on se protégeait mutuellement et les grades n’avaient aucune importance.
Le leader de la paire était le
pilote le plus expérimenté, et pas forcément celui qui avait un grade
supérieur, et cela ne posait pas de problème.
Nous pouvions aussi voler en
formation de 4 avions, soit deux paires. Cela s’appelait alors un
essaim (ein Schwarm). La seconde paire volait à une altitude
différente, toujours en retrait de la première, pour une meilleure
observation de l’espace aérien.
Les communications entre aviateurs
et la tour de contrôle se faisaient bien sûr par la radio du bord :
nous avions des écouteurs dans notre casque de cuir et un micro.
Nous savions pertinemment que, dans
cette guerre du ciel, nous étions tous en sursit et personne ne pouvait
dire, le matin, s’il serait encore là le soir. C’est pourquoi nous
profitions du temps présent, du moindre moment de loisirs pour dévorer
la vie à pleines dents, avec des excès inévitables de boissons et de
nourriture. Il fallait jouir du moment immédiat avant qu’il ne soit
trop tard.
Nous n’avions même pas à entretenir
nos baraques. Le ménage, à l’intérieur de la base, était effectué par
de jeunes filles ou femmes russes, plus ou moins volontaires. Tout
contact était interdit avec elles, à cause de la psychose de
l’espionnage et de leur possible appartenance à un mouvement de
partisans.
L’esprit de camaraderie était très
fort au sein de notre groupe et une saine émulation se développait en
ce qui concernait la chasse aux victoires et par conséquent aux
médailles.
Nous avions tous un surnom, moi,
c’était Max, et je ne sais pas pourquoi. Il me convenait bien et je
m’en accommodais. Nous nous appelions tous par notre prénom, sans
manières, entre nous, officiers et sous-officiers.
J’avais un bon camarade, un
excellent ami qui avait suivi la même formation militaire que moi,
depuis le concours d’entrée à l’Ecole des Officiers, jusqu’à Oschatz.
Il s’appelait Wehner et était de nationalité allemande.
Nous nous entendions bien et nous
nous amusions à comparer nos résultats de tir à l’entraînement, sans
mesquinerie ni jalousie. Il m’assurait que je tirais et que je volais
mieux que lui. Moi, je trouvais qu’il était plus régulier, plus stable,
plus doux que moi.
Nous nous respections
mutuellement et une saine émulation s’était instaurée entre nous. Il
occupait la même chambre que moi et nous étions devenus inséparables.
Nous nous réjouissions comme des enfants de pouvoir enfin voler sur le
front, de montrer notre savoir-faire, d’affronter le baptême du feu
ensemble et, qui sait, d’avoir la chance de remporter une victoire lors
de notre première sortie. Mais c’était trop demander au destin. Le
baptême du feu lui fut fatal et je pleurais longtemps mon ami disparu.
En l’air, c’était le danger
et le stress présents à tout moment. La peur aussi, cette peur qui vous
paralyse et qui fait de vous une proie facile pour l’adversaire, cette
peur qui vous fait perdre tous vos moyens et vous force à abandonner le
combat, à devenir lâche et dangereux pour vous et vos compagnons de
vol. C’est cette peur qu’il fallait transcender et changer, dès le
décollage, en confiance en soi pour pouvoir se défendre et sortir
vivant d’un combat aérien.
Citation se trouvant dans le carnet de vol.
« Le vol exige courage, détermination et endurance.
Gloire à la jeunesse allemande qui possède ces qualités. »
Fr. Christiansen, général d’aviation.
Le risque de mort subite, de
blessure ou de mutilation était bien réel à chaque sortie. Le pilote de
chasse est livré à lui-même et il ne peut compter sur personne pour le
secourir, dans son cockpit en flammes.
Pour survivre, il ne peut compter
que sur lui-même, sur sa bonne condition physique, sur ses réflexes,
sur ses capacités d’anticipation et d’attention permanente, sur son
sang-froid, et bien sûr aussi sur le facteur chance. Il doit posséder
une sorte de sixième sens qui le prévient du danger car l’ennemi peut
surgir de partout et nulle part.
Il va de soi qu’il doit encore être
un bon pilote, pas nécessairement un as de la voltige, et qu’il doit
savoir dompter les 1200 CV du Messerschmitt Bf 109 F. Son salut n’est
pas dans le ciel, mais bien sur la terre qu’il doit pouvoir regagner
coûte que coûte.
L’armement du Messerschmitt
comprenait deux canons de 20 mm et deux mitrailleuses de 7,19 mm. Nous
tirions des rafales de 100 coups avec des balles ordinaires et des
balles traçantes dans la proportion d’une balle traçante toutes les dix
balles. Grâce aux balles traçantes, nous pouvions facilement rectifier
le tir en vol, en agissant sur les commandes de l’avion.
Je me rappelle très bien d’une
victoire aérienne qui aurait pu mal se terminer pour moi. Lors d’une
sortie, nous étions tombés sur des Mig russes et j’avais pu me placer
dans le sillage d’un avion ennemi, en excellente position de tir. A une
centaine de mètres du Russe, j’ouvre le feu.
La rafale de balles traçantes lui
passe sous le nez. Je corrige alors le tir et la seconde rafale atteint
directement le fuselage avant qu’il ait pu esquisser le moindre
mouvement de fuite. Le Mig est en flammes et explose littéralement,
projetant des débris métalliques et humains sur mon appareil. Je sens
une violente secousse et me doute bien de ce qui s’est passé. Mon avion
est certainement endommagé. Mais les commandes répondent bien et le
moteur continue de tourner. Ce n’est qu’au retour à la base que je peux
constater les dégâts à une aile et à l’empennage horizontal. J’avais eu
de la chance et le Messerschmitt était solide.
Notre but à tous était d’abord de
défendre chèrement notre peau, de survivre dans ce carrousel de folie
qu’était un ciel de combat aérien, rapide et tourbillonnant.
Après cela venait seulement la
chasse aux victoires, mais l’un et l’autre étaient intimement
imbriqués. Tout le monde aspirait à devenir un as de la chasse, ein
Jägerass ou plutôt ein Expert.
Dans le monde de la chasse aérienne
allemande, on devenait un expert avec plus de 10 victoires homologuées
et après avoir fait ses preuves dans le combat aérien. Un système de
cotation avait été mis en place pour chaque avion ennemi abattu,
selon les difficultés rencontrées : ½ point pour un bimoteur déjà
touché, 1 point pour un monomoteur, 1 point pour avoir touché un
bimoteur ou pour avoir détruit un bombardier quadrimoteur, 2 points
pour avoir abattu un bimoteur ou touché un bombardier et 3 points pour
avoir abattu un bombardier.
Cette règle ne pouvait pas
s’appliquer sur le front de l’est, car nous n’avions pas affaire à des
bombardiers, mais seulement à des chasseurs russes, des Polikarpov, des
Lavochkin, des Mig, mais surtout des Yak.
Le soir, dans les chambrées, les
discussions allaient bon train, pour savoir qui avait obtenu une
victoire aérienne et surtout pour revendiquer un avion ennemi abattu
(ein Abschuss).
Cela créait parfois des tensions
entre nous car le score des victoires était une chose sérieuse et
surtout une bonne émulation pour le groupe.
Ce score figurait sur l’empennage
vertical du Messerschmitt sous forme de barres et il était parfaitement
visible pour tous les membres de l’escadrille.
En soi, il ne voulait pas dire
grand-chose parce qu’il dépendait de plusieurs facteurs : la chance, la
situation militaire d’un endroit, les qualités de l’avion et celles du
pilote, les performances de l’adversaire…
Si les victoires étaient faciles à
engranger au début du conflit, sur le front de l’ouest en 40, tout
comme sur le front de l’est en 42, elles devenaient de plus en plus
difficiles et rares ensuite pour la bonne raison que l’armée de l’air
russe avait fait d’énormes progrès dans la formation des pilotes et
dans le matériel.
Les décorations étaient largement
distribuées dans la Luftwaffe. Outre les décorations de base comme la
Croix de Fer de 1ère et 2 ième classe (EK 1 et EK 2), il y avait la
Croix de Chevalier de la Croix de Fer (Ritterkreuz des Eisernen
Kreuzes), qu’on obtenait pour 75 victoires, les feuilles de chêne et
les glaives (Eichenlaub und Schwerter) après 200 victoires et les
diamants (Brillanten) pour plus de 250 victoires.
Ce barème d’attribution des
décorations n’était que théorique, Herrmann Graf a obtenu en
effet la croix de chevalier pour 45 victoires, les feuilles de
chêne pour 100 victoires et les diamants pour 172 victoires.
Herrmann Graf en uniforme d’aviateur avec ses décorations.
B. Croix de chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne.
C. Croix de chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne et glaives.
D. Croix de chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne, glaives et diamants.
E. Croix de fer de 1ère classe, qu’on portait directement sur l’uniforme, sans ruban.
F. Croix de fer de 2ième classe, dont on ne portait que le ruban sur l’uniforme.
Les plus fanatiques portaient leurs
décorations même sur leur combinaison de vol. Pour ma part, j’arborais
sur ma tenue de sortie, l’insigne du brevet de vol à voile
(Luftfahrerschein) et la médaille en bronze du NSDAP obtenue à 16 ans.
J’avais aussi obtenu la croix de
fer de 2ième et de 1ère classe (EK2 et EK1) et la croix de chevalier de
la croix de fer (Ritterkreuz des eisernen Kreuzes). Cette décoration
qui est à placer au 3° rang des décorations militaires, après l’EK2 et
l’EK1, m’avait été remise personnellement par le Feldmarschall Goering,
lors d’une visite éclair à notre base au cours de l'année 44, et
cela pour mes victoires aériennes homologuées.
Ce jour-là, nous formions tous,
pilotes et personnel au sol, une haie d’honneur pour accueillir cet
hôte illustre. Le gros monsieur nous salua en brandissant son bâton de
maréchal et nous encouragea à continuer de nous battre pour le Führer
et la patrie.
Deux autres camarades eurent le
même honneur que moi ce jour-là. Mais la remise de cette décoration
prestigieuse suscita des jalousies dans notre escadrille, non au niveau
de mes copains pilotes, mais plutôt au niveau du capitaine commandant
la Staffel. Il aurait aussi mérité cette distinction, c’est sûr, et il
ne pouvait admettre que des jeunes, des blancs-becs, l’aient avant lui.
De plus nous étions sortis d’une
école d’officiers alors que lui avait débuté la guerre comme
sous-officier. A partir de ce moment, il nous prit en grippe et essaya
de nous nuire par tous les moyens.
Je devins ironiquement pour
lui le Français, « der Franzose ». Il nous confia désormais des
missions dangereuses, nous reprocha des refus d’obéissance, nous menaça
plusieurs fois de cour martiale et refusa de nos homologuer quelques
victoires.
De plus, il nous interdit de
continuer de voler sur le Messerschmitt ME Bf 109 F et nous rétrograda
sur le modèle E aux performances moindres (moteur de 1200 CV contre
1350 pour le modèle F).
Nous étions désormais largement
désavantagés par un manque de puissance évident, manifeste dans les
virages serrés. D’autant plus que les appareils russes, les tout
nouveaux MIG-7 se montraient largement supérieurs, question puissance.
Il était clair que notre chef
faisait tout son possible pour nous perdre. D’ailleurs mes deux copains
laissèrent rapidement leur vie dans des combats inégaux, après
seulement deux mois de service au front.
Pour ma part, j’ai aussi souffert
de cette injustice, en étant abattu par deux fois par un adversaire aux
commandes d’un avion plus performant.
La première fois où j’ai été
touché, c’était une erreur d’attention, un manque d’expérience, car mon
avion avait été pris sous le feu d’un Mig russe venant de face et que
je n’avais pas repéré. Ma machine, sérieusement touchée, s’était mise à
« brouter ».
Loin de paniquer, j’ai tout de
suite réagi comme il fallait dans ce cas, c’est-à-dire en réduisant les
gaz. Le Messerschmitt s’est alors mis à perdre de l’altitude, mais les
commandes répondaient bien. Mon adversaire n’avait pas jugé utile de me
poursuivre car il me croyait en perdition. J’ai réussi tant bien que
mal à regagner au ralenti ma base et…l’infirmerie (die Heilstube) pour
une coupure de 5 cm de long au-dessus du front. Le lendemain, exempté
de service à cause d’un bandage au crâne, j’ai dû assister avec
tristesse à l’envol de mes camarades et… donner un coup de main en
cuisine. Cette petite blessure était un Streifschuss et non un
Heimatschuss qui m’aurait éloigné du front.
La seconde fois, j’ai réussi à
poser mon avion endommagé dans cet espace du terrain compris entre les
deux lignes de front et qu’on appelle le nomands’land. J’avais été
touché à 3000 m d’altitude et mon avion avait rapidement perdu de
la hauteur, sans que je puisse le redresser.
En fin de compte, à 800 m du sol,
je réussis à mettre le Messerschmitt en palier et à trouver un
endroit à peu près dégagé et plat pour me poser. Je ne perdis pas de
temps à m’extraire du cockpit, car mon avion était devenu une cible
facile pour l’infanterie russe et je m’aplatis au sol. Nos fantassins
n’étaient heureusement pas loin et je pus ramper dans leur direction
pour me mettre en sûreté. La rafale de mitrailleuse que j’entendis plus
tard du côté russe était certainement destinée à mon engin. Mais moi,
j’étais encore une fois sain et sauf.
La troisième fois, par manque de
chance, j’ai été atteint par des éclats d’obus de notre propre défense
antiaérienne, la Flak. Là aussi, mon brave Messerschmitt ne subit pas
trop de dégâts et je réussis à le ramener dans nos lignes.
Mon quatrième accident, qui eut
lieu le 3 juillet 44, fut le plus spectaculaire, mais encore une fois,
sans dommages pour moi. C’était en fin de journée et nous avions eu
affaire à des adversaires coriaces. Mon avion avait été sérieusement
touché au niveau du moteur et des flammes s’échappaient du capot. Il
m’était impossible de continuer de voler et d’essayer de ramener le
Messerschmitt à la base ou de tenter un atterrissage de fortune.
Le temps me manquait et la
vitesse ne faisait qu’attiser les flammes. Le moteur continuait
cependant de tourner, mais pour combien de temps encore ? Les commandes
réagissaient correctement, mais une explosion du moteur était à
redouter et signifierait l’anéantissement complet de l’avion et une
mort certaine pour moi.
Il ne me restait qu’une solution :
abandonner l’avion en vol et sauter en parachute. Le siège éjectable
n’existait pas encore et il me fallait mettre l’avion sur le dos,
ouvrir la verrière du cockpit et me laisser tomber, la tête la première.
Même si le contact avec le sol fut
un peu rude, mon parachute m’avait sauvé la vie. Je me dirigeai alors
vers nos lignes, vers le soleil couchant, car j’avais remarqué que le
ciel était un peu plus clair de ce côté-là. Au bout de quelques km,
j’eus la chance de tomber sur une colonne de fantassins qui me
remontèrent le moral au moyen d’une bonne rasade de wodka.
Ils me confièrent à une unité de
blindés et c’est là que je pus passer la nuit. Dès le matin, ils me
ramenèrent à la base où je fus accueilli avec soulagement, mais aussi,
comme c’était toujours le cas en pareille circonstance, sous les
moqueries (affectueuses) de mes camarades.
Le principal était que le «
revenant » soit sain et sauf. Personne n’était jamais à l’abri d’un
accident et même les meilleurs ont été un jour abattus par la chasse
ennemie et sont rentrés « sans monture » au cantonnement.
Au sujet des médailles, voici une
petite anecdote que je ne peux m’empêcher de raconter : lors d’une
permission exceptionnelle que j’avais obtenue au printemps 44, j’avais
rendu visite à ma famille de Turckheim. J’avais bien sûr mis mon
uniforme d’aviateur et j’arborais fièrement mes décorations…pour épater
la galerie.
Ma grand-mère ne semblait pas
apprécier ce tape-à-l’œil et elle me le fit vertement remarquer en me
disant : « Schämst du dich nicht ? » (Tu n’as pas honte ?)
A partir de ce jour, je décidai de
ne plus porter aussi ostensiblement mes décorations. D’ailleurs, le
lendemain, je l’accompagnai à la messe en vêtements civils, prêtés par
mon oncle boulanger et qui étaient beaucoup trop larges pour moi. Je
flottais littéralement dans ce costume improvisé, mais grand-mère était
contente.
Parfois des opérations de
représailles étaient organisées pour se venger des Russes. Nous devions
nous porter volontaires pour ces opérations spéciales qui consistaient
à aller mitrailler des villages en arrière du front.
Selon l’idéologie nazie, les Russes
étaient des sous-hommes (Untermenschen) et il ne fallait pas avoir de
scrupule à les exterminer, même si c’était des femmes et des enfants.
Comme tous mes camarades, j’ai participé à l’une ou l’autre de ces
opérations et je m’en veux encore aujourd’hui. Pourquoi l’ai-je fait ?
Parce que c’était bien vu de la part des chefs de se porter volontaire.
Tout simplement.
Les 6 machines de notre escadrille
piquaient à tour de rôle sur les hameaux russes en tirant quelques
salves de mitrailleuses ou de canon. La population affolée courait en
tous sens pour échapper aux tirs. Pour ma part, pendant que je
plongeais, je cherchais toujours une zone déserte ou loin des maisons
pour ne pas faire de victimes. Aujourd’hui encore, je revois les
scènes d’horreur et les cadavres dispersés autour des maisons, mais en
toute âme et conscience, je peux assurer que je n’ai jamais touché une
seule personne civile.
Nous étions certes tous très
motivés pour combattre les Russes. Nous accomplissions tout simplement
notre devoir de soldat. La perte d’un camarade ou le bombardement de
notre base par des obus incendiaires attisait notre soif de vengeance
et parfois expliquait à nos yeux nos excès.
Comme dans toute armée, il y avait
les optimistes, ceux qui croyaient dur comme fer en la victoire finale,
en la grandeur du Reich et en leur Führer.
Et puis il y avait les pessimistes,
qu’on pouvait aussi appeler les défaitistes ou encore les pacifistes
qui espéraient une fin rapide des combats.
Tous, nous étions là pour la
réalisation d’un rêve de jeunesse, celui de voler. Au début de mon
activité au front, je goûtais pleinement au plaisir de voler, malgré
les dangers et la mort qu’il fallait affronter journellement.
J’étais devenu un brave petit soldat, discipliné, assidu, euphorique, inconscient.
Mais un soldat qui sème la mort et
la destruction. Emporté par le tourbillon de la guerre, par l’engrenage
de la vengeance, j’étais devenu, comme mes camarades, sans en prendre
conscience, un robot de guerre.
Je participais à la course aux
victoires et aux médailles, à la compétition pour la gloire, non sur un
stade, comme il y a encore peu de temps, mais dans l’arène sanglante
des gladiateurs modernes.
J’étais devenu vaniteux,
orgueilleux, avide de succès. Bref, tout le contraire de ce que mes
parents et mes éducateurs du collège m’avaient inculqué. Je n’osais
même plus leur écrire à la maison et mes parents pensaient que j’étais
toujours à l’Ecole de l’Armée de l’Air.
Mais, peu à peu, je devenais
réaliste et je prenais pleinement conscience de ce qui se passait
vraiment. Certains évènements m’aidèrent à prendre de plus en plus de
distance vis-à-vis de la Luftwaffe : le mitraillage de civils, les
pilotes russes sautant en parachute et accueillis par des tirs
allemands, les conséquences de ma décoration par Goering, la
détérioration du climat à la base, les alertes incessantes, le refus de
permissions, la supériorité grandissante de l’aviation russe, le recul
ininterrompu du front, les pertes toujours plus lourdes…
Lentement, mais sûrement, je
glissais de l’enthousiasme au découragement, du triomphalisme au
défaitisme, de la soumission à la révolte.
J’étais désormais souvent en prise
avec ma conscience et je me posais sans cesse la question de ma
présence au front et du rôle que j’y jouais. De plus en plus, les
remords m’assaillaient et je commençai à chercher une porte de sortie
honorable.
Les conditions de vie devenaient de
plus en plus difficiles au début de 44 et une lassitude
généralisée commença à nous gagner.
Nous savions que la guerre était
perdue, à moins que les V1 et V2 promis (les armes de représailles,
Vergeltungswaffen) n’inversent le cours des évènements. Mais les
espoirs de victoire s’amenuisaient de mois en mois, surtout après les
débarquements alliés en Italie, puis en Normandie.
Nous devions reculer sans cesse.
Les équipes de démontage et de remontage des installations et des
pistes, appelées die schwarze Männer, les hommes noirs, à cause de leur
tenue, avaient fort à faire pour déplacer notre base toutes les 3
semaines vers l’arrière.
J’étais de plus en plus démoralisé
par cette guerre que le Führer avait prévue victorieuse et par les
promesses non tenues de notre grand chef, le Feldmarschall Goering.
J’ai toujours eu la passion de
l’écriture et pendant mes moments de loisirs à la base, je couchais sur
papier les évènements de ma vie d’aviateur, avec les sentiments et les
réflexions qui s’y rattachaient. Je tenais tout simplement un journal
intime dont personne, pensais-je, n’était au courant dans la chambrée.
Le petit carnet qui était devenu
mon confident pendant l’année 43 et le début de 44, avait sa place dans
une des poches de ma combinaison de vol et je le surveillais comme la
prunelle de mes yeux. Il contenait certaines pensées sur le régime nazi
qui pouvaient me valoir des ennuis, s’il était découvert et je ne
tenais absolument pas à ce qu’il fût découvert par un camarade et
encore moins par le capitaine.
Et ce qui ne devait pas arriver se produisit un jour de juillet 44.
Le capitaine tomba sur le fameux
carnet et je ne peux pas dire dans quelles circonstances. Il aurait pu
me convoquer dans son bureau, me faire la morale et puis étouffer
l’affaire. Cela m’aurait valu un avertissement et j’aurais été calmé.
Au contraire, il tenait là sa
vengeance et pouvait éliminer définitivement de son groupe « un
élément peu sûr, coupable, par ses écrits subversifs, de saboter le
moral de la troupe. »
Aussi câbla-t-il à l’Etat-Major une
plainte pour désobéissance grave et propos antinationalistes. J’étais
au courant de tout cela grâce à un copain de la base, qui était affecté
aux transmissions, et ainsi je pouvais réagir, prendre les devants
avant qu’il n’ait été trop tard.
Je ne me faisais pas d’illusions :
mon arrestation était imminente et je serais traduit devant un tribunal
militaire, j’écoperais au mieux d’une peine d’emprisonnement, et comble
du malheur, je ne pourrais plus voler.
Ma décision fut vite prise : à la
première occasion, et dès le lendemain, je déserterai. Il m’était
facile de le faire, personne encore ne me surveillait à la base et je
n’étais pas interdit de vol.
Avec mon avion, je pourrais
facilement fausser compagnie à mes camarades, il suffirait de faire
semblant d’avoir un problème technique et de quitter le groupe. Je
pourrais me diriger vers l’Union Soviétique et me rendre aux Russes.
Mais cela ne m’enchantait guère car les Russes avaient mauvaise
réputation et on racontait qu’ils n’aimaient pas s’encombrer de
prisonniers de guerre. Dans le meilleur des cas, je moisirais dans un
de leurs sinistres camps.
Le plus simple serait encore de me diriger vers l’ouest, vers mon Alsace natale et les miens.
Le seul problème de ma future
fuite serait le niveau de remplissage du réservoir et donc la
distance que je pourrais parcourir sans escale. Il y avait quand-même
quelques 1700 km jusqu’en France.
Lors de nos sorties aériennes, nous
n’emportions jamais le volume maximal d’essence dans le réservoir, pour
une question évidente de poids et donc de vitesse. Les mécanos avaient
la consigne de ne remplir le réservoir qu’aux trois quarts et cela
était sensé suffire pour un vol de 400 km ou pour une heure de combat
aérien. Il me faudrait donc, sur le chemin de mon évasion, effectuer
plusieurs escales de ravitaillement, théoriquement 4. J’avais repéré,
sur ma carte, quelques terrains susceptibles de m’être utiles.
La fuite.
C’est ainsi que le matin du 20
juillet 44, lors d’une sortie aérienne, je faussai compagnie à
mes camarades du Jagdgeschwader 52, et me dirigeai vers l’ouest, en
survolant la Pologne.
Pour le moment, ma fugue se
déroulait comme prévue. J’étais parti sur la pointe des pieds, sans me
faire remarquer et je volais, solitaire pour une fois, vers la liberté,
pensé-je, dans l’immensité d’un ciel serein, sans avions ennemis prêts
à foncer sur moi pour m’abattre.
Mon état d’esprit oscillait entre
la satisfaction d’avoir joué un bon tour au capitaine, entre l’euphorie
de la victoire et cependant la crainte que mon absence ne fût
découverte trop tôt et que mon voyage ne s’arrêtât précipitamment.
Et puis il y avait de nombreux
impondérables qui pouvaient faire échouer mon entreprise : une panne
sèche, un incident mécanique, une météo défavorable, une mauvaise
rencontre en route, que sais-je encore ?
La première escale forcée se
déroula sans incident, car c’était encore dans mon secteur du front. La
tour de contrôle posa les questions d’usage : identité de l’avion, base
d’envol, destination, intitulé de l’ordre de mission et cause de
l’escale. J’avais réponse à tout, m’efforçant d’être le plus cohérent
possible dans mes mensonges. Le mécano de la piste obéit aux consignes
et ne remplit pas entièrement le réservoir. Tout se passait bien pour
le moment.
Un second ravitaillement se passa
encore sans histoire, mais les difficultés pour expliquer mon vol
allaient désormais augmenter car j’étais sorti de mon secteur et je ne
pourrai plus expliquer ma présence si loin du front.
Le troisième ravitaillement, à
l’ouest de Prague, en Tchécoslovaquie, s’annonçait sous de bonnes
augures également. Pendant le vol d’approche du terrain de Plzen,
j’avais imaginé et préparé tout un scénario plausible, pour expliquer
mon atterrissage : il me fallait simuler une panne sèche ou un incident
mécanique, allumer les feux de détresse, rester sourd aux injonctions
et aux sommations de la tour de contrôle, faire « brouter » le moteur,
me mettre en palier et atterrir en bout de piste, à hauteur des pompes,
pour être prêt à décoller rapidement, dès le plein de carburant.
Tout se passa encore une fois comme
imaginé. Je hurlais dans mon micro : « Jagdflugzeug verlangt Notlandung
» (avion de chasse demande atterrissage d’urgence) et le contrôleur me
répondit : « Landegasse frei » (piste libre).
Mais subitement je vis deux
Messerschmitt décoller en bout de piste, là où justement je voulais me
poser. En une seconde, j’avais tout compris : ma désertion était
découverte, elle avait été signalée à la base et un comité de réception
était là pour m’encadrer et me forcer à atterrir.
Ma première réaction à chaud fut de
prendre les Messerschmitt en chasse et d’essayer de les abattre, car
j’avais toujours mon plein de munitions.
Mais cette idée folle fut vite abandonnée car j’étais réellement à court de carburant et devais me poser de toute urgence.
J’aurais peut-être mieux fait de me
poser ailleurs, sur un pré ou une autoroute et de continuer à pied ou
par un autre moyen. C’était trop tard maintenant, j’avais fait l’énorme
bêtise de me jeter dans la gueule du loup. Je n’avais pas beaucoup de
solutions pour me sortir du pétrin.
J’attendis donc sereinement en bout
de piste, dans mon cockpit, la suite des évènements. Il était inutile
de fuir à pied, la base était entourée d’un haut grillage.
Pour faire bonne figure et
impressionner ceux qui n’allaient pas tarder à se présenter,
j’accrochai ma croix de chevalier sur le dessus de ma combinaison de
vol. Bientôt un Panier-Wagen se présenta et un adjudant en descendit.
Il me salua poliment et me demanda
de l’accompagner pour me présenter au commandant de la base. Ce dernier
me demanda de lui remettre mon pistolet Mauser et m’expliqua que
l’Etat-Major lui avait demandé d’intercepter en vol, sinon à terre,
tout avion non autorisé à voler dans le secteur.
« Herr Fähnrich, Sie sind auf der
Flucht von Ihrer Einheit. Das Oberkommando der Luftwaffe hat mich
beauftragt, Sie zu verhaften. (Mon lieutenant, vous avez fui
votre unité. Le commandement supérieur de l’aviation m’a ordonné de
vous arrêter.)»
J’étais bel et bien en état d’arrestation.
Je fis semblant d’être surpris, et
pour ne pas avoir à m’expliquer sur les vraies raisons de ma présence
aussi loin de ma base, je préférai rester quasiment muet.
Ce soir-là, je pus manger au
réfectoire de la base. J’étais encore en semi-liberté, accompagné dans
tous mes déplacements par un soldat armé, avec interdiction de quitter
le bâtiment.
Le lendemain 21 juillet, je fus
pris en charge par une escorte spéciale et transféré par avion à
Dresde. Ce fut mon dernier vol en Messerschmitt, non plus comme
pilote, mais comme passager, non plus sur le ME 109, mais sur le ME
110. De là je fus conduit à la prison militaire de Dresde-Klotsche,
située dans la Mathildenstrasse (Wehrmachthaftanstalt).
La prison.
Les choses se présentaient
désormais mal pour moi. Ma tentative de désertion avait tourné court,
non pas tellement par ma faute, mais par un enchaînement de
circonstances défavorables.
Il fallait maintenant penser à me
tirer de ce mauvais pas. Jusqu’à présent, tout ou presque m’avait
réussi. Malgré les dangers affrontés aux commandes de mon avion,
j’avais toujours pu garder la vie sauve et me tirer de situations
dramatiques. Je continuais, dans ma cellule de prison, à croire en ma
bonne étoile.
J’avais tout loisir désormais de
préparer ma défense. Je réfléchissais à tout ce qui pouvait jouer en ma
faveur : mon passage remarquable et remarqué aux Jeunesses
Hitlériennes, l’obtention des brevets de vol à voile, l’admission à
l’Ecole des Officiers de Réserve, ma conduite exemplaire au front, mes
décorations…
J’essayais de faire la liste des
membres de ma famille qui étaient impliqués dans la vie politique
locale alsacienne, sans pour autant être des nazis fanatiques ou même
des sympathisants du régime : un cousin de ma mère Ortsgruppenleiter,
responsable d’une partie de la ville de Mulhouse, un autre
Gewerckschaftsleiter, responsable syndical, mon père Blockführer,
responsable d’immeuble, puis Zellenleiter, responsable de quartier.
Je n’oubliai pas des relations de
ma famille, par exemple, Jakob Bauer, officier général de la Sécurité
territoriale du Haut-Rhin.
Je tentais de trouver une
explication plausible pour ma désertion : l’éloignement de ma famille,
le mal du pays, le peu de permissions accordées, le climat délétère à
la base, les agissements du capitaine …
Je pensais que cela pouvait jouer en ma faveur.
Dès le 27 août 44, je pus écrire à
mes parents et leur expliquer la situation. Ma lettre, qui fut expédiée
le 2 septembre, a dû les bouleverser et leur redonner non pas
l’espoir de me revoir bientôt, mais la certitude que j’étais toujours
en vie.
Billet sur lequel mon père recopia mon adresse.
En effet, l’Orstgruppenleiter de
Mulhouse et cousin de ma mère, Edouard Maeder avait porté à la
connaissance de celle-ci la nouvelle que j’étais porté disparu depuis
le 3 juillet 43, date de mon quatrième accident aérien.
Ma mère, toute paniquée, avait déjà fait lire plusieurs messes, avec le ferme espoir de me retrouver vivant.
Le séjour en prison militaire ne
fut pas trop dur pour moi. Bien sûr, je souffrais de la privation de la
liberté, mais c’était un moindre mal par rapport au séjour au front.
J’étais en excellente condition physique et les privations subies
étaient facilement supportables. Les gardes n’étaient pas du tout
sadiques et essayaient de nous réconforter par tous les moyens. Le
dimanche était un jour spécial et très attendu car on nous distribuait
un cigare, et c’était le seul luxe que nous nous permettions dans nos
cellules.
Comme compagnon de cellule, outre
les punaises qui abondaient dans ces lieux humides, j’avais Paul
Klahre, chef d’orchestre à la radio de Dresde, né en 1903, et donc
beaucoup plus âgé que moi. Il était pour moi comme un père, nous
nous soutenions mutuellement dans ces moments difficiles et essayions
de tenir le coup, car nous savions que la défaite militaire allemande
ne saurait tarder.
Paul était commandant (Major) dans
la Wehrmacht et il avait tenu des propos antinazis. Cela lui avait valu
la prison. Il m’écrivit après la guerre, en 1947, pour s’enquérir de ma
situation, car il n’avait plus eu de nouvelles de moi depuis les
évènements de février 45 dont je parlerai plus loin. Je n’ai pas pu le
revoir après 45 à cause de la frontière qui séparait la RFA de la
RDA, mais je lui envoyais souvent des colis de provisions car les
Allemands de l’Est manquaient de tout.
Traduction de la lettre.
Mon cher ami et compagnon de
souffrances
Luci
Dresde, le 7.06.47
Aujourd’hui j’avais en mains ta
photo avec ta mère ainsi que ta lettre écrite d’Oschatz et adressée à
mon épouse et je dois immédiatement te demander si tu es encore en vie.
Tu seras étonné, après un temps
aussi long et tous ces évènements, que j’aie pensé à toi. Oui, très
souvent, je pense à la satanée cellule aux punaises de la prison, dans
laquelle nous nous efforcions mutuellement de nous apporter de l’espoir
et de nous réconforter.
Mais nous, tous les deux, nous
avons gagné, pas vrai, Luci ? De la prison Mathilde, il ne reste que
les quatre murs. Le sous-officier Moustache et Shimutze ont été tués
par des prisonniers lors de l’attaque (ndlr le bombardement de Dresde,
voir plus loin).
Beaucoup ont pu sauver leur vie, mais beaucoup plus aussi y ont laissé la leur.
Ici, dans ma région, il n’y a pas
de destructions dues à l’attaque et nous avons été épargnés par
ailleurs, mais Dresde n’est plus que ruines.
Cher Luci, si ma lettre vous arrive
bien, à toi et à tes chers parents, et vous trouve en bonne santé, s’il
te plaît, écris-moi immédiatement pour me donner de tes nouvelles
depuis que nous nous sommes séparés dans la cellule de la prison.
Je n’ai plus jamais revu le «
Stinkfisch ». Mon plus beau souhait est que cette lettre t’arrive à toi
et à tes chers parents, Luci, et ce sera tout pour aujourd’hui.
Si jamais je recevais un signe de toi ou de tes chers parents, je me réjouirais beaucoup et je répondrais aussitôt.
Je préfèrerais être à tes côtés, Luci, car il n’y a pas beaucoup à manger ici. Je ne pèse plus que 100 livres (ndlr 50 kg).
Je t’adresse ci-joint ma photo. Les meilleures salutations de ton Paul Klahre et de son épouse.
Un bonjour à
tes
parents.
Guss-Muths. Str 27
Comme tout accusé, j’eus droit à un avocat, dans lequel je plaçais beaucoup d’espoir.
Le 30 août, maître Lommatzsch,
avocat civil, notaire et conseiller juridique de Dresde,
s’adressa à mes parents, car j’étais toujours mineur, et leur
réclama une provision de 200 Reichsmarks pour pouvoir me défendre. Je
ne sais pas comment ils accueillirent cette demande, en tout cas, ils
firent le nécessaire pour payer et tenter de sauver leur fils.
Lorsque mon avocat apprit que
l’affaire allait être jugée à Oschatz et non à Dresde, il réclama
encore 200 RM, pour frais supplémentaires.
Il put se procurer mon
dossier militaire et, sur ma demande, des certificats de bonne conduite
ou bonne moralité auprès de mes anciens instructeurs de la HJ et du vol
à voile.
Nous pensions tous les deux pouvoir
marquer des points. Mais l’issue du procès demeurait quand même
incertaine, surtout dans la situation actuelle de débâcle de l’armée
allemande.
Les tribunaux militaires se
montraient sévères et n’hésitaient pas à condamner à la peine capitale
les déserteurs ou simplement ceux qui désobéissaient aux ordres. Comme
d’habitude, pour faire des exemples.
Je comparus le 21 novembre 1944
devant le tribunal militaire, non à Dresde, comme initialement prévu,
mais à l’Ecole de l’Armée de l’Air d’Oschatz (Feldgericht der
Luftkriegs- und Unteroffizierschule ).
Les deux chefs d’accusation étaient
l’absence non autorisée de mon unité (unerlaubte Entfernung der Truppe)
et la démoralisation des combattants (Zersetzung der Wehrkraft).
Devant la gravité de ces chefs
d’accusation qui pouvaient me valoir la peine capitale, mon avocat me
présenta comme la victime d’un conflit personnel m’opposant au
capitaine de l’escadrille, avec toutes les conséquences qui en
découlaient (missions dangereuses, suppression des permissions,
chicaneries de toutes sortes, etc.)
Selon lui, j’aurais ainsi été
poussé à la faute. Il mit en avant mon dévouement et ma fidélité à la
cause nationale-socialiste, mes brillants états de service dans les
Jeunesses Hitlériennes et le vol à voile, ma combativité et mon courage
au sein de mon unité, mes victoires aériennes et mes décorations, que
sais-je encore ?
Il put présenter au tribunal les témoignages élogieux de mes supérieurs tant de la HJ que des Ecoles de formation des pilotes.
Traduction.
Monsieur Colombé,
Au nom de votre fils, l’aviateur L. Colombé et avec sa procuration, j’ai l’honneur de vous faire part de ce qui suit :
Votre fils est actuellement interné
à la prison militaire de la Wehrmacht à Dresde. De là il m’a demandé de
le défendre. J’ai eu sa procuration.
Votre fils m’a donné votre adresse avec la demande de s’adresser à vous pour le règlement des honoraires.
Pour le moment, vu que je ne
connais pas encore les chefs d’accusation, je ne peux avoir une vue
d’ensemble de ce que sera mon activité. Dans des affaires comme
celle-là devant le tribunal militaire, j’ai trouvé appropriés des
honoraires s’élevant à 200 RM. Il se peut aussi que des honoraires de
150 RM seulement entrent en ligne de compte, selon la cause à plaider.
J’ai l’honneur de vous demander de
bien vouloir me virer, si possible, une somme de 200 RM sur un des
comptes mentionnés en tête de la présente lettre.
Heil Hitler !
Pour lui, j’avais craqué à un moment de ma carrière de pilote et il convenait plutôt de me guérir que de me condamner.
Les juges reportèrent le verdict et demandèrent une expertise psychiatrique.
Nous pensions, mon avocat et moi, avoir gagné la première manche, mais le plus dur restait encore à faire.
Peu après, je pus quitter la
cellule froide et sombre de la Mathildenstrasse pour une chambre plus
accueillante à la section psychiatrique de l’hôpital militaire de
Halle-Dölau (Nervenabteilung des Luftwaffenlazaretts).
Je devais y passer des tests de personnalité, pour établir clairement mon degré de responsabilité dans cette affaire.
Lorsque le médecin psychiatre me
convoqua dans son bureau, j’aperçus mon dossier sur une table, ainsi
que le petit carnet qui était la cause de tout ce bazar. S’il
disparaissait, il n’y aurait plus de preuve de trahison et la suite du
procès se déroulerait tout autrement.
Le lendemain, je réussis à
subtiliser le carnet au nez et à la barbe du personnel médical, en
m’introduisant dans le bureau du médecin.
Il faut dire que le régime de
l’hôpital n’avait rien de carcéral, nous pouvions nous déplacer
librement dans le bâtiment des lits, sans pour autant avoir
l’autorisation de sortir dans la cour.
Le petit carnet finit en morceaux dans les toilettes de l’hôpital.
Dans sa seconde session, le
tribunal ne put plus que retenir le premier chef d’accusation, à savoir l'absence non autorisée de mon unité, et il me
condamna à une peine d’emprisonnement de 8 ans avec sursis, avec
maintien dans une unité combattante.
J’étais grandement soulagé : les
efforts de mon avocat n’avaient pas été vains et j’avais su forcer le
destin en détruisant le carnet. J’étais donc pratiquement libre et je
pourrai revoler dans une autre unité. Dans l’attente de la
régularisation de ma situation et de la désignation d’une nouvelle
affectation, je fus maintenu en prison, plus pour très longtemps,
pensais-je.
L’évasion.
Un nouvel évènement allait, encore
une fois, bouleverser ma vie et ce fut le bombardement, par les
Alliés, de Dresde, qui eut lieu du 13 au 15 février 1945 et qui
fit plus de 300 000 morts, détruisant presque entièrement la ville.
Lors de l’alerte, nos gardiens nous
rassemblèrent pour nous conduire dans un abri anti-aérien proche de la
prison. Puisque je languissais en détention alors que je devais déjà
être libéré, je décidai de profiter de ces circonstances
exceptionnelles pour encore une fois forcer le destin. Au cours de ce
déplacement exécuté à la hâte et dans l’affolement général, je réussis
à m’échapper encore une fois, mais à pied cette fois ou plutôt à la
course.
Mon premier souci fut de remplacer
ma tenue de grosse toile de prisonnier par un habit plus convenable et
surtout moins voyant. Dans la ville en feu, au milieu des immeubles
détruits dont les restes encombraient les rues et dans les fumées âcres
des incendies, dans le chaos général, j’avançais sous de grandes
arcades restées intactes et qui bordaient une rue commerçante. Je
m’abritais sous les piliers massifs qui soutenaient les arcades et me
cachais pour passer le plus inaperçu possible.
A ce moment arriva un grand
gaillard vêtu d’un uniforme d‘aviateur. Dans mon état de bête traquée,
je ne réfléchis pas longtemps et sautai sur l’inconnu dans l’espoir de
pouvoir récupérer son uniforme. Mes coups de poings répétés finirent
par l’assommer. Ce n’était pas mon genre d’attaquer un adversaire par
surprise, par traîtrise. J’ai toujours combattu loyalement sur un ring
de boxe. Mais cette fois, il en allait tout autrement : il fallait
sauver ma peau et c’était une question de vie ou de mort. Tant pis pour
la victime.
Les vêtements sous le bras, je
courus à l’autre bout de la galerie pour me retransformer en soldat.
J’étais devenu un soldat en permission en train de rejoindre son
domicile parental, mais un soldat sans papiers, sans autorisation de
permission, un fugitif toujours sur le qui-vive, à la merci de tout
contrôle policier, qui vivait dans l’angoisse, avec en plus la faim au
ventre et dans la froideur de l’hiver.
J’errais pendant 2 jours dans les
ruines de la ville. Les voies de communication étaient pratiquement
toutes détruites par les bombardements. Il me fallait absolument
quitter Dresde car je voulais fuir cette Allemagne en déroute et
cette guerre perdue. Mais la gare centrale était détruite, ainsi que la
gare de l’ouest. Il ne me restait plus que la gare du sud,
partiellement épargnée par les bombes.
Je pus monter clandestinement dans
un train qui partait pour Munich. Mon espoir était de pouvoir prendre à
Munich une correspondance pour Augsbourg et ensuite Strasbourg.
A Munich je décidai de faire du
stop sur des routes secondaires car je ne voulais pas poursuivre mon
évasion dans le train : c’était devenu trop risqué, avec la présence
continuelle de policiers et de voyageurs qui vous dévisageaient. Je
risquais à tout moment de me faire démasquer et de devoir retourner en
prison.
Je souffrais du froid en ce mois de
février, mais aussi du manque de sommeil et de la faim. Pouvoir dormir
quelques heures dans une gare de triage ou dans la caisse d’un camion,
pouvoir manger quelques feuilles de choux dérobées dans un jardin,
étaient mes seuls désirs.
Mon errance d’une dizaine de jours
m’amena à traverser le col du Brenner et bientôt je me retrouvais dans
la plaine du Po, en Italie du nord. Ce n’était pas du tout ma
destination prévue au départ de Dresde. Tout ce qui me restait à faire
maintenant, à défaut de pouvoir rejoindre la cité Saint Thérèse
d’Ensisheim et le domicile parental, était de me rapprocher le plus du
front et de me rendre aux Alliés. Ainsi serai-je en sécurité après ces
rocambolesques aventures qui m’avaient dégoûté de la guerre et du
régime nazi.
Les conducteurs de voiture ou de
camion militaires qui s’arrêtaient pour m’emmener ne me posaient pas
trop de questions et je leur expliquais chaque fois que j’allais
rejoindre mon unité à Vérone.
J’appris par l’un des chauffeurs
militaires qu’il existait un camp de rassemblement (ein Sammellager)
dans les environs et je décidai de m’y rendre, pour voir. Mais il n’y
avait que des fantassins, des paras, pas d’aviateurs. Cela ne me
convenait pas.
Pendant que je discutais avec
un officier et lui demandais des renseignements, un simple soldat de la
Wehrmacht m’accosta et me lança : « Entschuldigung, Herr Fähnrich, sind
Sie nicht Elsässer ? » (Pardon, mon lieutenant, n’êtes-vous pas
Alsacien ?)
Il se présenta et nous fîmes
connaissance mutuellement, dans un climat de franche camaraderie. Il
s’agissait de Robert Brandhuber, originaire de Hitzfelden, à quelques
km d’Ensisheim. Je n’étais désormais plus seul, après tout ce que
j’avais enduré. Je n’en croyais pas mes yeux. Il avait découvert mon
origine, rien qu’en suivant de loin et d’une oreille discrète, mais
attentive, ma conversation. Comme quoi il est parfois bon que les murs
aient des oreilles.
Mon compatriote Robert Brandhuber.
La résistance italienne.
Voilà que le pur hasard me faisait
rencontrer, dans le nord de l’Italie, plus précisément dans la plaine
du Po, un compatriote Malgré-Nous. Comme moi, il n’avait plus trop
envie de se battre pour une cause désormais perdue et il ne pensait
qu’à se mettre à l’abri. Pas question donc de rejoindre la gare avec
les autres locataires du camp de rassemblement qui allaient être
dirigés vers je ne sais où pour reformer un nouveau régiment.
Robert semblait bien
connaître la région et il me proposa un plan d’évasion : à la première
occasion, il faudra fausser compagnie à nos accompagnateurs et entrer
dans la clandestinité. Il me dit qu’il connaissait quelqu’un qui
pourrait nous cacher pour quelques jours. Lors de la traversée d’un
village, nous n’eûmes aucun mal, tous deux, à nous faufiler dans une
grange où nous attendait… la petite amie de Robert. Il avait bien fait
les choses!
Robert m’apprit alors
que le frère de sa copine était membre d’un groupe de partisans
qui menait des actions de harcèlement contre les Allemands, à une
quarantaine de km de là, à Valeggio. Il me proposa de me présenter à ce
groupe de résistants.
Le frère vint encore le soir même
nous rendre visite et il me fit bonne impression. Je ne comprenais pas
un mot d’italien, mais Robert fit tant bien que mal l’interprète.
Il nous expliqua la suite des
évènements pour le lendemain : « Domani viendra un camarade avec due
bicyclete pour aller voir le grand chef là-bas, à multi kilometre. »
Nous étions rassurés. La petite amie de Robert appartenait à une
famille de sympathisants du maréchal Badoglio, qui avait signé un
armistice avec les Alliés en 1943 et déclaré la guerre contre
l’Allemagne.
Ce soir-là, je dormis en sécurité,
dans la grange, sur un lit de paille, bien plus confortable que ma
couche de la prison ou les bancs des quais de gare. Mais j’étais
loin de me douter que j’avais mis le doigt dans un engrenage qui allait
me proposer de nouvelles aventures.
Nous nous mîmes en route le lendemain soir, juste avant la tombée de la nuit, toujours en uniforme allemand.
Après une vingtaine de km parcourus
sur un chemin de halage, loin de toute circulation, notre guide, Otello
Ranieri, me conduisit jusqu’à une ferme isolée pour y passer la nuit.
Notre voyage continua le lendemain soir jusqu’ au village de Quaderni,
où Enzo (Fiorenzo) Olivieri, le chef local des partisans me reçut, en
présence d’Aldo (Adalberto) Baldi, appelé il Francese, parce qu’il
avait passé une partie de sa jeunesse en France.
Aldo Baldi et Enzo Olivieri.
Aldo parlait parfaitement le
français et nous n’eûmes aucun mal à nous comprendre. Pour s’assurer de
mes origines, il me fit lire quelques extraits d’un dictionnaire
français. Il me questionna ensuite sur mon parcours militaire et je dus
lui expliquer les particularités de la situation de l’Alsace et de la
Moselle.
Il comprit immédiatement tout le
profit que la Resistenza pouvait tirer de mon engagement, puisque je
maîtrisais parfaitement la langue allemande.
Les premiers contacts furent chaleureux, mais il me fallait encore faire mes preuves.
Immédiatement je fus désigné
pour participer à une action nocturne. Cette nuit-là, nous avons réussi
à ramener comme butin une mitraillette et un pistolet pris à un
détachement allemand tombé dans une embuscade. Mon rôle avait été
d’arrêter un véhicule allemand : je portais alors un uniforme de la
Wehrmacht et cela avait été facile.
J’avais ainsi fait mes preuves et gagné la confiance de mes coéquipiers et de mes supérieurs directs.
On m’accorda alors quelques jours
de repos pour pouvoir reprendre des forces après les efforts consentis
pendant la fuite depuis Dresde et aussi pour me mettre au courant de la
situation de la résistance locale et me donner des instructions pour la
suite des opérations.
Moi qui avais voulu rejoindre mon
village natal après une escapade sur le front russe, qui voulais
arrêter toute activité militaire, j’étais rattrapé par mes vieux
démons, par mon besoin d’action et mon caractère de battant.
Mais cette fois, j’étais dans le
camp des combattants de la liberté et non plus dans celui des
fascistes. Ma nouvelle guerre ne serait plus une guerre de conquêtes,
mais un combat pour la liberté. Ce serait aussi une guerre du
rachat après mes années de cautionnement plus ou moins conscient du
régime nazi et mon engagement dans l'aviation nazie.
Ma situation personnelle était
cependant pleine de risques : le risque d’être fait prisonnier par les
Allemands et de ne plus pouvoir bénéficier de circonstances atténuantes
cette fois, le risque d’être condamné pour haute trahison et d’être
passé par les armes, le risque de blessure et de mort aussi…
Je ne me posais pas trop de questions et comme d’habitude, je fonçai tête baissée dans l’arène.
Il existait dans cette partie de
l’Italie deux brigades de résistants, la brigade Anita Garibaldi et la
brigade Italia. Cette dernière, qui comprenait à peu près 300
résistants et qui était sous les ordres d’Enzo Olivieri était ma
brigade. Je ne connaissais pas personnellement tous les membres de la
formation par leur nom et la barrière de la langue m’empêchait de
communiquer avec eux de façon approfondie. Je n’avais de contact
qu’avec un groupe restreint de partisans, ceux avec lesquels je
travaillais.
Les deux brigades, entièrement
autonomes, étaient regroupées dans la division Luigi Fava, commandée
par Aldo Baldi qui appartenait au Comité de Libération Nationale.
Dans chaque brigade il y avait plusieurs bataillons et on m’avait
incorporé dans le bataillon « Alsazia », ainsi nommé en mon honneur et
dont j’étais le seul Alsacien bien sûr.
Mon nom de guerre était « Pantera
nera », la panthère noire, car je portais le plus souvent un uniforme
noir de SS récupéré sur des Allemands. Le surnom m’allait assez bien
car j’étais toujours prêt à bondir sur mes proies, en utilisant la
plupart du temps la surprise.
Contrairement aux unités de
partisans qui opéraient dans la montagne toute proche, mes copains
italiens de la plaine menaient une vie normale : ils n’avaient pas
quitté leur maison, leur famille, leur travail.
Pour moi, sans famille présente et
sans activité professionnelle, c’était différent. Ne parlant pas
italien, je ne pouvais pas me permettre de mener une vie au grand jour,
mais je devais me cacher et passer inaperçu pendant la journée. C’est
pourquoi je me terrais au domicile d’Enzo, à Quaderni et ne devenais
actif que la nuit. Mais le sommeil était difficile à trouver pendant la
journée, car je vivais dans l’angoisse d’une perquisition toujours
possible. Une dénonciation était toujours à craindre, la population
n’étant pas totalement acquise aux partisans.
Dans ma cache, j’avais une hôtesse
attentionnée en la personne de Gina, la sœur d’Enzo. Elle s’occupait de
l’intendance et faisait fonction d’agent de liaison.
Aldo devint rapidement mon ami. Quant à Robert Brandhuber, il ne s’investit pas autant que moi dans la
résistance car il était surtout occupé par sa petite amie.
J’avais aussi gagné la sympathie de
mon chef direct, Enzo, et il n’hésita pas à me confier, au début, le
commandement du groupe d’action nocturne, avec le grade de sergent,
puis plus tard, le commandement du bataillon, avec le grade de
sous-lieutenant.
J’étais très fier de la confiance accordée par les partisans et je faisais tout pour continuer de la mériter.
Aldo en pantalon golf et moi.
Photo prise en juin 45 à Milan.
Je porte un uniforme anglais.
Notre brigade de partisans opérait
dans la région au sud de Vérone, à Quaderni di Villafranca, à Valeggio
sul Mincio, Sommacampagna, et dans les communes voisines de Mantoue, à
Roverbello, Goito, Monzambano et Ponti sul Mincio.
Notre action consistait à harceler
les Allemands et à créer un climat d’insécurité dans l’attente de la
libération du territoire par les Alliés. Nous avions pour objectif
principal d’attaquer les convois militaires qui circulaient sur les
grands axes de communication, en direction du Nord, en bloquant les
deux derniers ou le dernier véhicule de la file et de faire main basse
sur tout le matériel militaire possible : des armes, des munitions, des
uniformes, de la nourriture, des moyens de transport (camions,
voitures, motos).
Pour nous, c’était assez facile,
car les véhicules militaires allemands avaient l’habitude de rouler en
convoi, en laissant un espace important entre eux, à cause de la peur
d’attaques aériennes.
Nous laissions toujours la vie
sauve aux soldats dépouillés car nous ne voulions pas risquer les
représailles sur la population civile.
Le butin récupéré sur les Allemands
était aussitôt caché dans des granges isolées ou sous des tas de bois
qui changeaient mystérieusement de place toutes les nuits. Plus tard le
matériel était distribué aux partisans de la brigade ou aux unités qui
opéraient dans la montagne.
Pour arrêter les convois, nous
portions des uniformes allemands, les habits noirs des SS, récupérés
sur des prisonniers et c’est moi qui menais l’équipe.
Je dois dire que l’uniforme à tête de mort m’allait assez bien, bien que je n’eusse pas la mentalité qui allait avec.
Plusieurs fois nous étions à deux
doigts de nous faire démasquer, car les Allemands recherchaient dans la
région ce déserteur qui leur donnait du fil à retordre.
J’étais toujours désigné, à cause
de ma pratique de l’allemand, pour les coups de main où il
fallait arrêter un véhicule ou neutraliser en douceur une sentinelle.
Une nuit, près de Castiglione, nous
étions une dizaine, revêtus d’uniformes allemands, à devoir arrêter une
colonne de camions, sous prétexte d’un contrôle. J’étais bien sûr le
seul à parler la langue de Goethe.
Le dernier camion de la colonne fut
stoppé pour un motif quelconque et le sous-officier chef de bord, qui
aurait pu être mon père, me dit d’être sur mes gardes, car il y avait
un partisan dans la région revêtu de l’uniforme SS et qui s’en prenait
aux convois. Je lui répondis que je n’avais pas peur de ce déserteur,
car justement, ce déserteur, c’était moi.
A ce moment, mes compagnons
passèrent à l’attaque et tous les occupants du camion furent rapidement
délestés de leur uniforme, de leurs armes et du camion.
Les « patriotes » de Valeggio posent sur un gros camion allemand,
prise de guerre. Je suis le troisième à partir de la droite
et je porte un bandage à la main gauche, suite à une blessure par balle.
Une autre fois, nous décidâmes de
faire une virée jusqu’à l’aérodrome militaire de Villafranca. Mon
copain Zelino Marconi avait signalé la présence de 3 ou 4 Chasseurs
Messerschmitt et un coup de main aurait été possible. Je serais,
avait-il rajouté, l’homme idéal pour voler un appareil pendant qu’on
saboterait les autres. Notre grand chef, Aldo Baldi, n’était pas très
chaud pour cette opération, mais Enzo et Zelino le persuadèrent
de céder.
Il va de soi que j’étais le premier
à applaudir à cette décision car je pourrais reprendre les commandes du
fameux ME 109 que je n’avais plus piloté depuis plus de 6 mois.
Nous étions 4 en tout, Aldo, Enzo, Baraka, tous de Valeggio, et moi. Le plan était simple : vérifier si
la clôture de la base n’était pas électrifiée, la cisailler et en avant
pour l’attaque ! Moi, je plonge dans le cockpit, 2 de mes compagnons
tournent la manivelle de démarrage pendant que le dernier nous couvre
avec son arme.
L’effet de surprise serait total,
j’aurais vite fait de décoller pendant que mes compagnons feraient
sauter les autres appareils et se replieraient.
Le jour commençait à poindre à
l’horizon et tout se passa bien jusqu’à une vingtaine de mètres des
appareils. Soudain des aboiements furieux se firent entendre et il ne
nous resta plus qu’à revenir rapidement sur nos pas et à nous évanouir dans la
nature.
Vexé par le lamentable échec subi à
cause de notre « amateurisme », je demandai à Aldo de me laisser entrer
seul dans la base, mais en plein jour et en uniforme d’officier et je
lui ramènerai un Messerschmitt. Il refusa catégoriquement que je me
jette dans la gueule du loup, car il y avait trop de risques pour moi.
J’aurais bien aimé y aller car la tentation du risque était pour moi
plus importante que le risque de l’échec.
Un soir, nous fîmes main basse,
Aldo et moi, sur un véhicule transportant…du matériel
cinématographique. Nous ne connaissions pas, bien sûr, au départ, le
chargement du camion, sinon nous ne l’aurions pas arrêté, car la
cargaison ne pouvait pas nous servir. Le camion, au contraire, pourrait
nous être utile.
Aldo voulut faire demi-tour et dans
la précipitation, embourba le camion. Il fallait désormais arrêter le
premier véhicule qui passerait pour nous tirer de cette situation
inconfortable et dangereuse.
Une colonne hippomobile arriva la
première –c’était un attelage tractant une cuisine roulante- et je
demandai de l’aide. Mais les chevaux ne purent rien faire pour nous
tirer de là.
Arriva ensuite une voiture avec
deux officiers allemands à bord, elle s’arrêta à notre hauteur et
les militaires s’enquirent de la situation. Je leur expliquai le topo
et ils partirent en promettant de nous envoyer des renforts.
Passa enfin un convoi de camions
tractant des canons anti- aériens. Avec de grands gestes, je réussis à
faire arrêter le dernier véhicule. Pour eux, ce fut un travail d’enfant
de nous sortir de là. Pour les remercier, je leur demandai gentiment,
sous la menace de nos armes, de nous laisser les leurs, ainsi que leur
véhicule. Ils ne purent qu’obéir et rentrèrent à pied.
Nous avions récupéré, avec beaucoup de chance, un beau butin ce soir-là. Mais le canon anti-aérien
ne nous fut pas d'une grande utilité, car le ciel italien était, à
cette période, heureusement vide de tout avion allemand, et c'était tant mieux.
Nous étions pratiquement toutes les
nuits en action sur le terrain, car les mouvements des troupes
allemandes en retraite étaient de plus en plus fréquents, à mesure que
le front se rapprochait.
Les Alliés n’étaient plus très loin
et vers la fin avril, nous pouvions de plus en plus nous montrer en
plein jour, sans craindre une réaction allemande. Comme signe de
reconnaissance, nous portions désormais tous un brassard blanc.
Le 25 avril, eut lieu l’insurrection générale de toute la région.
Les dernières troupes allemandes
refluaient vers le nord devant l’avance des Alliés et les partisans les
harcelaient de toutes parts.
Un dernier combat opposa, à
Monzambano, sur le Mont Casale, les partisans de la division
Avesani à une unité de SS qui se repliait. Dans l’après-midi, notre
brigade fut appelée en renfort et je fus légèrement blessé par un petit
éclat d’obus à la jambe.
La bataille se solda le soir par la reddition des Allemands, mais nous avions eu 11 tués.
L’arrivée des Américains à Valeggio
fut fêtée dans l’allégresse générale et partout s’organisèrent
spontanément des réunions de partisans et de sympathisants, où l’on
dansait et trinquait à la liberté retrouvée.
Notre brigade de partisans était
mise, pour le moment, au chômage et nous attendions, pour voir, la
suite des évènements et la fin de la guerre.
Un groupe de partisans avec Aldo.
J’avais désormais le plus souvent
quartier libre et j’en profitais pour savourer quelques jours de
détente. Je résolus de me rendre à moto (une moto, butin de guerre,
bien sûr) à Milan, pour rendre visite à une famille de Valeggio qui
m’avait hébergé un certain temps auparavant et qui avait déménagé. Sur
la route, je fus victime d’un accident de la circulation, car je
roulais, comme à mon habitude, comme un fou.
Je me retrouvais avec une commotion cérébrale, à l’hôpital de Milan tenu par les Américains.
On me raconta plus tard qu’une
patrouille de GI m’avait ramassé sur la route et qu’on avait eu
beaucoup de mal à trouver mon identité. Il est vrai que j’avais
l’habitude de me déplacer sans aucun papier sur moi, c’était une mesure
élémentaire de prudence.
C’est là que j’appris, le 8 mai 1945, par mon infirmière, Nelly Carraro, que « la guerra e finita ».
Je pus bientôt quitter l’hôpital et retourner à Valeggio, où m’attendaient tous mes copains et surtout Aldo Baldi.
Le 10 mai, je reçus des mains du
général Humel le diplôme des partisans pour mon action au sein de la
résistance italienne et je fus même promu au grade de commandant
honoraire.
Je n’en avais pas demandé tant,
mais j’avais fait tout simplement mon devoir de combattant de la
liberté, contre un régime fasciste.
La victoire fut dignement fêtée et
les brigades de partisans dissoutes. Mais comme nous étions disponibles
et surtout expérimentés, on nous employa pendant tout l’été comme
auxiliaires de police.
La victoire alliée n’était pas du
goût de tout le monde, les fascistes manifestaient un peu partout et
essayaient de créer le désordre. Il fallait parfois rétablir l’ordre et
le plus souvent faire simplement acte de présence pour éviter les
velléités de manifestations.
Le retour.
Pendant cette période, j’essayai
d’entrer en contact avec mes parents qui étaient sans nouvelles de moi
depuis un bon moment déjà. Je leur adressai plusieurs lettres mais
aucune n’eut de réponse. Je ne savais pas ce qui se passait du côté de
Mulhouse.
Quand Robert Brandhuber rentra en
Alsace, je lui donnai une lettre pour qu’il la remette en mains propres
à mes parents. Il n’y eut toujours pas de réponse. C’était comme si mes
parents étaient décédés ou partis.
Mais j’avais l’intuition que leur
silence devait avoir une autre cause. Ils devaient avoir peu ou pas du
tout apprécié mes « exploits » dans la Luftwaffe et mon engagement du
côté des Allemands. J’étais le vilain petit canard noir, celui qui fait
honte à toute la famille.
Il fallait faire traîner les choses
et laisser la situation se décanter, avant de rentrer. J’étais comme
l’enfant prodigue qui décide de regagner le foyer parental, mais qui a
peur des remontrances.
Je ne pouvais pourtant rester
indéfiniment en Italie. Ici, j’étais sans famille, comme un étranger,
un expatrié, même si mes copains partisans auraient bien voulu que je
demeure dans cette région, ce qui n’était pas pour me déplaire.
J’étais devenu un héros pour mes
compagnons et je jouissais d’une renommée certaine. Je n’aurais eu
aucun mal pour trouver mon parti et faire souche de ce côté des Alpes.
Les jolies filles ne manquaient pas.
Mes racines étaient pourtant du
côté de l’Alsace et il fallait absolument que je rentre, car j’avais
des projets pour moi dans cette région.
Dans l’intervalle, la situation se
décanta et, au mois d’août, je dus rendre mes armes aux autorités
françaises de la Sécurité militaire de Milan. C’en était désormais fini
pour moi avec cette guerre.
Au mois d’octobre, je me résolus donc enfin à rentrer au pays.
Tous mes copains de classe d’Ensisheim devaient déjà être rentrés depuis longtemps et c’était probablement moi le dernier.
L’accueil de mes parents fut
effectivement assez froid et ils ne voulurent rien savoir. J’eus beau
leur expliquer mon revirement, ma condamnation et mon engagement «
expiatoire » dans la résistance italienne, ils ne cédèrent pas.
Pour eux, j’étais devenu la honte
de la famille, celui qu’on montre du doigt dans tout le village. Je
compris qu’on ne s’entendrait pas et que mon avenir n’était pas auprès
d’eux.
J’essayai de leur démontrer que mon
départ volontaire à l’armée n’avait eu pour but que de pouvoir choisir
l’arme et d’assouvir ma passion de voler. Je ne voulais absolument pas
subir l’incorporation, comme mes camarades qui furent tous versés dans
l’infanterie.
J’avais maintenant 19 ans et je devais reconstruire ma vie après les évènements tragiques de la guerre.
J’étais toujours intéressé par tout
ce qui vole et par les métiers techniques. L’ENSAM de Lille me permit
de passer mon diplôme d’ingénieur et de trouver un poste dans les Mines
de potasse d’Alsace, puis dans les Houillères de Lorraine.
J’aurais bien voulu faire carrière
dans l’Armée de l’Air Française, mais mon dossier fut écarté à cause de
mon engagement dans la Luftwaffe. La France ne voulait pas de pilote de
Messerschmitt et surtout pas de « Boche ».
J’aurai plus tard l’opportunité de
faire du parachutisme civil et de la boxe, mais je ne voulus plus
jamais piloter d’avion, à une exception près, lorsque je pus m’inscrire
à l’aéroclub de Dunkerque, lors d’un séjour professionnel dans le Nord.
J’ai toujours gardé des contacts
avec mes amis italiens. Beaucoup sont hélas déjà décédés. J’ai pu
revoir, il y a une vingtaine d’années, la région de mon action,
pendant un voyage en Italie et y rencontrer quelques–uns de mes
compagnons d’armes. Les retrouvailles furent chaleureuses et je fus
invité plusieurs fois à des fêtes patriotiques et à des commémorations
de la Victoire. Nous défilions, tous les anciens partisans, un foulard
vert autour du cou.
Je conserve précieusement les
photos de ces retrouvailles ainsi que les nombreuses lettres reçues
d’Italie et beaucoup de coupures de journaux qui parlent de ces faits
d’armes.
Mais le fait le plus émouvant a été
la reconnaissance officielle de mon action de partisan. En effet,
à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération de
Valeggio, la commune m’a décerné le diplôme de citoyen d’honneur. J’en
suis très fier, même si je n’ai jamais couru après les honneurs.
Aujourd’hui, au crépuscule de ma
vie, je passe le plus clair de mon temps dans mes souvenirs de jeunesse
et je rejoins mes rêves d’enfant qui voulait tutoyer les étoiles.
Entouré de livres sur mes héros et de maquettes d’avions, je me plais à
méditer sur le genre humain et les atrocités que l’homme peut commettre.
Je revois ma vie passée et mes
aventures rocambolesques et je me dis que j’ai eu beaucoup de chance.
L’épreuve de la guerre m’a radicalement transformé. De chasseur de Mig,
capable de tirer sur un ennemi, je suis devenu profondément
pacifiste et je ne peux désormais faire de mal à une mouche. Mais après
tout ce que j’ai vécu, j’ai perdu la foi en l’Homme, plus souvent
capable du pire que du meilleur. Et je préfère la compagnie des
animaux, eux au moins ne tuent pas pour leur plaisir.
Luc Colomb
Gallenmuhle, 57412 Achen.
Attestation établie avant mon retour en Alsace.
Mais elle comporte une erreur de date. Il faut lire du 20 février au 7 juin 1945.
Souvenirs mis en forme par Gérard Kuffler.
Février 2011
Luc est décédé le 27/04/2014.
PS. Le petit-fils de Gina Olivieri,
Ugolin Francini, a écrit un mémoire sur la résistance de la région de
Vérone, que l’on peut consulter sur le site www.argentoeno.it
Crédit photographique
Collection personnelle
www.argentoeno.it
www. luftarchiv.de
www.airliners.net
www.retroplane.net
www.econologie.com
www.twschwarzer.de
http:// de.academic.ru
http:// en.wikipedia.org
Autres documents.
Deuxième et quatrième page (avec la signature d’Enzo Olivieri, le commandant de la brigade Italia)
de l’original du rapport de mes activités dans la Résistance Italienne.
Le souvenir des activités de Luc au sein
de la Résistance Italienne de la région de Vérone est encore très
vivace. La preuve en est apportée par des articles parus après son
décès, dans des journaux locaux.