la_sorcellerie

La sorcellerie, de Hèxerèi

Sorciers et revenants, Hèxe ùnn Gèèschder




La sorcellerie a toujours été présente dans nos villages. Il suffisait qu’une personne tombe malade, qu’un bébé meure, qu’une grange brûle ou qu’une vache fasse un mauvais vêlage pour que la communauté villageoise désigne plus ou moins ouvertement un coupable que son comportement ou sa marginalité avait rendu suspect : un berger (qui vit à l’écart), une vieille femme, un marginal…


Si on faisait la chasse aux sorcières autrefois et si on les condamnait au bûcher, il n’était plus question aux 19° et 20° siècles de les poursuivre et de les condamner. Le prêtre, au nom de la religion catholique, estimait que la sorcellerie était une superstition païenne et essayait de la combattre.

Les habitants de nos villages avaient des idées bien arrêtées sur les sorcières et s’imaginaient souvent naïvement certaines choses que la raison et l’esprit cartésien ne peuvent aujourd’hui plus cautionner.





 

Qu’est-ce que la sorcellerie ?

C’est "la croyance selon laquelle le malheur inexpliqué est dû à l’intention maléfique d’individus dotés de pouvoirs surnaturels" , selon le professeur Fabrice Clément de l’université de Neuchâtel, en Suisse.

Quant au sorcier, c’est une personne qui peut "soumettre à son pouvoir les objets de toute nature, les végétaux, les minéraux" , complète Dominique Camus dans son livre Enquête sur les sorciers et jeteurs de sorts en France aujourd’hui.

Les sorcières sont en général des femmes, assez laides, qui ont plus de connaissances que les autres, sont plus promptes à la réflexion et dans l’action, des femmes capables, "wù äbbes kìnne". Elles ont le regard mauvais, les cheveux roux, une voix claire, un palais blanc (de Goome), des jarretelles rouges. On les reconnaît à l’église, quand elles tournent le dos au curé pendant la bénédiction finale de la messe.
                            




On n’a pas le droit de parler de sorcières en présence du curé. Il sait très bien qu’elles existent et elles lui donnent assez de travail. Il n’a pas le droit d’y croire, mais il peut les nommer. Il ne veut pas que l’on parle d’elles. Son opinion, c’est qu’il n’existe pas de sorcières, mais seulement des personnes qui font du mal. Ès gìtt kènn Hèxe, ès gìtt nùmme béése Litt.

A la prière "Orate fratres" de la messe, elles essaient de se faire remarquer par le prêtre. C’est pour cela qu’il se retourne aussi rapidement et ne regarde pas dans l’assemblée.

Quand un enfant de chœur regarde pendant la grand-messe sous son bras gauche vers la nef de l’église, il voit les sorcières portant un baquet renversé sur la tête. Celui qui regarde à travers un œuf pondu le Jeudi-Saint reconnaît les sorcières dans l’église : elles portent un morceau de pelouse sur la tête, à la place de leur bonnet. L’œuf doit cependant être brisé avant la sortie de la sorcière.

On peut encore apercevoir une sorcière à travers le trou pratiqué dans le nœud d’une planche du cercueil d’une femme décédée en couches.

Celui qui est agenouillé pendant la messe de minuit sur un tabouret de bois neuf peut reconnaître une sorcière pendant l’élévation.

Le juif, marchand de bestiaux, "de Judd", et la bohémienne, "de Hèèd", ont un pouvoir identique à celui des sorcières, un pouvoir maléfique sur les hommes et les bêtes. On ne prophétise rien de bon aux paysans, chez lesquels un juif entre et sort beaucoup.

      




Les personnes qui ne croient pas aux sorcières et qui ne peuvent tenir leur langue ne doivent pas être instruites de sorcellerie, car on craint la réaction de la sorcière, quand elle est mise au courant.


La vengeance des sorcières qui entendent des racontars à leur sujet s’exerce toujours par un dommage causé aux bêtes et aux hommes ou par une maladie provoquée.

Si on dit ce proverbe avant de parler : De Déiwel soll der Hèx e Block ìns Ohr schlòòn.( Le diable doit mettre un bouchon dans l’oreille de la sorcière.) les sorcières, même les plus fines oreilles, ne peuvent rien entendre.


C’est après le décès d’une sorcière que les langues se délient et que l’on se met à raconter les méfaits de la sorcière, et seulement si elle n’a plus de famille au village. On ne veut pas traumatiser la parenté ni créer de discorde dans le village.

Seules les sorcières ont conclu un pacte avec le diable, pas leurs parents. L’art d’ensorceler ne s’hérite pas. Mais on peut entendre des gens dire :
’s Jùng hàtt gràd so béése Aue ìm Kopp àß wie ’s Àld. (La jeune a autant le regard mauvais que la vieille.)

Outre la nuit des sorcières, la nuit de la Saint Jean (24 juin) et la nuit de Noël sont propices pour que les sorcières se transforment en chats, en araignées ou autres petites bêtes. On peut apprendre la sorcellerie, "de Hèxekùnscht", pendant la nuit sainte.

 


Celui qui veut apprendre à jeter des sorts, doit aller dans les champs le soir de Noël, pendant la messe de minuit, et couper une branche de noisetier. Il faut que ce soit une pousse d’un an. D’autres plantes servent encore aux sorciers : le sorbier, la rue, la véronique.
                 






Le rôle de la sorcière est de faire du mal aux autres. Si elle ne le fait pas, elle se fait du mal à elle-même ou à sa famille. Le paysan craint le pouvoir des sorcières, car elles peuvent agir sur la météo et détruire les récoltes.

Chaque sorcière a le pouvoir de se procurer, sans travailler, une petite somme d’argent chaque jour, environ 2 sous.

Les sorcières se servent de livres, "Hèxebììscher", qui n’auront de valeur que si elles arrivent à en glisser un sous la nappe d’autel et que le livre reste en place pendant la messe. Un de ces livres se nomme : le septième livre de Moïse. Si la sorcière arrive à cacher le livre pendant la messe de minuit, elle a alors beaucoup de pouvoirs. Le prêtre au début de la messe aplatit la nappe de l’autel pour contrôler s’il n’y a rien de caché dessous.
 



Quand on va dans les champs avant l’angelus du matin, il faut être sur ses gardes. Rencontrer un chat sur sa route ne signifie rien de bon alors.

Parfois une personne dort mal ou maigrit sans cause apparente. Un sort a été jeté sur elle par une sorcière. On trouve alors dans les oreillers des tortillons de plumes, des sortes d’agglomérats de duvet qui se présentent sous diverses formes. Le plus souvent, les plumes, jointes par le bec, s’ordonnancent intimement pour former de petites rosaces ou des spirales de la taille d’une soucoupe à thé. Les plumes créent aussi des formes de corps d’hommes sans tête ou d’oiseaux sans tête. Les plumes peuvent encore former des croix ou des parures d’indiens.



Hänsel, Gretel et la sorcière dans le conte des frères Grimm.

Dans certaines familles, on trouve un livre qui contient toutes les connaissances sur la sorcellerie, les sorcières, la magie et les remèdes pour guérir  les maladies des hommes et des bêtes ainsi que les tourments de l’amour.

Par exemple, pour qu’on ne puisse pas te voir : prends l’œil droit d’une chauve-souris, garde le sur toi et tu seras invisible. Pour qu’une fille soit amoureuse de toi : prends des plumes de la queue d’un coq et par trois fois presse-les dans sa main.

Ceux qui sont nés au jeûne des Quatre-Temps (Fronfààscht), peuvent voir les esprits et les sorcières.

Le lieu de rassemblement principal des sorcières de nos régions est le Bastberg, près de Bouxwiller, "de Bàschtbèèrsch". C’est là qu’elles ont leur piste de danse.

Il y a aussi des endroits moins importants de danse, les ronds de sorcières dans les prés, "Hèxekrèèse", où les sorcières se rassemblent la nuit pour danser et forniquer avec le diable.


Pour se rendre à leur sabbat, les sorcières sortent par les cheminées sur des balais. Pour ne pas se heurter dans les airs, elles doivent enduire leur corps d’une pommade ou d’un liquide particulier, "Hèxefètt", et prononcer cette phrase : Owwe enuss ùnn nìrjèns òn. (Sortie par le haut et jamais arrivée.)

Pour ne pas se prendre dans les haies et les broussailles, elles doivent dire : Ìsch géh iwwer Hégge ùnn Schduude.(Je vole au-dessus des haies et des arbustes.). Si elle se trompe et dit "à travers" à la place de "au-dessus", les haies et les arbustes lui causent des dommages.

 
                     





Il fallait que les sorcières soient de retour avant l’angelus du matin. Si une sorcière prend du retard dans les airs, elle tombe sur terre totalement nue. Dans tous les cas, une sorcière n’aime pas marcher sur la route, elle préfère cheminer ordinairement sur l’herbe.


Les reproches que l’on peut faire aux sorcières sont les suivants : fornication avec le diable, dégâts météorologiques, dommages aux bêtes, chevauchées nocturnes sur un balai en direction des lieux de rassemblement, absence de vénération du Saint Sacrement, danse pendant le carême, pose sur les balais d’un enduit fabriqué avec le cadavre des enfants non-baptisés, outrages envers la Vierge.


 

Wahrhaftige Zeitung von den Gottlosen Hexen.
(Journal véridique des sorcières païennes).


Comment se protège-t-on des sorcières ?

Quand une sorcière passe dans la rue, on jette quelques grains de sel bénit derrière elle, mais de façon à ce qu’elle ne remarque rien. Si on en rencontre une dans la rue, on regarde dans une autre direction. Si elle sort de la maison, on fait le signe de croix derrière elle. On met encore un grain de sel bénit dans le lait que l’on porte le soir, après l’angelus, aux clients.

Les sorcières ne peuvent se transformer que le soir et la nuit, entre l’ angelus du soir et celui du matin et se promener dans les airs. C’est pourquoi on ne laisse pas les enfants dans la rue après l’angelus du soir, on rentre des champs avec les bêtes avant cet angelus et on les mène à l’abreuvoir avant la tombée de la nuit.

Une voiture prêtée à une sorcière doit comporter une branche de buis bénit, mais fixée de telle manière que la sorcière ne remarque rien. On ne prêtera pas la voiture une seconde fois, car la sorcière risque de ressentir qu’il y a du buis.

On asperge d’eau bénite l’étable que le juif, marchand de bestiaux, vient de quitter. Pour préserver l’étable ou la maison des esprits malveillants, on y suspend le "bouclier chrétien" (dàs krìschtlische Schìld) : c’est un morceau de carton sur lequel on a dessiné 3 triangles imbriqués formant une étoile.

 


La bible des plantes pour sorcières.

Les bohémiennes doivent rester éloignées des enfants, car elles les ensorcellent facilement s’ils ne font pas leur volonté. Pour ne pas provoquer leur colère, on ne leur refuse rien, quand elles mendient.

Pour se protéger, il faut faire le signe de croix, dans leur dos, au moment de leur départ.
On n’a pas le droit de prêter, de donner quelque chose à manger  à une sorcière. Si on ne suit pas cette règle, la sorcière a pouvoir sur nous pour nous faire du mal. Au contraire, on n’a pas le droit de refuser quelque chose d’une sorcière, pour ne pas provoquer sa vengeance. C’est pourquoi l’on met secrètement un grain de sel bénit dans le lait que l’on vend à la sorcière ou dans l’eau que l’on prend à la fontaine pour elle.

Pour repousser les sorcières, il faut porter sa chemise ou son tablier à l’envers, "hìnnersisch-vorsisch". Pour piéger une sorcière, il suffit de poser un balai, le manche en bas, contre la porte de la pièce où elle se trouve. Elle ne pourra en ressortir que si on enlève le balai et si on le remet à l’endroit. Si on veut qu’une sorcière ne franchisse pas le seuil de la maison, on met le balai derrière la porte et on le recouvre d’une serpillière, "e Bùtzlùmbe", pour le cacher.

La veille de la nuit des sorcières (du 30 avril au 1er mai), "de Hèxenààcht", on asperge d’eau bénite les pièces de la maison, l’étable, la grange, chaque coin et chaque fente, chaque trou de serrure, pour que les sorcières n’entrent pas. Debout devant la maison, on jette de l’eau bénite vers les 4 points cardinaux.

On fixe un petit rameau de buis bénit le jour des Rameaux, "Pälmsùnndaa", à la croix de la chambre ou derrière la porte de la maison et de l’étable, cela aussi pour chasser les sorcières.

Parfois on plante un rameau de buis dans les champs, pour les protéger des sorcières qui pourraient y faire des dégâts. Pour protéger le bétail des jeteurs de sorts, on donne à manger quelques grains de sel bénit, le dimanche de la Trinité.

La cire du 2 février, fête de la Chandeleur, "Mariä Lìschtméss", et plus spécialement celle de la veillée pascale, sert à confectionner de petites croix que l’on fixe au-dessus des portes ou au plafond des chambres, destinées à protéger la maison des mauvais esprits.

Les branches d’arbres qui ornent les autels de la Fête-Dieu sont ramenées à la maison après la procession et fixées dans l’étable ou au pignon de la maison. Les fleurs et l’herbe éparpillées sur le parcours de la procession sont données à manger aux animaux.

Les médailles bénites de saint Benoît sont posées sur les poutres de l’étable ou fixées dans la mangeoire. Les chevaux malades portent une de ces médailles dans leur crinière, les hommes la portent à la bretelle le dimanche et à la ceinture les jours de semaine. On place encore un crucifix dans l’étable et dans l’écurie.

Quand des tortillons de plumes se retrouvent dans les oreillers, il faut les brûler et les remplacer par des oreillers garnis de mousse.
Quand il se passe des évènements extraordinaires, surnaturels dans une maison, il faut faire appel au curé, pour qu’il bénisse la demeure. Les choses rentreront alors dans l’ordre.

Quand on avait fait construire une maison et avant d’y emménager, on demandait au curé de venir bénir toutes les pièces de la nouvelle maison.

Le chef-sorcier, de Hèxemèèschder.


C’est lui qui commande aux sorcières. Là où la prière des religieux ne suffit pas, il peut tout. Il a le pouvoir de neutraliser la sorcière principale, celle qui commande aux autres sorcières, le pouvoir de forcer les sorcières à réparer en partie ou totalement le mal causé et de les punir.
Il a encore le pouvoir de décrire en détail les sorcières pour qu’on puisse se protéger d’elles et de dénoncer les auteurs de lettres anonymes et les voleurs.

En cas de disparition d’une personne, il a le don de montrer le visage du disparu dans un miroir, un baquet rempli d’eau ou une bouteille.

Ce chef-sorcier est souvent un guérisseur efficace, qui fait du bien aux hommes et aux bêtes, sans pour autant être considéré comme un sorcier. Il remet en place les os luxés, il guérit les entorses, arrête les hémorragies, guérit le muguet en disant une prière ou une formule qu’il ne révèle pas et qu’il a héritée de son père ou d’une autre personne.

Il distribue des remèdes homéopathiques qui sont mystérieux, mais efficaces. Èr hàtt ùns so è Hèxebùdèllele gìnn, mìt gòns klèène, wisse Kärle drìnùnn mìt puurem Wàsser, wù gàr nìt schmàckt ùnn wù ùff de Schdéll hèlft. (Il nous a donné une petite bouteille de sorcière, avec de petits grains blancs dedans et de l’eau pure, qui n’a pas d’odeur et qui est efficace sur le champ.)

Le rebouteux de Rahling, François Freyermuth, "de Ràhlìnger Mònn", appelé aussi "de Ràhlìnger Knocheflìcker",  a eu le don de guérir les foulures, les déboîtements, les fractures, les nerfs déplacés, car son arrière-arrière grand-père, au temps de la Révolution, avait réparé une croix trouvée abîmée au bord d’un chemin. Ce don s’était transmis de génération en génération.

A Kalhausen, vivait encore à la fin du 20° siècle, un de ces hommes, Joseph Muller, qui se disait maître des sorciers. Il était consulté en cas d’envoûtement et se faisait fort d’intervenir pour aider les personnes en détresse. Par ailleurs, il était également rebouteux et a rendu de ce côté de nombreux services même en dehors du village.

(Lien vers le texte "Les rebouteux")

On a aussi recours aux anabaptistes (Dääfer), propriétaires de fermes isolées ou fermiers, pour guérir les maux et les ensorcellements des animaux. Les bergers et les forgerons, qui sont en contact avec les bêtes, peuvent aussi être d’un grand secours et de bon conseil : les bergers, qui connaissent les plantes des champs et des prés et les forgerons qui connaissent les bestiaux qu’ils doivent ferrer.


Parfois, on fait un peu d’humour à propos des sorcières, quand on parle d’une personne qui a un lumbago, "e Hèxeschùss" (littéralement un coup de sorcière). Se léit ìm Bétt mìmme Hèxeschùss. De Schùss ìsch ewèck ùnn de Hèx ìsch geblìì. (Elle est clouée au lit par un lumbago. Le lumbago est reparti, mais la sorcière est restée.)

Maintenant une anecdote : une méchante vieille, à la réputation de sorcière, avait jeté un sort aux chevaux du voisin. L’une après l’autre, les deux bêtes périrent. Le paysan surveilla plusieurs nuits durant son écurie et remarqua un chat noir qui rôdait dans les parages. Il se saisit d’une fourche et frappa l’animal. Or, le lendemain, la vieille femme en question portait des traces de fourche sur le visage. Il n’y eut désormais plus de dégâts dans l’écurie.

Les esprits et les revenants, de Gèèschder

On craignait aussi les esprits et les revenants. Les formes sous lesquelles apparaissent les esprits sont diverses.

Les chevaliers, les moines sont vus comme des esprits car ils ont perçu les redevances des paysans. Les prêtres survolent la campagne pour rattraper les prières non dites du bréviaire, ils apparaissent à minuit dans l’église pour dire une messe oubliée.

Les assassins et les scélérats rôdent autour d’une croix sur le bord du chemin. La dame blanche apparaît dans le brouillard au fond des vallées. On entend la plainte des enfants morts non baptisés au-dessus des montagnes.

Le braconnier traverse les brouillards de l’automne et jette des os dans la cheminée pendant que dans les champs, le corbeau se tient sur une patte et veille.

Le cheval blanc met lui-même son cavalier en selle et le mène dans un ravin. Çà et là passe un cheval sans tête par les rues.
Les feux follets qui rôdent la nuit dans les cimetières ou au fond des vallées sont des âmes en peine du purgatoire qui errent (ààrme Sééle).

Elles regagnent le ciel, délivrées, sous la forme d’une étoile filante. L’âme d’une grand-mère expie ses péchés derrière des toiles d’araignée dans la grande pièce et celle du grand-père monte au grenier en passant par la gouttière.

Un frère, décédé au lointain, nous interpelle avec fracas. Le père, qui a négligé un pèlerinage, accoste son enfant dans la rue. Celui qui a été condamné à mort injustement signale au prêtre son admission au ciel par des gouttes de sang sur le missel.


Dans la forêt, des souches ou des racines d’arbres en train de pourrir luisent parfois mystérieusement dans l’obscurité de la nuit On dit que ce sont des esprits ardents, fierische Gèèschder.

 

Une femme morte en couches est censée revenir toutes les nuits pendant 6 semaines pour allaiter son nourrisson. C’est pourquoi on lui met des chaussures sur son lit de mort, contrairement aux autres défunts. Certains défunts reviennent sur terre pour racheter une faute commise de leur vivant

Ceux qui ont déplacé une borne, "de Grènzschdèènnversétzere", et se sont approprié une parcelle du terrain voisin sont condamnés à errer éternellement sur le ban en portant la borne. La malédiction sera levée le jour où un passant dira : "Remets la borne à l’endroit où tu l’as prise".
Tràà dènne Schdèèn zerìck, wù du ne weggeholt hàsch.


On trouve, dans certaines maisons, des livres où les âmes du purgatoire ont laissé des traces de doigts. Des esprits apparaissent la nuit dans les rêves et se posent sur la poitrine des enfants ou des adultes, leur volent leur souffle et les mettent en grand danger. Pour les combattre, on bouche le trou de serrure, on inscrit les lettres JHS au-dessus de la porte de la cheminée et on y trace la marque du Christ.

Les prêtres peuvent aussi chasser les esprits. Un esprit turbulent est enfermé dans une bouteille et emmuré ou enterré dans un marais. L’esprit d’une femme  particulièrement avare prend possession d’un cochon vorace de la porcherie.

Pour se protéger contre les esprits, il faut toujours porter sur soi un objet bénit : un rameau de buis, un chapelet ou une médaille.  Ils seront ainsi inefficaces tout comme les sorcières. Si on rencontre un esprit, il faut toujours se demander si c’est un bon ou un mauvais esprit. On le fait avec la formule : Àll gùdde Gèèschder looben Gott den Hèrrn. (Tous les bons esprits louent Dieu le Seigneur.) Si c’est un bon esprit, il répond : Ìsch ààh. (Moi aussi.). Si c’est un mauvais, il disparaît.

Se signer avec de l’eau bénite est également recommandé, surtout avant d’aller se coucher, pour que les esprits malveillants ne perturbent pas le sommeil. Il y avait autrefois toujours un petit bénitier au mur de la chambre.

Les esprits se rencontrent souvent autour des mardelles. Les ronds de sorcières sont appelés ronds de druides. On voit les esprits se déplacer sur les anciennes voies romaines. Des légendes macabres concernent la mare profonde (de dìefe Pùhl). Un puissant chien garde le trésor caché dans un souterrain du château. Une princesse maudite traverse l’air en tant que dragon ardent ou se pose sur une margelle de puits en tant que gros crapaud hideux.

Des processions nocturnes se déroulent dans les vallées étroites et des profondeurs de la terre résonne pendant la messe de minuit le son des cloches englouties.


 
Un vilain gnome, ’s Drìckmännsche, venait parfois écraser les dormeurs de tout son poids, surtout les nourrissons, au risque de les étouffer dans leur sommeil. Les enfants avaient peur de l’homme au crochet, de Hòggemònn, qui les aurait attirés dans l’eau, pour les noyer, s’ils s’étaient approchés trop près d’un puits ou d’une rivière.

Le revenant que l’on appelait  ’s  Schnìerbìewel, le garçon au lacet, embêtait les gens au point de les laisser à demi morts de peur. Il était conduit à errer sans fin sur le ban où il avait détruit jadis une croix. Les gens le craignaient parce qu’il essayait de les étrangler.

Par contre, une personne qui remet en état une croix détruite ou brisée peut se voir récompenser par Dieu qui lui accorde le don de guérir blessures et maladies.

Ceux qui traversent une forêt pendant la nuit et qui entendent un vacarme infernal, comme si tous les arbres se renversent et tombent au sol, sont en présence de l’éternel chasseur, de ééwische Jääschder, qui passe dans un bruit d’enfer avec sa meute de chiens.

La "Dame Blanche", "de wiss Frau", hante tristement la campagne, elle se déplace sans toucher le sol, en gémissant. Elle vous glace d’effroi si vous la rencontrez.

La bête fantôme du village, ’s Dòrftier, peut se trouver étendue en travers du chemin, ses immenses yeux flamboyants fixés sur vous. Elle a parfois
des dimensions si monstrueuses qu’elle barre le passage.


On dit que les bêtes de l’étable peuvent parler pendant le temps que dure la messe de minuit. Un paysan, qui voulait en avoir le cœur net, se cacha dans l’étable et entendit effectivement parler le bœuf qui disait que son maître allait mourir dans 3 jours. Pris d’épouvante, le paysan quitta l’étable et…mourut 3 jours plus tard.


Conclusion

Dans nos villages, contrairement à une trentaine d’années en arrière, la sorcellerie a pratiquement disparu et on n’entend plus parler d’envoûtement.
Elle s’est muée en un filon lucratif avec les séries télé, les films de Harry Potter et le commerce d’Halloween, et demeure une pratique honteuse, synonyme de secret et de solitude pour ceux qui la pratiquent.

Les sorciers et les désenvoûteurs sont des gens comme tout le monde et rien ne les distingue extérieurement de leurs congénères. Leur clientèle est surtout désorientée et désespérée après avoir eu recours, sans succès, au vétérinaire, au médecin et parfois au curé.


Le nom "sorcier" est tabou, on ne parle pas d’envoûter, mais de "bricoler". On ne parle pas de sorcières, mais de "méchantes femmes"
qui "bloquent", "pompent" ou "bouffent" leurs victimes.


Dépit amoureux, haine, vengeance, cupidité, jalousie sont les sentiments qui poussent certaines personnes à demander un envoûtement. Les sorciers et les guérisseurs sont à la marge de la médecine et des religions. On continue à avoir recours à eux régulièrement. Sorciers et désenvoûteurs ont encore du pain sur la planche…


Gérard Kuffler
Mars 2021

(Photos internet)

D’après Lothringer Erzählen Tome 2 de Angelika Merkelbach-Pink
Les pieds dans le platt  ’s Saargeminner Wùcheblatt de Marianne Haas-Heckel