la_sorcellerie
La sorcellerie, de Hèxerèi
Sorciers et revenants, Hèxe ùnn Gèèschder
La sorcellerie a toujours été présente dans nos villages. Il suffisait
qu’une personne tombe malade, qu’un bébé meure, qu’une grange brûle ou
qu’une vache fasse un mauvais vêlage pour que la communauté villageoise
désigne plus ou moins ouvertement un coupable que son comportement ou
sa marginalité avait rendu suspect : un berger (qui vit à l’écart), une
vieille femme, un marginal…
Si on faisait la chasse aux
sorcières autrefois et si on les condamnait au bûcher, il n’était plus
question aux 19° et 20° siècles de les poursuivre et de les condamner.
Le prêtre, au nom de la religion catholique, estimait que la
sorcellerie était une superstition païenne et essayait de la combattre.
Les habitants de nos villages
avaient des idées bien arrêtées sur les sorcières et s’imaginaient
souvent naïvement certaines choses que la raison et l’esprit cartésien
ne peuvent aujourd’hui plus cautionner.
Qu’est-ce que la sorcellerie ?
C’est "la croyance selon laquelle
le malheur inexpliqué est dû à l’intention maléfique d’individus dotés
de pouvoirs surnaturels" , selon le professeur Fabrice Clément de
l’université de Neuchâtel, en Suisse.
Quant au sorcier, c’est une
personne qui peut "soumettre à son pouvoir les objets de toute nature,
les végétaux, les minéraux" , complète Dominique Camus dans son livre
Enquête sur les sorciers et jeteurs de sorts en France aujourd’hui.
Les sorcières sont en général des
femmes, assez laides, qui ont plus de connaissances que les autres,
sont plus promptes à la réflexion et dans l’action, des femmes
capables, "wù äbbes kìnne". Elles ont le regard mauvais, les cheveux
roux, une voix claire, un palais blanc (de Goome), des jarretelles
rouges. On les reconnaît à l’église, quand elles tournent le dos au
curé pendant la bénédiction finale de la messe.
On n’a pas le droit de parler de
sorcières en présence du curé. Il sait très bien qu’elles existent et
elles lui donnent assez de travail. Il n’a pas le droit d’y croire,
mais il peut les nommer. Il ne veut pas que l’on parle d’elles. Son
opinion, c’est qu’il n’existe pas de sorcières, mais seulement des
personnes qui font du mal. Ès gìtt kènn Hèxe, ès gìtt nùmme béése Litt.
A la prière "Orate fratres" de la messe,
elles essaient de se faire remarquer par le prêtre. C’est pour cela
qu’il se retourne aussi rapidement et ne regarde pas dans l’assemblée.
Quand un enfant de chœur regarde
pendant la grand-messe sous son bras gauche vers la nef de l’église, il
voit les sorcières portant un baquet renversé sur la tête. Celui qui
regarde à travers un œuf pondu le Jeudi-Saint reconnaît les sorcières
dans l’église : elles portent un morceau de pelouse sur la tête, à la
place de leur bonnet. L’œuf doit cependant être brisé avant la sortie
de la sorcière.
On peut encore apercevoir une
sorcière à travers le trou pratiqué dans le nœud d’une planche du
cercueil d’une femme décédée en couches.
Celui qui est agenouillé pendant la
messe de minuit sur un tabouret de bois neuf peut reconnaître une
sorcière pendant l’élévation.
Le juif, marchand de bestiaux, "de
Judd", et la bohémienne, "de Hèèd", ont un pouvoir identique à celui
des sorcières, un pouvoir maléfique sur les hommes et les bêtes. On ne
prophétise rien de bon aux paysans, chez lesquels un juif entre et sort
beaucoup.
Les personnes qui ne croient pas
aux sorcières et qui ne peuvent tenir leur langue ne doivent pas être
instruites de sorcellerie, car on craint la réaction de la sorcière,
quand elle est mise au courant.
La vengeance des sorcières qui
entendent des racontars à leur sujet s’exerce toujours par un dommage
causé aux bêtes et aux hommes ou par une maladie provoquée.
Si on dit
ce proverbe avant de parler : De Déiwel soll der Hèx e Block ìns Ohr
schlòòn.( Le diable doit mettre un bouchon dans l’oreille de la
sorcière.) les sorcières, même les plus fines oreilles, ne peuvent rien
entendre.
C’est après le décès d’une
sorcière que les langues se délient et que l’on se met à raconter les
méfaits de la sorcière, et seulement si elle n’a plus de famille au
village. On ne veut pas traumatiser la parenté ni créer de discorde
dans le village.
Seules les sorcières ont conclu un
pacte avec le diable, pas leurs parents. L’art d’ensorceler ne s’hérite
pas. Mais on peut entendre des gens dire :
’s Jùng hàtt gràd so béése
Aue ìm Kopp àß wie ’s Àld. (La jeune a autant le regard mauvais que la
vieille.)
Outre la nuit des sorcières, la
nuit de la Saint Jean (24 juin) et la nuit de Noël sont propices pour
que les sorcières se transforment en chats, en araignées ou autres
petites bêtes. On peut apprendre la sorcellerie, "de Hèxekùnscht",
pendant la nuit sainte.
Celui qui veut apprendre à jeter
des sorts, doit aller dans les champs le soir de Noël, pendant la messe
de minuit, et couper une branche de noisetier. Il faut que ce soit une
pousse d’un an. D’autres plantes servent encore aux sorciers : le
sorbier, la rue, la véronique.
Le rôle de la sorcière est de faire du mal aux autres. Si elle ne le fait pas, elle se fait du mal à elle-même ou à sa famille. Le paysan craint le pouvoir des sorcières, car elles peuvent agir sur la météo et détruire les récoltes.
Chaque sorcière a le pouvoir de se procurer, sans travailler, une petite somme d’argent chaque jour, environ 2 sous.
Les sorcières se servent de livres,
"Hèxebììscher", qui n’auront de valeur que si elles arrivent à en glisser
un sous la nappe d’autel et que le livre reste en place pendant la
messe. Un de ces livres se nomme : le septième livre de Moïse. Si la
sorcière arrive à cacher le livre pendant la messe de minuit, elle a
alors beaucoup de pouvoirs. Le prêtre au début de la messe aplatit la
nappe de l’autel pour contrôler s’il n’y a rien de caché dessous.
Quand on va dans les champs avant
l’angelus du matin, il faut être sur ses gardes. Rencontrer un chat sur
sa route ne signifie rien de bon alors.
Parfois une personne dort mal ou
maigrit sans cause apparente. Un sort a été jeté sur elle par une
sorcière. On trouve alors dans les oreillers des tortillons de plumes,
des sortes d’agglomérats de duvet qui se présentent sous diverses
formes. Le plus souvent, les plumes, jointes par le bec, s’ordonnancent
intimement pour former de petites rosaces ou des spirales de la taille
d’une soucoupe à thé. Les plumes créent aussi des formes de corps
d’hommes sans tête ou d’oiseaux sans tête. Les plumes peuvent encore
former des croix ou des parures d’indiens.
Hänsel, Gretel et la sorcière dans le conte des frères Grimm.
Dans certaines familles, on trouve
un livre qui contient toutes les connaissances sur la sorcellerie, les
sorcières, la magie et les remèdes pour guérir les maladies des
hommes et des bêtes ainsi que les tourments de l’amour.
Par exemple, pour qu’on ne puisse pas te voir : prends l’œil droit d’une chauve-souris, garde le sur toi et tu seras invisible. Pour qu’une fille soit amoureuse de toi : prends des plumes de la queue d’un coq et par trois fois presse-les dans sa main.
Ceux qui sont nés au jeûne des Quatre-Temps (Fronfààscht), peuvent voir les esprits et les sorcières.
Le lieu de rassemblement principal
des sorcières de nos régions est le Bastberg, près de Bouxwiller, "de
Bàschtbèèrsch". C’est là qu’elles ont leur piste de danse.
Il y a aussi
des endroits moins importants de danse, les ronds de sorcières dans les
prés, "Hèxekrèèse", où les sorcières se rassemblent la nuit pour danser
et forniquer avec le diable.
Pour se rendre à leur sabbat, les
sorcières sortent par les cheminées sur des balais. Pour ne pas se
heurter dans les airs, elles doivent enduire leur corps d’une pommade
ou d’un liquide particulier, "Hèxefètt", et prononcer cette phrase : Owwe
enuss ùnn nìrjèns òn. (Sortie par le haut et jamais arrivée.)
Pour ne
pas se prendre dans les haies et les broussailles, elles doivent dire :
Ìsch géh iwwer Hégge ùnn Schduude.(Je vole au-dessus des haies et
des arbustes.). Si elle se trompe et dit "à travers" à la place de "au-dessus", les haies et les arbustes lui causent des dommages.
Il fallait que les sorcières soient
de retour avant l’angelus du matin. Si une sorcière prend du retard
dans les airs, elle tombe sur terre totalement nue. Dans tous les cas,
une sorcière n’aime pas marcher sur la route, elle préfère cheminer
ordinairement sur l’herbe.
Les reproches que l’on peut faire
aux sorcières sont les suivants : fornication avec le diable, dégâts
météorologiques, dommages aux bêtes, chevauchées nocturnes sur un balai
en direction des lieux de rassemblement, absence de vénération du Saint
Sacrement, danse pendant le carême, pose sur les balais d’un enduit
fabriqué avec le cadavre des enfants non-baptisés, outrages envers la
Vierge.
Wahrhaftige Zeitung von den Gottlosen Hexen.
(Journal véridique des sorcières païennes).
Comment se protège-t-on des sorcières ?
Quand une sorcière passe dans la
rue, on jette quelques grains de sel bénit derrière elle, mais de façon
à ce qu’elle ne remarque rien. Si on en rencontre une dans la rue, on
regarde dans une autre direction. Si elle sort de la maison, on fait le
signe de croix derrière elle. On met encore un grain de sel bénit dans le lait que l’on porte le soir, après l’angelus, aux clients.
Les sorcières ne peuvent se
transformer que le soir et la nuit, entre l’ angelus du soir et celui
du matin et se promener dans les airs. C’est pourquoi on ne laisse pas
les enfants dans la rue après l’angelus du soir, on rentre des champs
avec les bêtes avant cet angelus et on les mène à l’abreuvoir avant la
tombée de la nuit.
Une voiture prêtée à une sorcière
doit comporter une branche de buis bénit, mais fixée de telle manière
que la sorcière ne remarque rien. On ne prêtera pas la voiture une
seconde fois, car la sorcière risque de ressentir qu’il y a du buis.
On asperge d’eau bénite l’étable que le juif, marchand de bestiaux, vient de quitter. Pour préserver l’étable ou la
maison des esprits malveillants, on y suspend le "bouclier chrétien"
(dàs krìschtlische Schìld) : c’est un morceau de carton sur lequel on a
dessiné 3 triangles imbriqués formant une étoile.
La bible des plantes pour sorcières.
Les bohémiennes doivent rester
éloignées des enfants, car elles les ensorcellent facilement s’ils ne
font pas leur volonté. Pour ne pas provoquer leur colère, on ne leur
refuse rien, quand elles mendient.
Pour se protéger, il faut faire le
signe de croix, dans leur dos, au moment de leur départ. On n’a pas le droit de prêter, de
donner quelque chose à manger à une sorcière. Si on ne suit pas
cette règle, la sorcière a pouvoir sur nous pour nous faire du mal. Au
contraire, on n’a pas le droit de refuser quelque chose d’une sorcière,
pour ne pas provoquer sa vengeance. C’est pourquoi l’on met secrètement
un grain de sel bénit dans le lait que l’on vend à la sorcière ou dans
l’eau que l’on prend à la fontaine pour elle.
Pour repousser les sorcières, il faut porter sa chemise ou son tablier à l’envers, "hìnnersisch-vorsisch". Pour piéger une sorcière, il suffit
de poser un balai, le manche en bas, contre la porte de la pièce où
elle se trouve. Elle ne pourra en ressortir que si on enlève le balai
et si on le remet à l’endroit. Si on veut qu’une sorcière ne franchisse
pas le seuil de la maison, on met le balai derrière la porte et on le
recouvre d’une serpillière, "e Bùtzlùmbe", pour le cacher.
La veille de la nuit des sorcières
(du 30 avril au 1er mai), "de Hèxenààcht", on asperge d’eau bénite les
pièces de la maison, l’étable, la grange, chaque coin et chaque fente,
chaque trou de serrure, pour que les sorcières n’entrent pas. Debout
devant la maison, on jette de l’eau bénite vers les 4 points cardinaux.
On fixe un petit rameau de buis
bénit le jour des Rameaux, "Pälmsùnndaa", à la croix de la chambre ou
derrière la porte de la maison et de l’étable, cela aussi pour chasser
les sorcières.
Parfois on plante un rameau de buis dans les champs, pour les protéger des sorcières qui pourraient y faire des dégâts. Pour protéger le bétail des jeteurs de sorts, on donne à manger quelques grains de sel bénit, le dimanche de la Trinité.
La cire du 2 février, fête de la
Chandeleur, "Mariä Lìschtméss", et plus spécialement celle de la veillée
pascale, sert à confectionner de petites croix que l’on fixe au-dessus
des portes ou au plafond des chambres, destinées à protéger la maison
des mauvais esprits.
Les branches d’arbres qui ornent
les autels de la Fête-Dieu sont ramenées à la maison après la
procession et fixées dans l’étable ou au pignon de la maison. Les
fleurs et l’herbe éparpillées sur le parcours de la procession sont
données à manger aux animaux.
Les médailles bénites de saint
Benoît sont posées sur les poutres de l’étable ou fixées dans la
mangeoire. Les chevaux malades portent une de ces médailles dans leur
crinière, les hommes la portent à la bretelle le dimanche et à la
ceinture les jours de semaine. On place encore un crucifix dans
l’étable et dans l’écurie.
Quand des tortillons de plumes se
retrouvent dans les oreillers, il faut les brûler et les remplacer par
des oreillers garnis de mousse.
Quand il se passe des évènements
extraordinaires, surnaturels dans une maison, il faut faire appel au
curé, pour qu’il bénisse la demeure. Les choses rentreront alors dans
l’ordre.
Quand on avait fait construire une
maison et avant d’y emménager, on demandait au curé de venir bénir
toutes les pièces de la nouvelle maison.
Le chef-sorcier, de Hèxemèèschder.
C’est lui qui commande aux
sorcières. Là où la prière des religieux ne suffit pas, il peut tout.
Il a le pouvoir de neutraliser la sorcière principale, celle qui
commande aux autres sorcières, le pouvoir de forcer les sorcières à
réparer en partie ou totalement le mal causé et de les punir.
Il a encore le pouvoir de décrire
en détail les sorcières pour qu’on puisse se protéger d’elles et de
dénoncer les auteurs de lettres anonymes et les voleurs.
En cas de disparition d’une
personne, il a le don de montrer le visage du disparu dans un miroir,
un baquet rempli d’eau ou une bouteille.
Ce chef-sorcier est souvent un
guérisseur efficace, qui fait du bien aux hommes et aux bêtes, sans
pour autant être considéré comme un sorcier. Il remet en place les os
luxés, il guérit les entorses, arrête les hémorragies, guérit le muguet
en disant une prière ou une formule qu’il ne révèle pas et qu’il a
héritée de son père ou d’une autre personne.
Il distribue des remèdes
homéopathiques qui sont mystérieux, mais efficaces. Èr hàtt ùns so è
Hèxebùdèllele gìnn, mìt gòns klèène, wisse Kärle drìnùnn mìt puurem
Wàsser, wù gàr nìt schmàckt ùnn wù ùff de Schdéll hèlft. (Il nous
a donné une petite bouteille de sorcière, avec de petits grains blancs
dedans et de l’eau pure, qui n’a pas d’odeur et qui est efficace sur le
champ.)
Le rebouteux de Rahling, François
Freyermuth, "de Ràhlìnger Mònn", appelé aussi "de Ràhlìnger
Knocheflìcker", a eu le don de guérir les foulures, les
déboîtements, les fractures, les nerfs déplacés, car son
arrière-arrière grand-père, au temps de la Révolution, avait réparé une
croix trouvée abîmée au bord d’un chemin. Ce don s’était transmis de
génération en génération.
A Kalhausen, vivait encore à la fin
du 20° siècle, un de ces hommes, Joseph Muller, qui se disait maître
des sorciers. Il était consulté en cas d’envoûtement et se faisait fort
d’intervenir pour aider les personnes en détresse. Par ailleurs, il
était également rebouteux et a rendu de ce côté de nombreux services
même en dehors du village.
(Lien vers le texte "Les rebouteux")
On a aussi recours aux anabaptistes
(Dääfer), propriétaires de fermes isolées ou fermiers, pour guérir les
maux et les ensorcellements des animaux. Les bergers et les forgerons,
qui sont en contact avec les bêtes, peuvent aussi être d’un grand
secours et de bon conseil : les bergers, qui connaissent les plantes
des champs et des prés et les forgerons qui connaissent les bestiaux
qu’ils doivent ferrer.
Parfois, on fait un peu d’humour à
propos des sorcières, quand on parle d’une personne qui a un lumbago, "e
Hèxeschùss" (littéralement un coup de sorcière). Se léit ìm Bétt mìmme
Hèxeschùss. De Schùss ìsch ewèck ùnn de Hèx ìsch geblìì. (Elle est
clouée au lit par un lumbago. Le lumbago est reparti, mais la sorcière
est restée.)
Maintenant une anecdote : une
méchante vieille, à la réputation de sorcière, avait jeté un sort aux
chevaux du voisin. L’une après l’autre, les deux bêtes périrent. Le
paysan surveilla plusieurs nuits durant son écurie et remarqua un chat
noir qui rôdait dans les parages. Il se saisit d’une fourche et frappa
l’animal. Or, le lendemain, la vieille femme en question portait des
traces de fourche sur le visage. Il n’y eut désormais plus de dégâts
dans l’écurie.
Les esprits et les revenants, de Gèèschder
On craignait aussi les esprits et les revenants. Les formes sous lesquelles apparaissent les esprits sont diverses.
Les chevaliers, les moines sont vus
comme des esprits car ils ont perçu les redevances des paysans. Les
prêtres survolent la campagne pour rattraper les prières non dites du
bréviaire, ils apparaissent à minuit dans l’église pour dire une messe
oubliée.
Les assassins et les scélérats rôdent autour d’une croix sur
le bord du chemin. La dame blanche apparaît dans le brouillard au fond
des vallées. On entend la plainte des enfants morts non baptisés
au-dessus des montagnes.
Le braconnier traverse les brouillards de
l’automne et jette des os dans la cheminée pendant que dans les champs,
le corbeau se tient sur une patte et veille.
Le cheval blanc met
lui-même son cavalier en selle et le mène dans un ravin. Çà et là passe
un cheval sans tête par les rues. Les feux follets qui rôdent la nuit
dans les cimetières ou au fond des vallées sont des âmes en peine du
purgatoire qui errent (ààrme Sééle).
Elles regagnent le ciel,
délivrées, sous la forme d’une étoile filante. L’âme d’une grand-mère
expie ses péchés derrière des toiles d’araignée dans la grande pièce et
celle du grand-père monte au grenier en passant par la gouttière.
Un
frère, décédé au lointain, nous interpelle avec fracas. Le père, qui a
négligé un pèlerinage, accoste son enfant dans la rue. Celui qui a été
condamné à mort injustement signale au prêtre son admission au ciel par
des gouttes de sang sur le missel.
Dans la forêt, des souches ou des
racines d’arbres en train de pourrir luisent parfois mystérieusement
dans l’obscurité de la nuit On dit que ce sont des esprits ardents,
fierische Gèèschder.
Une femme morte en couches est
censée revenir toutes les nuits pendant 6 semaines pour allaiter son
nourrisson. C’est pourquoi on lui met des chaussures sur son lit de
mort, contrairement aux autres défunts. Certains défunts reviennent sur
terre pour racheter une faute commise de leur vivant
Ceux qui ont
déplacé une borne, "de Grènzschdèènnversétzere", et se sont approprié une
parcelle du terrain voisin sont condamnés à errer éternellement sur le
ban en portant la borne. La malédiction sera levée le jour où un
passant dira : "Remets la borne à l’endroit où tu l’as prise".
Tràà
dènne Schdèèn zerìck, wù du ne weggeholt hàsch.
On trouve, dans certaines maisons,
des livres où les âmes du purgatoire ont laissé des traces de doigts.
Des esprits apparaissent la nuit dans les rêves et se posent sur la
poitrine des enfants ou des adultes, leur volent leur souffle et les
mettent en grand danger. Pour les combattre, on bouche le trou de
serrure, on inscrit les lettres JHS au-dessus de la porte de la
cheminée et on y trace la marque du Christ.
Les prêtres peuvent aussi chasser
les esprits. Un esprit turbulent est enfermé dans une bouteille et
emmuré ou enterré dans un marais. L’esprit d’une femme
particulièrement avare prend possession d’un cochon vorace de la
porcherie.
Pour se protéger contre les
esprits, il faut toujours porter sur soi un objet bénit : un rameau de
buis, un chapelet ou une médaille. Ils seront ainsi inefficaces
tout comme les sorcières. Si on rencontre un esprit, il faut toujours
se demander si c’est un bon ou un mauvais esprit. On le fait avec la
formule : Àll gùdde Gèèschder looben Gott den Hèrrn. (Tous les bons
esprits louent Dieu le Seigneur.) Si c’est un bon esprit, il répond :
Ìsch ààh. (Moi aussi.). Si c’est un mauvais, il disparaît.
Se signer avec de l’eau bénite est
également recommandé, surtout avant d’aller se coucher, pour que les
esprits malveillants ne perturbent pas le sommeil. Il y avait autrefois
toujours un petit bénitier au mur de la chambre.
Les esprits se rencontrent souvent
autour des mardelles. Les ronds de sorcières sont appelés ronds de
druides. On voit les esprits se déplacer sur les anciennes voies
romaines. Des légendes macabres concernent la mare profonde (de dìefe
Pùhl). Un puissant chien garde le trésor caché dans un souterrain du
château. Une princesse maudite traverse l’air en tant que dragon
ardent ou se pose sur une margelle de puits en tant que gros
crapaud hideux.
Des processions nocturnes se
déroulent dans les vallées étroites et des profondeurs de la terre
résonne pendant la messe de minuit le son des cloches englouties.
Un vilain gnome, ’s Drìckmännsche,
venait parfois écraser les dormeurs de tout son poids, surtout les
nourrissons, au risque de les étouffer dans leur sommeil. Les enfants avaient peur de l’homme
au crochet, de Hòggemònn, qui les aurait attirés dans l’eau, pour les
noyer, s’ils s’étaient approchés trop près d’un puits ou d’une rivière.
Le revenant que l’on appelait
’s Schnìerbìewel, le garçon au lacet, embêtait les gens au point
de les laisser à demi morts de peur. Il était conduit à errer sans fin
sur le ban où il avait détruit jadis une croix. Les gens le craignaient parce
qu’il essayait de les étrangler.
Par contre, une personne qui remet
en état une croix détruite ou brisée peut se voir récompenser par Dieu
qui lui accorde le don de guérir blessures et maladies.
Ceux qui traversent une forêt
pendant la nuit et qui entendent un vacarme infernal, comme si tous les
arbres se renversent et tombent au sol, sont en présence de l’éternel
chasseur, de ééwische Jääschder, qui passe dans un bruit d’enfer avec
sa meute de chiens.
La "Dame Blanche", "de wiss Frau",
hante tristement la campagne, elle se déplace sans toucher le sol, en
gémissant. Elle vous glace d’effroi si vous la rencontrez.
La bête fantôme du village, ’s
Dòrftier, peut se trouver étendue en travers du chemin, ses immenses
yeux flamboyants fixés sur vous. Elle a parfois
des dimensions si
monstrueuses qu’elle barre le passage.
On dit que les bêtes de l’étable
peuvent parler pendant le temps que dure la messe de minuit. Un paysan,
qui voulait en avoir le cœur net, se cacha dans l’étable et entendit
effectivement parler le bœuf qui disait que son maître allait mourir
dans 3 jours. Pris d’épouvante, le paysan quitta l’étable et…mourut 3
jours plus tard.
Conclusion
Dans nos villages, contrairement à
une trentaine d’années en arrière, la sorcellerie a pratiquement
disparu et on n’entend plus parler d’envoûtement.
Elle s’est muée en un filon
lucratif avec les séries télé, les films de Harry Potter et le commerce
d’Halloween, et demeure une pratique honteuse, synonyme de secret et de
solitude pour ceux qui la pratiquent.
Les sorciers et les désenvoûteurs
sont des gens comme tout le monde et rien ne les distingue
extérieurement de leurs congénères. Leur clientèle est surtout
désorientée et désespérée après avoir eu recours, sans succès, au
vétérinaire, au médecin et parfois au curé.
Le nom "sorcier" est tabou, on ne
parle pas d’envoûter, mais de "bricoler". On ne parle pas de
sorcières, mais de "méchantes femmes"
qui "bloquent", "pompent"
ou "bouffent" leurs victimes.
Dépit amoureux, haine, vengeance,
cupidité, jalousie sont les sentiments qui poussent certaines personnes
à demander un envoûtement. Les sorciers et les guérisseurs sont à la
marge de la médecine et des religions. On continue à avoir recours à
eux régulièrement. Sorciers et désenvoûteurs ont encore du pain sur la
planche…
Gérard Kuffler
Mars 2021
(Photos internet)
D’après Lothringer Erzählen Tome 2 de Angelika Merkelbach-Pink
Les pieds dans le platt ’s Saargeminner Wùcheblatt de Marianne Haas-Heckel