Kalhausen à l'heure américaine

Kalhausen à l'heure américaine

Les inscriptions de l'école.

Parmi les écritures et graffitis relevés à l'école, certaines sont plus parlantes que d'autres mais toutes d'un grand intérêt. Il y a des noms d'unités, des dates, des commentaires à chaud, des dessins humoristiques qui nous renseignent sur l'état d'esprit à ce moment. Une trentaine de GI (soldats américains) ont inscrit leurs noms de famille. Nous espérons entrer en contact avec des survivants ou leurs proches. Le temps passe. Un certain nombre d'inscriptions ont disparu, effacées par le temps ou des travaux de rénovation.
Pour remettre le tout dans son contexte, évoquons quelques unités américaines avec lesquelles les villageois ont été plus ou moins en contact. Les difficultés linguistiques -les libérateurs se croyant parfois en Allemagne et ayant des comportements de vainqueur- n'ont pas facilité les choses. Passés les premiers temps, les choses s'améliorèrent.

Kalhausen, village du pays de Bitche, situé dans un vallon adjacent au ruisseau d'Achen n'a aucune valeur stratégique. C'est ainsi que le 6 décembre 1944, les troupes US pénètrent dans le village sans combattre. Les Allemands se sont retirés vers la ligne Maginot proche. La libération se passe sans heurts, mais non sans drames. Nous y reviendrons.

La mémoire collective a retenu que nos libérateurs étaient des Strèfling (bagnards) libérés des prisons pour se battre. Est-ce vrai ? Non ! Mais qui étaient-ils ?
Nous savons que c'est un bataillon du 104e Régiment d'Infanterie de la 26e Division d'Infanterie qui est entré au village. Ils se sont battus à Sarre Union du 1er au 3 décembre où ils ont été opposés à une vive résistance allemande. Les combats ont été rudes, 85 tués du côté américain. Le temps est exécrable, pluie, boue, froid. La division avait rejoint la 3e armée du général Patton dans le secteur de Vic sur Seille en Lorraine la première semaine d'Octobre. Peu après ils sont confrontés à des Allemands coriaces, expérimentés ; eux sont des green (bleus dans le jargon militaire). Un chiffre qui en dit long : 3000 hommes hors de combat (tués, blessés, disparus) dans la division jusque début décembre. La proximité de la ligne Maginot, obstacle suivant sur leur route, les rend très méfiants (peur des tireurs embusqués, des espions). La majeure partie de la population est regroupée dans 2 granges du village. Les maisons sont fouillées sans ménagement. Des amateurs de souvenirs sévissent. Il semblerait que le 104e régiment ait des problèmes de discipline. Les officiers ont du mal à contrôler certaines de leurs troupes. La 26e Division est exténuée, à bout de forces. L'unité sera relevée après la prise des blockhaus du secteur Wittring-Achen.

Néanmoins les villageois sont fascinés par ces soldats qui se déplacent sans bruit avec leurs chaussures à semelle de caoutchouc, mâchant leur chewing-gum. Ils sont ébahis par la profusion de matériel. Autre sujet de curiosité, des tankistes noirs sont aperçus. C'est le 761th tank battalion, unité ayant une destinée singulière : c'est le premier bataillon de blindés presque exclusivement composé de noirs. Rappelons qu'à cette époque l'armée US était ségrégationniste. Très vite, ils sont affublés d'un surnom, on les appelle les "Hoké" à cause de leur manie de ponctuer chaque phrase d'un okay.

La 26e Division aussi appelée Yankee Division est issue de la Garde Nationale (unité de réserve) formée le 16 janvier 1941. L'entrainement a eu lieu aux Etats-Unis dans différents camps. En septembre 1944 ils ont foulé le sol européen sur les plages de Normandie, les ports étant détruits. Ce fut la première grande unité venue directement des USA sans transiter par la Grande-Bretagne. Les opérations en Lorraine "consomment" les hommes. L'engagement en première ligne se fait sans expérience de combat. Leur itinéraire passe par Moyenvic, Moncourt, Château Salins, Bénestroff, puis la Sarre est atteinte. Après avoir percé la ligne Maginot au Haut Poirier, le 101e et le 104e régiment sont relevés le 10-11 décembre par la 87e division d'infanterie. Leur dernière unité qui quitte notre région est le 328e régiment dont le 2e bataillon a libéré Weidesheim le 6 décembre. Ainsi s'achève la mission de la Yankee Division en Lorraine. Les Kalhousiens n'ont pas eu le temps de faire connaissance avec ces Américains. Si tel avait été le cas, parions que le souvenir dans la mémoire collective eut été différent.

D'autres militaires s'installent à Kalhausen, il s'agit d'éléments de la 87e division d'infanterie surnommée Golden Ahorn (gland de chêne doré) surtout formée de jeunes soldats de la classe d'âge 18-19 ans. Leur poste de commandement est à Oermingen où le général Patton vient les saluer le 10 décembre, puis est transféré à Achen. Ces troupes fraîches viennent d'Angleterre où les premiers éléments ont embarqué le 23 novembre. La division est au complet le 14 décembre, elle est engagée sur les positions de la 26e à Obergailbach, Rimling, puis pénètre en territoire allemand. Les combats sont âpres. Le 347e régiment de la 87e Division a 68 tués dans le secteur d'Obergailbach et le double de blessés. Beaucoup souffrent du trench foot, les pieds sont gelés à cause d' une trop longue présence dans les foxholes (trous individuels) : ils ne pouvaient les sécher.

Le 16 décembre, coup de théâtre, le maréchal Von Rundstedt lance l'opération Wacht am Rhein, c'est la bataille des Ardennes qui commence. Les Américains sont bousculés, des troupes doivent être acheminées en renfort. Les soldats de la 87e Division abandonnent amèrement les positions chèrement conquises. Un "no mans land" se forme. La 3e armée du général Patton dont fait partie la Golden Ahorn se replie et se dirige vers la Belgique.

Les Kalhousiens surpris voient passer d'interminables convois de véhicules, une certaine inquiétude s'installe. Le 24 décembre au soir, des réfugiés de Bliesbruck, Woelfling... sont accueillis au village. Dès le 20-21 décembre, la 44e Division qui assure la relève de la 87e était arrivée dans le secteur. Le quartier général divisionnaire est établi à Herbitzheim. L'école de Kalhausen est à nouveau investie. Un groupe de cuisiniers s'y installe. Les rapports avec les villageois sont cordiaux.
On se rend service : lavage de linge pour du sucre, du café, denrées rares à cette époque.
Joseph Pefferkorn découvre les premières inscriptions dans l'appartement de l'instituteur vers le 25 décembre 1944.

A la Saint Sylvestre, new years eve pour les américains, les évènements se précipitent. La 17e Panzergrenadier Division Goetz Von Berlichingen perce les lignes américaines tenues par le 71e régiment d'infanterie US dans le secteur de Rimling. C'est l'opération Nordwind qui débute. La situation est très confuse. Au matin du 3 janvier 1945, les Allemands poussent jusqu'à Achen. Des unités du 2e régiment de marche du Tchad de la 2e DB de Leclerc arrivent à la rescousse. En arrivant à Kalhausen, ils constatent qu'il n'y a plus d'Américains. Le 5 janvier, la situation est stabilisée. Il semble que les premiers GI soient revenus le 6 janvier. Les "Leclerc" s'installent au village jusqu'au 18 janvier et laissent leurs marques à l'école.

Les inscriptions datées sont le plus souvent faites en janvier sans doute par les GI de la 44e Division en repos. Du point de vue chronologique le 30 janvier est la dernière date relevée.
La 44e Division reprend l'offensive dans le secteur de Rimling le 15 mars 1945.

Espérons que ces écritures ressorties de l'oubli raviveront la mémoire de certains acteurs de ces évènements. Pour Kalhausen, ces dessins et quelques mots font partie du patrimoine du village. Faisons tout pour les préserver.



Sources et bibliographie :
COLE (Hugh M.), The Lorraine Campaign, Center of Military History, Washington, 1997.
History of the 26th Infantry Division, The Infantry Journal, Washington, 1947.
Stalwart and Strong. The story of the 87th Infantry Division, Stars and Stripes, 1944-1945.
History of the 328th Infantry Regiment, By members.
ANDERSON (Trezzvant W.), The Epic Tale of the 761st Tank Battalion 1942-1945, Salzburg, Austria, 1945.
FONDE (J. Julien), Avec la 2e DB du Maroc à Berchtesgaden. J'ai vu une meute de loups, Fernand Nathan, 1969.
MORAN (John T.), Northern France.
NARA. (National Archives and Records Administration).